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MAUDITE SOIT LA GUERRE =+

27 Nov

Maudite soit la guerre sort en mai 1914, deux mois avant le lancement de la première guerre mondiale (fin juillet). Il est centré sur un tandem de pilotes, amis devenant officiellement ennemis à cause d’une guerre (imaginaire) impliquant leurs pays (non-cités). Une femme, sœur de l’un et amante de l’autre, s’ajoute à cette relation et les relie encore après leurs morts. Le film met en évidences les ravages de la guerre au mépris des exigences présumées de l’Histoire. Il ne réfute pas les arguments des camps : il ignore carrément une telle notion. Maudite soit la guerre est donc pleinement pacifiste, évoque des disparus et des vie brisées, pas des héros.

Il entre en contradiction avec les propagandes d’état et les mythes militaristes, ce qui ne l’a pas empêché de connaître un certain succès en son temps et de réunir des capitaux importants (avant de devenir peu recevable à cause des circonstances de plus en plus sombres – ‘la fleur au fusil’ propre à la Belle Époque, dont l’enthousiasme caractéristique se voit ici, notamment face aux progrès techniques). L’armée belge a fourni l’essentiel de ces gros moyens. Le film utilise des ballons dirigeables et planeurs lors de scènes pyrotechniques, exhibe des outils de combats qui serviront quelques semaines plus tard. La mise en scène est très ‘moderne’ et atteste du talent d’Alfred Machin, un des premiers ‘patrons’ du cinéma belge (qui était à son apogée en 1913-14, avec La fille de Delft, Au ravissement des dames ou encore Le diamant noir – autant de longs-métrages d’environ une heure).

Quelques points techniques distinguent le film, comme la simulation de vue à bord d’un appareil ou, plus commun, un split screen (raffiné, pas établi ‘bloc contre bloc’). L’image colorisée (en majorité) à la main est l’atout le plus immédiat. Il reste le plus éloquent quand le film est décontextualisé, vu cent ans après ou simplement vu après Peckinpah (Alfredo Garcia, Pat Garrett). Car la violence dans Maudite soit la guerre reste invisible en ce qu’elle a d’humaine. Les dégâts humains physiques sont également hors-champ. La violence concerne les engins sophistiqués. Le siège du moulin montre un maximum d’égratignures et c’est pour le moins timoré. Le message saura donc prêcher les convaincus, le penchant mélodramatique pourra atteindre quelques cœur ou esprits ouverts. En revanche sur le plan viscéral ou même sur celui de la raison, l’exercice est plutôt stérile.

Ce film a toutefois une qualité réaliste et sensible digne d’un Rossellini (Rome ville ouverte, Allemagne année zéro, Europe 51) ‘light’ et pudibond, décuplée lorsque la femme jouée par Suzanne Berni est sortie de son quotidien. Sa conversion finale rapproche de l’expressivité cinglante du Moulin maudit (1909), où Machin figurait l’ampleur de la folie du protagoniste. Vers 2013 le film profite d’une restauration par la Cinémathèque royale de Belgique et est promu comme visionnaire, comme s’il avait ‘anticipé’ le conflit et son déroulement, ce qui est une fadaise. Maudite soit la guerre (War is Hell pour les anglo-saxons) est aussi le nom d’un court de Feuillade (1910), l’auteur des serial comme Fantômas et Les Vampires.

Note globale 66

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Suggestions…

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (3), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (5), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

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LE RIDEAU DE BRUME / SEANCE WET AFTERNOON +

27 Nov

Bryan Forbes est un auteur britannique connu dans son pays, peu en-dehors. D’abord acteur, il est devenu un réalisateur très productif, puis s’est lancé dans l’écriture de romans où il a connu ses plus grands succès. Il a également travaillé dans le théâtre et été chef de la production chez EMI Films. Sa Chambre indiscrète suscite l’engouement des ‘officiels’ en 1962-64. Armé de cette reconnaissance, il enchaîne avec Le rideau de brume, un polar pathétique, d’une tristesse foudroyante. Pour le spécialiste ce sera un thriller cru et désenchanté ; en lui-même, c’est un plongeon dans l’environnement de grands malades. Le couple formé par Billy et Myra n’est pas dysfonctionnel, il est en voie de damnation. Myra est la responsable parce qu’elle est la plus forte et ambitieuse. Elle fait partie de ces gens à qui les autres paraissent ‘morts et ordinaires’. Billy, interprété par le producteur Richard Attenborough (associé de Forbes), est son public et son homme de main, son petit garçon à charge aussi, avant d’être un mari. Pressée de maintenir son illusion de toute-puissance, Myra le rabaisse constamment. C’est facile avec un tel type : pleutre, fadasse, faux placide vraiment faible, atteint par une sorte de vulnérabilité nerveuse. La faillite narcissique semble toute proche. Elle remplit sa vie en menant son petit théâtre ; à ce degré, ça ressemble à la folie – ou à un cas d’école de ce que cette étiquette essaie d’appréhender. Le film la prend au moment où elle déborde.

