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DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D’ELLE +

26 Juil

Godard l’a indiqué en interview : ‘elle’ « ce n’est pas Marina Vlady, c’est la ville de Paris ». La prostitution de ce personnage principal reflète celle du tout-Paris, puisque Godard est convaincu que « pour vivre dans la société parisienne d’aujourd’hui, on est forcé, à quelque niveau que ce soit, à quelque échelon que ce soit, de se prostituer ». Le film gravite autour de Paris et de ses grands ensembles urbains. Il joue sur deux tableaux : anthropologie sociale et exhibition des monologues internes, de pensées parfois détachées de leurs sujets. 2 ou 3 choses que je sais d’elle donne au spectateur un tableau noir (mais léger, avec un recul malicieux et philosophe) du nouvel ordre marchand, en montre les effets sur les sens et les représentations courantes.

Godard s’applique à banaliser le scandaleux, pour s’adresser à l’intelligence plutôt qu’à la capacité d’indignation, sans prendre de garanties démagogiques ou racoleuses. Il fait sauter des verrous pour étendre sa liberté et donner une assise fort à son propos. Le résultat est déroutant mais toujours ancré dans le trivial, même lorsque les manières sont artificielles ou les suggestions guindées. Il peut être un cas d’école du structuralisme au cinéma, mais dans ce cas Godard livre une caricature inimitable, sensuelle et extrêmement ludique. Cet opus annonce la radicalisation des expressions politiques de Godard, marginalisé dans la décennie suivante (1970) et s’en remettant un temps à la vidéo. La politisation s’ordonne à un niveau très concret, le premier murmure du film citant un décret passé incognito « le 19 août ». Au passage le film porte des coups, par sa voix-off chuchotée, contre le modèle gaulliste, par nature pas disposé ni armé pour contrecarrer le tsunami consumériste (focus secondaire sur les produits qui font et feront de plus en plus nos vies). En lui reprochant son autoritarisme las au profit du maintien d’intérêts de classe, c’est encore ce manque de vision qu’il accable ; au mieux la combativité gaulliste serait inadéquate face aux nouvelles forces, juste bonne à plomber un peu une société qui lui échappe.

Marina Vlady (‘d’origine russe’) dans le rôle de Juliette, la mère de famille suivant la mode de la prostitution en refoulant états d’âmes et peurs du danger, de l’enfermement (c’est sûrement un engagement ponctuel, sinon elle n’irait pas!), est complètement téléguidée par son environnement et par le réalisateur (qui prend une posture d’accompagnant intellectuel, mais pas de sauveur ou de leader). Tout en vaquant à ses occupations, parfois avec des poussées irrationnelles, elle répand ses pseudos soliloques, principalement sur le langage ; régulièrement elle est postée face caméra, dans un numéro ‘intérieur’ violemment artificiel mais franchement impliquée, investie ; elle sait être un outil sincère et une exécutante éblouissante, elle réfléchit passivement (son esprit, sa place symbolique, les discours comme les objectifs qui lui sont confiés). Quelques passages mettent au centre d’autres femmes, en confession ou monologue, toutes à propos de leurs situations personnelles. Un mannequin essaie une digression ‘sociologisante’ en se tournant l’âme dans le vide.

Les racontars de Juliette sont souvent d’ordre pratique, des projections hasardeuses (pure expectative sur l’avenir de la société) ou versent dans les principes de vie (cherchant les vérités d’ordre relationnel, au sens large). Elle est encore dans la quête, cherche à comprendre, mais sans ces symboles et ces objets qu’elle tâche maintenant de cerner et de séparer, elle se trouve étreinte par le vide. Elle ‘rame’ et se pose des questions entre les blancs, s’ouvrant à d’autres blancs. Les murmures sont plus concentrés, se donnent par grappes : quelques-unes sont juste brillantes et réjouissantes par leur style, d’autres jettent dans des réflexions assorties d’engagements forts. Godard à la voix-off y tient des discours établis et une ligne générale, comme un éclaireur : son recul reflète celui d’une éminence grise ou d’un architecte consultant le monde sur lequel il opère, comme passeur ou observateur en réaction, non comme ‘créateur’ pur. Le recul de la voix-off et de Godard, puis celui du spectateur dans la foulée, est un luxe qui ne rapporte qu’une vue large et permet d’éviter beaucoup, à commencer par la dissolution de ces schémas collectifs.

La mise en scène est à la fois anti-naturelle et dédaigneuse envers les conventions. Elle suit le cours des pensées d’un narrateur invisible, travaille les représentations qu’il veut les plus précises. Ce narrateur est un esprit sans corps mis dans la position de spectateur – physiquement y compris, lorsqu’il fait face aux femmes pour les interroger ou recueillir ce qu’il leur a dicté ou ce qu’il a induit. Les conversations sont montées même au corps défendant de ces femmes et de ces actrices. Godard veut montrer le poids de la morale, des injonctions dans l’air du temps ou exigées par leurs boussoles (normes et préférences explicites, modèles intériorisés, gestion collective et individuelle des exigences primaires, de la compétition soft).

Toutes ces démonstrations prennent souvent une tournure humoristique, mais dans un registre plombant et net ; une sorte d’humour avec un point final, sur le déluge d’amertume naissante. C’est comme un retrait plus que la ‘chute’ d’une blague ; comme si ces écarts s’effaçaient d’eux-mêmes, par dépit pour leur inadéquation à la réalité. C’est un retrait vers le monde fermé d’un humain en cellule, mais pas une censure au sens strict : retrait bénéfique pour cette cellule, tout en témoignant de son impuissance à transformer et manipuler le monde et ses règles. Reste la faculté à jouer avec ses codes et en bout de chaîne, celle de s’abstraire en vain mais ‘en forme’ par des enthousiasmes mentaux dont le rôle est de défendre et soulager. Toutefois il ne faudrait pas s’attendrir ou s’arrêter, sous peine d’être emporté par leur morbidité. La conscience ne servirait alors plus qu’à constater cet affaissement, comprendre le monde sans avoir plus ni issue, ni confort, ni espace.

Tout perché dans l’intellect qu’il est, le film vaut aussi par son rythme, sa musicalité même ; elle compense ce qui semble parfois des séquences ‘fantômes’. Car s’il y a es scènes de vie pures et sans blabla (justifiables mais frustrantes) comme la petite chez le dentiste (le meurtre psychique et l’intégration forcée symbolisés – idée forte au moins), se traînent aussi des séquences d’énumérations tirant vers le gadget de dépannage. Ces informations données indirectement servent-elles à étayer lourdement, à mettre un peu de clarté et de ‘béton’ pour récupérer le décrocheur, ou à parodier certaines attitudes ? On verra en tout cas, à la 68e minute, un binoclard médusé, regard (de veau sous hypnose) caméra, pendant que son voisin déroule avec une froideur caricaturale son compte-rendu. Contrairement à ces femmes instrumentalisées, pensant soigneusement à ces réparties livrées sans clé, lui semble ne pas pouvoir compter sur sa seule bonne volonté pour absorber ce qui le dépasse. Les hommes responsables et habilités apparaissent comme des otages laminés à la racine, complètement possédés et s’en remettant à des parodies de raison : à la fin Juliette lit le rapport de son mari sur ‘l’homme d’avenir’ : un homme pratique, confiant mais pas agressif, etc. Ils sont au lit et s’apprêtent à dormir, elle cherche un écho de sa part, lui est absent comme il l’est à ce qu’il prétend réfléchir et mûrir, ses affaires sont réglées et il ne ressent pas de trouble.

Note globale 72

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Suggestions… Il est mort après la guerre + Belle de Jour/Bunuel

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (5), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (4)

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LE LIVRE DE MARIE =-

18 Juin

Second court-métrage d’Anne-Marie Miéville, compagne et influence de Jean-Louis Godard, Le Livre de Marie précède une carrière de réalisatrice étoffée. Ce film suisse d’une demi-heure, produit par Godard, soit en porte la trace soit indique la source de ses artifices ou excentricités si caractéristiques.

Des litanies intellectuelles par rafales font semblant d’être des dialogues, les échanges dans la séquence d’intro sont le fruit d’une post-synchro non-solidaire – ne faisant même pas l’effort du contre-point. Par rapport au Godard des années 1960 voire 1970, la technique est sinon plus sûre, plus économe et tranchée ; la séance est surtout plus près de la vie, notamment grâce aux acteurs (dont Bruno Cremer) relevant le défi, sans trembler, se figer ni s’endormir.

Le cœur du film est une adolescente dans son monde de théories, de savoirs et de cultures, où elle joue la professeur et fait tous les dialogues. La mini-Godardienne viscérale navigue entre pics d’inspiration et débuts d’abattement ; les grands morceaux, celui de Mahler, viennent à sa rescousse. Le long-métrage Je vous salue Marie est la continuation de cet essai.

Note globale 48

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Suggestions…

Note arrondie de 47 à 48 suite à la mise à jour générale des notes.

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MINI CRITIQUES MUBI 5 (2019-1/2)

28 Nov

Même s’il est tard je poste maintenant les Mini pour Mubi du premier semestre. Le reste de 2019 sera publié en un post. Ce sera probablement l’avant-dernière année.

Le vieux jardin ** (Corée 2007) : La vie après la révolution (et son échec) et après 17 ans sorti de la vie civile (et normale). Pas poseur et théorique comme Il est mort après la guerre d’Oshima. Longtemps agréable, mais trop turbulent sur la fin, rongé par son originalité, des sentiments voire une narration éparpillés. Le laïus face caméra à la 98′ n’est pas forcément pertinent. Signé Im Sang Soo, dont j’avais déjà apprécié The Housemaid et L’ivresse de l’argent. (58)

Playtime ** (F 1967) : critique à venir probablement. Sinon dans une mini-critique des Revus, qui sera relativement longue. (5 à 6)

Trafic * (France 1971) : Tati en roue-libre pour un de ses derniers film ; à ce stade ça n’a plus d’intérêt rationnel. On va simplement aimer des détails d’ambiance, l’occasion de voir la réalité en 1971 – si on vit à l’écart du monde ou de 1971, ça peut être attirant par moments. L’humour est plus franc que dans Playtime (les dialogues et le narratif aussi), mais c’est pour devenir carrément primaire (avec cette succession de mecs se curant le nez en attendant la reprise de la circulation) ou d’une débilité effarante (le chien-paillasson et la pleurnicheuse). Essayez plutôt Week-end de Godard. (38)

La Sapienza * (France 2014) : Zelles et zeux aux z’âmes tistinguées, zautement spirituels mais point religieux, zont invités za savourer ze sef-d’oeuvre. Outre les décors sublimes et la main basse sur la haute culture, repose sur ses intentions (niaiseuses) qu’il ne cesse d’articuler avec une ‘finesse’ et une distanciations surlignées. Mise en scène et direction d’acteurs abominables – option raideur radicale, avec des protagonistes presque constamment face caméra, tout congestionnés, carrés et insipides dans le discours et dans les formes (c’est l’occasion pour les deux interprètes féminins principaux de faire émerger des qualités générales de leur étoffe – un bon point pour cette mise en place, mais s’apprécie en-dehors des démonstrations du film). Le dessein des assertions et ‘déductions’ spirituelles ou philosophiques est flagrant dès le départ si on est attentif et pas trop ‘généreux’ a-priori ; les perspectives des personnages progresseront pour de faux. Par contre Sapienza prend de l’épaisseur et son dispositif gagne en légitimité en élargissant les supports et en laissant l’émotion regonfler les automates (la diction avait déjà perdu en grotesque – sans compter l’habitude qui se prend rapidement après avoir décidé de se blaser). L’architecte est accablant avec ses airs de vieux chaton mélancolique sermonnant l’air de rien entre deux exposés. Les digressions futiles et pompeuses à n’en plus finir atteignent un nouveau stade (ouvertement médiocre) avec le couple invité. L’intervention mystère du réalisateur est un comble (où il se prend pour un passeur style nouveau prophète d’Israël) – une telle garantie n’était plus nécessaire. « Se débarrasser de l’inutile c’est peut-être ce qu’il y a de plus difficile » (97′) bien vu. (26)

