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TOUT EN HAUT DU MONDE =+

15 Nov

Cette production de la petite société Sacrebleu se distingue sur la forme et par les techniques. Tout en haut du monde est un dessin animé en aplats de couleurs, avec des contours pas soulignés. L’image interpelle à cause du style, la profusion de détails étant rare. L’habillage reflète les caractéristiques du mouvement pictural ‘peredvjniki’ (‘itinérant’ et réaliste, fin XIXe). Ce film français de Rémi Chayé (illustrateur pour plusieurs livres, a participé à la conception de Brendan et le secret de Kells et Le Tableau) suit une jeune aristocrate à la recherche de son grand-père disparu. L’action se passe en Russie en 1882 et le fil narratif renvoie à Jules Verne (Michel Strogoff).

Les caractères sont originaux. À leur égard le film est non-perfectionniste ou manichéen. Pas illusoire niveau humain, pas de victoires bigger than life. L’expédition et son contexte donnent le change en matière d’aventures et tous les lieux sont mis à profit : appartenant au passé ou au lointain (St-Pétersbourg au début, la banquise à l’issue), ils ont une saveur exotique comparable à celle dont jouait La Reine des Neiges, de façon assez kitsch et avec un programme plus artificiel. Sacha l’héroïne, malgré ses origines, descend de son piédestal sans importer de manières ou de qualités fantaisistes, sinon sa détermination, renforcée par ce premier ‘choc de la vie’. Dans la première partie elle se retrouve chez les prolos, à travailler chez Olga l’aubergiste.

C’est une battante comme la protagoniste de Mulan, sans le côté spectaculaire ; ici c’est une épopée de basse intensité, en petit groupe sans étendards ou grands prétextes. La violence et le manque de respect sont fréquents dans cette population, malgré une discipline de fond. Le film est concis, l’intrigue peu étoffée, le soin apporté suffit à convaincre voire enchanter. Pour un adulte la séance peut sonner irréprochable sans effacer une frustration diffuse à l’égard de ce manque d’approfondissement. Mais le développement est impeccable et Tout en haut du monde a sa personnalité unique. Rapporté au tout-venant de l’animation, la réussite devient éclatante. Les enfants pourront succomber à son charme sans risquer de faire fondre leur esprit comme s’y appliquent les héritiers de Shrek.

Note globale 68

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Suggestions…

Scénario & Écriture (4), Casting/Personnages (3), Dialogues (2), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

Note passée de 69 à 68 avec la mise à jour de 2018.

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SWISS ARMY MAN =-

15 Nov

Un homme égaré dans la Nature (Paul Dano, abonné aux drames mielleux ou aux tragédies de chambres cotonneuses) trouve un mort sur la plage. Cet homme ‘couteau suisse’ (par Daniel Radcliffe, encore en quête de rôles extrêmes ou incongrus) va devenir son compagnon et sauver indirectement sa vie. D’abord grâce aux capacités de son corps pourri ; ensuite en le forçant à se mettre à la place du pédagogue expliquant combien la vie est belle et vaut le coup. Hank/Dano est donc forcé de se convaincre ou au moins ‘d’entrer’ dans ses arguments. Une belle trajectoire cerclée de pets, d’érections gigoteuses et de pertes d’eaux entre autres incontinences.

Car Swiss Army Man c’est d’abord une « bromance » (comme l’a dit James Franco dans sa critique) digne du petit frère d’Henenlotter (Elmer, Sex Addict). Il faut mixer le plus outré de la romance zombie Warm Bodies, des frères Farrelly (L’amour extra-large, Mary à tout prix) et de Martha Marcy May, imaginer un mélange paradoxalement posé et très mécanique. Dans sa première partie surtout, le film parodie la survie en multipliant les séquences de dégueulasseries. Les potaches ont fait leur reboot de Seul au monde : depuis le collège ils ont eu le temps d’en faire une institution personnelle et ne plus y voir qu’un comble de l’humour. Le morbide de la situation est englouti par les velléités trash & popot. SAM adopte un habillage sérieux, voire grave, parfois lyrique, pour raconter en douceur un drame de la solitude ; sur un rythme à ponctuer de pets, en hésitant à le briser tout à fait.

