QUERELLE +

25 Fév

Film posthume de Fassbinder et improbable adaptation de Querelle de Brest de Jean Genet, c’est un objet étrange, se déroulant dans un espace ultra-stylisé, abondant et confus. Les décors assument la transparence du plateau de cinéma ; le travail sur l’image, les couleurs saturées, installent un Brest fantasmatique. Querelle s’affiche comme un territoire artificiel, faux et mouvant ou se répandent les fantasmes et une imagerie gay contrastée. Contrastée parce que la surcharge baroque rend l’ensemble atemporel bien que connoté ; en particulier, l’allure générale de Brad Davis qui inspirera Jean-Paul Gaultier est la marque d’une époque fermée (les 80s) en même temps qu’elle semble tirée de songes éternels, de références inépuisables.

C’est un théâtre filmé étrange, hypertrophié quoiqu’assez creux, entre trivial et sublime, sacralisation du trivial et saccage du sublime. Le paradoxe du film est entre une vulgarité et une arrogance de midinette criarde et une intrépidité, verbeuse mais aussi physique, ou se reconnait plus immédiatement l’emprunt à Genet ; ces deux aspects ne se chevauchent pas, ils se confondent. Aussi, la propension à une grandiloquence confinant au ridicule vaniteux pourrait légitimement agacer ; on peut trouver au film un côté pompeux, une emphase « boboide » assez caricaturale d’ailleurs ; la bande-son péremptoire et solennelle s’aventure vers certaines affabulations boursouflées ou grotesques (« cet évènement est comparable à la Visitation », voilà de quoi heurter les plus tatillons). Sauf que cette surenchère est aussi le gage (et la stigmate) d’une outrance et d’une liberté dans le ton.

Mais ce n’est pas tout. D’abord, ce qu’on aperçoit derrière cet univers, c’est une psychanalyse de bazar parée de beaux atours, du freudisme de vieux junkie fantasque (et c’est partiellement le cas : amour féminin comme reconquête de la mère ; amour-haine fratricide). Si on se fixe à cette vue, il est logique de trouver le film assez laborieux dans le fond, d’y voir une espèce de démonstration soignée autour de l’idée psychanalytique hautement racoleuse et sommaire du « gun-pine ». D’ou vient alors ce charme, pourquoi Querelle exerce-t-il une fascination certaine ? C’est qu’en dépit des critères psy assez balourds, le film envisage l’homosexualité d’une façon assez trouble et borderline, peu compatible du reste avec la vision anesthésiée et normalisatrice du gay tel qu’il est admis (recommandé et prescrit) aujourd’hui, c’est-à-dire à l’heure de sa supposée pleine acceptation.

L’homosexualité dans Querelle est virile, sèche et, idéalement, dépouillée de sentiments. Du moins, et malgré que tous les excès soient permis, l’homosexualité devient embarrassante ou toxique lorsqu’elle gagne trop de terrain – elle supplante du même coup le libre-arbitre. Ainsi, le personnage éponyme réprime la vérité -car elle est effective- de son homosexualité « passive » (dans tous les sens du terme) et la peur de basculer vers l’amour. L’homosexualité ici est un territoire à la fois vierge et usé, une sortie de secours permettant à des pulsions interdites, mais plus brutales que noires, de se déchaîner (sans l’inquisition des femmes). Le Brest de carton, détaché du réel, n’est pas enfoui ; c’est une enclave au sein de la réalité des marins qui y font escale.

Dans cette fantasmagorie gay (pas ou peu « gay-friendly ») où les hommes sont des substituts, où un frère devient une portion de sa soeur pour un amant, Jeanne Moreau est une anomalie, une erreur désirée du système. Each man kills the thing he loves (de Oscar Wilde), la ritournelle de cette vieille sirène délabrée (déjà!), sorte de matriarche, fiancée et putain, ponctue la bal des puissances affectées.  Un peu à l’écart du mouvement, le capitaine (Franco Nero), scindé entre la rigueur de sa fonction et le développement d’une vie fantasmatique calquée sur l’objet de ses désirs, cruellement refoulés dans le réel (c’est un maître sévère), porte en lui toutes les visions tarées du film. A l’échelle de cet obsessionnel poli et rentré comme de l’oeuvre dans sa globalité, on croirait que cette manie de la sophistication est le prix de la dépravation, ainsi que le masque le plus noble de désirs scabreux et dérangeants (pour soi avant même de l’être devant les autres). La violence et même l’inceste sont toujours à l’esprit, sans jamais être tout à fait accomplis ; l’homosexualité, au-delà du vice ou péché et du danger présumé de ses pratiques (ou de certains de ses avatars), est assimilée à une jouissance morbide, à une perversité discrète aussi.