Sabine ** (France 1993) : Un des premiers films du réalisateur de Fatima (Philippe Faucon, 2015). Mise en scène et réalisation dépouillées. Terre-à-terre et frontal, sans être trop racoleur hors de la nudité, ni en rajouter dans les horreurs humaines. Néanmoins, si la fille ne passait pas par tous les états horribles de la misère, il serait difficile de tenir. Le catalogue produit son petit effet mais l’émotion, sans projections de la part du spectateur spécialement empathique ou concerné, risque d’être minimale elle aussi. La façon dont la belle-mère accable la fille, à raison sauf exceptions, est un des seuls petits aspects émergents, tout le reste demeure tributaire des généralités sur la dure réalité ou du simple placement de pions narratifs. Une fin ne menant à rien de spécial est malheureusement logique pour la fille comme le film. (48)

La Pointe courte ** (France 1955) : Un démarrage remarquable de la part d’Agnès Varda. Acteurs généralement faux malgré des ‘éthos’ appropriés. Proche de choses que feront Bresson et la Nouvelle Vague dans quelques années. Les moments avec les pécheurs sonnent ‘vrai’ grâce au langage ciné et parlé ; ceux avec le couple aussi mais c’est déjà trop verbeux. Les musiques abrutissantes ont le mérite d’éviter de s’assoupir, à défaut d’aider ‘positivement’ le film. (62)

La guerre selon Charlie Wilson ** (USA 2007) : Ultime film signé Mike Nichols, portant sur le ‘programme afghan’ (ou ‘opération cyclone’). Remet la politique à sa place de milieu de manœuvriers en goguette, où les opportunités valent plus que les grands plans, où les décisions peuvent se prendre en grande partie à l’émotion, en fonction des besoins des plus gros ou selon des aventures personnelles. La représentation de Charlie Wilson est un pendant soft de celle de Jordan Belfort dans Le Loup de Wall-Street (2013), avec une conscience morale pour sérieusement les distinguer. On échappe pas aux dialogues à l’usage exclusif du spectateur, qu’il s’agisse de lui expliquer ou de l’amuser (ses ratés de diplomates), ni aux démonstrations sur base de stéréotypes rabougris pour introduire de nouveaux personnages. Pourquoi aller consulter un petit génie pour savoir qu’il faut mettre le paquet sur les armes ? La critique à l’égard de l’irresponsabilité des vainqueurs une fois le champ déblayé peut être utile à diverses fins – celle du film est manifestement la politiquement correcte (il faut construire des écoles en Afghanistan – car on ne doit pas laisser cette population jeune démunie) mais elle compatible avec d’autres parallèles et peut même constituer une brave couverture. (58)

Âme noire ** (Italie 1962) : Paresseux et théâtral. Tendances lascives et existentialistes, discussions d’hommes profiteurs et crises de femmes abusées ou tourmentées. Impression de voir Rossellini s’accrocher au wagon de la mode. (48)

Haewon et les hommes ** (Corée du Sud 2013) : Bonne écriture mais impitoyablement mollasson. S’ouvre sur un cameo de Jane Birkin. La fille est plutôt niaise et banale, comme l’indiquait la première impression et malgré sa dignité reconnue par le ‘regard’ empathique. (46)

Le testament d’Orphée ** (France 1960) : Cocteau en personne à son procès de créatif. Serait dans la continuité du Sang d’un poète, que je n’ai pas vu. (62)

L’éclipse ** (Italie 1962) : Un cousin éthéré et plus ouvertement sinistre de La Dolce Vita. J’étais resté dubitatif devant Blow Up puis enthousiaste suite à Profession reporter ; maintenant je ne suis pas plus avancé sur le cas Antonioni. J’ai aimé mais ne suis pas sûr de la valeur de son Éclipse ; même si tout plaide pour qu’on s’y ennuie, ça n’a pas été mon cas (enfin si mais c’était largement compensé et sans m’agacer) ; par contre trouver la chose ‘intéressante’ ou ‘profonde’ est moins évident. Tout ce qu’il peut y avoir de pertinent là-dedans est superficiel, fugace – ce film survole la modernité et l’oisiveté d’une bonne bourgeoise paisible, aimable, égocentrique ; il n’y a rien de spécial à signaler, que des bouts à raccommoder avec d’autres considérations, d’autres tableaux (sur la misère à côté, sur le racisme, la Bourse, les loisirs des femmes, etc). Certaines séquences entières sont redondantes en plus d’être simplement inutiles, notamment celles concernant l’argent ou les foules. Les trucs de couple m’ont laissé froid – en ouverture j’étais gavé, avec Delon positivement indifférent. Jusqu’à être écœuré par leurs simagrées débiles à un quart d’heure de la sortie – les régressions de cette pauvre petite créature sont quand même exaspérantes et c’est pourquoi le dilettantisme de cette exploration la sauve – plus près et plus emphatique, ça devenait irregardable. On remercie l’équipe technique à laquelle ce film doit 85% (tout c’est toujours trop ; attribuons 13% aux acteurs et 2% au reste). (58)

Mala Noche ** (USA 1986) : Premier long de Van Sant, doté d’un budget de 25.000$. Préfigure que sur le papier My Private Idaho (en citant l’État à la fin, en se centrant sur un homosexuel et son environnement/sa romance en partie ‘imaginaire’). Assez marrant grâce au laborieux déni de cette lopette totalement roulée par un jeune mexicano (simplement indifférent à son cas sauf pour ce qu’il peut piocher chez lui). Le plus jubilatoire étant notamment lorsqu’il essaie de montrer une sorte de dignité et d’autorité alors que ses parasites n’en sont même pas à rire de lui tant ils le méprisent (par exemple la scène de la voiture). C’est aussi une sorte de précurseur de modes déjà bien avancées ou émergentes 34 ans après : le veganisme et le puppy-play. Ce genre d’abaissement a rarement dû être mis sur pellicule à l’époque, en tout cas en version romantique et à destination d’un large public. Ajoutez à cela la honte d’être un blanc privilégié dans un pays massivement peuplé de blancs (et alors qu’on est jeune et pas spécialement gâté socialement). Un programme précoce ou brillamment ciblé. (56)

Blue Gate Crossing * (Taïwan 2002) : Histoire de lesbiennes à l’intérieur d’un triangle amoureux adolescent. Complètement naze, mais pour la défense du film je suis loin du public visé. L’overdose de gnangnanteries a donc été atteinte dès les premières minutes. Les films sentimentaux, surtout avec sujets féminins, sont largement pires en Extrême-Orient. Je crains que si ce film devait penser il irait du côté de Locataires, donc décollerait légèrement mais pour gonfler en grossièretés. Par contre la réalisation de celui-ci est propre. Les bavures engluant la pellicule viennent de la musique et de l’écriture. Ceux qui aiment se noyer dans certaines ambiances (modérément ‘exotiques’, nocturnes et urbaines) pourront y trouver leur compte. (32)

Darling/ Darling chérie ** (UK 1965) : L’arrivisme et la bourgeoisie dorée et hédoniste au travers d’une mannequin oisive. Portrait social davantage que personnel – et pas du tout intime ; pas passionnant sans doute à cause de cette volonté (et aussi car cette ‘swinging London’ ne [me] fait pas rêver). C’est Bel-Ami sans réflexion ni grande énergie, presque complaisant par défaut malgré des prétentions satiriques. Signé Schlesinger, réalisateur dix ans après de Marathon Man et du Jour du fléau. (56)

Mamma Roma *** (Italie 1962) : Second film du futur auteur de Théorème et de Salo, déjà habile, pour l’instant affilié au néo-réalisme. On ne sait trop si Pasolini, comme la fille facile convoitée par le fils et la bande, comme cette mère prostituée, déplore ou apprécie cette société verrouillée. Le sermon ‘bienveillant’ et bien-avisé du curé incitant madame à tout reprendre avec son fils peut sonner comme critique ou bien emballant proprement l’acceptation et l’adhésion cynique aux ‘lois’ sociales – qu’on sait malsaine mais a accepté soi aussi. Sur la forme, les seuls défauts potentiels concernent le casting (davantage de patauds robots chez les hommes) et la narration (temporalité bien ‘laxiste’) – défauts potentiels car on peut leur trouver des raisons ou les juger appropriés (ces hommes sont souvent en troupeau ou dans une fonction). (72)

Guns of the Trees * (USA 1961) : Collection de moment de vie plus ou moins significatifs, généralement bien meublés ou avec dialogues, ou gesticulations, ou excentricités. On s’amuse à infliger des sons trop aigus et les laisser aller pendant plusieurs minutes. C’est encore un membre de ce cinéma prenant bien soin de ne servir à rien, sautillant entre clins-d’œil, réflexions superficielles et bizarreries ineptes. Sa spécificité est de se concentrer sur des membres considérés représentatifs de leur [‘sa’] génération : soit une ribambelle de péteux sensibles et de spiritueux barbus, tous clairement bien à distance des coups de la vie et de ses conditions même ‘moyennes’, donc à l’écart de questionnements et de prise de conscience un peu plus sérieux que ces spontanéités niaiseuses et ces traits d’esprits artificiels. Mais le pire c’est qu’il y a aussi le plus trivial : ces bêtises politisées dans l’air du temps et/ou d’individualistes gauchisant (avec des rodomontades et même des aspirations surfaites à l’action inutile – oh le gentil garçon indigné trouve le courage grâce à la boisson pour avoir l’élan de pisser sur la vitrine de la banque !). Il n’y a pas (ou pas tellement) à jeter là-dedans (cohérence interne honorable), mais c’est une perte de temps pour ceux qui ne pratiquent pas la religion de la cinéphilie ou de l’avant-garde – puisque même pour représenter un point de vue végétatif c’est bidon (et ampoulé). Le cadre est beau et toutes ces poussées rendent stalinien – mais pas du stalinisme inclusif et inconscient de ces gens. (28)

Femmes du Caire *** (Égypte 2010) : Trois trajectoires reliées par celle d’une présentatrice télé. Elle est d’abord la tête d’affiche d’une émission d’actualité dérangeante pour les gardiens du temple et du pouvoir ; doit en rabattre – ça tombe bien, elle souhaite voir des ‘vrais gens’, des femmes. Dans cet exercice notre brave bourgeoise libérale/progressiste se rend compte de sa déconnexion. Son agenda doit rester politique mais de façon moins polémique et égocentrique ; finalement, son nouveau focus s’avère tout aussi compromettant, pour l’ordre social et l’intimité. Le narcissisme (sans ce que ce terme peut recouvrir de ‘démoniaque’ ou ouvertement prédateur dans le langage ces jours-ci) de cette princesse des médias se met au service d’une cause juste et s’en nourrit.

