Archive | octobre, 2016

HOME SWEET HOME (Griffith) =+

30 Oct

« Not biographical but photo-dramatic and allegorical » (panneau introductif), Home sweet Home de Griffith est inspiré par les paroles de la chanson éponyme de John Howard Payne. La séance comprend trois histoires, plus un prologue et épilogue avec Payne incarné par Henry Wathall. Intolerance (1916) aura une structure similaire avec ses 4 histoires en écho (sorte d’extension du ‘montage parallèle’). Payne finit ses excursions en laissant cette chanson (adulée aux USA) puis connaît la rédemption post-mortem. Là-dessus le film véhicule une vision propre, car la biographie de Payne est moins misérable. Elle offre de la matière mélodramatique et plus encore des bases pour un film d’aventures, au sens du voyage comme des intrigues – trajectoire reprise ici qu’en ‘théorie’.

Home sweet home est l’occasion pour Griffith de s’exprimer de façon plus solennelle et probablement projeter un idéal ; c’est aussi un film où il vulgarise son langage en voulant le rendre fort et accessible. Griffith dresse une sorte de film ‘à thèse’ lapidaire, essayant de parler le langage des émotions ‘tendres’ où il n’est pas à son meilleur – il l’est davantage pour poser des ‘tableaux’ éloquents forts en ‘sentiments idéologiques’, A Corner in wheat en attestait dès 1909. L’objectif est de saluer les hommes de génies, aux vies privées souvent bien lamentables mais aux fautes transcendées par leurs contributions admirables. À cette fin Griffith essaie d’universaliser en lissant et présentant des situations qui seraient typiques et communicables à tous. Sa morale plus ou moins conventionnelle sert de fil à une mise en scène impulsive, qui a ses défauts (erreurs visuelles) et ses vertus (énergie des acteurs).

Le parti-pris est utilitaire malgré ses accents lyriques déclarés. Le beau et grand est amalgamé avec le réconfortant. La chanson est vénérable car elle a un impact positif, améliore et guide des vies ; elle rejoint la catégorie de l’art qui sauve et guérit ! Dans les trois histoires, elle détermine le revirement final, toujours heureux, ramenant au couple et à la famille qui sont les seuls cadres envisagés. La notion de réussite est synthétique, traversée par l’opportunisme et les humeurs entourant les conditions de fabrication du film, agrégées autour de l’idéal plus noble mis en étendard. Cette représentation est quantitative (beaucoup de gens atteints) et qualitative (éveil sur les choix de vie, accession au bonheur), ralliée à une prose altruiste et une vision américaine ‘typique’ (tout succès est externe – ou doit finir par le devenir), sans se reposer sur des critères d’industriel ou de commercial (mais disponible). En somme Griffith se fait démocratique et positiviste pour justifier un grand principe plus aventureux et idéaliste, en légitimant l’artiste, sa ‘mauvaise vie [de bohème]’ et ses libertés prises avec ses devoirs et la morale.

Note globale 56

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Suggestions…

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (3), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (3)

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ASCENSEUR POUR L’ÉCHAFAUD +

21 Oct

Deux ans après Le Monde du Silence co-réalisé avec Cousteau, Louis Malle tourne son premier long-métrage en solo. Il a 25 ans lorsque sort Ascenseur pour l’échafaud, film noir anormalement stylé pour une production française dans le genre. Tiré d’un roman éponyme (de Nissim Calef, auteur en français d’origine bulgare), il fait suite à la suggestion d’Alain Cavalier (Un étrange voyage, Ce répondeur ne prend pas de messages), qui occupe la fonction d’assistant réalisateur. Le film emmêle de folles tentatives d’évasions, avec deux couples cherchant à larguer les amarres. L’amoralité bienveillante et compréhensive qui caractérisera plus tard les mises en scène de Louis Malle se diffuse déjà, avec pudeur et sur des thèmes plus ‘acquis’ (échos à la jeunesse, à la fatigue du ‘béton’ et des pressions de la vie contemporaine).

Ce quator a une passion bien ‘mallienne’. Il exprime la volonté d’être extérieur à la société, à ses illusions ; liberté souvent déçue quand elle n’est pas contrariée – la petite héroïne de Zazie dans le métro finit blasée après toutes ses explorations, Belmondo le Voleur s’enfonce dans l’ennui et déguise l’intense léthargie qui emmure sa carcasse. Les nombreux recours à la voix-off renforcent les côtés littéraires de toute cette opération ; certains films peuvent donner l’impression d’imager un roman en train de se ré-écrire, Ascenseur donne cette impression ; en sourdine, exultant dans les moments où l’abandon et le monologue intérieur accompagnent le silence. L’intrigue fonctionne sur des quiproquos générés par la ‘malchance’ du tueur (retenu prisonnier) et du jeune couple se voulant intrépide.