Effet ‘flop’ assumé, parfois euphorique et joueur, régulièrement froid et désinvolte. Omniprésents au début, les gaz sont oubliés pendant le tiers central, où Hank apprend à Manny la sociabilité et reproduit avec lui des scènes de la civilisation (le bus, le cinéma en théâtre d’ombres) censés incarner le bonheur (sans rire, c’est là le malheur qu’il faut zapper). C’est un moyen pour Hank de se rapprocher de la vie normale (par procuration confiée à son compagnon) et d’entrer dans une peau alternative (en jouant Sarah). Malheureusement SAM se regarde plus qu’il ne nourrit l’expérience du spectateur. Il est trop pressé de se commenter, prescrire les mots pour être désigné. La priorité consiste à délirer avec des anecdotes et un mélange des genres ou registres. Ce film prend la distance pour de la hauteur, est trop frivole et bidouilleur pour servir l’émotion, trop policé pour être percutant.

La vocation la mieux assurée est celle de débiteur de mèmes. Les auteurs se laissent décoller régulièrement ; puis on (se) rassure avec un excès d’humilité, parfois caca, toujours en HD. Les (courtes et désastreuses) retrouvailles avec la civilisation sont assez réjouissantes. L’oscarisé dans Idiocracy (monologue d’un cul péteur en plan-séquence) lui aussi passait pour original : mais par rapport à ce futur abject, ce ‘monde’ est encore trop hipster pour sombrer à ce point. Ceux qui aspirent à un exercice pétomane autrement ambitieux doivent donc se tourner vers FART the movie. Swiss Army Man est radical mais loin de cet absolutisme, privilégiant in fine l’humour de consommateur trentenaire (édifié par le porno et Netflix) affalé dans son temps et trouvant l’illumination chez Gondry.

Note globale 47

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Suggestions…

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (2), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (4), Ambition (3), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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AVANT LE DÉLUGE (2016) =+

15 Nov

Cette propagande a le mérite d’en être une explicite et de poser des objectifs précis. Projetée à la télévision le 30 octobre 2016 sur National Geographic, elle a été mise en ligne gratuitement pendant une semaine, avec 45 langues à disposition. Leonardo DiCaprio (qui participe à ce film pendant ou après le tournage de The Revenant d’Inarritu), star hollywoodienne investie dans la cause environnementale, sert d’animateur et de représentant pendant ce documentaire, où il rencontre plusieurs décideurs ou spécialistes à de multiples endroits du monde. L’acteur est officiellement ambassadeur des questions climatiques chargé par l’ONU – on le voit passer au début et à la fin du film au siège des Nations Unies. Les constats sont alarmistes mais pas désespérés. Le film va droit au but, la réalisation est ‘sobrement’ lourde, donne des chiffres et termes précis sans en rajouter dans l’émotionnel. DiCaprio fait un peu son numéro mais ne tire pas la couverture à soi et est là pour être sciemment un outil, un passeur tout au plus.

Le tableau dressé est clair, factuel, même s’il tient aussi du spectacle ‘liberal’, égratignant au passage les gardiens républicains liés aux grandes firmes privées (et, encore plus typique, revenant au méthane lorsqu’il évoque l’élevage bovin). Le film présente l’état actuel à plusieurs endroits du monde. Il fait le bilan des décennies récentes (disparition de 50% des coraux, etc) et évoque les principaux points ‘chauds’ : la menace d’engloutissement des îles du Pacifique, le rétrécissement de la calotte glaciaire, les incendies délibérées dans les grandes forêts pour créer de l’huile de palme. Le déréglage du climat se passe plus vite que prévu : le « point de bascule » approche et se voit avec la fonte de la glace au Groenland. Des faits purs et durs sont invoqués – les sceptiques n’ont plus qu’à regarder. L’usage massif du charbon en Inde, ou les pratiques des pays en plein boom économique, sont évoqués rapidement. En oubliant pas le problème des enjeux de puissance qui tendent à rendre obsolètes tous projets de ré-équilibrage ; car les USA ou les Européens auront du mal à défendre les ‘petits’ goulus de passer par leurs propres erreurs. A contrario, l’inquiétude en Chine serait assortie d’une marche ‘dans le bon sens’. Selon le narrateur, les médias et la population sont impliqués, le gouvernement emploie des énergies renouvelables. Pourquoi ces flatteries ? Concession, manière d’amadouer, billard à trois bandes ?