Le poids du contexte est important dans cette affaire : en France, elle serait une pouffe fracassante laudatrice de Schiappa – probablement critique car néanmoins consciente de la connerie du projet et de ses vedettes ; là-bas, elle lève des barrières. L’histoire avec les sœurs est à la fois remarquable et finalement gênante. Un certain déni de femmes en compétition y prend des proportions tragiques. C’est rare que la misère sexuelle imposée (restrictions culturelles) soit abordée pour les femmes. Le seul gros malaise de mon point de vue c’est que le film semble relativiser l’homicide ; à mes yeux, un laquais a joué avec les sentiments de trois femmes. Le film est-il complaisant ou simplement lucide, ‘inclusif’, concernant la cruauté et l’opportunisme des ‘victimes’ ? J’ai senti un arrière-goût bizarre de ce côté suite à la dernière histoire et à la conclusion. (68)

Les filles de la rue/ The Girls on F street/ The Maidens of Fetish street ** (USA 1966) : Du grindhouse à Los Angeles, mis en avant par la « byNWR ». Oublie très vite sa prétendue situation en 1928 et semble clairement d’époque. Aime traîner, sorte de voyeurisme léché se tenant à proximité du porno sans jamais y tremper. Imagerie SM revendiquée. Voix-off douce étayant sur ces situations à la fois joyeuses et désenchantées, jusqu’à ce que le vice soit décrété fatal. Le protagoniste masculin (Nick) est un [moralement] déconfit total acceptant tranquillement l’obscurité et la bassesse ; son alter ego Joe est autrement pathétique. D’après sa séquence chez la pute (« marchandise » assumée), il relève du misogyne bienveillant, aliéné dans sa vision des femmes. Évidemment supérieur aux bouffonneries Vampire érotique et Hot thrills mais aussi un peu mieux que les volontaristes Night Tide et Burning Hell, davantage limités par le cheap. (62)

Le petit soldat ** (France 1960) : Second Godard, tourné directement après A bout de souffle, censuré trois ans à cause du conflit pour l’indépendance de l’Algérie. Une espèce d’antihéros incrusté dans un décors de films d’espionnage y rencontre Anna Karina, chacun travaille pour deux camps politiques opposés et radicaux. Cousu de citations. Paquets de discussions, laïus et monologues allant du plat efficace aux dissertations en roue libre. Toujours limpide contrairement à ce qui sera produit dix ans après puis tout le reste de la carrière. Case cette demi-connerie pleinement odieuse sur « les femmes devraient jamais dépasser 25 ans » – une des sentences probablement appréciées d’un protagoniste réprouvé (sa « lâcheté » a le tort de ne pas tomber qu’aux bons endroits). (48)

Réminiscences d’un voyage en Lituanie ** (Lituanie 1972) : Du cinéma ‘maison’ donc au plus profond du ‘journal filmé’ dont ce réalisateur reste l’emblème. Témoigne de la vie campagnarde et familiale à l’époque dans un village lituanien (Semeniskiai où Jonas Mekas est né). Souhaite refléter l’Histoire et son mouvement par ce biais intimiste ; c’est un échec, il n’y a que des mots, quelques images bien ‘ouvertes’ [à l’interprétation] : le frère en habits de soldat ou la scène de l’incendie en fermeture. Nombreux enchaînements et quelques accélérés corrosifs pour les yeux (surtout au milieu). Débit pénible, peut-être dû à des états de conscience trop souvent modifiés ou à des troubles émotionnels ou neurologiques avancés. À moins que l’essentiel du problème vienne du son, lequel effectivement écorche quelques-uns des splendides morceaux. (46)

Sur la terre comme au ciel ** (Belgique 1992) : Un prélude au Fils de l’homme et cousin du cinéma de Jaco von Dormael. Anti-scientiste voire anti-moderne mais non réac, il plaide pour un retour à l’authenticité et acclame le pouvoir naturel des femmes. Les hommes y jouent très mal mais c’est normal puisqu’il faut servir un arsenal idéologique. Le film ne rate jamais une occasion de faire de Carmen Maura la femme parfaite, ‘libre’ et bienveillante, autonome et sereine malgré les soucis. Un mari bien propret et discipliné au cours de yoga est présenté comme l’homme idéal ! Quand à la protagoniste, elle n’informe pas le père (une « aventure » ponctuelle) de la grossesse. Oui elle prive l’enfant de père, mais elle y a réfléchi ! Elle sait ce qu’elle a à faire et personne, surtout pas un homme (comme ce collègue s’accrochant à elle), n’a à savoir à sa place ! Le tout avec douceur et conviction – jamais d’éruptions de sa part, aucune agressivité, peu d’émotions négatives de toutes manières. Bref, un film assez fascinant et singulier, qui a le bon goût de ne pas s’éterniser. Sa mise en scène carrée, directe, compense les aspects cheap et infantiles. L’épilogue serait plus intéressant que la thèse – dommage. (44)

Les glaneurs et la glaneuse ** (France 2000) : Des rencontres drôles et typiques en rafale – une alternative au sketche pour qui veut le voir. Plus divertissant que chez Cavalier et non-gâteux, ou assez étoffé et réveillé par ailleurs pour ne pas trop le sembler. Agnès nous raconte un peu trop ce qu’il y a à voir et à déduire. (58)

She-Man : A Story of Fixation ** (USA 1967) : Un opus honorable parmi les récupérés du ‘byNWR’ et l’une des premières réalisations de Bob Clark (pas référencée sur SensCritique au moment où je le découvre), connu pour Black Christmas et Le mort-vivant. Ce cinéma joue à l’exploitation-investigation : les travestis et transsexuels sont l’objet d’un intérêt sincère qui doit relever autant de la sympathie, de la curiosité sans malice que du goût de la déviance ou du grotesque (pour lequel des acteurs brillants sont dispensables, le cirque et la gardienne de troupeau assurant l’essentiel). Amusant et pas trop flottant, même si certains passages sont faibles ou trop idiots (la sanction finale, le dialogue avec l’auteur à la soirée). Cette détention est quand même difficile à avaler dans le détail, aussi on essaie discrètement mais régulièrement de la justifier – ce qui ne fait que nourrir encore le scepticisme mais contribue néanmoins à rendre l’entreprise ‘palpable’. Peut-être tourné en 1965 (le panneau final le prétend), en tout cas sorti en septembre 1967 aux États-Unis. (52)

Demi-vie à Fukushima ** (Suisse 2016) : Cinq ans après. Pseudo-documentaire contemplatif. Une balade où on pourra glaner des éléments d’information, d’ambiance et de beaux clichés sur le bord de la mer ou dans les ruines. Cette splendide virée en HD aurait beaucoup d’intérêt avec un comparatif avant/après. (38)

Jacquot de Nantes *** (France 1991) : Un biopic aux méthodes raffinées, tout aussi efficace qu’un documentaire. Style réaliste et poétique. Ressemble peu à un film signé Varda, sauf peut-être par ses aspects doucereux et amoureux, puis par les défauts dans la prise de son au début. La deuxième heure se concentre sur l’obstination de l’autodidacte. (76)

Stavisky *** (France 1974) : Narration légèrement compliquée a première vue mais sensée et efficace. Assez charmant et entraînant, bons dialogues, cynique sans morgue ni dégueulasseries. Offre à Belmondo une de ses seules compositions un peu risquées en tant qu’acteur et potentiellement polémique. Je ne cerne pas vraiment les motivations de l’introduction de Trotsky – créer un parallèle entre l’escroc et ce supposé idéaliste, tous les deux lâchés par leurs alliés ? Un autre opus casse-gueule signé Resnais, plutôt vers le haut du panier à mes yeux. (68)

La femme d’à côté ** (France 1981) : Une passion presque ‘plan-plan’ puis seulement trop balisée. Gérard en « cyclothymique et violent » enflé et ‘rentré’ – comme chez Téchiné (Barocco, Les temps qui changent) il semble sous une direction inadaptée. Fanny Ardant interpellante dans les dernières séquences. (52)

Masculin féminin 15 faits précis * (France 1966) : Évidemment c’est imprécis et pas seulement sur les différences de sexe. Cherche à capter l’époque et probablement en témoigner pour l’avenir ; cette jeunesse toute en vacuité et littérature (des parisiens bien éduqués en phase d’émancipation), sous une direction théâtrale et raidement ‘intellectualiste’ est censée refléter la ou les jeunesse(s) de 1966 en France. Passe en revue des points de vue, crispations et enthousiasmes d’actualité, fait référence à la guerre du Viet-Nam et aux grandes notions politiques. Même si Godard est probablement proche du protagoniste (Jean-Pierre Léaud encore plus pénible que d’habitude), ses positions personnelles ne sont pas nécessairement transparentes. Il les discutent au niveau de leur appropriation (par les individus et leur réseau) ou de leur réception (symbolique, émotionnelle etc), mais ne les discutent jamais pour elles-mêmes. Résultat : une sorte de foire bobo avant l’heure, que les intellos de gauche à tendance ‘réac’ feraient bien de regarder pour se rappeler qu’ils critiquent leurs frères jumeaux. Sauf qu’à l’époque, le communisme était une chose sérieuse et ses commandements bien établis, pour beaucoup de monde. Néanmoins on a bien ces grands enfants, bourgeois autant sinon davantage que ce qu’ils dénoncent, dans leurs petits combats de confort, avec démonstrations adulescentes et discours vaseux, finalement simplement obsédés par leurs expériences ou leurs copulations, voire encore en-dessous de ça, à humer leurs ‘gibiers’. Concernant la seule mise en scène, c’est plus interpellant et frontal que la moyenne des Godard. Il s’amuse à l’occasion à foirer le son ou le rendre désagréable, mais naturellement ce n’est rien par rapport à ses divagations d’Adieu au langage. Un de ces films donnant à piocher (en piochant lui-même, y compris des répliques) au lieu de s’embêter à être bien construit (les ’15’ sont un cache-misère). (36)

Made in USA * (France 1966) : Trop pénible passé une heure, quand on entend pour la seconde fois la voix de Godard. Parmi les non-jeu, crypto-jeu et quart-de-jeu celui de Szabo est vraiment de trop – une souffrance à regarder. (28)

Vivement dimanche ! ** (France 1982) : Une sorte de pastiche du film noir américain et d’hommage à Hitchcock à la mise en scène théâtrale. Le scénario aussi est ouvertement artificiel, les acteurs sont d’une fausseté bien corsetée. Toute cette posture atténue l’éventuel ennui ou l’impatience à regarder un film si lourdement cousu. Et comme on sait que c’est le dernier de Truffaut, il peut être impossible de regarder Vivement dimanche comme un autre. À réserver aux familiers du réalisateur, de ces acteurs, de ce style, des essais cinématographiques. J’ai davantage aimé la fin, à partir de la ‘prostitution’ de Fanny Ardant pour le compte de Louison. (58)

Irina Palm *** (Belgique 2007) : Sorte de Pusher au féminin, évidemment plus propre et surtout comique. Beau programme où dans les bas-fonds une femme en pleine descente trouve de quoi se sauver et faire son bonheur. La jeune vieille est jouée par Marianne Faithful (responsable du seul joli moment de Made in USA et l’un des seuls vraiment décents ou pertinents). Un film simple qui ne fait pas semblant d’en raconter plus qu’il n’en aurait l’air ; une histoire crue pas instrumentalisée pour du voyeurisme ou de la gaudriole – pas répréhensibles en soi mais s’emmener ailleurs n’est pas mal non plus. (76)

Les demoiselles de Pyongyang / A state of mind *** (UK 2004) : Deuxième des trois films de Daniel Gordon en Corée du Nord – j’ai vu le troisième [Crossing the Line] grâce à Mubi. Suit une gamine pendant plusieurs mois de préparation d’un gros spectacle de la ‘gym de masse’. Occasion de contempler le dressage et les privilèges en vigueur dans ce pays communiste. Les grandes cérémonies sportives renvoient une belle impression de force et de cohésion ; un sommet parmi ce que peut réaliser cette nation manifestement triste et arriérée. (76)

