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ROCCO ET SES FRÈRES +

10 Nov

Très grossièrement, l’œuvre de Luchino Visconti peut être illustrée par deux pôles : le néo-réalisme où les catégories populaires sont au centre (Ossessione et La terra trema sont engagés sur ce versant), les films centrés sur des aristocrates et leur univers (Ludwig ou Violence et passion). La principale différence entre les deux est dans le rapport au temps : pour le premier cas, les ordonnancements de la société, de l’actualité, s’imposent et définissent la marche ; dans le second, l’autonomie à cet égard est plus grande, peut même devenir mortifère. Dans tous les cas, Visconti dresse un tableau d’ensemble où les trajectoires individuelles, si romanesques ou repliées soit-elles, sont attachées à un destin communautaire. Mort à Venise n’y échappe pas mais se distingue par l’exacerbation du drame privé (et la suppression de toute conscience sociale, venue de la subjectivité du protagoniste, enfermé dans sa maladie et ses conflits).

Rocco et ses frères est l’ultime balise du néo-réalisme par Visconti et précède le monolithique Guépard (1963), où l’aristocratie fataliste subit la bourgeoisie famélique et enthousiaste. Il raconte la désunion d’une fratrie partie la fleur au fusil chercher une merveille vie à Milan. C’est l’après-guerre, le temps de l’américanisation, le début de l’affaissement des traditions et surtout des modèles familiaux communautaires. Chacun connaît des succès relatifs et des échecs solides ; ils livrent leurs corps à l’exploitation (la boxe ou la prostitution), les plus malins ou corruptibles trouvent des combines pour se faire de l’argent pour mieux vivoter ou espérer. Ils se retrouvent mais pour s’ausculter superficiellement, ou pire se mesurer en adversaires ingrats. Les écumes de foi et de loi ne comptent que si vraiment il y a le feu, encore que celui-ci puisse en pousser à tout tenter. Le gâchis de la réunion finale, à l’occasion d’une grande fête, pousse cette corruption à son stade ultime, se liquidant elle-même en emportant la facilité et la douceur d’avant. Un nouvel horizon s’ouvre, alors que la ‘mama’ a depuis longtemps perdu la face. Rosaria (Katína Paxinoú) est la matriarche passant hors-jeu, gueulant mais ne décidant rien, tenant ses petits par la sympathie et le devoir, non par la force ou la morale. Lorsqu’elle fait part de ses regrets, de son envie, elle rejoint à son étage l’éclatement à l’œuvre, qui lui n’a pas besoin de ses services et d’ailleurs se profile loin d’elle.

Les quatre frères (et le petit Luca) ont chacun leur chapitre mais concrètement les cas de Simone et Rocco aspirent l’ensemble. L’opposition entre les deux est le nœud gordien. Simone est le vilain canard, joué par Renato Salvatori (abonné aux rôles de petit loup romantique). Il se sent rabaissé par Nadia (Annie Girardot – Roger Hanin est l’autre agitateur [de destins] français au générique), dont il devine le dégoût à son encontre ; et dont la grossièreté libérée heurte sa brutalité éruptive. Perpétuel fautif, Simone joue sa carte contre Rocco et contre beaucoup de choses ; Rocco prend des coups, accepte et pardonne. L’hostilité ne vient jamais de lui et ne l’abat en aucune circonstance, ne lui laisse de traces. Il garde l’air propre et dégagé, tout en étant radicalement concerné. Alain Delon (dont la carrière venait d’exploser grâce à Plein Soleil) campe ce personnage angélique, qui semble presque imbécile au départ. Secoué, il déballe de grands mots, de beaux élans et son sens profond du dévouement. Il semble un peu fragile, est peu réactif, s’affirme à contre-temps et ressemble finalement à un saint civil.

Mais ce genre d’individu n’a pas sa place dans un panier de crabes, à moins de s’impliquer un peu férocement. Rocco est un vertueux mais un salaud par omission. Il semble flotter au-dessus des basses affaires, marcher à côté du monde sur lequel il pose un regard tendre et indulgent ; il a tout du héros, sauf l’attachement brut et le courage ‘qui se voit’. Les deux femmes de sa vie louent sa pureté mais elle est au prix d’une culpabilité intense, le poussant à réparer les erreurs des autres, ou connaître la gloire qu’ils convoitaient (c’est le cadeau de cette tendance, qu’ironiquement il ne savourera pas comme tel). L’attitude de Rocco ne suffit pas à épargner la fratrie mais elle en sauve l’honneur et lui permet in fine de s’intégrer au nouveau monde, de marquer des points en terme de reconnaissance sociale. Par là s’entretient un semblant de cohésion, une unité vague et symbolique après être passés près de l’apocalypse familial – et d’en rester marqués et ‘vidés’ probablement à jamais, mais d’autant plus libres d’embrasser ou de fuir les promesses de l’avenir. Le film fut salué à la Mostra mais connu des démêlées avec la censure, à cause de deux scènes cruelles (le passage du pont et le laisser-aller doublement coupable).