Des pratiques, de particuliers et surtout d’entreprises, sont dénoncées. D’autres sont recommandées. Si le consommateur de viande se met à préférer le poulet au bœuf, il diminuera ses émissions de 80% (et libérera du paysage, puisque l’élevage de volailles demande radicalement moins de terrain). Le solaire est évoqué. Le directeur de l’entreprise Tesla plaide pour la taxe carbone ; avec le soutien de Gregory Mankiw, professeur d’économie à Harvard. Ce dernier annonce le dé-tricotage des cotisation sociales en échange ; l’aile gauche des spectateurs pourra être embarrassée. La croyance dans la démocratie, la responsabilité et le marché peut faire rêver en théorie, mais face à la réalité laisse dans l’expectative. Au passage le film montre l’opposition au combat environnemental et ses relais dans les médias ; elle indique aussi que les représentants politiques acquis au climato-scepticisme sont souvent payés pour ça, donne des noms et des chiffres. Au-delà des pratiques courantes, il y a l’ennemi public ultime, non-humain : la combustion des énergies fossiles est la cible principale. La Cop21 récemment conclue à Paris est tenue pour saine et rassurante, mais ne doit être qu’une étape.

Les méthodes et les ambitions défendues par Avant le déluge sont plus qu’honorables, mais l’équipe sur laquelle le film repose est douteuse. Les allées-et-venues de DiCaprio se passent dans une bulle avec les autorités et experts bienveillants (avec même une rencontre d’Obama). Home glissait son idéologie, Avant le déluge introduit ses figures-clés. Ce documentaire reste évasif ou flexible sur le plan des idées ou des grands principes abstraits, mais convoque des personnalités peu crédibles, voire peu recommandables comme le Pape (dont une récupération si facile par la gauche altermondialiste -certes celle de salon ici- devrait interroger les catholiques, décidément les dindons de la farce publique). La rencontre avec ce dernier est assez étrange, puisque le ton est mielleux, pendant que DiCaprio met une illustration de Bosch sous le nez du Pape. Ce doc donnerait-il dans l’ironie très partiale, sous la couche civique et passe-partout ?

Dans tous les cas, il a clairement l’allure d’un produit de bonne volonté rangé pour l’establishment. C’est probablement la meilleure option lorsqu’on a des urgences à servir. Cependant cette complaisance semble débordante et le film ramène à la sacralisation du vote, en lui prêtant la toute-puissance imaginable dans le réel. À la fin le DiCaprio nous explique comment s’impliquer : utiliser notre pouvoir d’électeur, or la prochaine occasion datait du 8 novembre, soit une semaine après la sortie du film. Même s’il n’y a rien sur l’actualité politique des USA ou sur la campagne des présidentielles, même s’il omet l’existence de Clinton et Trump, Avant le déluge suggère des préférences et un camp précis. Le vote sera démocrate (ou acquis à l’élite ‘international liberal’), sans le dire mais par défaut (comme American Nightmare 3 en début d’année, sur des thèmes sociaux) ; aujourd’hui et demain. En plus de cette connexion précise, on peut se demander ce qu’Avant le déluge couve ou élude ; mais l’enjeu écologique est là. La séance se ferme sur un rappel des actions politiques et individuelles à mener.

Note globale 58

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Suggestions…

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (1), Ambition (4), Audace (-), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

Note ajustée de 60 à 58 suite à la suppression des -0.

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QUELQUES COURTS D’EDWIN S.PORTER ***

15 Nov

Edwin S.Porter est le responsable du célèbre The Great Robbery Train, film d’une épaisseur narrative et d’une durée rare pour l’époque, également précurseur du western. Ce film et quelques autres, certains réalisés avec son associé Fleming (collaborateur jusqu’en 1903) et tous produits par Edison (comme l’essentiel de Porter avant 1912), sont abordés en détail dans cet article.

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THE MYSTIC SWING (1900) ** 

3sur5  Edwin Stanton Porter fait partie des artisans-clés des origines du cinéma. Life of an American Fireman (1903) participe à l’amélioration du langage cinématographique, puis The Great Train Robbery (1903) annoncera carrément le genre western. Ces deux métrages de 6 et 12 minutes sont des héritiers de l’école de Brighton.

En plus de ces exploits particuliers, Edwin Porter est le réalisateur de centaines de films produits par la compagnie de Thomas Edison. Ses années fastes s’étalent de 1899 à 1908. The Mystic Swing sort en 1900 et appartient donc à ses débuts. Pendant tout juste une minute, un professeur et son assistant en tenue de Méphistophélès présentent un tour de magie, consistant à faire apparaître et disparaître deux femmes sur une balançoire.

Les moments significatifs sont retenus et mis bout-à-bout par le montage. Les artifices du cinéma viennent donc renforcer, voire remplacer, les secrets de magicien. Le métrage contient une apparition morbide surprise et s’achève sur une révérence au public des quatre personnages. Les modèles féminins choisis semblent étrangement disgracieux.

