Archive | décembre, 2016

CAROL +

31 Déc

Patricia Highsmith était une romancière américaine réputée pour ses thrillers lorsqu’elle publia sous un nouveau pseudo The Price of Salt (1952). La relation homosexuelle qu’elle y décrit s’inspirait de sa propre expérience et l’histoire avait un dénouement heureux. Plus tard elle inventera un vampire exhibitionniste qui sera l’objet d’adaptations fameuses au cinéma – Plein Soleil avec Delon et Le talentueux Mr Ripley, où Blanchett tient un rôle important. En 2016, Todd Haynes, réalisateur de Loin du paradis, porte à l’écran son roman tendancieux ; le film prend son nom alternatif, Carol et se déroule en 1952-53 à New York.

Todd Haynes livre un mélodrame hollywoodien classique et nostalgique ne cachant pas la source actuelle dans son point de vue, sans étaler de valeurs actuelles. Carol ne sent pas le soufre et ne règle pas de comptes, ne fait pas de procès. C’est une histoire d’amour frôlant le tragique sans pousser de hauts cris. Rooney Mara interprète un de ces personnages timides et alertes, ne laissant rien passer venant de lui-même. Son ami alibi Richard est un genre de rationaliste mi-école de commerce mi-lettré à jour. Cate Blanchett a un caractère plus trempé mais également dominé par l’introversion, peut-être artificielle. Elle appartient à la haute société et est en phase de rupture avec son mari ; une occasion de faire fructifier son art du maquillage et d’imposer doucement un équilibre en sa faveur. Ce personnage est plus développé, plus valable et satisfaisant ; l’actrice peut susciter l’admiration, Carol aimanter, la mise en scène ne la prend jamais en défaut, ses crises sont toujours censées et tempérées. Therese est impressionnée, Carol s’entiche de son « extraterrestre » ; l’amoureuse est probablement Therese, mais la passionnée c’est Carol. Malgré sa maîtrise, c’est elle qui se trouve en position de faiblesse, elle qui tranche malgré les risques et quand Therese reste prisonnière du brouillard ; enfin c’est aussi elle qui sous la pression, s’assume.

Le spectacle est sentimental, haut-de-gamme, froid, délicat ; rempli de sous-entendus et très formaliste, il recycle les fifties de l’american way dont la mode un demi-siècle plus tard a été consacrée par Mad Men. Parfois Carol embarque sur des séquences ou vers des plans merveilleux, glissant l’objet de rêveries dans la réalité fraîche et dure. La fin est positive, quoiqu’un autre film pourrait s’ouvrir à ce moment-là, mais la tension serait différente : il passerait sur l’espace social plutôt que personnel et familial – où il reste confiné ici (chez Haynes qui s’est attaché aux épouses nichées dans les cages dorées romanesques d’un certain âge d’or), malgré la promo ne ratant pas l’occasion de rappeler les crispations ou intolérances du passé. Au contraire le film chérit ce passé, quelqu’en soit les ambiguïtés ou les tiédeurs morales ; comme théâtre d’un amour et d’amantes empêchées, pour un temps, car même pris dans la fatalité il reste des choix à faire. Les agents de l’ordre sont cyniques (ils prétendent ne l’être que face à la société) mais les hommes floués ne sont pas (trop) confondus avec cette cruauté-là.

Note globale 72

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Suggestions… A Single Man + Danish Girl  

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (2), Ambition (4), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

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DIVINES =-

31 Déc

De la puissance en tout et pour tout, là où il faudrait un contrepoint doux, de l’intelligence, là où la victimisation ou la revendication crissent aussi. Le discours est idiot mais tellement réduit et irréfléchi qu’il devient difficile de le prendre prioritairement en considération. Ce qui devrait être (et reste sûrement) une faute participe à la réussite de ce Divines, film ultra subjectif où les filles et les femmes s’approprient les valeurs supposées du sexe opposé (« t’as du clitoris toi j’aime bien », hommes-objets, coups pris et donnés, etc). Divines se pose ouvertement comme un Scarface féminin, un Scarface de ‘la zone’ contemporaine (au moins socialement et esthétiquement).