La religieuse *** (France 1967) : Sixième et premier en couleurs des films signés Rivette. Il fait de cette Religieuse forcée une abonnée aux bourreaux pourvus d’une variété de bonnes et vicieuses intentions. Décors et construction irréprochables. Prise de son très variable et discutable : parfois immersive et colorée, parfois pas mirobolante notamment dans la première des trois parties (endroits inappropriés, dialogues sciemment couverts). La seconde, celle de la lutte contre l’ordre injuste, celle des privations et des sévices soutenus par la collectivité, est très supérieure à la première, méchamment rigide. La dernière est réellement sensuelle, mais plus balourde : les ambiances sont excessives et Anna Karina bien moins séduisante qu’en passionnée en haillons. Ironiquement cette adaptation est plus fine que le livre de Diderot s’agissant des sentiments et des déchirements intérieurs – les acteurs sont assez brillants pour éviter l’explicite et faire la synthèse des duplicités. L’envie, la convoitise, la recherche d’affection et de consolation se devinent partout ; le sadisme ou le goût de la domination purs et simples ne sont pas de la partie, paraissent presque des masques – ou le masque secondaire après celui de la religion. (66)

Aprile * (Italie 1998) : Ce journal n’a qu’une vertu sérieuse : témoigner de la bêtise malsaine de l’intelligentsia ‘de gauche’ – et c’est au milieu de beaucoup de déchets et de trivialités absolus. La séquence du début avec le journaliste français est remarquable : il prétend que la victoire d’un patron de trois télés n’arriverait pas en France grâce aux « lois antitrust » ; l’autre se dit bien conscient que les partis de droite fascistes sont tous les mêmes sous d’autres noms – et oui c’est bien le ‘fascisme’ qui est au pouvoir. Nanni Moretti est bien drôle à vomir sur ses adversaires politiques ou politisés en raillant leurs prétentions et leurs clowneries. C’est encore plus écœurant que son Journal intime, car directement abject et entièrement centré sur sa personne – quoique la plupart du temps et définitivement après une vingtaine de minutes, ce soit surtout insipide (au maximum, à négliger avec bienveillance, bon à faire sourire quand Moretti souligne ses prises de conscience sur soi ou ses échecs). Il n’y a rien à retenir, rien à apprendre – sauf sur l’environnement familial, professionnel et culturel d’un homme, dans des moments de profonde banalité ou de représentation intensive (même quand, dans un univers ‘normal’, ce ne serait pas le moment). Moretti n’a l’air de se reconnaître des limites ou des défauts que pour alimenter ses caprices, justifier ses foucades et ses irresponsabilités. Aux amateurs éclairés d’y trouver une légitimité, peut-être un ‘personnage’. Pour ma part : jamais vu un être aussi vain au cinéma, réel ou fictif, en-dehors certainement de grosses farces avec des protagonistes stupides (lui est exhibitionniste). Rassurons-nous, des équivalents IRL sont très répandus – les réseaux sociaux, les émissions télé sur l’actualité et les torchons pompeux de gauche et de syndicats étudiants sont là pour mieux les afficher. (16)

Des trous à la tête *** (Canada 2006) : Monté à la façon des muets des années 1920 et présenté sous forme de conte. Le chapitrage rend le visionnage plus facile. Mère incestueuse flagrante dès le début avec l’emphase sur l’autoritarisme et la surveillance débridées. Il y a plusieurs mais sûrement pas cinquante grosses raisons d’être à ce point possessive. Voir ses enfants vieillir et s’émanciper ajoute à son stress concernant l’âge et le besoin de redevenir jeune, asexuée et éventuellement pouponnée. (74)

La dernière tentation du Christ *** (USA 1988) : Représentation sensuelle, non puriste, au service mais sans ‘absolutisme’ de la foi dans le Christ, sa passion et son message. Le film pourrait même discuter plus à fond le cheminement de la foi en évoquant davantage de tentations et de contre-réponses (toujours internes). En considérant Jésus en tant qu’homme il accepte tacitement sa part de mégalomanie et son ridicule humain dans un contexte terrestre – notamment comme dispenseur du message d’amour face au pragmatisme des autres. Il maintient l’idée que le martyr, la souffrance, la privation mènent à la vérité et ouvrent la voie vers la lucidité.

Des curiosités comme le baptiseur (Baptiste) lié à une bande de hippies nudistes et masos – il s’autorise une embrassade sur la bouche (Judas aura son tour). Le littéralisme du cœur offert, la représentation d’apparitions (dans le désert après dix jours de jeûne) et de miracles laissent circonspect : manière de mettre à l’épreuve la foi des spectateurs catholiques, de ramener subtilement cette histoire au niveau d’une fable, ou bien premier degré engagé ? Stagnations dans la deuxième heure avant la descente de la croix. Après les rares doutes de sa période active, c’est le temps des regrets le long d’une vie ordinaire, avec ses satisfactions. Jusqu’à ce que Jésus retrouve la félicité de l’homme au sacrifice porteur, ou du moins rassérénant. Le Christ de Scorsese apparaît comme un révolutionnaire plus profond et individualiste que celui vu chez Pasolini. (72)

Hélas pour moi * (France 1993) : Une grosse blague pédante de plus de la part de Godard. Son film avec Depardieu et plusieurs acteurs récurrents à la télé française à cette époque. Aussi son plus beau grâce aux paysages probablement suisses ou frontaliers. (34)

Comédie de l’innocence – Fils de deux mères ** (France 2000) : Raoul Ruiz dirige Huppert et Balibar. Plaisant et planant, peut-être à l’excès puisqu’après une heure il faut bien constater que le film n’a pas décollé, ses promesses troubles n’ont encore rien donné [de neuf]. Les acteurs et l’ambiance sont bons mais ça patine trop. (52)

Crooklyn ** (USA 1994) : Deux heures avec une famille noire de Brooklyn, sous la supervision de Spike Lee. Style relativement élégant et récit ‘so-whatever’. Remarquablement fluide, efficace et synthétique compte tenu du matériau et du manque d’enjeux. Musique en abondance. Même des lesquenistes puristes peuvent tenir – j’ai bien écrit ‘tenir’. (62)

À mort la mort ! ** (France 1999) : Cri du cœur et des couilles d’un gauchiste à l’âge dit ‘mûr’ – Romain Goupil déjà réalisateur de Mourir à 30 ans. Les anciens anars et libertaires généralement d’obédience communiste se réunissent pour mieux s’inscrire dans le déni de leur dégringolade vers l’insertion plus-que-parfaite au sein de la société cynique qu’ils abhorrent en discours. Toute la fine équipe est mobilisée, même Edwy Plenel – et Cohn-Bendit sous la pluie (les deux Charlot se sont retrouvés devant la caméra pour La traversée en 2018) !

Authentique et acceptant de voir une part de ses contradictions et de sa corruption (due à l’âge, à l’usure, à l’irresponsabilité et l’avidité) ; pourtant à l’arrivée, n’attaque pas l’essentiel, ne discute pas sa position actuelle – juste des petites gênes existentielles. Le choc avec le monde autour est minimal – on ne fait que se greffer opportunément sur deux grosses institutions, l’une périmée où passent les copains bientôt enterrés (l’Église), l’autre actuelle où on s’est bien infiltré (l’entreprise – la grande). Et où tout ce qu’on chamboule est la décoration, éventuellement les mots à l’ordre du jour, l’ambiance de quelques réunions. Ceux qui veulent croire aux capacités subversives de la fête, des relations ‘libres et fluides’ et de la foire superficielle en guise de subversion pourront faire, comme Goupil lui-même, semblant d’y croire. Ce film a le mérite de tenir ses promesses, d’être cohérent dans son carcan, donc de laisser de côté le sérieux de ses engagements pour en préférer le joyeux, le gratiné, l’insurrection rose bonbon. (48)

Lettre pour L * (France 1994) : Goupil façon BHL mais pleurant à Gaza (avant de culpabiliser les serbes – nous sommes l’année de la liste ‘L’Europe commence à Sarajevo’), après avoir déblatéré en bonne ouaille socialiste (couplets anti-argent, anti-marketeux, collectiviste crypto-totalitaire) ; il embarque sa caméra et son équipe sur des lieux en proie à la guerre, voire sur des théâtres de guerre. Toujours dans la mélancolie du gauchisme en échec, en même temps à traîner sa fibre 68tarde jamais morte – même si futile pour l’essentiel, cantonnée au discours, où on peut trouver des points de vue un peu valables mais souvent clichés, paresseux et pire, pas si engagés ; même leur tranchant occasionnel ne produit ni gros effet ni réflexion. Beaucoup de dilemmes et de questionnements sur sa pratique assez vaseux ou contre-productifs ; ce souci de pureté, de ne pas froisser, est grotesque dans le contexte. Sinon c’est tout à fait respectable, en moyenne de bonne tenue, même si À mort la mort et Mourir à 30 ans sont plus puissants. Les facéties du début ne plaident pas nécessairement en faveur du film. Amalric apparaît quelques minutes en tant que membre du tournage à la recherche d’un ouvrier ou autre prolo (il se fait chasser par des jeunes). La dénonciation des « nouveaux beaufs » près de « leurs privilèges », de leurs « comptes-épargnes » et n’ayant à la bouche que les « droits de l’homme » laisse circonspect de la part de ce soutien de Macro un quart de siècle après. (38)

Le quattro volte * (Italie 2010) : Un film contemplatif faisant vaguement écho bien que ce soit sa prétention aux cycles de la vie et des saisons, dans l’ensemble pas centré sur l’humain. Le grand succès critique et festivalier est peut-être dû à l’absence de contact des publics et jurys avec le monde hors des villes. Et à leur attendrissement par ces chèvres. Ces paysages sont apaisants et l’équipe technique est irréprochable, l’intention est jolie, mais la séance reste bien plate (sans être tellement ennuyeuse). Une majorité de plans éloignés, quelques drôleries dans le champ, une narration éthérée, pour un film instinctivement désengagé ou complaisant au maximum de son intensité. (36)

Mange tes morts – Tu ne diras point ** (France 2014) : Les sous-titres étaient dispensables (à 90% minimum) mais un lexique pendant le repas [rabouin, karave une racli qu’il trouve tchoucarde, omni] et l’option accélérée seraient les bienvenus. Fin stylisée. (46)

La cause et l’usage ** (France 2012) : Succession de scènes ordinaires, pas loin d’être capturées à l’arrache, pour une séance de 62 minutes. Je ne suis pas adepte de la mesure ‘QI’ mais là on ne peut rater l’absence du troisième chiffre. En particulier les semi-poivrots porte-voies de la bande, ou les femmes mûres sur les marchés (avec leur soutien irraisonné, leur passion et leur commisération pleines d’amertumes) ; au contraire, le pragmatisme des jeunes arabes les placent hors de la débilité courante. Certaines équipes prétendent faire de la politique autrement en interprétant les clowns (EELV) ou en lâchant des ballons (la candidate sort des crucheries exemplaires). Le film lui-même apprend peu ou rien, mais donne des illustrations éloquentes à défaut d’être toutes qualitatives. On peut constater l’aigreur et la normopathie des gens de gauche et socialistes (toujours à vouloir encadrer la réalité et la vie humaine, à faire passer les institutions avant la liberté et la personne). Laisse avancer quelques arguments complaisants envers le système Dassault : après tout les infrastructures se sont améliorées (car lui « a le bras long » contrairement aux communistes nostalgiques) et les gens ont trouvé des petits biffetons et des facilités (pour obtenir le permis de conduire ou du travail dans le bâtiment chez les jeunes ‘de quartier’). (46)

Al-Ard / La terre ** (Égypte 1970) : Sur les difficultés des exploités (paysans et en territoire occupé) à se coaliser durablement ; sur la concurrence entre l’intérêt personnel (aux réponses variées, ingrates ou médiocres en ‘moyenne’) et le combat collectif. Pas prodigieux mais a le mérite de déambuler dans un semblant de pure et dure réalité (tout en ayant une bonne et parfois belle tenue dans la mise en scène). La révolution et la politique sont manifestement une affaire d’hommes. Situé à la campagne dans les années 1930, où l’Égypte est sous colonisation britannique. Sorti en salles en France en juin 1971 et projeté à Cannes en mai 1970. Même si la concentration ne m’a été facile qu’en coupant le son, j’ai davantage apprécié qu’Al Asfour/Le moineau et Le retour de l’enfant prodigue, vus également grâce à Mubi. (58)

Dans ma liste « Cinéma & Politique » je l’ai annoté : Populiste (contestataire et réaliste, tendance sociale, patriote). Ambigu sur la lutte de libération nationale, ou plutôt sur sa suite. Les traditions semblent positive pour les personnages, le film a l’air complaisant plutôt qu’engagé sur ce point.