Note globale 78

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Suggestions…

Scénario & Écriture (4), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (4), Ambition (5), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

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EMBRASSE-MOI IDIOT / A FOOL THERE WAS (1915) =-

10 Nov

Tiré d’une pièce de Porter Emerson Browne produite en 1909, A Fool There Was marque l’origine de la vamp, notion cristallisant les ébauches du stéréotype de la ‘femme fatale’ au cinéma. C’est également le premier grand succès pour Theda Bara et l’un de seuls films conservés où ce ‘sex symbol’ apparaît. Le film est tourné par Frank Powell, qui se lança comme acteur chez Griffith et réalisateur dès 1909, avec la seconde activité l’emportant rapidement sur la première. Il est l’auteur de centaines de courts, la plupart eux aussi perdus ou peu accessibles. Raoul Walsh, qui la même année livre une figure pionnière du film de gangsters (Regeneration) est également passé chez Griffith avant de passer derrière la caméra.

Bara fait languir sa proie, la dépouille et l’entraîne vers sa mort. Elle est méprisante, égocentrique, mais sait titiller ses appétits. Le comment et le pourquoi manquent au moins d’éclat. John Schuyler ‘the fool’ (Edward José) semble juste penaud, au mieux éploré ; elle se montre hautaine ou colérique ; tout ce qui se distingue sont ses cajoleries lorsqu’il riposte enfin. Bara ‘the vamp’ est presque toujours en train de lui crier dessus ou le rabaisser, quand elle ne se contente pas de le commander. La dimension séductrice se voit peu, ce qui serait susceptible d’envoûter monsieur chez une telle harpie se voit pas. Dans tous les cas cette performance et ce personnage sont à l’opposé du parti-pris de Lois Weber (co-réalisatrice de Suspense) au travers de son Hypocrites sorti quasiment le même jour (en janvier 1915), celui-ci versant dans le féminisme et le politique quand A Fool joue avec les fantasmes et préfère le romanesque.

Rien de spécial côté mise en scène en terme de trucages ou de techniques, hormis quelques cut-caméra (radicalement basique donc). Au bénéfice du film : la qualité des costumes, la variété de décors jouissant d’une certaine ‘ampleur’ par rapport à la moyenne de l’époque. Aucun goût particulier n’est mis en avant, une poignée de plans de Bara se détache néanmoins comme celui avec le hublot, mais le film est trop trivialement quoique prudemment sensualiste pour remuer de lui-même l’imagination. Un symbolisme du mal puéril et abondant (mode Cruella censément charmeur et franchement plus bas – façons de nouvelle bourgeoise mesquine) le meuble plus qu’il ne le travaille. Les intertitres, tirés du poème The Vampire de Rudyard Kipling à l’origine de cet univers, apportent un peu d’esprit.

Le film est répétitif, son développement lent et minimaliste, malgré l’agitation de surface mixée avec une tendance extatique aux vertus improbables. Il y a par exemple cette scène où le couple est affalé chacun de son côté dans un plan d’ensemble, avec Bara s’étirant mollement de temps à autres. Ce rare opus conservé le serait-il confusément ? Ou bien valait-il mieux laisser certaines choses s’égarer ? La carrière de Bara s’effondrera lorsqu’elle prendra ses distances avec son archétype, la laissant s’effacer auprès d’un mari hostile à la poursuite de sa carrière. Avant de s’évaporer Bera imprimera sa marque dans des films comme Cleopatra ou Salomé.

Note globale 39

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Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (4), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (1)

Note ajustée de 39 à 38 suite aux modifications de la grille de notation.

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MERCI PATRON ! –

10 Nov

Avec ce film qui aurait contribué à l’éclosion du mouvement Nuit Debout (avril 2016), François Ruffin estime attaquer l’oligarchie. Elle est représentée par Bernard Arnault, 14e fortune mondiale et seconde de France. Merci patron ! se pose comme un documentaire en mode ‘journal de bord’ et présente au public une opération en faveur du couple Klur, au chômage et endetté depuis la délocalisation de l’usine LVMH où ils travaillaient. Ruffin, un délégué CGT, un inspecteur des impôts et d’autres se lancent dans un jeu de dupes en leur faveur, en obtenant à terme des dommages pour les torts causés au Klur, de la part de Bernard Arnault.