Au centre, Dounia, une pré-adulte ambitieuse (jouée par Oulaya Amamra) dans laquelle la réalisatrice (sa grande sœur Houda Benyamina) se retrouve ostensiblement – ses propos et ses frasques confirmeront à la sortie. Comme elle, la réalisatrice a peu de recul et de conscience, accompagne avec enthousiasme ses rêves de bling-bling. Toute différence ici sera en trompe-l’œil. Dounia est comparable à un homme, en déshérence mais turbulent, jutant sur un clip de rap. Accomplie elle aura les thunes, les gadgets high-techs, pourra s’affirmer, puis surtout affirmer sa puissance et brailler librement – ce sera probablement le comble de la classe, dans son esprit. Rebecca, sa ‘patronne’ d’élection est un peu son modèle pour l’ici et maintenant (car elle rêve d’ailleurs, du côté des USA ou des îles ensoleillées – avec plages et hôtels de luxe sinon rien). Elle sait ce qu’il faut vouloir et comment l’avoir (l’argent facile à tout prix), elle sait aussi pourquoi on reste en bas : « le pauvre il ose pas ».

Cette gangsta qu’elle admire la conduit à la satisfaction, aux montées d’adrénaline mais aussi à la ruine – un peu de morale conventionnelle pourra se greffer sur le discours, ‘heureusement’ ces proportions sauront être diluées par des contre-offensive virulentes (le final démagogique en est l’exemple le plus grossier, avec la malice de se relier à des échauffourées passées, des petits éclats de l’Histoire de France récente). La séance dégage une force émotionnelle notable. La brutalité et l’adhésion aveugle paient, ainsi qu’une certaine maîtrise (la réalisatrice s’est déjà ‘entraînée’ ou affirmée via plusieurs courts ou moyens-métrages). Cette réalisation a les vices et vertus de l’ivresse, se compensant l’un l’autre (fluide et gras, parfois pataud mais en général très énergique, superficiel mais intense). Au-delà de la complaisance et même si le quotidien n’est pas son sujet, Divines est conforme à la réalité de ses sujets – représentants typés et colorés d’une certaine jeunesse, impulsive, cynique, mordante voire cruelle malgré sa candeur.

La représentation de la banlieue n’y gagne pas : c’est toujours la misère sans nuance, la ‘seule voie’ c’est la violence et les trafics, elle ne produit que des sauvageons ou des suiveurs. De ce point de vue, ce n’est ni flatteur ni novateur ; Divines reste dans un créneau éculé, avec un ton et une ‘faune’ unilatérale (tous des agités de la jungle). Quand il y a la prétention à être ancré dans la réalité, ou à valoriser ses habitants, un problème se pose ; si la banlieue n’était qu’un décors avec une variété d’êtres, ce n’en serait pas un. Au-delà de ses caractéristiques de base (fille+banlieue) l’héroïne avait d’autres mobiles pour se construire et s’opposer, comme sa mère abjecte. La question est évacuée au profit de poses tragiques, soutenues par les morceaux les plus ‘mainstream’ de la musique classique. Le film sait également être drôle, grâce à Maimouna (Déborah Lukumuena) et aux imitations de l’autorité (la prof d’école ou le coach de danse tournés en dérision).

Note globale 48

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Suggestions…

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (3), Dialogues (2), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

Note ajustée de 51 à 50, puis à 48 suite aux modifications de la grille de notation.

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CAPTAIN FANTASTIC =-

30 Déc

La gauche de la rupture oklm avec l’ordre marchand bourgeois tout en restant niché à ses côtés : c’est toute une fange, pardon une tendance de masse, à l’intérieur des gauches américaines et européennes, en 2016. La notion de gauche est à prendre avec précaution ; cette gauche en est une par rapport à l’immense décharge qu’est ‘la droite’, comprenant les dominants plus ou moins (ralliés ou) assumés, les gens à quai refusant de rejoindre les grands élans collectifs, puis également les voisins de cette ‘gauche de rupture oklm’ qui eux se contentent de laisser aller les choses, tout en partageant éventuellement (mais quand même rarement) de similaires rêveries marxistes ou anticapitalistes – la seule différence essentielle, c’est le discours et les gris-gris du mode de vie.

Cette gauche a donc un film à sa mesure : Captain Fantastic, second de Matt Ross (après le peu remarqué 28 Hotel Rooms) qui va donc cesser d’être un simple acteur (vu dans L’armée des douze singes et Volte/Face, méchant nouveau riche dans Les visiteurs en Amérique). Du communisme déterminé à l’ancienne ce film retient un principe : l’auto-critique. Car si Captain Fantastic présente une alternative au consumérisme et au conservatisme anglo-saxons, s’il la loue et exploite cette sympathie, il lui oppose un certain scepticisme également. Le film joue sur un retour présumé à la réalité. La radicalité des principes établis par Ben Thomas (Viggo Mortensen) pour sa famille est en ligne de mire ; la flatterie se fait donc modérée pour des raisons de conscience et de praticité.

