PULSIONS (DRESSED TO KILL) +

11 Mai


Les films de Brian De Palma font souvent de lui un vain génie et Dressed to Kill ( »tiré à quatre épingles ») est de loin l’opus nourrissant le plus cette sensation. La mise en scène de l’illusion atteint ici une ampleur vertigineuse proche des deux grands climax du réalisateur, Obsession et Blow Out.

Prêtant allégeance à Psychose, Pulsions s’en approprie les totems et notamment celui de l’héroïne en crise à laquelle nous nous attacherons avant que l’horreur n’entre en scène. Avec Angie Dickison convertie en MILF, De Palma marche aussi sur un autre terrain, que tout le monde omet, celui du réalisateur de Belle de Jour et Viridiana. Pulsions invente un Bunuel anglo-saxon, glamour et complaisant sans retenue, lui. L’inspiration reste d’abord à trouver auprès du grand maître de De Palma (Hitchcock), qui va prolonger la scène du musée de Sueurs froides pour créer un dédale de reflets enregistré par une stedycam défiant les contraintes de l’espace.

Une autre référence inattendue s’infiltre ici et de manière plus directe. Par son imagerie fétichiste, de la lame de rasoir aux gants, Dressed to Kill rappelle Argento. Ce n’est pas une simple affaire de gris-gris car toute cette tension fantasmagorique renvoie entièrement, en tant que telle comme dans les manières, aux poèmes de Argento, notamment à Ténèbres et aux premiers thrillers comme L’Oiseau au plumage de Cristal. Le cinéaste italien cependant abordait plus frontalement cette soumission des femmes aux désirs douloureux et complexes des hommes et surtout, préfère la transe à l’empathie.

La première demi-heure est un grand moment dans le parcours d’un cinéphile. Dressed to Kill atteint alors un état onirique, où le travail conceptuel permanent, ostensible sans grossièreté, engendre une puissance émotionnelle rare. On vit le film dans l’instant avec toujours l’impression d’être au bord du précipice, mais possédé de toutes façons. Ce côté magique, le film va le garder jusqu’au-bout, même dans ses élans les plus tendancieux.

Ensuite, c’est l’heure du crime ouvert et de l’enquête. Nous voilà alors dans un De Palma audacieux mais néanmoins traditionnel, clairement dans la lignée des polars typiques de l’époque exposant la ville américaine en proie aux pulsions et des préjugés tout en étant bercée par un équilibre poussif. Des parallèles aux autres films notables de cette période sur la sexualité trouble ou la jouissance devenue vecteur de délabrement (Hardcore, Cruising) peuvent être établis facilement. C’est là que surviennent les éléments dommageables. En effet, si sur le plan théorique et pratique les faux-semblants, dualités et renversements émerveillent, le propos sur la déviance sexuelle en lui-même est relativement médiocre.

Il est pourtant plutôt sympathique voir grisant, avec ses transsexuelles soit plus conservatrices que la moyenne soit carrément dégénérées. Néanmoins Pulsions vire à l’alliance de freudisme putride et de bis machiavélique, dont le léger ridicule est rattrapé in fine par la toile cohérente dans laquelle De Palma l’insère (l’interaction du clivage et du désir -du laïus qui l’énonce à tous les indices qui l’illustrent- renforce la démarche esthétique du film). Et puis il faut l’avouer, c’est aussi grotesque que charmant.

Sévèrement censuré et bêtement accusé de moralisme (alors qu’on pourrait plutôt reprocher à De Palma d’être apathique sur tout ce qui relève du monde éthique), ce Dressed to Kill où les pulsions envahissent un écran sophistiqué marque une apothéose stylistique de Brian De Palma. Si sa représentation (relativement pionnière en 1980) de l’alter-sexualité peut sembler désuète ou grandiloquente, le film n’en demeure pas moins un voyage très réussi, dont on garde des traces de la scène d’exposition. Au milieu de son haut lyrisme se dresse un thriller brillant, avec quelques échappées comme la poursuite en métro, l’autre séquence remarquable du film et la bande-son élégante de Pino Donaggio, avec surtout le miraculeux extrait The Shower.

Note globale 80

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Cruising

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Brian De Palma sur ZogarokPassion (2012) + Redacted (2007) + Le Dahlia Noir (2006) + Femme Fatale (2002) + Mission to Mars (2000) + Snake Eyes (1998) + Mission Impossible (1996) + L’Impasse (1993) + L’esprit de Caïn (1992) + Le Bûcher des Vanités (1990) + Outrages (1989) + Les Incorruptibles (1987) + Mafia Salad (1986) + Body Double (1984) + Scarface (1983) + Blow Out (1981) + Pulsions/Dressed to Kill (1980) + Home Movies (1980) + Furie (1978) + Carrie au Bal du Diable (1976) + Obsession (1976) + Phantom of the Paradise (1974) + Sœurs de sang (1973) + Get to Know Your Rabbit (1972) + Hi, Mom ! (1970) + Dionysus in ’69 (1970) + The Wedding Party (1969) + Greetings (1968) + Murder à la mod (1968)