Arnault n’a pas tenu ses engagements en choisissant Dior au détriment de ses autres boîtes. Les Klur vivent une situation difficile et probablement injuste. Pour le reste tout dans ce film est affaire d’opinions. Sa charge est étriquée et la notion de capitalisme de connivence n’est qu’effleurée. Il n’y a aucune considération pour le défaut de rentabilité, qui met en question Arnault et ses stratégies, mais aussi les aptitudes humaines, sans oublier le système économique et politique (qui lui est déjà abondamment discuté ailleurs) ; dire que c’est mal ne répond ni aux nécessités ni aux défis économiques. Cela ne pourvoit personne et ne fait que flatter des victimes. Dans Merci patron !, on ne fait que manger ou gratter dans la main sur laquelle on crache Il existe beaucoup de gens dépassés, paumés, hagards devant la réalité, ils ne l’ont pas nécessairement choisi ou mérité ; souvent il ne leur vient même pas l’idée de se battre ; mais celle de s’agiter, se plaindre, un peu, éventuellement, laconiquement. En pure perte ou pour se casser au pire. Ces gens-là forment le principal de la foule de Merci patron et c’est un de leurs malheurs, face auxquels ils peuvent être largement démunis. Avec la méthode, puis surtout la mentalité et l’optique valorisées ici, ils pourront obtenir des compensations. Ils resteront sûrement des esclaves. Au maximum, ils deviendront de grands enfants turbulents engagés ‘définitivement’ sur la pente de la régression.

François Ruffin, qui se met beaucoup en avant et va jusqu’à raconter sa vie par le détail, a au moins la vertu d’être clair en terme de projet et de convictions. Il s’affiche tel un homme sans qualité, sans idéal ni illusions, mais est encore travaillé par un peu d’orgueil apparemment ; alors il surfe sur le ressentiment des autres et reste médiocre. Le film est peinturluré avec son ironie à deux balles de type hostile fuyant la confrontation et l’honnêteté, sous prétexte que les dés sont pipés ; mais cette posture passive-agressive n’est qu’une protection pour se faire plaisir, elle rabaisse son auteur, gâche la qualité et l’intelligence d’une lutte. La jalousie par rapport au mode de vie d’Arnault est affichée de façon détournée mais, lorsqu’on prend un peu de recul sur le film, elle apparaît catégorique et pachydermique, obsessionnelle ; décidément, on est bien ici pour rester des soumis-revendicateurs. Le film, par son sujet, sa forme, sa conception, n’apporte aucune valeur ajoutée (ou le minimum possible) et c’est malheureusement cohérent avec ce qu’il porte. C’est aligné sur l’attitude constante de Ruffin : celle d’un nihiliste narquois, produisant avec peine et négligence quand ça lui arrive ; toxique et désinvolte sauf pour accomplir le numéro et la mission associée sur lequel a jeté son dévolu.

Quand il n’est pas à fond sur le projet contre LVHM, le film laisse se proliférer de scènes de parlotte, même pas ‘de vie’ ; quelquefois Ruffin se met en scène au sens le plus symbolique, notamment lorsqu’il confond son image de père ‘actif/social’ avec celle de Robin des bois. Les détails bâclés se multiplient, les enchaînements se font à base de gadgets décoratifs hideux même lorsqu’ils n’étaient pas primitifs, la mise en scène ressemble à un reportage de chaîne Youtube ; mais on s’en fout ! Car on a tous les droits ! Voilà donc ce qu’il faut faire de son droit d’exister, de s’exprimer, de créer : une bouillie aigrie, libérée, même pas rageuse, juste imbue de sa bassesse. L’attitude de Ruffin est à ce niveau : il insiste pour aller semer instant de zizanie lors des présentations pour actionnaires afin de marquer le coup. Au mieux c’est vain, au pire c’est compromettant : sauf si le principe de se manifester, d’être ou de poser une gêne passagère est ressenti comme fondamental, c’est donc débile. Mais ainsi Ruffin a capturé son truc, « le dialogue social » c’est bidon voyez-vous : vous avez la preuve et lui a son trophée.

