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I AM NOT A SERIAL KILLER (2016) =-

2 Nov

Dans le cinéma d’horreur, ou à proximité, se développe depuis quelques années toute une mouvance de films utilisant les mêmes recettes, baladant des bagages et prétentions similaires. Ils installent un climat pesant, rappellent sans cesse par le verbe leur bizarrerie, se plaisent à flotter près du vide pour laisser le spectateur frétiller, jettent de pauvres remarques à teneur ‘psy’ sur lesquelles on pourra broder sans fin. Ces façons ne s’expriment pas de façon uniforme et affectent aussi des films plus ouvertement posés, surtout des portraits esthétisants ; We need to talk about Kevin et Found (avec Gavin Brown) sont proches de ces manières sans s’interdire l’excellence et surtout, en ayant des cibles qu’ils cherchent à élucider.

Au contraire, I am not a serial killer (de Billy O’Brien, connu pour Isolation et sinon réalisateur de séries B ignorées) rejoint la longue liste des ineptes de cette catégorie foutoir précieuse et stupide, en pratiquant la mystification et le naturalisme bâtard (et ‘posé’) à fond. L’anti-héros du titre est un jeune crétin qui, parce qu’il a de fortes pulsions et est égocentrique se prend pour un dangereux prédateur ; et un mec qui ferait des efforts pour se fondre dans le lot commun. Malgré ce recul sur soi et cette prévention insolite, la vocation le rattrape ; les meurtres se succèdent dans le quartier. La sauce va monter autour d’une confrontation entre sociopathes : sur ce plan c’est une misère le jour et une boue la nuit. L’essentiel de la relation consiste à se deviner, la prise de contact se résume à menacer l’autre de le tuer. La compétition entre le vieil expert caché et l’aspirant refoulé n’aura pas lieu, sinon pour un épisode laconique de guerre de nerfs sous tranxène, bien que filmé avec toute la gravité qu’on puisse trouver.

I am not a serial killer louvoie sans avoir de réserves, sinon son issue fantastique totalement impromptue. L’ironie est omniprésente, en demi-teinte, car il s’agit de sonner ‘ambigu’ : l’humour se veut cynique mais ne mord jamais, rien ni personne n’est jamais entamé. La mise en scène ne fait qu’imiter la distance froide de John Cleaver, parfois en basculant un peu dans l’admiration béate de sa badassité cependant regrettable (comprendre : elle fait mal au cœur mais c’est fascinant), d’autres fois en laissant quelques mauvaises postures ou des revendications inappropriées induire une once de moquerie à son égard. Le spectateur a le principal en main pour le jugement mais il doit être présumé adorer détester John, ou l’admirer avec embarras ; peut-être s’y retrouver si lui aussi aime mettre en avant ses diagnostics médico-psychologiques et se structurer là-dessus.

Le spectateur peut aussi être hostile à cette espèce de prose pimpante et exsangue. Reste le style, l’entrain décalé pointant par endroits, le très bon casting – acteurs parfois très ‘présents’ (notamment la mère, par Laura Fraser vue dans Breaking Bad) malgré le manque de développement des personnages et leur tenue à l’écart des enjeux. Globalement le film n’aura fait qu’une peinture basique et attendue, enchaînant les exemples de maladresses ‘humaines’, les contretemps et autres démonstrations pédagogiques de ‘l’asocial en action’ ; cela entre des blancs où John savoure son autosuffisance, éprouve un grand besoin de stimulants et est attiré par le sombre. Sur ce terrain le film marque des points, ce qui est déjà un bon substitut à l’approfondissement, d’une âme ou des ténèbres ; sa rage comme unique émotion, tout comme son obsession et sa fierté pour l’étiquette [détenteur des ‘traits des psychopathes’], ouvrent énormément de possibles soigneusement refoulés.