Il les montre sinistres, dans leur vie quotidienne ; embrasse cette banalité sans faire du spectaculaire. Les airs solennels de Madame assurent déjà de ce côté. Elle doit se représenter comme un mélange d’executive woman et de grande bourgeoise, en plus de ‘connaître’ sa fonction et vocation de réceptacle de la voix des morts. Ses mines pompeuses et hautaines, son phrasé travaillé, nourrissent une image presque crédible. Ce numéro serait proche de la perfection si tout autour s’effaçait, elle pourrait être cet espèce de démiurge bienveillant mais excédé qu’elle interprète. Mais pour ça le déni ne suffit pas, il faut vampiriser. C’est pourquoi Billy se montre débrouillard sous la pression, parvient quelquefois à protester avec énergie ; toujours pour se coucher face à l’autorité, après avoir déployé des efforts gigantesques et s’être un peu plus assommé dans la foulée. Son empathie pour la gamine kidnappée est le résultat de sa moralité et de son état ; c’est une prisonnière malmenée comme lui. Poussée vers la souffrance, chargée des turpitudes d’une dame imposante et démente : laminée alors que sa base est encore faible, son ‘caractère’ inachevé. Pour soutenir ce tableau, la mise en scène est posée, pudique, mais édifiante. Techniquement le film est de haut niveau (le chef opérateur est Gerry Turpin, cadreur de Peeping Tom), les effets sont cinglants et poétiques. La trame musicale (par John Barry, équivalent britannique de Morricone en terme de quantité et de prestige) est oppressante, très ‘régulière’, avec des accents industriels et graves. Elle installe une osmose de rationaliste exsangue, prêt à glisser et à sombrer dans le malaise à force d’aberrations. La nausée monte.

Certaines séquences et ellipses brutalisent : le spectateur voit le minimum, sait et sent que les sécurités fondamentales sont compromises. Les fantaisies ne l’emporteront jamais, cette normalité devra bien céder. Cette aventure est imaginable dans la réalité. Il y a de ces excentricités qui se voient, se devinent dans la population (un peu comme dans La Cérémonie, où les ‘cas’ sont plus modestes [par la condition sociale aussi], mais d’autant plus violents que la détresse semble digérée). L’emphase sur le contexte géographique permet un retentissement plus intime ; peut-être vertigineux pour le spectateur de l’époque amené à traverser les lieux publics londoniens. Avec les déserts périurbains, déformés par le filtre glauque de la situation, ce sont les seules bouffées d’airs dans cette histoire. Et les seuls moments d’action : le monde extérieur n’est plus qu’un terrain de jeu hostile, où Billy risque sa peau comme un missionnaire pour marquer des points et organiser le délire conçu par sa femme. Des clés surgissent : les éléments du passé encourageant la dérive seront connus. Ça pourra sembler lourd ; mais les fixations et les troubles psychiques lourds affectent les ‘pauvres’ gens en priorité (vivre dans la misère, la crasse ou le malheur ; passé une certaine séparation du réel, les données matérielles et sociales peinent à fournir des explications). Pas besoin de fines analyses ou de psychanalyse pour en attester. Forbes réalisera plus tard, à Hollywood, le sarcastique Les Femmes de Stepford.

Note globale 79

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Suggestions… Kidnappés/Secuestrados + Borderland

Scénario/Écriture (4), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (4), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

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ABSOLUTELY FABULOUS : LE FILM –

27 Nov

Déjà pendant la saison 5, le ver était dans le fruit, avec ces intermèdes musicaux immondes et irrécupérables, à quelque degré que ce soit. Après son achèvement officiel en 2003, la série Absolutely Fabulous continuait de vivoter via des ‘hors-saison’ (pour ne pas dire hors-série ?) douteux ; la seconde vague de ces derniers (en 2012) préparait le terrain à un grand retour. Il fallait s’arrêter depuis longtemps, autrement dit accepter de se ranger, finir avec les archives en espérant l’indulgence, ou même l’enthousiasme. Fin 2016, Absolutely fabulous the movie vient salir ce petit édifice et s’affale aux niveau de ces nombreuses suites piteuses de gros filons old-school : Patsy et Edina font leurs Bronzés 3. Peut-être qu’on ne peut pas, tout simplement, rejouer le même numéro éternellement ; surtout si le mépris ou la connivence sont plus cultivés que la sympathie, le respect même paradoxal (pour un crétin génial ou une ordure sublime par exemple).