Note globale 60

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Suggestions… Pig/1997

 

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TRAPEZE DISROBING ACT (1901) *** 

3sur5 Charmion (Laverie Vallee en civile) était une trapéziste américaine particulièrement musclée, d’après les images proportionnelles circulant à son sujet (c’est moins évident sur l’écran). Elle a gagné en renommée en 1901 grâce à sa participation à Trapeze Disrobing Act, film réalisé par le tandem Edwin S.Porter/George S.Fleming (alors connu pour The Artist’s Dilemma) et produit par Thomas Edison (qui a lancé le Kinétoscope).

Elle y fait un strip-tease dans une salle de spectacle, à l’adresse d’un public indéterminé. Deux hommes s’échauffent sur le balcon pendant qu’elle accomplit son numéro, parfois périlleux (la balançoire est autrement plus haute que dans Mystic Swing). Ce minuscule public aurait été intégré pour ne pas offenser la pudeur du spectateur. Il donne également une justification au voyeur. Cette auto-censure a en tout cas un bon argument en sa faveur, puisque la configuration du plan permet d’éviter la monotonie dans l’action et la banalité dans le ‘format’.

La même année Edwin S.Porter réalise un autre film à teneur érotique, What Happened on Twenty-third street, New York City, centré sur un soulèvement de jupe similaire à celui de Sept ans de réflexion (1955), fournissant une image culte de Marilyn Monroe. Dans les deux cas cet érotisme reste bien tempéré par rapport au premier film connu dans le registre, Après le bal (1897) de Méliès où s’affiche le cul nu de sa future femme. Edwin S.Porter réalisera ses films les plus marquants peu de temps après (1903) : The Life of an American Fireman et surtout The Great Robbery Train, précurseur du plus américain des genres cinématographiques : le western.

Note globale 66

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Suggestions…

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JACK AND THE BEANSTALCK (1902) ***

3sur5  Jack et le haricot magique est le plus connu des contes de Jack (avec Jack Frost), une mythologie anglo-saxonne avec un anti-héros ‘trickster’. En 1902, Edwin Porter dirige une production Edison le représentant sur grand écran. Il le tourne avec son associé George S.Fleming (qui sort des studios Edison en 1903, après avoir participé à Life o an American Fireman). Ce réalisateur est connu pour The Great Robbery Train (1903), ancêtre du western, remarquable pour sa continuité et ses procédés narratifs.

Mais Jack and the Beanstalck contient déjà une intrigue (pas juste ‘un tir’) et un enchaînement de plans et lieux distincts. Le film dure dix minutes, ce qui est très long pour l’époque : la même année, Le Voyage dans la Lune bat peut-être un record avec ses 14 minutes. La source théâtrale est évidente à cause de l’angle de la caméra et des attitudes sur certains plans, mais à ce niveau Porter est en avance sur la plupart de ses contemporains. Il a assimilé les ‘enseignements’ de Méliès. Il est même plus proche du cinéma ‘pur’ que lui grâce à l’usage de fondus pour les transitions, catégorie où l’homme à la tête en caoutchouc a mis peu d’emphase.

Les trucages et artifices sont nombreux et crédibles. La montée du haricot est assez dynamique et son soutien invisible, mais il faut bien une échelle lorsqu’il s’agit de le gravir. Les effets les moins rudimentaires sont les apparitions/disparitions, ceux grâce au cut-caméra forcément, mais aussi les quelques surgissements. Le caractère fantaisiste compense voire justifie le ‘cheap’ : la vache a un grossier costume, mais sans lui elle ne saurait pas danser. Dans un contexte où Griffith (Dollie, Les Spéculateurs) n’est encore que vendeur de journaux, ce film assure déjà l’animation à un haut niveau. Et contrairement aux ‘chase films’ des anglais (comme Stop Thief ou Daring daylight burglary), lui s’adresse aux enfants.

Note globale 64

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Suggestions…

Note arrondie de 63 à 64 suite à la mise à jour générale des notes.

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LA VIE D’UN POMPIER AMERICAIN (1903) ***

3sur5  Tourné en 1902 et sorti aux USA en janvier 1903, The Life of an American Fireman est l’un des premiers films avec une action continue et un montage complexes. À ce moment Méliès introduit sur grand écran une foultitude de trucages propre aux illusionnistes – avec Le Voyage dans la Lune en 1902 il vient d’atteindre son apogée. De son côté, l’école de Brighton affine ou invente de nombreuses techniques qui deviendront les bases des films du futur.