L’idéal formulé est une gauche qui travaillera dans le système, sans illusions mais décidée, avec une musculature intellectuelle/conceptuelle reliée au monde comme il est. Il n’empêche qu’une famille de marginaux éveillés fait rêver ; et qu’entre les conformistes stupides et les cultivés hors-culture on adore (se retrouver dans) les seconds. Les piliers mainstream et clichés du ‘contre-establishment’ US ripoliné sont recyclés avec humour : les Thomas sont fans de Noam Chomsky, une ‘légende vivante’ donc d’autant plus appréciable, on entretient le délire sur la France terre de tolérance et de décontraction avertie. La proposition la plus valide du film concerne l’éducation (et par extension la gestion) des enfants. Ben a voulu développer chez les siens l’esprit critique et leur demande de dresser un compte-rendu sur tout ce qu’ils touchent. Il les instruit avec une exigence tout en les préservant des carcans de l’école, des médias, mais aussi ceux portés par les autres enfants ; en théorie, en les préservant de toutes les formes sociétales organisées.

Comme divertissement Captain Fantastic est très efficace et appréciable ; on dirait un faux bazar à la Wes Anderson. Il occulte le réel où se trouve le spectateur tout en faisant écho aux repères qui s’y tiennent. Captain Fantastic fonctionne sur l’oubli massif de la réalité tant louée, en évacuant toute complexité, tous les objets contrariants et réfléchissants ; à la place ne fait que s’offrir les biais confortants, en piochant dans le panier des caricatures et ne respectant de logique que celle du scénario. Captain Fantastic ne fait qu’exposer un face-à-face aux conclusions mielleuses et courues d’avance, avec des antagonistes aussi rigides et impuissants que des épouvantails nus. Il n’y a pas de réflexion ou de contradiction venant de l’extérieur ; or cette bulle, qui finalement ne se remet pas fondamentalement en question, est fondée sur des fantasmes douillets et des artifices, en plus de se diluer dans son ennemi. Car sans lui accorder de victoire, on revient vers le sérail, le laisser déterminer les succès, mettre les médailles. Tout ça est d’abord une fugue avec garanties multiples.

L’utopie dans Captain Fantastic est foireuse sur tous les tableaux, sa constitution est nulle tant du point de vue de la vraisemblance que de la critique formulée ; elle ne peut que s’opposer aux règles morales traditionnelles, sous influence religieuses, tout en posant les germes et visant quoiqu’il arrive le patronage d’un ordre communautaire entier – nuancé par un individualisme narcissique de complément, consistant à clamer la différence de chacun et à appeler à ‘vivre sa vie’, sans rien sacrifier du dirigisme et des pressions établies par ailleurs. Finalement Captain Fantastic qui doit se vouloir proche d’Into the Wild ressemble à un Fight Club sans le faire exprès, du moins sans chercher à grimper à ce degré. Dans Into the Wild l’aventurier en était un. Il en payait le prix. Dans Captain Fantastic, les questions matérielles sont absentes ; l’argent, les ressources, la santé surtout, ne sont pas des cas à traiter. Ils ne posent pas de problème et sans doute que la cible ne voudrait pas en entendre parler. Ce serait des considérations bien provinciales ! Nous sommes visionnaires, pas archaïques. Il y a des confusions à ne pas opérer !

Cette omission des données matérielles est le propre de deux catégories politiques, parmi les plus dépolitisées qui soient : le providentialisme (souvent avec du post-politique à la clé) et la bourgeoisie non-productive et non-active, vivant du système et son entretien sans y contribuer (ou alors à la marge ou comme aliénée gâtée). N’importe qui devant compter sur lui-même devra comprendre qu’il faut être un peu plus que vigilant et de bonne volonté au contact de la Nature, ou tout simplement pour survivre en étant hors du travail salarié. L’aspect irréaliste du projet est blâmé, mais l’analyse ne porte que sur les failles relationnelles et, dans une toute petite mesure, sur les petits défauts d’intendance – ou un plutôt deux : la nourriture pendant le voyage (la famille doit voler dans un supermarché) et l’accident à la fin (il faut emmener la petite à l’hôpital, cette fois les livres n’ont pas la solution – encore que tout ça soit relativisé par elle-même ensuite). En même temps, ce projet continue à être apprécié et la solution semble être de l’intégrer aux demandes de la société, ou de le caler dessus. Le discours s’agrège des ambiguïtés propices à balayer assez largement, offenser seulement les réacs et les droitistes purs, ne pas éprouver les gens vaguement sensibles ou déjà engagés (au moins en esprit) sur la pente altermondialiste. À sa façon il est pédagogique et comme les pédagogues doivent souvent s’y résoudre (à moins qu’ils le recherchent), il donne dans le compromis apparent et flirte avec la médiocrité.