Note globale 72

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3 Réponses to “QUERELLE +”

  1. Voracinéphile février 27, 2012 à 18:30 #

    Tiens, un film de Fassbinder… Pas vu celui-là, mais j’avais vu Le droit du plus fort, du même réalisateur. Intéressant de voir que son approche de l’homosexualité contient de grandes similitudes avec celle que tu décris dans Querelle. Cette absence de sentiments, on la retrouve dans les deux films. Quoique le sujet du Droit du plus fort, c’est plus le mépris des classes sociales élevées pour les plus basses, transposé dans une communauté homosexuelle « de grand standing » qui voit débarquer un jeune forain plein aux as suite à un gain de loterie. Un message social assez cru et moins centré sur l’homosexualité, mais les approches du « monde homosexuel » semblent comparables. Très éloigné de la vision « classique » de l’homosexuel.

    • zogarok février 29, 2012 à 23:53 #

      Je n’ai pas vu d’autres Fassbinder, seulement ce Querelle posthume, qui sans doute prendrait une autre dimension si je connaissais l’oeuvre du personnage.
      J’ai vu deux fois Querelle, dont une récemment pour en faire l’article – parce que, pour une fois, je n’avais pas pris la moindre note en le découvrant ; d’ailleurs je n’ai pas beaucoup aimé sur le coup, parce que la « psychanalyse de bazar » (et les cartons au lyrisme ringard – presque mitterandien) engluentissait tout… quoiqu’elle ne me plombait pas assez pour que je décroche. De toute façon, j’ai été marqué et je le savais.

      Le pitsch du DROIT DU PLUS FORT, que tu m’apprend, m’interpelle ; Querelle est entre ce cynisme et un côté plus pompeux, plus « communautaire » aussi. Le film a 30 ans et a pu être scabreux à son époque ; aujourd’hui encore, il peut heurter. Pas par une quelconque violence graphique (quoique… stylistiquement, c’est potentiellement très/trop déroutant ou rédhibitoire) mais par cette vision sèche et primaire, presque homophobe par endroits – il y a ici des midinettes qui rêvent de se faire prendre & des criminels qui viennent s’abandonner ou s’émanciper du monde. D’ailleurs, tout se passe en vase clos ; c’est une annexe, un endroit détaché du monde, un lieu-monde de ce qui est envisagé comme une débauche, alors même qu’on y goutte allègrement. C’est là le paradoxe: autant Querelle peut être kitsch, presque futile, autant il dénigre l’homosexualité et n’envisage pas sa normalisation. Attention:ce n’est pas une tare! Mais c’est bien, ici, au pire une déviance, au mieux un sombre et romantique jardin secret.

  2. Voracinéphile mars 1, 2012 à 22:46 #

    Par rapport au Droit Du Plus Fort, c’est bel et bien l’esthétique qui semble faire la singularité de ce Querelle (rien que dans les images… rien à voir avec le réalisme naturel du DDPF). Et aussi cette dimension « psychologie de bazar », car il me semblait que le DDPF se contentait de filmer platement la réalité, et laissait le spectateur se faire son idée. La communauté homosexuelle était filmée avec distance, sans artifice, en bref dépouillée de tout à priori, ce qui rend l’interprétation « à double tranchant ». J’ai vu dans l’homosexualité du DDPF un fait, une communauté qui se met à l’écart de la société, et qui vivent de flirts et de relations stériles entre eux. Ils apparaissent presque comme un groupe d’amis, chacun sortant régulièrement avec un autre. Une sorte de frivolité anime le groupe, et en tout cas, il n’y a aucun sentiment derrière (un fait qui accentuera le côté « vampirique » de la relation entre un des homos et Franz (le forain nouveau riche tentant de vivre enfin un amour refoulé), qui se fait peu à peu dépouillé par la communauté… Un discours assez osé sur l’homosexualité (d’autant plus qu’on prône l’acceptation (ce qui n’est pas tout à fait la même chose que la tolérance))). Fassbinder a une vision vraiment atypique de l’homosexualité, et il serait probablement intéressant de découvrir d’autres de ses films, histoire de comparer. En tout cas, ces deux films ont de quoi interpeller sur un sujet toujours glissant.

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