Note globale 39

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Suggestions…

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (1), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (3), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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THE REVENANT (Inarritu 2016) =-

2 Nov

Comme son prédécesseur Birdman, The Revenant d’Inarritu est vendu en fonction d’un parti-pris esthétique radical et de ses conditions de tournage zélées. Et comme les quatre autres longs-métrages de ce réalisateur (d’Amours chiennes à Biutiful), très ouvert à la publicité pour grandes marques par ailleurs, il est très ambitieux. Les décors sont splendides et authentiques, le recours à la lumière naturelle quasi inconditionnel, la photo est à la hauteur de ces atouts remarquables. C’est beaucoup et heureusement, car ici s’arrête la richesse du film. Il y a beaucoup de wallpaper à saisir dans cette affaire et c’est encore plus beau lorsque la caméra se dirige vers le ciel. Sinon c’est aussi costaud qu’une bande-annonce, le rythme en moins, puisque pour faire dans le Tarkovski de masse il faut s’en donner les moyens.

Inarritu accumule les effets qui ne servent qu’à montrer son aisance. C’est très bien pour son propre compte, mais étant déjà installé et rénovant que dalle, cette attitude est assez absurde – si l’objet de l’attention et du jugement est le film ; après tout, peut-être y en a-t-il un autre ? Marquer des points par exemple, fournir les images qui pourront soutenir le chef opérateur et le casting à la remise des prix les plus prestigieux mais aussi les plus hypocrites ? Après tout ce qui compte n’est pas le souffle et encore moins le corps qui le constitue ; ce qui compte c’est les morceaux qui claquent (l’attaque par un ours, en fait par le cascadeur Glenn Ellis, vire rapidement à cet état). DiCaprio imite à merveille le faim, le froid, la peur d’un incident, la peur de mourir, le mécontentement, etc. Amazing, really. Toutes ces démonstrations n’améliorent que rarement la beauté affichée, uniquement plastique ; leur vertu principale étant d’accompagner des sentiments de catalogues. Le centrage sur Fitzgerald et son fils est malvenu car tout ce qui concerne le second est débile. Par contre Tom Hardy (Mad Max Fury Road, Bronson) est le seul bourru charismatique et adéquat dans le lot, ce qui accroche quelques instants.

L’imaginaire est arraché aux ‘fantasmes’ de pub (le registre où il est question de sexe/shampooing), musique est conventionnelle, l’histoire des chasseurs et tout le reste insipide. C’est tellement ripoliné qu’il n’y a plus rien ; une prétendue objectivité morcelée et poseuse ; des mâles qui éructent leurs gueulantes ou des signes de dureté. Les performances sont assénées sur la seule base costumes/singeries ; ce sont juste des acteurs déguisés en aventuriers et ça se voit constamment. Le scénario étant fourni par une ‘histoire vraie’ et un roman assorti (traversée d’Hugh Glass en 1823 et The Revenant : A Novel of Revenge de Michael Punke en 2002), il vaut mieux en tirer et y ajouter le moins possible. Humilité, authenticité, dépouillement, respect théorique des faits : décidément The Revenant porte de grosses valeurs et il sait mettre le chaland au courant. Ironiquement on a tous les recours, les tics et l’habillage sonore familiers et ‘blockbusters’ pour emballer cette posture. Ensuite l’envers de cette belle volonté c’est l’absence de colonne vertébrale en tout ce qui est concerne les humains et le développement du film (personnages, aventures, détails croisés, thèmes ressassés). En revanche The Revenant touche au but dans sa reconstitution originale du temps. Le spectateur est embarqué dans une sorte de course sonnant réel, suivant un fil linéaire qui n’aurait pas conscience de lui-même, étant traversé par des anecdotes ou échappées visuelles ; les frontières habituellement relevées, les repères construits, se sont évaporés. Par là The Revenant impose un climat crédible, dans le sens où il reflète la confrontation à un espace-temps où l’humanité s’est évanouie, tout en étant, en esprit, toujours vivante au loin.

La prestation de DiCaprio sera intéressante pour les quelques moments d’action pure (se soigner, se nourrir, chasser) plutôt que pour ses variétés de sauvagerie et surtout ses souvenirs – ici travailler la densité humaine c’est mettre des flash-backs, ce qui est logique ; mais on est encore dans une intermission, à se détourner du présent, survoler le passé par bouts chéris ou hantant. Cette tentation de verser dans le petit drame de chambre est totalement incongrue. Les bonnes dispositions sont trop molles quand le fond est déjà inerte et insignifiant tel quel. Au final l’expérience est peu significative en plus de rester artificielle. S’il avait des ambitions naturalistes même ‘en passant’, The Revenant est un fiasco ; s’il est censé révéler le passage de l’Homme à son stade animal (et non au stade de l’animal véritable, qui est hors-de-question), c’est une opérette qui s’est trompée sur son identité. Toute ce fatras pseudo ‘instinctif’ pousse à ré-évaluer Essential Killing. Tout le langage du film, sauf pour faire passer la solitude face au néant dans la nature, mais dans ce qu’elle a de très subjectif ; tout le langage de ce film est faux. Lorsqu’il montre que ses personnages sont très cruels ; justement, il ne retient que ça, énumère les points de cruauté et les pose à l’écran. Tout ce film n’est qu’une comptabilité de prestige se la jouant sauvage et profond. C’est du Malick de grande surface luxueuse, d’élite – sans doute taillée spécifiquement pour les périodes de fête ou de grosses rentrées.