Leçon d’histoire * (Allemagne de l’Ouest 1972) : Encore un film connoté marxiste et jouant les visionnaires impénétrables alors qu’il ne fait que broder autour de l’origine de l’idéologie impérialiste (et de son application civile la démocratie) – donc autour de la perpétuation de la domination, la corruption et la subordination des appareils d’état. Adaptation d’un roman de Brecht (Les affaires de monsieur Jules César – 1953) avec le grand-frère du gus du Promeneur du champ de Mars allant questionner quatre contemporains de Jules César – dans la continuité d’autres travaux de Straub-Huillet où ils se déclarent en train de réunir la Rome d’aujourd’hui et celle de l’Empire. Des bavardages haut-perchés entrecoupés de balades en voiture – l’absence de dialogues dans ce cas est un bon choix. Pas dégueulassement filmé par rapport à bien d’autres de son temps et de son registre mais quand même bien évanescent autour de sa colonne théorique masturbatoire. De l’humour visuel ou par le montage un peu autiste-éthique de bas niveau. Tout n’était pas sous-titré et ce ne serait pas propre à la livraison via Mubi. Le passage avec l’avocat (autour de la 55e minute), malheureusement court comme l’était celui avec le paysan, relève le niveau en apportant des arguments plus mûrs et non-anecdotiques en faveur du commerce, présenté comme une façon ‘douce’ d’étendre l’emprise du pouvoir. (18)

Filantropica / Philanthropie *** (Roumanie 2002) : Un bolosse houellebecquien embarqué dans le commerce de la charité. Enthousiasmant au départ puis jusqu’au deux millions lâchés pour épater la galerie et éjecter l’indésirable. S’affaisse ensuite à cause de révélations qui n’en sont pas, de nouvelles pistes et conclusions relativement faibles – le cynisme en devient trop théâtral, ‘épatant’. Développer les personnages, épaissir les enjeux, aurait été préférable, sans quoi la satire vire à la simple gaudriole – bien jouée quoiqu’il arrive. (66)

Orgy of the dead * (USA 1965) : « BYNWR ». Un opus nanar-sexploitation. Trémoussages longuets et minimalistes de femmes ‘zombies’ en tenue d’Eve. Le scénario est attribué à Ed Wood mais à ce stade c’est étrange de vouloir encore le relier à qui ou quoi que ce soit, sauf pour tenter une blague. (24)

MINI-CRITIQUES 11 (2019-2)

15 Juil

Sans toit ni loi *** (France 1985) : Une vagabonde et parasite authentique, donc puante, égocentrique, insensible et désagréable, avec une tendance au chapardage et à l’ingratitude. Heureusement pour tout le monde rien n’est trop appuyé. Les acteurs ne sont pas brillants mais Macha Méril fait une excellente surprise (elle qui a pu nuire quelquefois, peut-être à cause de rôles trop laconiques et excentriques). Inhabituellement froid et mesuré de la part de Varda, sans spécialement imposer de distance (pour certains ce sera même ‘brûlant’ – d’autres égarés ou des femmes rétives qui s’y reconnaîtraient). Les bulles face caméra de Yolande Moreau brisent la cohérence et l’efficacité du film, ramenant le niveau vers l’art et essai balourd et superflu. Malheureusement la séance se traîne sur la fin – un écho volontairement ‘gauche’ de plus au parcours débile de cette fille. (64)

Flic Story ** (France 1975) : Une des collaborations Delon-Deray, où Delon pourchasse Trintignant, sombre crapule. Bien foutu ; finalement très routinier et prosaïque. (58)

La veuve noire *** (USA 1987) : Une enquête dans la première partie, une affaire personnelle dans la seconde. Chez les riches et dans des décors exotiques. Du kitsch de qualité et de compétition, bien de cette époque radieuse (fin des années 80 et années 90). Tension sexuelle et corruption autour de la veuve noire. L’instrumentalisation de la relation entre les deux femmes est le plus vicieux – il y a artifice mais la motivation n’est jamais sûre (‘acheter’ la concurrente, la bloquer, la donner en pâture pour se protéger – profiter de ses charmes et de sa personne, sincèrement ou pas). (72)

Cléo de 5 à 7 ** (France 1962) : Excellent casting féminin, les mecs sont bien lourds en moyenne. Contient le court Les fiancés du Pont Macdonald. Le temps resserré ne m’est pas paru évident, avant la rencontre avec le légionnaire – peut-être à cause de nombreux essais similaires convaincants réalisés depuis. (62)

Préjudice *** (Belgique 2015) : voir la critique. (64)

Ready Player One * (USA 2018) : voir la critique. (26)

The Wicker Man * (USA 2006) : Passable mais confus à force de vouloir enfler le mystère. Animé par un Cage ne calculant rien (quand il hurle et court tout le sérieux de l’affaire est ruiné – la fin contient de délicieux moments, celui où il se déplace en combinaison d’ours a ma préférence). Des pans importants de l’original (tourné en Écosse) ont disparu – le truc de la virginité éclispé. Des faux suspenses étranges (notamment celui de la paternité), des questions longues à sortir et mal posées, des réponses fragmentaires et inadéquates. Effets un peu cheap, la bizarrerie et la brutalité les sauvent – ou les enfoncent aux yeux des nanardophiles compulsifs. Dialogues WTF plus qu’à l’occasion. Beaux décors situés dan l’état de Washington. (42)

The Lobster ** (Irlande 2015) : Cette farce sinistre est ma meilleure expérience avec Lanthimos, même si les deux autres opus sont finalement plus intéressants (Canine et Mise à mort) et qu’au moment de dresser les comptes celui-ci n’est pas beaucoup moins désespérant.

La voix-off et les notions curieuses de ce monde tirent vers le conte, les dialogues et situations vers la comédie. Les personnes s’expriment candidement, presque sans états d’âme ni arrière-pensées – c’est la franchise formelle, aliénée (on est franc mais intégralement prisonniers). Ce décors rappelle The Invention of Lying. Les gens ont quand même plus de latitude pour calculer ou retenir ce qu’ils disent, le mensonge reste possible. Les émotions sont réprimées mais pas supprimées – rares remontées de spontanéité et micro déviances (la gifle d’une condamnée à son amie).

Je suis peut-être indulgent avec ce film tant la deuxième partie n’est qu’un dégonflage sans fin. S’y ajoute l’incongruence : étrange que ces gens des bois ne soient pas repérés, leur couverture et probablement leurs moyens étant faibles et flous. Et puis Léa Seydoux en leader : non.

Dans les deux contextes la hantise du conformisme chez Lanthimos trouve à se nourrir : la résistance est stérile face à un ordre social accompli, la secte répressive et ‘libératrice’ se charge aussi de vous annihiler ; enfin le couple exige de lourds sacrifices. Lanthimos ne croit pas aux évasions romantiques ni à la possibilité d’une ‘liberté’ pour les pauvres humains. Il fait partie de ces gens qui se replient sur les galeries d’art et probablement les perspectives de socialo-communistes sans rêves ni espoirs, du moins concernant l’humain. (46)

Dans la maison *** (France 2012) : Avec du voyeurisme avançant sous le masque de l’amour de l’art, de l’envie mal placée (d’être un mentor, de compenser ses impuissances et de se rapprocher très fort de sa cible) sous la vertueuse prétention à jouer le tuteur. L’ado vicieux à face angélique et à l’imaginaire sadique m’en rappelle confusément d’autres – thrillers teen, We need to talk, variations sur les thèmes de Bel-Ami. Il utilise son monde, se colle à un prof aigri et un camarade falot, tous les deux dans l’attente sans le pouvoir de réclamer. Le traitement des proches en personnages de fiction et l’interpénétration sont stimulantes pour les manipulateurs comme pour les spectateurs (les personnages restent longtemps à ré-évaluer). Les deux aspirants écrivains se dopent à l’imagination pour entrer par effraction dans la réalité et la maîtriser. Le résultat est plus agréable que véritablement concluant, comme souvent chez Ozon ; l’issue sera décevante. Bien qu’effectivement c’est la plus sinon la seule soutenable, elle est un peu grossière et réductrice concernant les jeux dramaturgiques. Casting excellent, le couple prof/galeriste sonne vieux semi-socialistes devenus réacs à temps complet. (68)

Some Freaks *** (USA 2017) : Point de vue honnête et empathique sur des pas beaux donc marginaux. La fille est la plus digne et intéressante du trio, elle m’est devenue spécialement sympathique après que sa défensive et ses phrases théâtrales m’aient gavé. Blasé et cynique concernant les humains et notamment son exemplaire le plus ‘libre’ [de croire en sa force] donc cruel, la jeunesse. (74)

Effraction ** (USA 2012) : Mise en scène positivement lourde pour cette sorte de double-épisode de série policière pour la télé, en plus libre et coloré. Généreux en rebondissements avec une tendance à titiller l’invraisemblance. C’est une façon de compenser le peu de progressions voire de véritables événements – la violence concrétisée est rare, les preneurs d’otage sont finalement trop [durablement] inhibés pour que le film soit crédible – d’où des répertoires limités pour les acteurs (heureusement les Nico sont attachants et excellents dans l’absolu). Les flashback censés nous plonger dans le doute concernant la volonté et les liens de deux personnages sont trop kitsch. (54)

Greystoke **** (UK 1984) : Un gros défi relevé du mieux possible : l’accommodement avec les animaux est remarquable. Lambert paraît tout de suite plus crédible et intéressant si on le voit commencer sa carrière ici – je vivais inconscient ! Jane est probablement trop en retrait par rapport à ce qu’on pourrait espérer, mais cet affichage modeste n’est pas aberrant (les pesanteurs culturelles s’ajoutent aux barrières plus primaires). La descente du vieux dans l’escalier est d’une débilité épique (avec un goût de Fanny et Alexandre) et abouti à une des morts les plus joyeusement consternantes du cinéma, près de celle du spécialiste dans World War Z. (78)