The Life of an American Fireman est notable dans l’Histoire du cinéma pour plusieurs détails narratifs. Le récit est relativement élaboré, comprend des scènes séparées en séquences (à l’opposé des simples ‘vues’ des frères Lumière). Dans ce film de six minutes, Edwin Porter (The Mystic Swing, Trapeze Disrobing Act) montre (via la seconde moitié) la même scène deux fois (un sauvetage dans un appartement en flammes), selon le point de vue du groupe de protagonistes : celui des victimes d’abord (en intérieur), des pompiers ensuite (en extérieur).

TLAF est également le premier film connu à utiliser le flashforward (‘saut en avant’), c’est-à-dire l’équivalent de la prémonition dans la littérature. Il le place en ouverture et dans la foulée opère un split-screen, procédé encore neuf puisqu’il a été expérimenté en 1901 par Zecca (pour Histoire d’un crime) et est issu du cache/contre-cache insinué par Méliès à partir de 1898 (utilisé avec brio par Zecca dans À la conquête de l’air). Enfin Porter recoure au gros plan pour enclencher le semblant d’intrigue.

Ce film est une avancée par rapport aux pratiques courantes (il remue un peu le schéma linéaire) mais n’est pas encore une émancipation totale, car toujours tributaire des conceptions primitives (pas d’ellipses conséquentes, focus ou point de vue immobile), mais il est une avancée par rapport aux pratiques courantes. En somme il diversifie la pesanteur originelle dont Méliès s’extraie grâce à ses gadgets, en restant dans le compte-rendu ‘documentaire’. Griffith n’est pas encore passé (Naissance d’une Nation sera pour 1915). Dans les mois à venir Porter présentera The Great Train Robbery, pionnier autrement conséquent.

Note globale 68

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Suggestions… Flammes/Arrieta + Le Roi et l’Oiseau

Note arrondie de 67 à 68 suite à la mise à jour générale des notes.

 

 

L’ATTAQUE DU GRAND RAPIDE (1903) ***

3sur5  Contrairement à d’autres phares des origines du cinéma, The Great Train Robbery perd l’ensemble de ses étiquettes si on vérifie son cas. Il s’avère un pionnier remarquable mais ce n’est pas un film de ‘premières fois’. Ébauche de western, il est le premier film relativement développé dans le genre, mais a au moins Cripple Creek Bar-room scene (1898) de Thomas Edison pour prédécesseur. Mais les contre-exemples sont rudimentaires, quand TGTR installe l’ensemble des bases du genre (voire de ses marottes – référence probable à Butch Cassidy). C’est un film très ambitieux, profondément novateur et bouleversant à sa sortie en 1903. Il s’inspire des contributions du ‘chase films’ britannique (Daring daylight burgary) et notamment de Robbery of the Mail Coach de Mottershaw.

Le réalisateur Edwin S.Porter avait déjà utilisé une astuce narrative atypique (le flashforward, en split-screen) pour Life of an American Fireman (projeté début 1903), avec une continuité sur plusieurs plans distincts. À l’époque les ‘film feature’ n’existent pas, l’ensemble des créations durent une à trois minutes et on parle encore plutôt de ‘vues’ (terme des Lumière en France). Le Vol du grand rapide (parfois ‘L’attaque du grand train’ est préféré) s’inscrit donc au tableau des records avec ses onze minutes et surtout ses quatorze séquences. Il pratique le montage alterné ; autrement dit, accumule les cross cutting, à l’intérieur ou autour du train, pour permettre de suivre l’action directement. Enfin Great Train Robbery contient une image séminale du cinéma (abondamment reprise, citée par Scorsese et Ridley Scott), avec cet ultime plan où l’homme de l’affiche pointe son pistolet sur le public.

Voilà un effet digne du train déboulant en gare de La Ciotat (1896) et une manière indélicate de briser le quatrième mur. Cependant le film survit moins bien que Voyage dans la Lune ou les défrichages de James Stuart Blackton (Funny Faces, Princess Nicotine). Les caractères, le bien et le mal sont souvent difficiles à décerner à cause d’un défaut de lisibilité, plutôt qu’en vertu d’un calcul d’auteur. Certains spécialistes aiment voir de la subtilité là où il n’y a qu’un magma fossilisé : celui-là est techniquement brillant, introduit la violence à l’écran (avec de nombreuses morts, desservies par la théâtralité du jeu), mais le récit est abrupt, l’action parfois floue, la cohérence et les motivations sont limites. En tout cas, il faudra attendre 1915 et Birth of a Nation pour retrouver un succès commercial de cette ampleur.