En se plaçant dans l’action l’opération et le film ont tout de même des vertus positives. Il y a bien un plan, une suggestion et une préférence pour le volontarisme. Ils revalorisent la logique syndicale partant du bas, appelant à se ‘réveiller’ (même si c’est pour prendre ensemble et non faire ou apprendre à pouvoir compter sur soi). D’un point de vue pragmatique et au mépris de tout ‘jugement’, passer par ce cas individuel pour défendre le collectif a du potentiel. Ruffin place effectivement un « cheval de Troie », qui peut rester lettre morte mais contient un signal. Cela suggère que le géant, s’il n’a pas des pieds d’argile, peut au moins trembler pour commencer. Enfin, concrètement, eux (les gens du film) et ‘nous’ en restons là. Savourons notre victoire ! Mais c’est une peccadille présentée comme une belle bataille conséquente. Ce manège est politiquement stérile, sauf pour la proposition de monter escroqueries ou de faire des ‘coups’. On est toujours dans la logique de l’infirmière (comme l’ensemble de la classe politique, quelque soit l’hypocrisie) et en même temps, dans une attitude nocive, qui ne consiste qu’à arracher, reproduire circuits où on se plaint. Les barons voleurs sont des pourris et ce genre ‘d’agitateurs’ des braves baudruches ; leur pire est double, c’est le poil à gratter un peu planqué, ou la démolition tyrannique avec affinités puantes (apparemment pas pour Ruffin au rayon gauchismes d’avant-garde et trotskysmes ; mais sa fibre anti-intellectuelle et certaines de ses fiertés ne présagent rien de mieux).

La façon dont Ruffin et son groupe obtiennent gain de cause, avec la rétribution et les ‘fautes’ des conseillers d’Arnault, devraient plutôt inviter à se remettre en question : et si l’adversaire n’était pas en train d’éteindre le feu ? Car ainsi la mauvaise pub retombe comme un soufflé et ne touchera qu’un noyau dur de révoltés ou d’observateurs ; une demi-faute assumée a moins de retentissement qu’une manigance qu’on chercherait manifestement à planquer. D’ailleurs Ruffin se leurre complètement en croyant que son journal périphérique (Fakir) est pris comme une menace (et les autres titres, tel Le Monde, sauraient banaliser l’affaire s’ils en parlaient, ou en faire une caution au mieux – mais ce sera davantage à l’ordre du jour en 2017 qu’en 2016). Sauf informations confidentielles renversantes dans les tiroirs, comme la détention de secrets avec lesquels ils feraient chanter Arnault ; dans ce cas il faut simplement voir à quoi cet atout est employé et là, cette complaisance dans la farce devient embarrassante.

Ces ruminations ne sont pas seulement stériles mais régressives. Oui la vie est dure et pleine de salauds ; à quoi sert de s’y attacher ? Pourquoi pas poursuivre ailleurs ? Une femme reconnaît à un moment qu’elle a trouvé un meilleur emploi après la fermeture de l’usine, vit mieux ; mais non, elle aimait son usine, « on était un peu exploités mais » en gros : c’était pas si mal et puis on avait pas trop d’ambitions ! Mais là est-ce que le patron voyou est encore responsable ? Il est co-responsable de l’entretien de cette mentalité d’esclave ; mais qu’attendons-nous alors ? Que ce soit lui, ou une autre lumière, ou un bon père ou samaritain, qui vienne nous entretenir dans une précarité honnête et confortable, avec courtoisie ? En se laissant gueuler dessus pendant les heures de pauses ou de loisirs, puis en comptant sur nos services loyaux, fatigués et résignés ; mais bassement gratifiants car la tâche n’est pas menaçante, laisse végéter tout notre être pendant que nos petites mains s’activent et que des réflexes de bêtes s’installent ? Le parasitisme de gauche se nourrit de l’abattement populaire, comme toutes les autres forces politiques ; qu’elles le veuillent ou non, qu’elles rêvent ou préparent l’avenir, ou s’en fichent éperdument.

À côté, Pierre Carles est un génie (au demeurant ce n’est pas un abruti) ; forçant un peu trop sur le constat de son impuissance (Pas pu pas pris, Fin de concession). Et pour de l’ironie autrement salée : Elice Lucet sur le service public (Cash Investigation) est infiniment plus subversive, face aux ‘pouvoirs’ et aux abus, sans faire la maline avec la loi (avec une tendance à l’omission cependant). Car c’est là-dessus qu’est la charge et la haine du film ; et là que se passe l’essentiel pour ses troupes ‘pensantes’ et engagées probablement. La loi et la nécessité, celle de créer par exemple, condition indispensable à un monde vivable, lequel est un pré-requis à tous les mondes meilleurs. Enfin pas de panique, ce n’est pas au programme : la mission c’est d’emmerder les grands et récupérer un peu de leurs rentes. Attention cependant : une fois les ennemis abattus, le drame se transformerait en comédie épouvantable. Heureusement, les ennemis sont trop forts (ou sinon, trop plein de ressources), tout ce qu’ils peuvent faire c’est des concessions et rester nos diables. Tout ça roule donc, même si c’est la phase lamentable d’un système où il faut tenir et nourrir les ouailles.