Embrasse-moi vampire *** (1988) : Original et excentrique avec des séquences magiques et la source préhistorique de l’usine à même>département Nicolas Cage. Engage une approche humble, passionnée et pertinente de la folie. Le ‘nanar’ est proche, je ne sais trop à quel point ; évidemment les pitreries du pseudo-vampire semblent en relever et l’indifférence du film aux bornes et à un scénario bien ‘fixe’ l’amène dans les contrées incertaines ; le ridicule en est décuplé. Cette tentative sans psychologie, pièces rapportées ni grosses pudeurs et craintes pour le prestige ou la crédibilité est excellente car elle nous rapproche du réel et de la subjectivité d’un individu loin de la terre ferme. (76)

Douce nuit sanglante nuit *** (1984) : Rend son tueur attachant et pathétique en montrant les deux traumatismes de son enfance. Peut-être un ‘nanar’ et sûrement un slasher réussi. De l’horreur parfaitement premier degré, sérieuse et décontractée, permissive comme sa catégorie ‘bisse’ l’y dispose. La violence graphique reste modérée, trois effeuillages sont à relever. Les diverses figures d’autorité et les adultes apparaissent non-fiables et diversement pervers ou stupides. (72)

La vérité de Bébé Donge **** (France 1952) : Couple Gabin-Darrieux. Pas spécialement engageant au départ mais captivant à partir de la concrétisation de leur relation. Sobre et mordant. À ce stade je vais devoir tenir Henri Decoin pour une valeur sûre (j’ai peut-être eu tort de retenir ma note sur Les amoureux sont seuls au monde). (78)

Boyz’n the Hood, la loi de la rue ** (USA 1991) : Casting 100% noir avec de futures têtes bien connues (Laurence Fishburne, Cuba Gooding Jr et Angela Bassett) et le rappeur Ice Cube (vu dans 22 jump street et Ghosts of Mars). Curieusement compte tenu de son statut ‘culte’, c’est un exemplaire du cinéma conventionnel de l’époque – musiques, mouvements de caméra, enchaînements sont joyeusement datés. Gentiment pertinent, aucunement délirant ou hargneux, pas mal chialeux. Une séance cool et grossièrement mélo. (48)

La piste des éléphants ** (USA 1953) : Scénario soigné mais finalement pointant pas grand chose. Taylor et l’exotisme souvent artificiel des décors sont les vrais arguments. (48)

La planète blanche *** (France 2006) : Bande-son curieuse et souvent déplaisante, parfois d’une originalité relativement raccord (notamment sous l’eau, par exemple avec les bélugas). Il faut reconnaître un certain culot à balancer du Bjork dans un film pour la famille et les enfants. Sujets magnifiques et quelques plans excellents. Commentaires pas fortiches et heureusement rares, mais à quoi bon ces tentatives de créer du suspense et d’instrumentaliser si c’est pour s’arrêter toujours si vite ! Autrement dit pourquoi prendre un pouce de La Marche de l’empereur – autant tout laisser de côté. Sur le plan documentaire les propos sont un peu stériles. (64)

Les Lois de l’hospitalité / Our Hospitality ** (USA 1923) : Muet avec Buster Keaton et second long où il est (co-)crédité à la réalisation (après The Three Ages). Commence dans la tristesse voire l’effroi. Carré et fluide sinon, capable de toucher sans trop ébranler, à défaut d’employer en profondeur des ressorts ‘universels et transgénérationnels’. Joliment restauré. (62)

Between Worlds ** (USA 2018) : Réjouissant ! Cage à son apogée post-respectabilité : en slip, en T-shirt crocodile (l’acteur est fan de reptiles, d’où probablement leur présence dans Bad Lieutenant NO). Devient direct un de mes ‘nanars’ préférés. Au sommet avec trois autres : Les Gaous, Kill for Love, T’aime. Le premier produit hors de l’Hexagone ! (62)

Le Livre d’image ** (Suisse 2018) : Reste aberrant mais, quand on connaît le Godard récent, c’est facilement regardable, quoique plus haché qu’Adieu au langage et Film Socialisme, vu qu’on se rapproche de l’ambition de Fast Film. On redécouvre éventuellement et sans fards le gauchisme de Godard, qui s’attarde chez les arabes jusqu’à déclarer qu’il sera « toujours du côté des bombes ». (38)

Le Livre de la jungle *** (France 1967) : En-dehors de l’air principal, les musiques ne me resteront pas, bien que je les ai appréciées. Aucun personnage ne me marque ou me plaît suffisamment, contrairement à Robin des Bois vu il y a cinq mois. (72)

Quasimodo / The Hunchback of Notre Dame ** (USA 1939) : Visuellement irréprochable et techniquement sophistiqué. Quelques horreurs [principalement] grâce au ‘freaks’ porté par Charles Laughton. Personnages et axes narratifs globalement statiques, les interprétations s’en ressentent. Cela fait de beaux tableaux et une séance à la fois remarquablement ‘facile’ pour un film de 80 ans, en même temps pas forcément passionnante. Claude Frollo est un homme de l’establishment fanatique, sombre et engourdi. Son frère est aussi un homme de pouvoir et d’Église – je n’ai pas lu le livre mais dans Notre-Dame de Paris de Delannoy (1956) il n’a aucune importance. Louis XI est un vieux débonnaire et un roi libéral, encourage les progrès techniques et sociaux – mais il n’est pas nécessairement pro-actif, compose avec les superstitions (s’en remet au hasard lors du procès) et paraît presque niais face à l’adversité. (62)

Drôle de frimousse *** (USA 1957) : Lent. J’ai aimé mais sans accrocher comme devant Charade ou Chantons sous la pluie. (66)

Les Triplettes de Belleville **** (France 2003) : Animation soigneusement déglinguée avec un goût pour le grotesque et la sublimation de l’hideux. La toute dernière minute est décevante et la musique de générique écœurante. D’ailleurs l’album reprenant la bande-originale est pollué par les passages chantés. (84)

Summer of 84 *** (USA 2018) : Réalisé à la façon d’une grosse pointure américaine des années 1980, évoque Body Double et Stand by Me. Dégage un réel charme nostalgique qui a autant à voir avec la jeunesse, le franchissement des interdits, le maintien de craintes vaguement ‘magiques’ et bien charnelles. De lourds clichés répondent présent et le récit a tendance à flatter les fantasmes du protagoniste, avec la grande fille complaisante à son égard, presque centrée sur lui ou du moins sa réalité. La musique est parfaitement raccord : sur-appuyée à l’occasion pour des effets éculés mais sentant bizarrement le frais. Puis ce film flirte sérieusement avec le registre horrifique et se distingue in fine des Stranger Things et Super 8, en se montrant peu mélo et pas trop gâteux. Un point négatif : l’ouverture et la fermeture sont d’un ringard et d’une ‘coolitude’ standard un peu trop plombants. (68)

Battleship Island *** (Corée du Sud 2018) : Opte avec succès pour un registre épique ; efficace même si je ne fais pas partie des publics pour qui ce sera mémorable. À voir si vous avez aimé Dunkerque ou Pandémie. (68)

Moi, Tonya *** (USA 2018) : Empathique mais sans complaisance ni intrusions vicieuses ou oiseuses (beaucoup de parties, notamment l’amitié entre Tonya et Nancy, sont quasiment invisibles). J’ai aimé que ce ne soit pas engagé ni manichéen ; ce film est comme l’avocat de Tonya en ‘off’. On voit les responsabilités, les pièges, les ornières de la championne ; son entourage la rattrape et saccage sa vie jusqu’au-bout. Sa mère indigne en premier lieu – celle qui trouve enfin la force de la féliciter quand le monde aussi l’a cassée pour de bon. Je regrette seulement quelques manières laides parmi la série d’effets brisant le quatrième mur et/ou simulant le reportage – notamment cette intro qui a failli me faire fuir. Recommandé à ceux qui ont apprécié Dallas Buyers Club pour l’immersion réaliste bien que toujours sensationnelle chez les rednecks. (76)

Upgrade *** (Australie 2018) : Ne m’évoque pas tant Black Mirror que la SF américaine des années 1990 (comme Stranger Days ou plusieurs rôles fracassants de Schwarzenegger). Aussi un cousin pas du tout intimiste de Realive. Bon film d’action, avec quelques détails flottants dans le scénario justifiés in extremis. A des chances de rejoindre le club des films du genre qu’on retiendra de la décennie, avec Looper et Ex Machina, mais plane clairement moins haut. (68)

L’autre côté de l’espoir * (Finlande 2017) : Le cinéma placide, léger et lourdement engagé, d’aspiration poétique, de Kaurismaki. Il ne semble jamais assumer sa tentation du burlesque mutique, reste lunaire. Tout en silence et personnages flegmatiques. Plus vieillot et délavé que d’habitude, ce qui commence à placer haut le curseur. Les autorités finlandaises sont froides et prudentes ou indifférentes – elles n’ont pas la méchanceté compulsive des françaises dans Le Havre. Les seuls méchants agissant ouvertement comme tels sont les videurs ou skinheads, à la présence marginale. Plusieurs bizarreries d’enfant-citoyen curieux du monde, comme le troupeau d’asiatiques lors de la conversion ‘sushi’ du restaurant (car c’est présumé à la mode, donc pas à cause d’une forte présence ethnique). Je le range dans le dernier tiers du réalisateur ; c’est peut-être l’opus le plus lent et soporifique, heureusement plus tonique à partir de l’embauche (donc pour à peine quarante minutes). (28)

La ballade de Buster Scruggs ** (USA 2018) : Démarrage à l’enthousiasme contagieux. Finalement plus de gueule et de compétences que d’histoires à raconter. Notes des six segments : 7, 6.5, 6.5, 6.5, 7, 5.5. (66)

L’homme au pistolet d’or *** (UK 1974) : Dernier des quatre signés Hamilton ; son premier, Goldfinger, est mon James Bond préféré à ce jour (devant les deux premiers et Sa Majesté). Celui-ci (où je découvre Roger Moore) le rejoint quasiment grâce à tous ses atouts criards ou exotiques et ses nombreux aspects pittoresques. À force de flirter avec la gaudriole et le nanar de luxe le film touche aussi ses limites – les scènes de bagarre avec les chinois sont trop longues. Déconseillé aux femmes. (58)

L’impossible monsieur Bébé ** (USA 1938) : Loin de m’avoir ennuyé comme La dame du vendredi. Bien que certains de ses élans restent désuets, infantiles et surfaits (Hepburn jouant la fille de la rue à la fin), c’est à peine gênant. (58)

Les galettes de Pont-Aven *** (France 1975) : Un road-movie franchouille et un sinon le film emblématique avec Marielle en macho volage. Excessif et ridicule mais pas nécessairement irréaliste. (68)

L’innocent *** (Italie 1976) : J’ai été peu réceptif à ce dernier film, sorte de résumé tragique et régressif de l’œuvre de Visconti. La nostalgie s’y fait amère, se démystifie, comme la et les valeurs du monde aristocratique dont vient le réalisateur. Acteurs excellents bien qu’ils aient offert le principal angle d’attaque des critiques à l’époque et malgré leur provenance ‘populeuse’. (58)

Vilaine * (France 2008) : Une gentille comédie pas spontanée et totalement rabougrie dans sa seconde partie. Marilou Berri et deux des trois fées sont correctes, le reste du casting à la ramasse ou enfermé dans d’inévitables surjeux. (34)

Hamlet *** (Allemagne 1921) : Adaptation pour le moins ‘libre’ car Hamlet est une femme et les personnages sont et agissent différemment, peuvent être plus engagés ou malveillants. Relativement facile à voir aujourd’hui. Les interprétations ne sont pas loufoques ou exagérément expressives bien que nous soyons encore dans le muet. La performance d’Asta Nielsen (actrice suédoise célèbre à l’époque) vaut mieux que le scénario, léger mais pas fin. Les adeptes du trouble dans le genre pourront y trouver une belle ambition. La séance est censée durer 2h11 mais les copies visibles semblent toujours amputée de 20 minutes. En introduction, un texte récapitulant les points de vue de grands penseurs et auteurs sur la pièce et le personnage crées par Shakespeare. (66)

