HYPOCRITES (Lois Weber 1915) ***

2 Nov

3sur5  Lois Weber est la première femme cinéaste ‘remarquable’ pour les USA. Elle était contemporaine de Griffith et certains spécialistes et historiens du cinéma la jugent presque aussi importante, bien qu’elle n’ait pas laissé de films révolutionnaires ou ‘radicalement’ fondateurs comme lui. Parmi ses centaines de réalisations émergent deux films : le court Suspense co-réalisé en 1913, pour son récit vivace et un split-screen innovant ; et le ‘moyen/long’ Hypocrites sorti en janvier 1915.

Ce dernier est rendu célèbre grâce à ses quelques scènes de nudité en double exposition et le scandale qu’il a provoqué. C’est une œuvre politisée, anti-cléricale mais pas anti-chrétienne et où se devine le féminisme de son auteure (qui prendra position contre l’avortement à cause de leurs effets sinistres sur les femmes, au travers de Where are my children ?). Les hypocrites désignés par le titre sont les tenants mais aussi les ouailles de l’ordre social, cristallisé par les autorités religieuses et administratives. Le pasteur Gabriel (par Courtenay Foote) est un idéaliste convaincu au milieu d’hommes et de corporations de mauvaise foi.

Le public écoutant doctement son sermon ne le soutient que pour faire bonne figure, pestant contre ses exigences de vertus – les notables et les riches du moins, qui auraient plus à perdre s’il fallait prendre au sérieux toutes ces injonctions, toute cette emphase. Au Moyen-Age, un autre Gabriel aux même traits mène une vie d’ascète et se consacre à l’élaboration d’une statue. Cette représentation d’une femme nue provoquera la colère de la foule et sa mise à mort, avec l’appui de la congrégation. En marge de ces événements pour le grand collectif, les cadres religieux sont présentés comme luxueux et avaricieux, protégeant leurs pré-carré comme les autres, se souciant des apparences et des bénéfices plutôt que de leur mission spirituelle.

Avec ce parallèle, un scénario ramifié et un découpage élaboré, Hypocrites présente un travail très poussé pour son temps. Ses mouvements de caméra sont fluides, les tableaux ont un sens perfectionniste, sans surcharge. Le champ contenu dans une espèce de louche à la fin est une alternative originale, par rapport au ‘trivial’ iris shot. Le film multiplie les symboles et peut s’exprimer de façon très lourde, notamment avec ses livres titrés ‘Sex’ et ‘Indulgence’ lus en famille. Le propos n’est pas univoque car certains chrétiens civils ou religieux semblent sincèrement engagés et sont spectateurs désolés des agitations mesquines de leurs prochains. En somme le film ne porte aucun coup contre la foi, mais plutôt contre la religion organisée. La ‘vérité nue’ incarnée met en lumière les intérêts bas et égoïstes des hommes ; la vision est cynique et ‘plate’, le moralisme à son encontre une synthèse d’idéalisme libertaire et de rêverie chrétiennes.

Au même moment sortait A Fool There Was/Embrasse-moi idiot, avec Theda Bara, marquant l’avènement de la vamp ; la même année (1915) le cinéma américain sera enrichit par Birth of a Nation et Regeneration. Charlie Chaplin venait de se lancer dans son personnage de Charlot.

Note globale 68

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Suggestions…

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (4), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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