Note globale 44

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Suggestions… Valhalla Rising + Andrei Roublev 

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (1), Dialogues (2), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (1), Ambition (4), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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INCIDENTS DE PARCOURS (Romero) ***

2 Nov

4sur5  A-priori Monkey Shines a tout pour virer à la gaudriole ou au ‘nanar’. À l’arrivée c’est une jolie fantaisie philosophique marchant sur plusieurs genres et registres : thriller, comédie sarcastique, absurde sombre. La relation entre Allan et la guenon Ella (singe capucin) passe par différentes étapes insolites. Pour ce jeune scientifique subitement devenu paraplégique, elle est d’abord une alliée inespérée, en lui apportant soutien et même compréhension. C’est le seul être avec lequel il puisse cohabiter sans gêne ni contrariété (il voit à ses côtés deux femmes infectes : la bonne aigrie et plaintive, la mère possessive et frustrée), tout en ayant pas à ralentir ou s’ennuyer comme s’il s’agissait d’un animal ordinaire. Chacun se dope, lui accélère son développement, elle favorise le rétablissement de sa vitalité (énergie, ‘moral’, assertivité).

Ces facultés extraordinaires se retournent progressivement contre l’entourage (subi) d’Allan puis contre lui-même. Elles sont le résultat d’une obscure expérimentation menée en solo par Geoffrey, l’ami qui donne Ella en cadeau à Allan. Son sérum ‘d’intelligence’ (attendons quelques années et on osera inoculer la schizophrénie dans le B de luxe via L’esprit de Caïn) est un trop grand succès, avec des effets secondaires psychiques ravageurs, poussant le film vers le fantastique (ou la science-fiction viscérale type Frankenstein). Le spectateur reste longtemps seul à connaître cette réalité (avec Geoffrey), ce qui rend le déroulement plus intéressant et pousse à l’anticipation. Il s’agit alors d’avoir du répondant et le film en aura (sur le plan graphique y compris – avec les trois vues subjectives du singe la nuit, dehors : le ‘démon’ d’Allan libéré comme dans un cauchemar), malgré quelques raccourcis et la mise en suspens de certains points : si l’alliance avec Ella avait perduré, si Allan lui avait pardonné ou essayait de la canaliser, ou mieux s’il entrait dans le déni, le film aurait pu devenir autrement intéressant. Mais ici l’irrationalité d’Allan prend l’écran et cette force serait probablement compromise. L’exercice reste donc pertinent car le discours est ‘plein’ et la voie horrifique est porteuse.

Les deux communiquent à double-sens, au détriment d’Allan, du moins le croira-t-il ; certainement au détriment de son ego et de sa conscience ! Le singe le pousse à extérioriser son refoulé au propre et en propre comme au figuré ; à réveiller sa colère, ses mauvais sentiments. En retour Allan lui infuse ses désirs, auxquels Ella se dévoue avec une intensité proportionnée – c’est justement l’horreur de la situation pour Allan, obtenant la satisfaction de ses élans les plus primitifs et lointains, mais souvent aussi les plus courts ; mais cela en déléguant les gestes et sans doute le plaisir, tout en gardant la culpabilité, la honte – et éventuellement en sentant l’hypocrisie de ses souffrances. Malheureusement pour lui même les objets chéris provoquent des envies carnassières. En somme Ella est une sorte de prophétesse ‘spontanée’ pour le réveil de l’animal chez les humains ; la fin prévue devait libérer une armée de singes ‘réformés’ sur la ville. Elle a été recalée sur réclamation d’Orion, une première pour Romero dont le précédent tournage, Creepshow, avait été sans heurts malgré le label Warner Bros (avant cela le pape du zombie au cinéma était en ‘indépendant’ avec le relais de Richard P.Rubinstein).