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6 Réponses to “PULSIONS (DRESSED TO KILL) +”

  1. Voracinéphile Mai 11, 2014 à 11:32 #

    Pulsions, ce cru qui m’a toujours laissé mitigé chez DePalma, mais qui a indéniablement gardé du charme… Je cautionne pour la première partie, ce climat de libération sexuelle accompagné d’une photo magnifique et de ce jeu de cache cache au musée est une merveille, jusqu’à la scène de l’ascenseur. Un véritable délice graphique qui nous met immédiatement dans un bain glam gore maîtrisé et immersif. Mes réserves sont plutôt dans la suite. L’enquête menée par le policier libidineux, le geek avant l’heure… Je n’ai tout simplement plus apprécié l’ambiance. Après, la performance de Nancy Allen était à la hauteur avec celle évidemment de Michael Caine, même si son personnage se révèle être une quasi-blague (ah, ces docteurs malades…). Avec cette psychologie freudienne de comptoir (oh, qui fonctionne), mon intérêt a vite décru et malgré l’identité du coupable, un thriller avec bien moins de saveur qu’à ses débuts. Dommage que la virtuosité de la mise en scène se soit assagie, je lui met tout de même davantage que la moyenne pour cette flamboyante introduction.
    C’est le début de la carrière De Palma ? La filmo complète se lance ?

    • zogarok Mai 13, 2014 à 02:59 #

      Oui je lance le cycle De Palma ! Carrie va suivre ! Puis un autre plus récent.
      Ce cru m’a laissé mitigé, la première fois : de ces films auxquels j’adhérais instinctivement, sans restriction, impressionné par certains plans, par quelque chose d’indicible ; et en même temps, avec « quelque chose » qui ne se montre pas mais pèse lourd ; et une certaine défiance cérébrale.
      Sauf que c’était parfait pour qu’il me poursuive. Ce qu’il a fait. Et ce n’est pas un grand film raté, c’est un grand film tout court, comme je l’espérais avant de le retrouver, mais un grand film avec ses vices.

  2. Voracinéphile Mai 13, 2014 à 22:40 #

    Quelle hantise ! On sent que le film t’a poursuivi longtemps jusqu’à cette chronique enfiévrée.
    Vu les influences giallesques du projet, il faudra que tu te penches sur le cas de L’étrange vice de Mme Wardh (taillé pour te plaire, malgré un déroulement de l’intrigue qui m’a déçu). Le désir féminin y est vraiment bien capté lors de certaines séquences (à la manière de cette introduction).
    J’ai hâte de lire les prochains articles. Pour le De Palma plus récent, j’hésite entre le moyen Passion (retour aux premiers amours) et Redacted…
    Et ta mention de Hardcore de Schrader me rappelle qu’il faudra que je me penche sur son cas (je l’ai vu, et apprécié malgré quelques limites).

    • zogarok Mai 14, 2014 à 16:44 #

      J’étais sorti avec une amertume et une certaine ironie qui m’habite lors des naufrages indécents ou des escroqueries. Je voyais ce Pulsions comme une escroquerie. Mais c’était comme pour Hostel.
      Non, ce sera moins récent pour celui qui suivra Carrie ! Il y a beaucoup de périodes, dans la longue carrière de De Palma (démarrée il y a plus de 40 ans, quand même – Dresses to Kill en a 34).

  3. mymp Mai 14, 2014 à 13:20 #

    Ca y est, tu lances enfin le cycle « Tout De Palma » (tu ne fais pas Soeurs de sang, Phantom of Paradise et Obsession, ou alors l’ordre est aléatoire ?) ! Pour Dressed to kill, c’est l’un de ses meilleurs, l’un des plus emblématiques et représentatifs de son style d’alors (qu’il a vainement tenté de relancer dans Passions), effectivement influencé pas seulement par Hitchcock.
    Allez, question archi difficile : quel est ton De Palma préféré ? Pour ma part, c’est Snake eyes.

    • zogarok Mai 14, 2014 à 16:36 #

      Salut Mymp !! Oui ordre aléaatoire. Je ferais aussi les tous premiers dans un article spécial, mais ceux-là n’ont pas encore été intégralement passés en revue. Je suis d’accord pour « Dressed to Kill » ; j’ai lu que c’était « le plus hitchockien ». Mais pour la moitié de ses films on nous indique que c’est « probablement le plus hitchcockien », donc mes repères ne sont pas trop entamés. Hitchcockien ou pas, son style dans Pulsions est à son meilleur, surtout évidemment dans cet extraordinaire premier tiers.
      Pour mon De Palma préféré, c’est ici : http://www.senscritique.com/liste/Classement_personnel_du_cinema_de_Brian_De_Palma_Zogarok/452771 Pour moi aussi, Snake Eyes est un grand film ! Liste à remplir encore.

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