Les complications et incompréhensions se substituent à l’épaisseur narrative, pas toujours nécessaire au cinéma et encore moins lorsque la forme est anormalement déterminante. Le spectateur connaît la vérité vécue de chacun ; il a cette ubiquité qui manque aux gens, fait leur malheur et leur infirmité, la misère de leurs fantaisies ! Le film tutoie un certain romantisme du crime sans le faire sien ; les deux jeunes s’imaginent être ‘compris’ voire appréciés par le public quand leur aventure sera rapportée ; ce sont des Bonnie & Clyde candides, rêveurs inaptes à la vie et rapidement paumés. La tragédie des hors-la-loi du film, c’est d’être des égoïstes impuissants, coupables sur tous les fronts ; d’avoir des instincts prodigues, des vertus flétries pour les justifier et des capacités trop vaines pour les contenter. La bande-son de Miles Davis souligne avec noblesse toute cette fougue un peu morbide, car empêchée et porteuse de germes dépressifs.

Les dialogues de Roger Nimier sont très ‘écrits’ mais vifs et les interprètes les relaient avec talent ; les hommes et femmes de cette galerie ont tous une esthétique pour soutenir leur fonction ou liquider leur caractère. Jeanne Moreau est remarquable et naturelle, ce qu’elle sera moins dans la suite de sa très longue carrière – trop consciente d’être fétichisée (par Truffaut dans La Mariée était en noir, ou Fassbender pour Querelle dans un mode mineur), élevée au rang de symbole ‘vivant’ et rebelle (Jules & Jim), triturée, ou simplement comme c’est le cas ici, magnifiée. Malle la dirigera à nouveau dans Les Amants et Le Feu Follet ; dans le premier il en fait une héroïne ‘dissipée’ et une femme ‘libérée’ comme on les affectionne à l’époque. Dans le second, tiré de l’œuvre de Drieu de La Rochelle, Maurice Ronet est un ‘anti’-héros dont l’errance n’a plus grand chose de glamour.

Note globale 76

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Suggestions… Touchez pas au grisbi + L’Insoumis/Delon-Cavalier 

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (4), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (3), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

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RUNAWAY =+

21 Oct

Avec Runaway, le potentiel de Crichton comme réalisateur se précise : ses idées géniales n’en feront jamais un théoricien fascinant à l’écran, mais elles peuvent doper un divertissement aux réflexes éculés et à la vocation de vulgaire ‘saturday night movie’. Crichton comme réalisateur est alors sur la pente descendante, enchaînant des films moins respectés, alors que déjà Mondwest, Coma et La grande attaque du train d’or sont zappés au fil des ans – et oubliés par la postérité, malgré la présence d’effets numériques précoces dans Mondwest. Cette carrière-là s’achèvera avec l’opus suivant, Preuve à l’appui, quelques années avant l’avènement de Jurassic Park dont Crichton détient le scénario original et d’Urgences dont il est le créateur.

Runaway suit un tandem de flics appartenant à la brigade des [robots] déviants, aux prises avec un pirate prêt à saborder tout le réseau électronique dont dépendent les humains au quotidien. La menace est inédite par son ampleur et sa nature. Runaway est toujours très synthétique et volontiers ‘cliché’, d’où une impression légitime de kitsch : mais le film n’est que superficiel, pas niais. Il brasse beaucoup d’informations et de remarques dans sa première moitié, avant de se focaliser sur le divertissement puis s’achever sur une dizaine de minutes faite de pièges et rebondissements face à un diablotin. La menace portée par l’intelligence artificielle elle-même et notamment son autonomie (contrairement à I Robot vingt ans plus tard, dans le même registre ‘entertainment visionnaire’) n’est pas analysée mais plutôt utilisé comme un thème d’ambiance, accompagné d’annotations. Certaines caractéristiques du cinéma de Crichton se retrouvent logées à ce niveau, comme l’attribution (via les journalistes rapaces) aux médias d’une attitude de prédateurs cyniques (développée dans Looker, avec le lavage de conscience généralisé par les rois du marketing).