Quoiqu’il arrive Captain Fantastic est habile et sait se distinguer. Pour dérouler son récit il évite le conformisme excessif (ou trop voyant) en restant paresseux ; la différence avec les ‘feel good movies’ dans son registre tient au discours et préférences, affirmés avec davantage de force et de vocabulaire. Elle tient également à l’absence d’éléments grossiers comme les concours de chant ou les fins triomphalistes. L’optimisme est plus subtil et réfléchi ici, la perspective plus courageuse et profonde que dans un Little Miss Sunshine. Ainsi il offre un petit bol de contestation tranquille, un zoom sur un ‘ailleurs’ ou un ‘autrement’ en carton pimpant. En fait, Captain Fantastic surplombe le marasme sundancien en donnant vaguement l’impression de s’en extraire, en étant en fait une fantaisie de libéral ‘insider’ sachant capter tout ce qui borde le ‘centre’ où il se maintient. À raison, c’est là qu’on peut travailler directement pour la grande échelle ; avec hypocrisie, puisque cette alternative est vue du dedans et vécue d’un dehors totalement artificiel.

D’un point de vue un tant soit peu anthropocentrique, au sens où l’Homme est au centre et pas seulement ses besoins, au sens où son génie doit être cultivé et sa perfection recherchée, le final est affreux. Le départ du grand fils est un concentré d’horreur ; il décolle pour la Namibie parce qu’il a posé son doigt dessus (comme Lucette avec l’Australie dans la pub Loto) et son père lui dispense ses conseils : respecter et écouter la femme à qui il fait l’amour, vivre la vie à fond et comme si chaque jour était le dernier. Cela après avoir balancées les cendres de maman dans les chiottes de l’aéroport. Sur ces points là Captain Fantastic est bien ancré sur le carré révolutionnaire. C’est peut-être plus facile, ça peut se concevoir comme libérateur ; avant tout c’est un cumul de dégueulasseries et au moins un mensonge primordial ; un sommet de laisser-aller mortifère et régressif ; tout ce que chérissent et poursuivent les ‘libertaires’ amoraux souhaitant vivre du labeur de la civilisation tout en refusant d’y assumer le moindre devoir. Dans pareil cas de figure, c’est l’amoralité hostile et revendiquée qui est de trop, le reste peut encore s’apprécier.

Note globale 48

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Suggestions…

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (2), Ambition (4), Audace (2), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

Note ajustée de 49 à 50, puis 48 suite aux modifications de la grille de notation.

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DEADPOOL –

30 Déc

Sparring-partner de Wolverine, Deadpool a séduit grâce à son humour et eu droit à son propre comics (séries etc). Il est réputé pour sa ‘dérive’, s’affirmait comme un super-héros loser, auto-flagellateur, s’adressant au public. En 2016 il est porté à l’écran et connaît un succès fulgurant, ouvrant un nouveau filon pour Marvel (une réplique annonce la trilogie). Il se distingue par son ironie surlignée et un tombereau d’obscénités, plaqués sur les schémas les plus éculés. Autrement dit Deadpool refourgue une camelote pétaradante en mentionnant perpétuellement ‘c’est pour rire’ assorti de ‘bravo toi-même tu sais’ ou ‘hey tu es à bord avec nous ça va bien se passer’.