Note globale 28

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Suggestions…

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (-), Dialogues (3), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (1), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (1), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

Note ajustée de 31 à 30, puis à 28 suite aux modifications de la grille de notation.

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GREEN ROOM =+

10 Nov

Sous-survival existentialiste, avançant comme un thriller violent sous les oripeaux du teen-movie horrifique. Le troisième long de Jérémy Saulnier, réalisateur de Blue Ruin (2014), couvre un cinéma de genre teigneux et crasseux avec son style raffiné. Il semble s’installer entre les repères sans vouloir créer du neuf, refuse la fange du divertissement barbaque et brutal mais en évitant toute forme de complexité rasante. En résulte une jolie cohérence interne (soutenu par une organisation très rigoureuse) assortie d’un manque d’intensité (les enjeux comme sabrés le garantissent) et de personnages ‘décalés’ bien que crédibles dans leurs costumes (Patrick Stewart en leader cruel, sorte de fonctionnaire blasé prenant en charge ses skinheads).

Le film joue avec le surplace (sciemment et vigoureusement, pas par faiblesse). Les musiciens punk restent planqués puis reviennent dans la pièce au lieu de saisir les opportunités. Est-ce une guerre des nerfs ? Non, ils s’épuisent, gesticulent ; les autres en face (la fédération néo-nazie) sont en état de crise, mais calmes et organisés. Eux qui s’angoissent en viennent à philosopher ; quand la violence aura raison de tous, ces élans-là, ces diversions, perdront de leur valeur ; mais il n’y aura plus qu’un ou une survivant(e) aigri(e) pour le réaliser. Ironiquement la séance a des allures de long fleuve grave mais stable, à défaut d’être tranquille. Lorsque les pulsions éclatent, c’est la baston et le gore ; sinon, chacun dans ses tranchées, à entretenir ses armes, cohabiter avec sa tribu et son ego ‘fini’. Green Room est une belle coquille absurde, avec ses ralentis lyriques, contemplatifs face à la Nature ou en contrepoint devant la crasse, puis sa préférence pour le réalisme ‘clean’ en général.

Comme pour Blue Ruin, les décrocheurs sont à l’honneur ; avec un côté paradoxalement lisse qui naît de cette séparation et de la proximité à un certain ‘vide’. La mise en scène, originale, éthérée, donne l’impression d’être un peu loin de toute cette violence mais pourtant en train de l’accueillir. La sève de cette violence, dans ce qu’elle a de subjectif mais aussi prosaïquement de sensationnel, est comme négligée ; on la laisse jaillir et s’éteindre. Elle détruit des hommes et même la surface du monde est à peine perturbée. Ces gens sont tous un peu cons, ou des morceaux sans grand poids, sans ‘vérité’, que des masses subjectives, des imbéciles assertifs mais dans les marges. Là où le monde paraît ‘épuré’, dur. Green Room n’est pas passionnant, mais il interpelle avec son point de vue externe, zéro ; il propose une vue divine sans ‘regard’. Cela donne un objet creux et sophistiqué, mais avec sa ‘morale’.

Note globale 58

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Suggestions… It Follows 

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (2), Dialogues (2), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (3)

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MA LOUTE =-

10 Nov

Vous passez votre temps à vous convaincre que chacun a ses raisons, que tout est le plus normal possible dans le plus légitime ou logique des mondes. C’est bien lourd et quelquefois vous avez des moments de faiblesses : par exemple, ces moments où vous vous mettez à parodier une image, un style, qui meublait l’arrière-fond de votre système de représentations, en perdant tout recul ou jugement. Même votre conscience aurait des doutes sur certaines de vos private joke, d’ailleurs elle a préféré s’éteindre (au mieux, se faire remplacer par une autre). Ces petites plages de sénilité précoce préparent doucement le pétage de plombs qui bientôt fera fondre votre cerveau et buguer votre âme durablement. Voilà une situation comparable à ce processus amenant les éternels humiliés à réaliser, au comble des lamentations, qu’ils sont les élus de quelque divinité ; toutes ces épreuves avaient du sens et maintenant que tout est compris, la brave victime va pouvoir entrer dans un délire en boucle, totalement patraque et monstrueux, mais sûr de lui-même.