La série était taillée pour les gens fatigués (physiquement), les alcooliques, homos, puis les gens dans l’amour/haine (ou juste un des deux) envers la dignité humaine, ou les fantasmes libéraux-libertaires/libertaires mondains. Le film s’adresse davantage aux enfants entourés par la grossièreté des ‘rupeints’, croulant sous la fiente des branleurs bling-bling – éventuellement en l’aimant tendrement. Pour le reste, il peut compter sur les vieux nostalgiques, les obsédés du ‘mauvais goût’ et les dionysiaques beaufs-urbains et vaguement à jour ; s’ils sont complaisants – et il y en aura toujours. D’ailleurs le principal argument du film est d’actualiser le filon, en adéquation avec la volonté éternelle de Patsy et surtout d’Edina ; en dérapant donc avec elles. Le risque pour les concepteurs de devenir ce qu’ils portaient à l’écran, sans plus aucun recul, était là depuis le départ ; l’enthousiasme et la connivence ont bouffé l’intelligence et l’éclat d’AbFab. C’est un film à caméos présumés appétissants, comme en atteste toute l’emphase à l’égard de Kate Moss. Patsy & Edi se mettent au goût déplorable du jour, avec un grotesque involontaire même lorsqu’elles se frottent à l’élite des prescripteurs de la mode ; et le film est au niveau, avec cette esthétique chic dégueulasse, ce minimalisme ‘en théorie’ défiguré et pollué par chaque bouts. Jennifer Saunders ne joue pas du décalage entre le côté fringant high-tech et les bouffonneries repassées. Elle capitalise sur quelques excentricités, des inadaptations renvoyant aux ADN dépassées des deux démons, avec un minimum de valeur ajoutée en terme de gags et une régression pour les caractères.

Les tendances antisociales de Patsy sont presque passées sous silence (ce qui est défendable d’un point de vue ‘réaliste’). Le personnage perd quasiment tout son intérêt, ses côtés déglingués, ou même ses petites faussetés étant fades en eux-mêmes – d’ailleurs ils s’estompent eux aussi. Sans surprise, c’est Edina qui résiste à l’usure : moins délirante, plus sensible, elle a le tort de ne pas être rendue volontairement pathétique. Ce qui l’est chez le tandem, c’est cet effacement, banal et médiocre, ne traînant rien de tragique, presque rien de pittoresque ou de comique. Il n’y a plus ce côté ‘épais’, ce semblant d’impulsivité un peu magique ; Patsy et Edina se perdent dans l’horizon post-moderne, après avoir exulté dans leurs cocons entre deux razzias brutales et démonstrations publiques d’hystériques. L’emballage est féminin, voisin de celui de Fleur du désert. Voici l’échec du glamour et des rêveries hype, le triomphe du glaire de mégère bling-bling cynique n’est pas à l’ordre du jour. Patsy & Edi sont de vieux débris tenant bon ; mais où sont les déchets exaltés, où sont les histrions infréquentables ?

En plus le film est peu agressif envers ses cibles ; la série ne l’a jamais trop été, seulement aujourd’hui le portrait est peu porteur ou significatif. Il faut être attentif pour repérer la dérision des mantras politiques post-modernes, ‘l’ouverture culturelle’ tournée au ridicule ; c’est l’objet d’une ou deux scènes, de deux ou trois anecdotes. Il y a bien des miettes valant surtout par leur potentiel (étendues sous le soleil, les vieilles liftées avec toutes le même visage artificiel). Saunders épingle les mouvements grégaires ridicules (paniques, excitations ou bad buzz), dont l’incident-clé (la bourde sur-médiatisée d’Edina, provoquant la fuite à St-Tropez) ; c’est assez drôle et rapidement gâché. On s’éternise à souligner, amplifier ; c’est à se réjouir qu’il y ait si peu d’idées. La virée est cousue d’outrances molles. La nécessité de mentir pour atteindre la grande vie renvoie au français L’Arnacœur, ‘romcom’ autrement efficace, subtile et présomptueuse. Le mariage absurde est une belle tentative de décollage (cette cérémonie sent les dernières heures des Lumières comme de leurs adversaires).