Suivant un trope plus habituel, qui en est un peu la version chimérique et primaire, Incidents de parcours est aussi le spectacle du ‘mauvais génie’ en roue libre, dont on regrette bien vite d’avoir autorisé les gratifications contre-nature. Le choix d’un homme handicapé, aux affects réprimés et à la surface mielleuse, est excellent sur tous les plans. La construction est suffisamment métaphorique et ordonnée pour compenser les détours trop faciles des représentations. Les parallèles entre Ella et Allan sont expressifs pour le meilleur (significatif et puissant) et pour le pire (lourdeur du passage avec les dents, mais la lourdeur est une rançon du succès et pas un gage d’idiotie). Le film est typé, de son temps, bien de son ou ses genres d’emprunt, mais il tient la distance et crée une différence. Romero a pris le risque du ridicule et du premier degré, il réussit son tour avec candeur ; Monkey Shines est remarquable pour ça. Les défauts tiennent plutôt au traitement léger de certains personnages secondaires, à l’inutilité modérée des déambulations de Geoffrey – et peut-être à cette scène avec une perruche agressive, drôle d’image déjà transmise dans Freddy 2 (1985). Il faut tout de même voir que cette anecdote grotesque est fluide et ‘congruente’ dans le contexte (ce n’est pas le cas dans Freddy 2). Sur un thème comparable, il existe aussi Link (1986), In the shadow of Kilimandjaro et Sharkma (1990).

Note globale 76

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Suggestions…

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (4), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

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HYPOCRITES (Lois Weber 1915) ***

2 Nov

3sur5  Lois Weber est la première femme cinéaste ‘remarquable’ pour les USA. Elle était contemporaine de Griffith et certains spécialistes et historiens du cinéma la jugent presque aussi importante, bien qu’elle n’ait pas laissé de films révolutionnaires ou ‘radicalement’ fondateurs comme lui. Parmi ses centaines de réalisations émergent deux films : le court Suspense co-réalisé en 1913, pour son récit vivace et un split-screen innovant ; et le ‘moyen/long’ Hypocrites sorti en janvier 1915.

Ce dernier est rendu célèbre grâce à ses quelques scènes de nudité en double exposition et le scandale qu’il a provoqué. C’est une œuvre politisée, anti-cléricale mais pas anti-chrétienne et où se devine le féminisme de son auteure (qui prendra position contre l’avortement à cause de leurs effets sinistres sur les femmes, au travers de Where are my children ?). Les hypocrites désignés par le titre sont les tenants mais aussi les ouailles de l’ordre social, cristallisé par les autorités religieuses et administratives. Le pasteur Gabriel (par Courtenay Foote) est un idéaliste convaincu au milieu d’hommes et de corporations de mauvaise foi.

Le public écoutant doctement son sermon ne le soutient que pour faire bonne figure, pestant contre ses exigences de vertus – les notables et les riches du moins, qui auraient plus à perdre s’il fallait prendre au sérieux toutes ces injonctions, toute cette emphase. Au Moyen-Age, un autre Gabriel aux même traits mène une vie d’ascète et se consacre à l’élaboration d’une statue. Cette représentation d’une femme nue provoquera la colère de la foule et sa mise à mort, avec l’appui de la congrégation. En marge de ces événements pour le grand collectif, les cadres religieux sont présentés comme luxueux et avaricieux, protégeant leurs pré-carré comme les autres, se souciant des apparences et des bénéfices plutôt que de leur mission spirituelle.

Avec ce parallèle, un scénario ramifié et un découpage élaboré, Hypocrites présente un travail très poussé pour son temps. Ses mouvements de caméra sont fluides, les tableaux ont un sens perfectionniste, sans surcharge. Le champ contenu dans une espèce de louche à la fin est une alternative originale, par rapport au ‘trivial’ iris shot. Le film multiplie les symboles et peut s’exprimer de façon très lourde, notamment avec ses livres titrés ‘Sex’ et ‘Indulgence’ lus en famille. Le propos n’est pas univoque car certains chrétiens civils ou religieux semblent sincèrement engagés et sont spectateurs désolés des agitations mesquines de leurs prochains. En somme le film ne porte aucun coup contre la foi, mais plutôt contre la religion organisée. La ‘vérité nue’ incarnée met en lumière les intérêts bas et égoïstes des hommes ; la vision est cynique et ‘plate’, le moralisme à son encontre une synthèse d’idéalisme libertaire et de rêverie chrétiennes.