Double effet : inclure le spectateur dans un délire assez pauvre pour qu’il l’apprécie mieux, se sente participer à la sape tout en goûtant ce qu’il doit aimer ; maintenir des schémas rebattus et installer un univers médiocre en les amenant du côté d’une subversion vide de sens, de but et sans altérité, trouvant là une caution pour lécher la poussière en ayant l’air frais voire novateur. Avalanche de sous-punchline distanciées accessibles aux mongoliens : « j’ai oublié d’éteindre le gaz » pendant un carambolage clarifie les intentions d’entrée de jeu. Dans le lot il y aura une petite poignée de sorties amusantes, des mesquineries en face-à-face ou petit comité. La plupart du temps il s’agit d’expédier tout ce qui est provoqué sur soi ou sur les autres, rester dans le mouvement (« le rire est faux la souffrance est réelle »). Deadpool sera toujours seul à épater la galerie, tous les autres personnages dépassent à peine le stade de croquis stérile vite démoulé lourdement paré. Il n’y a donc pas grand chose de drôle puisqu’il n’y a pas grand-monde là-dedans, le zapping des états d’âmes hystériques mais tristes de Deadpool étant à peu près tout ce qui relie les morceaux du film, avec sa mésaventure biologique.

Cette régression doit échapper à la vue des enfants. Voilà apparemment la raison pour s’extasier. Il y aura de la violence meurtrière mais aseptisée quasiment au maximum ; juste des blessures et du sang. Ajoutez-y des méchants transparents et pas de conflits (hormis la peur de l’homme masqué que son visage calciné écœure la pute de luxe). La structure est un empilage de flash-back, ultra découpé, sans quoi la platitude narrative serait flagrante même sous substances toxiques (proximité d’une foule de retardés ou consommations douteuses). Sous les blagues en-dessous de la ceinture ou le méta bas-de-gamme et hystérique, on trouve les scènes d’action et de tapages normales en allégé et une louche massive de pathos. Sa persistance est une anomalie ou l’aveu désinvolte de la léthargie créatrice de cette mascarade. La transformation sonne très Arrow (série insipide et ambitieuse) ou X-Men phase sombre. La bande-son (dominée par les contributions de Tom Holkenborg) est hideuse, mélange une pop sirupeuse, une espèce de house-rap pataud et criard, avec des extraits de lyrisme débile signant pompes à frics. Les références aux occupations et aux outils ‘captivants’ de l’époque, comme Twitter, meublent régulièrement – jamais d’événements, d’actualités fortes, de politique.

Deadpool est un point culminant dans l’ironie niaise systématisée, tendance dominante de l’humour, parfois de la réflexion au cinéma et dans les vidéos adressées aux jeunes générations actuelles. Les ‘clips’ de ses exploits sont des tabassages et exécutions en règle, tournés au gag sur Sexy Mother Fucker ; la mise en scène allège en frôlant avec l’horreur, totalement éludée. C’est encore une caractéristique déjà établie depuis une quinzaine d’années dans les films d’action et de super-héros ; Deadpool la porte à saturation. Voilà le bout tout mou de ce cynisme festif, qui a pu être transgressif au départ et est devenu une attitude normale à faire jouer. Ce rapport second degré à la violence reste irresponsable malgré l’habitude. Mais il y a plus grave, plus massif quoique sinueux : l’abrutissement peinturluré en génie par les oripeaux de la coolitude revendiquée. Deadpool est une débilité éclairée, glissant sur tout, assommant gentiment en gardant un rythme frénétique pour compenser l’inanité. À quelques racolages près (la période avec Vanessa, d’ailleurs la meilleure, la plus frontale) il s’oublierait très vite.

Le plébiscite de cette vacuité fracassante peut laisser groggy mais le film inspire au mieux la sidération propre aux pétards mouillés, difficilement de l’hostilité. Deadpool c’est à peu près rien et ça doit donc être rangé à sa place, près de la benne à ordures, sans faire de bruits. Sans l’enfoncer non plus car sa puanteur est blanche. Ça se digère immédiatement et s’oublie même lorsqu’on est devant. La seule chose propre à tirer est le conflit misérabiliste, avec l’appel aux enfances malheureuses ; là Deadpool reflète la mode dominante avec un esprit plutôt sarcastique, mais c’est encore sans mordre dedans, ni d’ailleurs s’en séparer. D’ailleurs malgré la farce le ton reste empathique et Deadpool toujours aimable ; c’est un faux super-héros mais pas un anti-héros. Reynolds lui prête une proximité au spectateur rabaissant l’intérêt déjà faible présenté par le personnage, pour appâter avec des clins-d’œil sans substance. Ces fois-là c’est toujours sans ironie, mais en négligeant la mission ou les pressions dans le film ; s’effondrer sur soi-même en emportant le chaland avec démagogie et brutalité, voilà une orientation d’avenir.