Ce spectacle est trop fainéant et amorphe pour flinguer les vulgarités nanties, ou montrer la médiocrité. Il se vautre juste devant, éventuellement dedans, avec fatigue et en laissant les héroïnes courir, quelquefois gueuler. Le dynamisme n’est plus nécessaire quand on sait être criard ; il y aura peu ou pas d’ennui (‘ennui’ ou ennui de surface) pour qui se laisse bercer, sauf dans le dernier tiers quand il y a enfin un projet et une résolution. Malgré tout avec juste 1h23 (hors interminable générique) tout ça dure encore trop longtemps. C’est plus décousu qu’un épisode ou quatre à la suite, ça ne met pas le grappin sur un but puissant ou des thèmes de circonstances ; finalement, l’adaptation française avec Josiane Balasko était meilleure. Il y avait de quoi rire, du culot et des performances, au moins on pouvait se réjouir d’un plantage si flamboyant. Mieux vaut un joyeux désastre qu’une débandade proprette ; mieux vaut un échec haut-en-couleur que le renoncement et la corruption.

Note globale 33

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Suggestions…

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (1), Dialogues (2), Son/Musique-BO (1), Esthétique/Mise en scène (1), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (3), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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LE BOUCHER (Chabrol) +

27 Nov

Ce Boucher « touché par la grâce » selon son réalisateur se distingue par une écriture brillante, des paysages et lumières sublimes piochés dans la réalité crue, une intrigue unie et simple, un tandem de caractères riches. Il est centré sur la rencontre de deux solitudes instinctives, renvoie à leurs parts innées et acquises (les affres de la vie personnelle et des demandes publiques). Dans la foulée on trouve une histoire d’amour impossible naturaliste, dont seule l’incongruité et les excès refoulés ou endormis sont d’évidence cinématographiques.

Chabrol met l’accent sur le mode de vie. Nous sommes à la sortie des sixties, dans la ruralité française. Les repères passés et distractions présentes s’accordent bien. C’est le temps où on est encore portés par la confiance dans le progrès, celui en tout cas sur le plan technique a les vertus et les retombées requises pour convaincre. Les locaux et institutions reposent sur de vieux moyens. Ils sont fonctionnels, mais le décalage avec les ressources urbaines ou des grandes communes est souligné. C’est dans ces terres du Périgord [la Dordogne] que la jeune Hélène (Stéphane Audran) est venue se cacher. À l’abri des passions. Conventionnelle et moderne (évasions non-traditionnelles), elle récupère les loisirs et gâteries parisiennes sans être en rupture avec son environnement.

Cette directrice précoce, perméable et actuelle, libérée mais loyale, gardant une apparence lisse, complaisante, plaît au village. Elle tisse des liens avec Paul le boucher, qui a grandi ici et est revenu s’installer. Il parle souvent de son expérience à l’armée et la juge avec sévérité. Ils se découvrent pendant un mariage où ils ont en commun d’être à la périphérie, tout en étant intégrés et appréciés. La mise en scène souligne leur ambivalence, leur aliénation plus ou moins choisie et chérie parce qu’elle est un moindre mal. La tension ne vient pas du suspense lui-même mais de son objet. La crainte la plus forte c’est la fin du doute et l’abolition des authenticités dociles – les masques se devinent, mais ce sont encore des masques, la sécurité demeure. Les émotions sont tranquilles et faciles tant que leurs valeurs restent confidentielles, auprès des pulsions refoulées (et déguisées pour parader en plein jour).

Le Boucher est un exemple remarquable de film où beaucoup se vit en hors-champ, parce que les protagonistes se voilent, très peu pour des raisons de tactique (même si Chabrol sait cultiver l’attente et l’ambiguïté pour assurer, aussi, le divertissement d’un policier réussi). La fin propose un cote à cote singulier, un plongeon désabusé et brave en plein cauchemar. La musique du compositeur Pierre Jansen (affecté à une trentaine de films de Chabrol, qui a peu varié ses collaborateurs en 49 ans de carrière) encourage le soupçon, insinue une distance abstraite. Elle tire vers le large cette puissance ‘noire’ et sensorielle, terre-à-terre et assiégée par les vapeurs psychiques. Le réalisme du film est complété par une intelligence émotionnelle et viscérale ; il transmet un ressenti lugubre, mais serein, cousin de ce que Chabrol travaillera pour Alice ou la dernière fugue (1976), son unique incursion dans le fantastique et plus généralement dans la fantaisie pure.