3h10 pour Yuma *** (USA 1957) : Western atypique puisqu’on y trouve du positif et des libertés inimaginables chez John Wayne (sur les relations hommes-femmes, entre le camp des gentils et des hors-la-loi). Un ‘héros’ simple et en difficulté subjugué par un chef de gang de passage (Glenn Ford, le poison dans Gilda) – trop roublard et en même temps trop offrant. Mise en scène très soignée, peu d’artifices. Seconde adaptation (connue) d’Elmore Leonard, qui signera plus tard directement le scénario de Joe Kidd et a donné les bases de Jackie Brown et Hors d’atteinte. (68)

Un pont trop loin *** (USA 1977) : Film à gros budget et énorme casting (De Niro et Steve McQueen ont refusé un rôle – et Aldrich la réalisation). Porte à l’écran l’opération ‘Market Garden’, une offensive britannique (aux Pays-Bas en septembre 1944) qui s’est soldée par un échec face au Reich. Au lancement des opérations montre doucement le cynisme des généraux ; vers 1h35 une séquence où le sergent Dohun [James Caan] menace un médecin en pleine bataille pour examiner un capitaine apparemment mort qu’il vient de ramener d’une zone où le camp Allié s’est fait atomiser. Grosse ampleur et mise en scène moins inspirée pour les espaces confinés ou intérieurs. Un peu long avec ses 2h50. Plusieurs éléments du casting sont finalement peu exploités et je ne comprend pas pourquoi Redford a décroché plus d’un million pour de telles apparitions éclairs et non décisives. L’ensemble est plus proche de Dunkerque que ne l’est Week-end à Zudycoote. (66)

Wolfskinder / Les enfants-loups ** (Allemagne 2014) : Synopsis, démarrage et contexte prometteurs. Un peu mou quand même ; peut-être trop fixé sur la fratrie et ses retrouvailles ; peut-être que je n’étais pas le public idéal. Le titre n’est pas une référence poétique mais la citation directe d’un sinistre phénomène à l’est de la Prusse-Orientale. (56)

Films apparentés : Les Évadés/Téchiné, Le bois lacté, Le mur invisible.

Aileen : life and death of a serial killer *** (USA 2003) : Documentaire sur celle dont la vie et l’œuvre servent de base au film Monster. Broomfield est assez complaisant envers cette multi-damnée fascinante – repoussante et pathétique. Loin d’être exhaustif mais aussi significatif que possible dans la poignée d’entrevues et de vidéos qu’il nous rapporte. Par sa face Aileen a parfois des côtés Dumberette, mais elle tient une couche mystique comme en atteste cette fascinante prémonition : l’Irak envahissant les USA en l’an 2019 – dommage ! (68)

La bataille d’Angleterre *** (UK 1969) : Vaut surtout pour son esprit et pour les scènes d’action (aviation). Plus court et ‘lié’ qu’Un pont trop loin, mais c’est aussi la vertu d’un scénario plus humble. Excellente bande originale. (68)

Gloria ** (USA 1980) : Une réalisation plus conventionnelle de la part de Cassavetes. La vraisemblance n’est pas la priorité, de même que la richesse et la bonne tenue du scénario ; si les mafieux laissent à ce point filer Gloria tout en sachant la localiser, c’est qu’il faut servir la volonté du film de bâtir une femme forte (entre autres messages explicites – le machisme inculqué à l’enfant mâle étant pas mal surligné aussi). Les quelques faux raccords ou étrangetés s’amalgament avec cet ‘oubli’ des réalités. Séance agréable dans tous les cas. Les décors et les deux protagonistes sont joliment filmés. (58)

Autres films de Cassavetes : Shadows, Faces, Minnie et Moskowitz, Meurtre d’un bookmaker chinois, Une femme sous influence, Opening Nights.

Pauvres millionnaires * (Italie 1959) : Comédie parfois burlesque de mongolos bien éduqués ou d’humbles de bonne foi, aux âmes guillerettes et puériles, aux préoccupations triviales – puis sentimentales. Avant cette évolution, le truc de l’amnésie ne donne lieu qu’à des situations criardes et paresseuses. Certains gags sont d’une nullité qui donne envie de mourir passé sept ans. Les personnages sont trop gentillets et insipides, le scénario et les agissements de même, la mise en scène est pour le moins minimaliste et souvent relève du théâtre ‘effervescent’ et certains acteurs, notamment masculins, jouent les retardés modérés d’une manière plus convaincante que dans Dumb et Dumber (Salvatore a un air de crétin bien au-delà du nécessaire et du raisonnable). Impossible de s’y intéresser, sauf si on est client du genre, si on a une connexion spéciale (une nostalgie ou une culture adaptée). Heureusement il y a la musique – de quoi entrer un peu dans l’ambiance – par un orteil peut-être. Et surtout le dernier tiers, avec le réengagement du couple, devient regardable ! La sortie du délire, avec la résolution indigne de la pire parodie hypothétique de Mars Attacks ou d’un épisode de Bean, dope aussi l’attention : bien sûr il ne servait à rien de se réveiller car pour se tirer d’un tel niveau de niaiserie on replonge simplement dans la logorrhée insignifiante et les farces de cour de récré. Je commence aussi mal la filmo de Dino Risi que j’avais entamé celle de Kaurismaki (avec Le Havre). (24)

In Dreams / Prémonitions *** (USA 1999) : J’ai apprécié le plan et son exécution ; le scénario n’est pas épais mais il est juste. Bande-son excellente. Décors/photos : un style particulier et d’époque, dont je suis client. Les délires des vingt dernières minutes et surtout leur géniteur peuvent laisser dubitatif : il ne faut pas être allergique au grotesque. Christian Rea pas à son meilleur, desservi par son personnage superficiel en plus d’avoir le ‘mauvais rôle’. Belle interprétation de la protagoniste. Recommandé si vous aimez ou recherchez les films sur la schizophrénie ou la maternité. (72)

Films apparentés : Le témoin du mal, Dogville, Le silence des agneaux, Jigsaw, Chucky, Blue Velvet.

Meurtres sous contrôle ** (USA 1976) : Original en mode nanar ambitieux, convaincu par son cahier des charges mais sans foi authentique. À la fois saoulant (presque ennuyant quand démarre l’enquête) et valant le coup-d’œil pour sa bizarrerie et son culot. Le contexte de production manifestement légèrement cheap n’empêche pas une bonne mise en scène – moins pour les scènes de rue et en admettant de courts passages plus confus (l’escalier dans la pénombre, illisible). Très inégal au niveau des interprètes ; petit côté cronenbergien à la fin ; musique perce-tympans. (58)

Films apparentés : Visiteurs extraterrestres, Panics, Tarentula.

Bellissima * (Italie 1951) : Troisième fiction de Visconti qui par ses gueules, ses sujets et ses manières ressemble à d’autres de cette époque (celle du néoréalisme et du développement des affinités avec les américains) et peu à Rocco (sans parler du Guépard et de l’après). Les postures sont respectables mais la séance est imbuvable, à cause de cette femme qui n’en finit pas de brailler – l’environnement a pu l’y prédisposer mais elle est facilement la championne. Tous les autres personnages, même récurrents ou hystériques, restent à l’état de figurants. (42)

Gambit / Un hold-up extraordinaire ** (USA 1966) : On a d’abord droit à vingt minutes où tout est fluide et élégant, la fille mutique et appliquée (d’une inertie presque surnaturelle) ; à la fin, quand vient le moment de lui remettre les 5.000 et alors qu’elle passe à côté d’un grand destin, on se dit pour de bon ‘dommage’ : or c’est maintenant que le film commence. Succession d’accroches au lancement du plan, puis tangente dès la rencontre avec Shahbandar. En-dehors de ce trio remarquable et de l’excellent tour du départ, pas grand chose à signaler. A eu son remake avec Cameron Diaz en 2013. (52)

Alibi.com ** (France 2017) : Comédie chargée en gras avec quelques gros morceaux (comme le gode avec belle-maman, la branlette de l’ami de famille). Interprétations parfois médiocres et accumulation d’incohérences ou incongruités, au-delà de la grosse farce nécessairement peu crédible. Quelques passages ringards en musique (en plus l’âge des titres est raccord) – mais cette ringardise pourrait être courante dans le genre, je ne suis pas assez connaisseur. Didier Bourdon (après Madame Irma et son rôle ‘sombre’ dans une fiction télé) s’actualise avec un tel film, Nathalie Baye semble davantage en terre inconnu – la scène de la salle de bains est d’une bassesse dans laquelle elle a rarement dû tremper. Enfin le postulat renvoie à un genre d’idées bête mais excellentes, qu’il va devenir urgent d’aborder, au sérieux comme pour assaisonner nos bouffonneries de masse. (36)

Saint Jack / Jack le magnifique *** (USA 1979) : Un joli film sur la corruption avec une bonne bande-son. Ressemble à du Cassavetes en mieux foutu et surtout plus aimable – peut-être car je me sens moins étranger à Gazzara ici que chez lui. Ne pas s’attendre à beaucoup d’intensité ou d’événements, seulement aux déambulations et petites affaires d’un type sans destin qui a su amortir sa perdition – je suis sceptique concernant le ‘Saint Jack’ car en quoi serait-il déchu ou plus noble qu’un autre ? Signé Bogdanovich, de retour sous le chapeautage du producteur Roger Corman (dans la maison ‘New World Pictures’), après des échecs commerciaux. (64)

Nevada Smith ** (USA 1966) : Un western qui a de la gueule et des interprètes convaincants, son lot de rocambolesque, mais aussi un ton foncièrement enfantin malgré les multiples meurtres. Paresseux pour assurer la crédibilité de ses bons sentiments et de son humanisme pratique ; le soit-disant mixage génétique n’est pas évident contrairement à ce qu’on y prétend (ni le côté jeune premier du protagoniste). Steve MacQueen campe un bon héros pour le public américain, pour bien d’autres et pour celui bercé par l’idéologie de Victor Hugo : pauvre analphabète braquant une banque par nécessité, impliqué dans des rixes, mais bien entendu avec bon cœur donc pas si coupable. Musique niaiseuse à souhait. (52)

Main basse sur la ville ** (Italie 1963) : Cynique et transparent dans sa dénonciation de la pourriture politique et de la pourriture mêlée à la politique. De bonnes illustrations des palabres et petites plaisanteries ou hypocrisies publiques des professionnels du milieu. Le tout sans recourir à la violence physique et aux grosses démonstrations mafieuses ; urbanité oblige. Les notables et même les religieux sont là pour aseptiser et valider le ‘projet’ devant les yeux de la foule. Malheureusement c’est bavard et à l’occasion lourdement démonstratif ou pédagogique sans avoir beaucoup à présenter – ne serait-ce qu’en anecdotes. Et ça croit en la gauche ou du moins en l’authenticité de son champion et de son discours au Parlement (comme dans Le président avec Gabin pour les populistes-réacs), quand chez les autres un type est prêt à compromettre son fils pour se sauver. Quoiqu’il en soit la gauche est exclue de l’accord de ce panier de crabes-ci où s’associent droite et centre [ces trois termes sont ceux des sous-titres]. (62)

Alexandre le bienheureux ** (France 1968) : Une comédie bucolique simplette avec un humour redondant, comme l’ensemble des réalisations dans son registre ; mais pas spécialement criant sur ce terrain et contient un lot décent de petits conflits. Plusieurs allusions graveleuses.