Note globale 27

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Suggestions…

Scénario/Écriture (1), Casting/Personnages (1), Dialogues (2), Son/Musique-BO (1), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (3), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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SAINT AMOUR =+

30 Déc

Delépine et Kervern se sont lancés derrière la caméra en 2004 avec Aaltra et se sont constitués une équipe de fidèles, parmi lesquels Depardieu (Mammuth) et Poelvoorde (Louise-Michel, Le Grand soir), qu’ils retrouvent pour Saint Amour. Les réalisateurs grolandais poursuivent dans la veine pittoresque et existentielle, avec une ribambelle d’égarés traversant en taxi la France rurale (Kervern tient un petit rôle de fermier naturellement éberlué) et actuelle (dont il cite des marques ou des faits politiques – que ces ratés ou paumés de l’existence subissent voire absorbent, comme la serveuse mécanisée pour dompter son anxiété). Tous les non-figurants dans Saint-Amour sont dans la feinte ou la fuite. Ils ne se comprennent pas, ne captent plus rien, ou font ceux qui comprennent et maîtrisent (la fille à cheval au premier abord ; le chauffeur qui imite, voire se prend pour, un donneur des leçons de vie et de comportements, ayant des connaissances et des occupations en abondance). Le film avance vers la tristesse, charriant les pauvres trucs qu’ils traînent dans leur sac ou dans leur tête ; mais aussi dans la rémission, chaque épisode même ambigu permettant une mise au point salutaire, au moins relativiser le point où on est arrivé (descendu), au mieux reprendre confiance et saisir sa chance ‘naturelle’.

Poelvoorde joue le fils agriculteur, dernier de la lignée et privé d’avenir. Son alcoolisme et sa situation sociale sont traités avec lucidité. Le Salon de l’Agriculture est son divertissement annuel. Envieux des parisiens, il se sent passer à côté de la vie, un peu comme un enfant ou un cloîtré involontaire privé des joies du monde. Ses relations avec les femmes sont minimales, il y a donc urgence sexuelle pour ce poivrot tassé dans la honte et l’alcool, avec toute son énergie idiote. Mike, le conducteur du taxi, est une sorte de loser péri-parisien essayant de se mettre en avant. Un pleutre et un imposteur, tellement minable qu’il atteint un ridicule facile à pardonner, car de toutes façons la matière est pourrie et l’affaire vite classée. Le père joué par Depardieu aussi a ses anomalies (la femme au bout du fil), mais il est gâté par l’âge et son ascendant naturel d’ours affable, débordant de compassion et de vitalité simple. Michel Houllebecq (Soumission, Les particules élémentaires), pilier délabré de Near Death Experience (le précédent opus du tandem grolandais), fait une apparition en hôtelier improvisé, sous les traits d’un père de famille bien brave et dévoué.

En tant que comédie le film excelle, dans la commisération ses intentions et ses résultats sont dispersés. Il saisit les endroits où il peut aller dans le grotesque (convoquant des excentricités de charlots campagnards, comme le délire des particules avec un type ne faisant même pas l’effort d’être convainquant ou simulateur charmant) sans sacrifier le réalisme, en gardant de l’empathie même dans les moments de solitude ou d’humiliation. Les personnages sont déglingués, pourvus d’accessoires excessifs (préservatif Chirac) mais vraisemblables – à l’exception des anciennes amantes de Mike puis su trop-plein de handicaps infamants, tirant vers le cartoon. La mise en scène trouve un équilibre entre la moquerie et la compassion, la première n’étant jamais exclusive, la seconde finissant par emporter le morceau. Dans la dernière partie l’option naïveté guillerette triomphe sans réserves ; trop de pathos et une utopie piteuse, malgré des résidus de cruauté et des déballages caustiques (la révélation puis l’action un peu glauque assumée par Vincent Lacoste). À la fin triomphe une éthique libertaire. En général : la vie c’est le plaisir et l’amitié, dans une Nature clairsemée, sans se faire d’illusions ou attendre de perfection des autres. En particulier : c’est un syndicat de papas, parce que le club est passé sur maman – et ces questions n’ont manifestement pas trop d’importance tant que l’issue est heureuse.

Note globale 58

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Suggestions…

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (2), Ambition (3), Audace (3), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

MBTI-Enneagramme : Conducteur ISTJ au Fi développé ? Houellebecq joue un ISFJ (ou quelqu’un dans cette transe).

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