Le fond d’ignorance, sauf bestiale, de Paul n’a jamais fait aucun doute y compris pour lui-même. Le Boucher renforce l’image insinuée par Que la bête meure sorti l’année d’avant, avec Jean Yanne en bête immonde ; ce chabrol-là se frottait à davantage de complications, multipliait les caractères difficilement défendables (ou corrompus à mesure), avec une tendance à la manipulation (et un semblant de mystère) décuplée. Comme en attestera plus tard La Cérémonie (avec Isabelle Huppert, l’actrice fétiche, dans un contre-emploi pourtant cohérent), Chabrol s’envole lorsqu’il s’agit de prendre en charge des monstres, les considérer avec intelligence, les voir de près sans goût du sensationnel ou du mensonge, avec une empathie pratique et peut-être de la compassion, mais plus laconique et cérébrale. Anecdote pour les fétichistes : dans un petit rôle (l’inspecteur) on retrouve Roger Rudel, doubleur attitré de Kirk Douglas pour les francophones (il a également prêté sa voix à Sinatra et Fred Astaire).

Note globale 84

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Suggestions… Nous ne vieillirons pas ensemble + Le Corbeau

Scénario/Écriture (4), Casting/Personnages (4), Dialogues (5), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

Passage de 83 à 84 avec la mise à jour de 2018.

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LE VENT SE LÈVE (Loach) =+

27 Nov

Habitué à représenter les opprimés (Family Life), ouvriers (Kes) et exclus (Sweet Sixteen), Ken Loach ne s’arrête pas aux généralités ou aux temps qui courent. Il a porté à l’écran plusieurs cas historiques. The Wind that shakes the barley (‘le vent qui agite l’orage’ traduit en français par ‘Le Vent se lève’) évoque les débuts de la guerre civile irlandaise et de l’IRA, dans les années 1920, prolongeant une guerre d’indépendance partiellement remportée par les irlandais. Ce film a de nombreux points communs avec Land of Freedom, sur la révolution sociale en Catalogne de 1936.

Onze ans après Loach prête toujours beaucoup d’attention aux séquences de débats intenses et décisives. Les joutes idéologiques ou esthétiques sont inclues mais ne peuvent être gratuite. Dans les deux cas surtout, il s’agit d’affrontement dans le même bloc : les deux gauches dans Land of Freedom, les deux branches autonomistes dans Wind that shakes the barley ; avec des radicaux, révolutionnaires contre des déviants, dans la compromission avec l’ennemi au point d’en devenir de nouveaux encore plus féroces et carrément absurdes. Le conflit entre les attachements individuels et l’engagement collectif est aussi traité dans la foulée.

L’émotion n’est cependant pas le fort du film, bien trop maladroit et simpliste lorsqu’il cherche à parler la langue des sentiments, voire celle des relations humaines. L’attrait du film est là où il a mis son intelligence : décrire la charge pesant sur les épaules des acteurs de l’Histoire, les contradictions et les impasses auxquelles ils se heurtent, le vertige des troupes même armées ou sur-motivées face à des forces historiques, matérielles et structurelles prêtes à les dévorer crues ; malgré l’hypocrisie, la corruption ou la désuétude de leurs bases. Sur ce dernier point la boussole révolutionnaire se ressent et donne une couleur particulière à ce qui pourrait être tragique, désespérant et demeure héroïque.

Les démêlées politiques face aux adversaires étrangers sont assez pauvres et toute la première partie du film est pourrie par le manichéisme. Le parti des opposants puristes, ceux de l’IRA après 1922 (dont le personnage joué par Cillian Murphy), est la ligne choisie par le film et ses organisateurs. Une préférence pas sans conscience : on sait apprécier les divers points de vue, envisager les partisans du traité comme des égaux éloignés ; mais également être ironique et à l’occasion, envisager l’existence des ‘non-alignés’, ce bord toujours contrariant du simple peuple qui ne peut s’abonner aux aventures. La première Palme d’Or cannoise de Ken Loach tient par son contenu et son propos : les choix esthétiques sont négligents (intérêt minime pour les paysages, les lumières), le sujet et son traitement ‘entier’ travestissent un rythme mou et des peintures superficielles.

De plus Le Vent se lève est engagé bien au-delà du fait de montrer (les fautes passées des voisins anglais), ramenant à la primauté de la lutte des classes sur toutes les autres. L’émancipation d’un pays ne vaudrait que par là, sans quoi il ne s’agirait que de reproduire les mêmes schémas en changeant les noms, voire en devenant une succursale des impérialistes. Haro sur le nationalisme bourgeois des nouveaux notables (et en passant sur les institutions éternellement complaisantes comme le serait l’Église catholique) – l’aspect fantoche de ce nationalisme, pour lui-même, ne suscite pas d’intérêt. Il faut consulter Le Vent se lève comme une tribune passant par la fiction et non une compilation rigoureuse de faits.

Note globale 61

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Suggestions… Le Vent se Lève (2014) + Wilderness

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (1), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

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