Pour les détails et les personnages, Runaway est conventionnel. Tom Selleck (icône 80s grâce à Magnum (série TV), qui avait un petit rôle dans Coma) campe un excellent personnage : un homme mûr, auto-discipliné, capable d’exploser de rage si nécessaire en gardant toujours la maîtrise, ne reculant jamais sans pour autant jouer au téméraire. Sa stature anoblit les plongeons dans le mielleux familial. Néanmoins, il demeure un flic au passé douloureux et à la phobie un peu improbable, a un sous-fifre black au bureau et un supérieur borné ; dans les 80s aux USA, certains éléments concernent presque tout ce qui passe par le registre ‘policier’, du zeddard à la classe A (comme la saga L’Arme fatale). Ce morceau-là n’y échappe pas, mais il a de l’avance. Il montre la banalisation de la robotique, infiltrés dans le quotidien : Lois (de l’excellente série 12-20!) surveille l’alimentation, le rythme de vie, les relations de la famille dont elle a la charge. Leur intelligence avancée permet de rebondir dans les conversations, sans devenir ‘intuitive’. Les robots absorbent, classent et demandent des informations spécifiques.

Runaway sait épater la galerie en restant cohérent, avec un traitement limpide et un jugement minimal (propos explicite : ‘la mécanique est faillible et corruptible, comme les Hommes’). Plusieurs anticipations plutôt conformes aux développements à venir sont à noter, comme l’espèce de drone envoyé en éclaireur ou le principe du portable. L’effet le plus remarquable, mais aussi le plus méchamment daté, est la vue subjective de la balle tirée par l’horrible Luther. Son attitude est celle d’une tête chercheuse normalement propre aux missiles et exceptionnellement raffinée, à la limite de la fantaisie (sachant passer les obstacles, donc les analyser au préalable, en complète autonomie ; une machine qui n’en est plus à répondre à une demande définie, mais arrivée à remplir une mission). Même s’il est quelquefois lourdaud sur les réactions émotionnelles, Runaway présente un suspense fonctionnel, un tandem aimable, une poignée de gadgets redoutables (les araignées, les mines « coureuses » sur la route). Il n’a pas de temps morts (rythme anormalement speed et ‘plein’ de la part de Crichton) et peu de temps ‘inutiles’ (comme toujours en revanche, quoique Mondwest est globalement raté car ‘allégé’ à l’excès) – sauf si on range là les scènes finales grandiloquentes. Sur le bas-côté, il laisse en friche des points forts et se contente d’un méchant sans histoire ni profondeur, le fort typé docteur Luther (par Gene Simmons en mode possédé).

Note globale 62

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Suggestions… 48 heures + E.T.l’extraterrestre + Copycat + Le Trou noir + Alphaville/Godard

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (3), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

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JUDITH OF BETHELIA =+

21 Oct

Premier ‘film feature’ de Griffith et donc probablement premier long-métrage d’un des pionniers américains. Judith of Bethelia est réalisé un an et demi avant Birth of a Nation, la super-production phare des débuts du cinéma. Griffith enchaînait alors les courts-métrages (la notion est ultérieure, car 15 minutes est encore ‘normal’ à l’époque) possiblement par dizaines chaque mois. Il avait déjà la motivation d’aboutir à des projets plus ambitieux et c’est d’ailleurs la raison de sa rupture avec Biograph, qui le bride, comme l’avait en partie fait Edwin S.Porter (The Great Train Roberry) avant qu’il ne se lance dans la réalisation.

Le scénario est tiré du livre de Judith, épisode de la Bible rejeté par les théologiens juifs et minimisé par les protestants : c’est un livre ‘deutérocanonique’, c’est-à-dire absent de l’Ancien Testament et inséré par l’Église catholique par la suite. Le cas de Judith n’est pas clairement réglé et sa représentation est peu concluante, malgré le jeu appliqué de Blanche Sweet (future récurrente chez DeMille et Marshall Neilan). Dans ce film Judith est censée être une sorte d’exaltée mystérieuse, elle est surtout affichée en pseudo-allumeuse déterminée mais timorée. La synthèse est fade, pas très flatteuse ni porteuse. Cela peut-être superficiellement attractif (ou aimable pour des chercheuses d »héroïnes’) mais son attitude et sa personnalité à l’écran ne suscitent à peu près rien, en terme mental ou viscéral.