L’état général du peuple de Ma Loute, c’est celui-là, sauf qu’il est inné. Les pêcheurs et quelques gens de la terre (ou plutôt de la mer) font exception, voient le monde tel qu’il se donne et font avec – ce qui ne suffit pas à relever leur niveau et encore moins leur humanité. Le reste est totalement déglingué. On déboule avec son lourd passif génétique et son corps-fardaud. Luchini bat des records avec ses allures dégingandées et son phrasé chaloupé. Fin de course et de race pour les nobles consanguins pantelants et hautains. Il faut bien un ange pour s’en tirer. Le gros des Laurel & Hardy roule et boule au lieu de résoudre le mystère des disparitions. Personne n’est en mesure de trouver des solutions et en dernière instance on sera toujours aussi égaré, il faudra simplement se faire les petites congratulations et les rituels de vainqueurs épanouis ; les apparences il n’y a que ça qu’on puisse espérer maîtriser. Les corps sont déglingués, faux, menteurs, fuyants, le petit monde est sur le fil entre le consenti et le refoulé. Le regard du film semble celui d’un survivant à la fin des illusions, cynique et compatissant, repus par ce sinistre et finalement bien avec soi, ou alors oublieux.

Passé à la mode avec la série P’tit Quinquin, Bruno Dumont (La vie de Jésus) se lâche, de façon autre, régressive mais sophistiquée. ‘En roue libre’ systématisé. Il n’y aura pas tellement de progression, des enjeux rachitiques ; des ‘perdus’ traversent une séance déserte en somme. Voilà une Humanité échouée ; ou plutôt, on s’isole pour décliner le même sketch sur deux heures, dans un coin penaud et tranquille, adéquat pour rester dans un autisme en réseau sans être interrompu et donc remis en question. Dans cette jolie presqu’île, aucune intimité n’est admise, pas de plans rapprochés ou ‘gros’ : admirons ces fous dans leur aquarium ! Ils sont heureux comme des humains à la cervelle fondue qui auraient gardé le reste de leurs habilités – les motrices et des restes de capacité d’élocution. À l’aise comme des poissons sur terre, mais ça ne dérange personne. La séance est très lente, entretient ses rimes unilatérales. Elle rebondit sur les mêmes gags et repose sur des jeux outranciers (Luchini en croulant radical, Binoche en hystérique sentant venir la grande éclipse). La matière psychique est sapée, désintégrée, il n’y a de fond et de caractère que soigneusement dégénéré. On veut juste des surfaces grotesques et gâteuses, en train de déambuler. Ça fera de superbes micro-séquences à reprendre ; des tronches, des instants, tableaux bouffons en mille variations à reproduire en gifs.

Ma Loute est délibérément insipide et perfectionniste. Il s’attache à une grossièreté minimaliste mais ‘zoomée/dupliquée’, en semblant dégagé par rapport à ces réalités émotionnelles, tout en étant obsédé au plus haut degré par toute cette imbécillité. Il ne fait que relancer (quelques excentricités imprévisibles sur la fin, ou rafraîchissant le circuit – temps de la cérémonie religieuse) ; on rit à nouveau de quelques simagrées, une fois qu’on a finit d’être lassé ; puis c’est reparti pour l’immobilisme masqué mais revendiqué dans l’allégresse. La connivence avec des représentations médiocres, ressorts vulgaires et vieillots, déporte vers une mouise supplémentaire la pantalonnade raffinée. Son originalité est ambiguë pour les mêmes raisons, mais ne sera jamais compromise grâce au culot dément. Mais la monomanie ne pourra jamais porter de grands fruits dans ces circonstances. L’écriture est problématique ; la fainéantise dans les dialogues et l’expression verbale en général est éclatante (se justifier ne change rien au résultat). C’est que tout le travail est mis sur les sons et les attitudes. Les détails d’ambiance sont exagérés à fond, pour un résultat voisinant le burlesque. Le cadre, compris dans tous les sens du terme et du spectacle (Typhonium de Wessant, esthétique Belle Époque), offre la seule valeur ajoutée tenant debout et fort face au chaos délabré et rétracté étalé sur le néant.

Note globale 52

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Suggestions…

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (1), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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