Ce n’est pas tant l’attitude d’Alexandre que la vie rurale qui paraît ‘facile’ et simple. Sa paresse exagérée fait partie des éléments dignes d’une fable ou une BD. Sa préférence constante pour une existence amorphe ressemble bien à un gâchis : il est fort physiquement, il a des terres, du matériel et un savoir-faire à portée de mains – et sans autres obstacles que la volonté. La résistance passive-agressive (à son maximum quand il suit bêtement les consignes de sa femme pour noyer l’outil de travail) se comprendrait mieux pour un salarié abruti, dépossédé et/ou limité, dans un cadre plus moisi, urbain, hiérarchique, complexe ou bureaucratique.

Cette façon d’être a tout de même une valeur – petite : celle qu’on peut accorder à un anarchisme/hédonisme doux et spontanément mis en œuvre. Sans être un activiste ou un convaincu, ce bienheureux est insoumis et anticonformiste. Il ne se laisse pas bouffer par l’environnement, sa morale, ses institutions ; l’embourgeoisement et le mariage s’avèrent une menace et comme d’habitude il sait y échapper. Tout ça ne se produirait pas si notre oisif n’était pas un propriétaire paysan – en train de probablement laisser pourrir son héritage, mais le film s’arrête bien avant que la situation soit critique ou compromettante pour lui. Ses démonstrations de générosité vireront-elles à l’exhaustif ? (56)

Mr.Holmes *** (UK 2015) : Un récit calme et sentimental sur la vieillesse, la douleur de l’attachement, le détachement raisonnable. Adaptation du roman Les abeilles de monsieur Holmes, un meilleur titre ; la mise en scène est classique mais le film pas si dérisoire. Déconseillé tout de même aux allergiques aux téléfilms sur grand-écran. Moins flamboyant que les autres versions certainement, moins lourd aussi sûrement. Sherlock sans son chapeau n’est pas un homme à femmes – il est gentleman bien après son rôle d’intellectuel. Tourné par un réalisateur auquel on a auparavant confié Twilight 3 et 4, Bill Condon. (68)

L’avocat de la terreur ** (F 2007) : Malheureusement c’est un documentaire générique, croulant sous les témoignages, certains de gens peu impliqués ou de journalistes. Il est pédagogique avec ses petites indications colorées ; mais pas très bien conçu, en donnant une part démesurée au dossier Carlos et aux terroristes gauchistes. Ce n’est même pas un portrait (ni une biographie) du clown passablement diabolique. Les spectateurs contemporains aux affaires apprendront peu sinon rien. Ce qui s’est produit chez les Khmers rouges et dans d’autres périodes louches : nous n’en sauront rien, sauf l’avis des autres. Quelques archives laconiques et des démonstrations en louvoiement de toute beauté par l’avocat bouchent les trous. (62)

Rosita ** (USA 1923) : Une comédie romantique dans un contexte historique, avec le roi d’Espagne épris d’une chanteuse de rue. Son petit amant est désargenté mais quand même aristocrate – le politiquement ‘libertaire’ superficiel est possible mais la bluette pour jeune princesse candide sort indemne. Propre et sans grand intérêt, aurait probablement gagné en allant sur le terrain de la fable, où sa mièvrerie aurait pu se répandre sans complexe. À la place on sent plutôt l’origine théâtrale (la source est une pièce française de Frédérick Lemaître). Le personnage de Mary Pickford est gamin, d’une vulgarité bien savonnée pour la rendre aimable au salon. Pour le reste, le casting compte des gueules communes mais flasques ou satisfaites dignes de bouffonneries italiennes des années 1960-80 ; comme les moches et les pauvres n’ont pas l’air trop indignes ou malheureux, la médiocrité des interactions a une saveur ‘moderne’. Le scénario et surtout sa résolution imposent cette même niaiserie égalitaire – il n’y a même pas d’hypocrisie là-dedans. Réalisé par Lubitsch (encore allemand) à son arrivée aux États-Unis. (46)

Much Loved ** (Maroc 2015) : Assez pauvre dès qu’on met de côté le contexte de production et se préoccupe de scénario, mais convaincant notamment grâce aux acteurs. Proche du reportage plutôt que du documentaire ; prend la vie telle qu’elle vient maintenant (pas de passé ou de psychologie) – en fait un catalogue, d’où l’aspect forcé et exhaustif. Je n’aurais pas deviné que le réalisateur est le même que pour Les chevaux de Dieu. Analogue à Divines sans partager sa douce beauferie bling-bling ; vue plus placide de la ‘liberté’ et des im/possibilités. Les gentils et les progressiste voyant en ces filles des ‘femmes fortes’ ont besoin de sortir de l’hypocrisie, du déni ou de la soumission aux femmes/à leur idée des femmes. Ces putes ont probablement une meilleure vie que leurs mères et surtout une vie plus rentable, mais ce n’est pas encore suffisant pour leur tailler un caractère spécialement fort ou indépendant, ni des personnalités de conquérantes ; ce sont des professionnelles dans un domaine embarrassant pour la société. (48)

Madame Sans-Gêne ** (France 1961) : Un brave divertissement ; assez difficile de s’y laisser prendre au départ. Il se traîne de nombreux défauts inhérents à sa légèreté. L’interprète de Lefebvre (Robert Hossein !) ne se foule pas pour jouer ce ‘bon bougre’. Sophia Loren est une ex-prolo au teint parfait : on patauge en pleine caricature de dérive fictionnelle et mieux vaut tolérer l’extravagance, y compris historique. La fille du peuple finira par tutoyer, comme au temps où il n’était pas grand chose, l’empereur Napoléon ; dommage que tout s’arrête alors. Ce film ne vaut peut-être pas grand chose mais il est assez curieux, amusant et racoleur pour surnager. (56)

Christophe Colomb * (UK 1949) : Une vision méchamment biaisée et consciencieusement niaiseuse du cas Colomb. Le film est pompeux avec, pour défendre le projet de Colomb, une pédagogie lourdingue (comme d’habitude) et bas-du-front digne d’un produit destiné aux écoles primaires. Le développement a sa part de réalisme : dans un premier temps, les intérêts, les questions de statut, de placement de soi et de son argent s’opposent à la détermination du navigateur ; plus tard c’est l’équipage sceptique prêt à la mutinerie. Mais ce film ne met l’accent sur des aspects cyniques (et les motivations essentiellement financières à la cour) de l’environnement que pour mieux mythifier son sujet. Le débarquement à San Salvador est un gag involontaire imaginable seulement dans une satire aujourd’hui ; les autochtones viennent se soumettre avec candeur puis se laissent gentiment réformer, diriger et déguiser. C’est la belle harmonie et le multiculturalisme à une voie : du colonialisme pour ravis de la crèche. Le pacifisme catho s’oppose à la logique du commerce ou de la guerre, aux préoccupations triviales et égocentriques des petits (marins) comme des nantis : il est en mouvement pour convertir, donc certainement pour sauver et protéger. Le gros interprète de Francisco de Bobadilla tient tous les mauvais rôles du réac cynique défendant sa bourse et l’ordre établi, d’ignare satisfait et impatient, d’orgueilleux vivant sur de vieilles gloires qui moralement ne devraient pas en être. À la fin, Colomb lésé par les seigneurs, les ‘bureaucrates’ etc, malgré l’amitié de la reine (une noble sentimentale raccord avec son idéalisme) ; vieux et rabougri, il sort en prétendant qu’on se souviendra de lui pendant ces siècles contrairement à ces idiots. Le visionnaire sort de scène, « Fin ». (38)

Téléfilm> Sharknado * (USA 2013) : Le pilier du courant des nanars volontaires avec requins exploités dans toutes les positions. Du cinéma bourré de compétition diffusé sur Syfy puis projeté dans quelques salles à cause d’une demande euphorisée. Ce qui m’a le plus marqué est son sens des proportions aberrants, ainsi que le quasi surplace d’un plan à l’autre lors de fuites. La réactivité régulièrement décalée, les actions incohérentes et les enchaînements aberrants sont légion. Les faux raccords sont constants et on a droit à une avalanche de trucs clichés : le vieux trauma de la fille déjà liée au sujet, les scènes sentimentales et familiales ‘obligées’. Même si je n’en suis pas fan, c’est du lourd et sûrement plus ‘pertinent’ dans son registre que la plupart des concurrents, car cet opus ne suggère pas. Il donne de quoi rire. Ce n’était peut-être pas une raison d’en tirer une si longue saga (avec des suites et déclinaisons). Le requin à cinq têtes est moins débile et moins fourni en bouffonneries mais j’avais autant aimé. (28)

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Autres Mini-critiques : 10, 9, 8, 7654321 + Mubi 4, 3, 21 + Courts 3, 2, 1 + Mubi courts 2, 1

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JE VOUS SALUE MARIE **

17 Fév

2sur5 Le fétichiste des éruptions intellectuelles jette son dévolu sur la religion – catholique. Après une période de babillages conformes au pire des habitudes, son Je vous salue Marie cesse de jouer avec les mots et les questions pour mieux rapporter le cheminement d’une jeune vierge présentée comme la Marie du nouveau jour. À terme Godard refait la vérité et la vocation de Marie et finalement reformule donc la foi et un culte pré-existant à sa sauce. Conclusion : tout peut être balayé, pardonné, etc, tant qu’on est lunaire, chaste et de bonne volonté.

Toutefois mademoiselle se révolte, de façon si belle et bonne que la solution lui apparaît : la fornication alternative sera la vraie méthode pour niquer Lucifer (ça c’est dans le texte). D’où cette sentence magique : « On a pas besoin d’un trou de bouche pour manger, mais d’un trou de cul pour avaler l’infini » (62e minute dans la version courte). Décidément la pédanterie mène à des sommets, certes des sommets à l’envers, mais musclés à leur façon. La catholicité réelle est tout de même de la partie, d’ailleurs on fait retentir l’orgue ; puis les sujets sont forts : quelle cause première, qu’est-ce qui orchestre, etc.

Questions monstres, il faut évacuer ; c’est bien difficile ; alors on tartine, puis se drape dans des annonces sur l’esprit et le corps interagissant. Plouf plouf, mais avec des gratifications ! Dans une scène éclair la fausse Marie est surprise nue dans sa salle de bains et nous ferme la porte ; peu après on la retrouve dans sa baignoire avec la voix-off expliquant ses satisfactions élevées. Dans les empilements qui suivront la nudité sera très présente et le montage (par Anne-Marie Miéville, réalisatrice du Livre de Marie qui est le complément et la supposée introduction à ce Je vous salue Marie) se fait moins épileptique, presque posé, ce qui permet au style Godard de s’harmoniser dans son apathie raisonneuse.

Les multiples passages de diverses filles matures mais sans impuretés, gras ni poil divertissent, mais cette redondance a le tort de s’appliquer aux autres motifs. Les plans face au ciel se répètent, comme si Godard avait aperçu là-haut un moignon d’idée et revenait guetter, à moins que ce soit simplement par pause, habitude, ou car paraît-il la révélation surgirait de là. Quoiqu’il en soit cet opus vaut le détour, car même si au départ les manies les plus désinvoltes et débiles de Godard sont poussées à fond, avec systématisme, dans l’ensemble la séance doit être une des plus agréables. Godard se lâche en terme d’humour (pas autant que dans Week-end et sans viser ce niveau) et fait défiler un chien stoïque, son élu consacré dans Adieu au langage.

Note globale 42

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