L’ambition est évidente à cause des nombreux figurants et intertitres, ces derniers étant rares chez le réalisateur jusqu’ici. Cependant Griffith manœuvre pour renforcer l’illusion d’ampleur et de variété, car les décors se confondent souvent et certaines situations semblent revenir inchangées. Le film est surtout axé sur les personnages et leurs relations mais ne traîne pas de bagage émotionnel adéquat, s’en remettant toujours aux symboles et à des poses sans ressorts. La fibre épique passe par le texte plus que par l’image. Les manières se veulent emphatiques mais le rapport est haché et distant, sans souffle. Il faut expliquer, condenser des scènes-clés et le film reste piégé dans une logique d’illustration rigide qui pourtant semble non-privilégiée.

Paradoxalement Griffith régresse un peu, perdant en vitalité lors de cette transition vers le long-métrage, même s’il maintient sa rapidité. Il aligne les plans larges (général/d’ensemble) embarrassés ; car les fastes sont limités et les ressources mises à profit sont ‘rabougries’. Le film gesticule dans un carrefour, avec un relatif brio, quelques poses significatives et suggestions orgiaques. Ni intime ni épique, entre sentimental de papier et déploiement technique gonflé. Mais jamais la caméra ne se rapproche, au mieux Judith tend à s’isoler et aussitôt son petit emballement est évacué. En revanche Griffith garde le sens ‘entertainment’ au niveau du remplissage efficace. Comme dans The Avenging Conscience peu de temps après, il jette le plein de force et ‘visions’ dans la dernière ligne droite. Cette séance peut notamment être comparée au Ben-Hur de 1907 et le contraste est saisissant, en sa faveur.

Ce pionnier dépassant tout juste l’heure (61 minutes) n’en est cependant qu’un parmi d’autres, arbitrairement retenu. Aux USA, Cleopatra (Gaskill) passe l’1h30 et importe le péplum dès 1912. Sont également passés avant : le canadien From the Manger to the Cross (Syney Olcott – 1912) ; en Australie, The Story of Kelly Gang dès 1906. Il y a aussi le cas extraordinaire du Corbett-Fitzsimmons Fight (1897), qui n’est cependant que l’enregistrement passif d’un match de boxe. Judith de Griffith est conçu à un moment d’éclosion, où les Etats-Unis gagne du terrain là où les Européens ont l’avantage (péplums italiens, anticipations de l’épouvante plus au nord, etc). Cecil Blount DeMille émerge également. Son premier Mari de l’indienne, qui est aussi son premier film, sort en février 1914. À la fin de cette année, un Cinderella US format ‘feature’ sortira. Entre-temps le public français dévore le serial Fantômas.

Judith double tous ces derniers exemples y compris celui de DeMille. Le film est tourné en 1913 et achevé en octobre. Biograph Company le fait sortir seulement en août 1914 une fois que le contrat de Griffith avec la maison de production est consommé, afin de ne pas partager de bénéfices. Mais à cette période, c’est plutôt la vision de Cabiria qui interpelle l’auteur et le dope dans ses projets. Avant ses ‘chefs-d’œuvres’ Birth of a Nation et Intolerance, il ‘s’entraîne’ en adaptant Poe via The Avenging Conscience et John Howard Payne pour Home sweet home – avec quelques courts à la marge. Le long The Escape (projeté en juin) a été égaré mais posséderait une version de substitution produite en 1928. Enfin côté casting on peut noter que les sœurs Gish sont ici ‘travesties’ dans des rôles secondaires, alors que Lilian est probablement déjà la favorite de Griffith et l’est assurément dans les années 1915-1920. Il faudra également être sur-attentif pour deviner sous la barbe d’Holophène l’acteur Henry B.Wathall. Celui-ci entassera les projets grâce à son rôle du colonel dans Birth of a Nation et connaîtra la gloire dans les années 1930.

Note globale 62

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Suggestions…

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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MONDWEST (Crichton) =-

21 Oct

Responsable d’Urgences et de Jurassic Park, auteur de nombreux romans adaptés sur grand-écran, Michael Crichton est aussi un metteur en scène oublié. Les films qu’il a tourné dans les années 1970 et 1980 sont peu cités et rediffusés (Coma/Morts suspectes surnage légèrement), bien qu’ils soient ‘avant-gardistes’ sur quelques points. Le téléfilm Pursuit marque le passage de l’écrivain à la réalisation et Westworld/Mondwest est son premier long-métrage pour le cinéma. C’est une anecdote historique puisqu’il s’agit du premier film destiné au public introduisant des images de synthèse (2D). Sa suite Futureworld (1976) utilisera pour la première fois des images 3D, un an avant les émois pixelisés de La Guerre des Étoiles et six avant que Tron mélange images réelles et numériques sur l’ensemble du métrage.