Au même moment sortait A Fool There Was/Embrasse-moi idiot, avec Theda Bara, marquant l’avènement de la vamp ; la même année (1915) le cinéma américain sera enrichit par Birth of a Nation et Regeneration. Charlie Chaplin venait de se lancer dans son personnage de Charlot.

Note globale 68

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Suggestions…

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (4), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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AMOURS CHIENNES +

2 Nov

Premier long-métrage d’Inarritu, Amores perros est un film choral plus généraliste que ses opus suivants. Trois personnes ou groupes de personnes y sont reliés par un accident de voiture, où elles ne font que se croiser. L’autre point commun est l’importance prise par leurs chiens. Ce triptyque donne l’occasion de visiter Mexico avec une attention privilégiée pour les bas-fonds ; en terme de violence et de pollution, la capitale mexicaine est compétitive face à Sao Paulo, Caracas et les autres champions.

L’approche est réaliste et fiévreuse, sans prétentions documentaires ou recherche de ‘témoignage’ social. Inarritu dresse un tableau émotif et cynique où chacun doit revenir à l’humilité. Les conditions d’existence sont sauvages : pour Octavio elles ont toujours été ainsi, ‘El Chivo’ a dévalé la pente et Valéria est en train de s’effondrer. L’histoire concernant cette dernière est plus allégorique et grâce à ses ressources et son statut, elle reste protégée de la brutalité de la rue. Mais Valéria ne coupe pas à l’essentiel. Son handicap (provoqué par l’accident) l’éjecte à la périphérie de son milieu guindé et mondain, la prive de facilités et de réconforts, la propulse sans armes dans un vide nouveau.

En perdant ses atouts elle devient une sorte d’ignorante, précocement mise au placard, vierge face à tout ce qui a pu dormir tant qu’elle avait les rituels et la sensation de maîtrise pour conjurer. Avec ce fragment et celui d’El Chivo, Amores perros montre comme les aléas sévères peuvent enlaidir, rabaisser (Victoria à l’univers si guindé et mondain se transforme en prolo ordurière et usée quand elle a perdu sa valeur et sa sécurité), ou pire mettre à nu des gens qui n’auront plus rien pour se soutenir. La mise en scène suinte une espèce de compassionnel navré, sans amertume, volontaire pour aller au-devant de la cruauté. La technique du ‘silver taint’ (sels d’argent laissés sur le négatif) aurait été utilisée et expliquerait la flamboyance de l’image. Guillermo Arriago (qui représentait déjà Mexico dans ses précédentes collaborations avec Inarritu) a parfois la main lourde dans l’écriture, en cherchant à mettre en relief du significatif, de l’ironie (sur quoi surenchérissent les analogies hommes/chiens), avec succès d’ailleurs.

Il créée surtout des personnages complexes, désagréables voire indéfendables et refusant de rendre des comptes. Même dans les égouts leur vitalité brille encore. Ils attirent la sympathie à cause de leur entièreté et de leur obstination, pas pour ce qu’ils sont ou essaient d’être – qui est brutalement nié ou chamboulé par un flot incontrôlable, les forçant à confronter (bestialement si nécessaire) les agressions constantes, omettre les rêveries flatteuses sur leur compte. La construction est assez bizarre puisque l’homme aux chiens (versant le plus odieux, le meilleur) grignote le terrain jusqu’à occuper l’ensemble dans la dernière heure, après avoir été un détail au coin de la rue au départ. Après la pluie de récompenses obtenues pour ce film, Inarritu sera récupéré par Holywood et expert en contemplatif humanitaire (Babel, Biutiful), amples pleurniches (21 grammes) et exhibitions de grosses ambitions (Birdman, The Revenant), Gael Garcia Bernal deviendra acteur international (Carnets de voyage, La Mauvaise éducation).

Note globale 72

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Suggestions…

Scénario & Écriture (4), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

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