Après cet exploit, Porter tournera plusieurs films notables comme The Ex-Convict (1904) sur la rédemption ou Dream of rarebit fiend (1906). L’acteur Max Anderson, qui interprète trois rôles secondaires dans Great Train Robbery, se lancera par la suite dans la réalisation. Sa carrière explose à partir du moment où il passe devant la caméra, en 1910. Sa série des Broncho Billy fut un grand succès, parmi les premiers des westerns. À l’époque le Far West/l’Ouest sauvage était en train de s’éteindre et l’industrie du cinéma américain allait en faire son grand totem (cet achèvement est au cœur de Liberty Valance – 1962). Le premier long-métrage hollywoodien est d’ailleurs un western : c’est Le Mari de l’indienne (1914), également le premier par Cecil B.De Mille (dont il fera un remake -en 1918, puis un autre en 1931-, comme pour Les Onze commandements).

Note globale 64

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Suggestions… Les Aventures de Dollie + La Grande Attaque du train d’or

 

THE EX-CONVICT (1904) ** 

3sur5  Edwin Porter est retenu par les cinéphiles pour Life of an American Fireman et The Great Train Robbery. Comme presque tous les cinéastes notables, ou simplement spécialisés, des origines, il a laissé plus d’une centaine de réalisations. Dans le cas de Porter, il s’agit d’environ 300 films entre 1901 et 1916, produits par Thomas Edison puis par la Famous Players Film Company.

The Ex-Convict fait partie des films non innovants d’Edwin Porter. C’est la plus connue de ses anecdotes, probablement à cause de son thème social, sensible et au point de vue potentiellement émouvant. L’ancien détenu est un père de famille tâchant de se ré-intégrer. Il est recalé jusqu’à faire preuve d’héroïsme, en sauvant une gamine d’un accident de la route. Le ton de cette scène est excessif, elle-même est d’ailleurs peu crédible. La résolution est optimiste et ironique, puisque l’ex-convict rechute pour tomber sur des redevables. La bienfaisance appelle la bienfaisance et gomme les erreurs.

Le contenu est plutôt dense et aurait pu servir un métrage deux fois plus long, ce qui tranche avec les productions de l’époque. En 1904, l’action se résume encore à un mouvement simple dans une même scène. Mais le développement reste lourdaud : si un nouveau pallier est régulièrement franchi, c’est au terme d’une lente (et inutile) démonstration. La distance physique est excessive mais pas nuisible, seules les scènes dans l’appartement renvoyant explicitement au dispositif théâtral.

Note globale 56

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Suggestions…

 

 

DREAM OF RAREBIT FIEND / LE CAUCHEMAR D’UN AMATEUR DE FONDU (1906) ***

4sur5  Winsor McCay est un créateur américain très influent, responsable du dessin animé fondateur Gertie (1914) et dessinateur inspirant jusqu’à Miyazaki. Le public américain apprécia son Little Nemo pendant près de dix ans (1905-1914). En 1906, Edwin S.Porter (réalisateur du Vol du grand rapide) porte à l’écran un épisode de sa série Dream of the Rarebit Fiend, un comic strip (BD courtes publiées dans les journaux) dans le New York Herald.

Le résultat, au titre éponyme, est probablement la plus belle réussite de Porter. C’est un des rares ‘courts’-métrages américain des origines toujours très divertissant un siècle plus tard. Dans la bande-dessinée, les protagonistes subissent des cauchemars très violents et la dernière case les montre au réveil ; dans le film, le dormeur semble embarqué, avec son lit, dans une cavalcade surnaturelle. En ouverture il s’empiffre d’alcool et de fromage, mais l’usage de drogues pourrait être mis en cause. Sur papier, elle semblait déjà sous-entendu, les individus étant enclins à perdre tout contrôle sur leurs instincts.

Le film prend un tour moins sombre et encore plus burlesque, en recourant au matte painting pour simuler des déplacements ou disparitions d’objets. Ce Cauchemar d’un amateur de fondu rappelle Méliès et utilise comme lui le cache/contre-cache au service d’une créativité débridée, flirtant avec le slapstick (Dislocation mystérieuse y va carrément). Ce fut un des grands succès de la Edison Manufacturing Company, entré un siècle plus tard à la Bibliothèque du Congrès de Washington, pour être reconnu comme un objet culturel important.

Note globale 74

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Note arrondie de 73 à 74 suite à la mise à jour générale des notes.

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