Westworld s’ouvre sur un reportage apparent, où un présentateur télé récolte les réactions de visiteurs à la sortie d’un parc d’attractions. Cette introduction s’avère un spot de Delos, empruntant la forme journalistique pour atteindre le public en abaissant sa vigilance ; cette corruption des esprits par la publicité et les écrans-menteurs sera le thème de Looker, réalisé par Crichton dix ans plus tard. Les clients du parc ont le choix entre trois mondes calqués sur des périodes passées. Des androïdes (robots taillés comme des hommes) déambulent comme s’ils étaient des humains de l’époque. Ils sont faits pour saigner, souffrir, dialoguer et jouir comme le feraient des humains. Le film utilise de véritables acteurs, choisissant la solution la plus facile et rentable, évitant l’« uncanny valley » évoquée par Masahiro Mori. Les deux personnages centraux choisissent l’Ouest américain des années 1880. L’univers roman est très peu exposé, le monde médiéval un peu plus grâce au suivi d’un vieux passager par lequel la tempête arrivera.

Cette consommation révolutionnaire est ouverte à tout le monde en théorie, mais restreinte aux privilégiés qui seront mis au courant et en auront les moyens (1000$ par jours, pour des escapades de deux semaines) – les deux wannabee cow-boy sont des hommes d’affaire. Ce thème traverse l’ensemble de l’œuvre de Crichton et revient de façon particulièrement féroce dans Coma, avec son trafic d’organes organisé à haute échelle, caché au grand-public et impliquant le corps médical. Cependant une fois la donne posée et sa richesse suggérée, le film tient à distance ce potentiel, n’y puisant qu’une matière à épicer des aventures assez plates. Malgré les côtés borderline évidents d’une telle configuration, tout ce qu’elle pose en terme moral, technologique, ainsi que ses possibilités pratiques et sensibles, est traité à la légère, l’ambiance et les décors ayant les faveurs ; la tension également, mais la chape de gravité l’induit sans grande efficacité.

En somme, l’implosion de la machine est le seul enjeu et le film s’avère une sorte de Chasses du comte Zaroff techno-futuriste, à la pudeur aberrante. Les hommes se déchaînent seulement par à-coups (quand ils tuent) et profitent peu du reste, par rapport à une réalité non augmentée. D’ailleurs l’impressionnabilité du moustachu est sur-exploitée par rapport à ce qu’elle peut avoir de porteur ou d’amusant. Il suffit d’imaginer ce qu’on expérimenterait soit-même, dans un autre temps où nous serions des étrangers de passage bien sûr, mais surtout dans une réalité faite de décors et d’humains factices, où tout est objet potentiel sans avoir la moindre responsabilité ni culpabilité à porter. Delos met ses clients dans une position de puissance au moins égale à celle de l’explorateur de ‘rêves lucides’, malgré les risques garantis (et ceux qu’on peut soupçonner, quelque soit l’engagement et la bonne foi des encadrants).

C’est donc aussi au niveau du spectacle que Westworld est tiède. Il n’a ni la vigueur d’un plus ‘blockbuster’, ni le culot ‘visionnaire’ et ludique d’un Total Recall (réalisé 20 ans plus tard), ni l’anarchisme d’un gros bis (mieux vaut revoir Zardoz), tout cela sans avoir la substance de pellicules ‘moralistes’ comme Rollerball ou L’Age de cristal, eux aussi centrés sur la face obscure de loisirs futuristes. Le film évolue lentement, étirant pour couvrir le peu de matière à déployer, avec astuce mais sans mettre à jour quelques flous : il n’est pas clair sur la présence d’autres êtres humains pendant les expériences et sur le risque de s’en prendre à eux aussi ; cela semble exclu a-priori, point. Le dernier tiers où les robots s’affranchissent se résume à un face-à-face dans la lignée du western traditionnel, où Yul Brynner en pseudo-humain interprète un équivalent de son rôle dans Les Sept mercenaires (‘classique’ de Sturges). Les quelques vues digitales sont livrées à ce moment, avec une visite du tout-Delos justifiée par la fuite du dernier survivant (la préférence pour celui-là était prévisible). JJ Abrams, le créateur de Lost (et responsable de la résurrection de Star Trek sur grand écran), adaptera ce film en série en 2016 (Westworld).

Note globale 54

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Suggestions… After Earth 

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (2), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (3), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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