Tag Archives: Jean Yanne

WEEK-END (Godard) =-

11 Fév

Sorti après l’échec et l’impact tourmenté de La Chinoise, Week-end est un méchant piège monté par Godard. L’homme de Pierrot le fou est alors au sommet de sa gloire et surtout de sa visibilité – il sera marginalisé absolument dans une décennie. Au départ dans Week-end il semble faire vaguement semblant de réaliser un film normal, avec narration continue et événements ou buts clairs. Pourtant la musique intervient à des moments incongrus, puis s’étale, couvre des dialogues en plein milieu de séquence. Et ça dure et les dialogues continuent ; décousus, des logorrhées à base d’expériences sexuelles, où le locuteur rebondit sans fin et sans intensité.

Ce n’est pas toujours bien audible et lorsqu’on tend l’oreille il n’y a rien à y gagner. Le film sera une succession de moments longs souvent volontairement irritants. L’exemple le plus édifiant est au début : c’est le temps de l’embouteillage et des klaxons sur la route (avec post-synchro crispée édifiante pour insister sur l’absurdité dévastatrice). La trame est idiote et aurait pu servir à une comédie, comme le tandem principal : Jean Yanne (futur Boucher) et Mireille Darc, populaires et aux costumes habituellement positifs ou gentiment appréciables. Jeunes adultes bénis des Trente Glorieuses et bourgeois aux avant-postes pour profiter de la société de loisir qui s’ouvre, ils traverseront la France sans prêter attention aux troubles sociaux et aux revendications omniprésentes (la dernière partie est braquée sur une insurrection dans les bois avec hippie-punks coco-primitivistes).

C’est la jeune droite molle qui ne sent peut-être pas et dans tous les cas se fout du vent qui souffle dans la vie sociale et politique – sinon dans l’Histoire ; elle n’en retient que les bénéfices présents et s’y abonne doctement. Ceux qui s’agitent ne valent pas nécessairement mieux. Ils sont accrochés à des combats plus qu’intéressés et n’ont pas de problème pour faire preuve d’hypocrisie ; Yanne et Darc ont le tort d’être indifférents mais au moins ils ne perdent pas de temps à faire la leçon et ne s’étalent pas en démonstrations. Cet opus est hautement politisé mais guère militant, loin de Deux ou trois choses que je sais d’elle produit au même moment. C’est surtout un objet d’amusement (le pic humoristique est la séquence du ‘stop’ après l’accident), avec citations à foison, plus pour faire de l’effet et remplir la barque qu’approfondir ou défendre. Quand les échanges se font distinctes, c’est pour accoucher ce genre de niaiseries : « il a dit ‘on est tous frères’ » ; « c’est pas Marx, c’est un autre communiste qui l’a dit : c’est Jésus ».

Au milieu des banalités utilitaires et exclamations foutraques, les exhumeurs devront apprécier quelques bons mots et des laïus éparses sur le christianisme, la morale et la lutte des classes. Le soulèvement Noir et la projection assortie couperont quelques instants les fadaises de doctrinaires gauchistes. Ce chaos posé bien que teigneux est une première vision d’apocalypse ordinaire par Godard avant ses exploits de fin de carrière (et de vie) Film Socialisme et Adieu au langage, costauds en terme de désintégration assumée. Godard l’avant-gardiste voyait déjà en 1967 les nouvelles ligues gauchistes comme des gesticulateurs aux chances d’accomplissement nulles, régression et endormissement bruyant mis à part. Si cette déglinguerie multiple laisse froid -et il y a de quoi- il faudra se satisfaire des performances ahuries et des joies neurasthéniques, avec Mozart à la ferme ou la pouffe parisienne en sang et en furie contre le prolétariat franchouillard.

Note globale 52

Page Allocine & IMDB   + Zoga sur SensCritique

Suggestions… Crash/Cronenberg

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

Note arrondie de 51 à 52 suite à la mise à jour générale des notes.

Voir l’index cinéma de Zogarok

.

LE BOUCHER (Chabrol) +

27 Nov

Ce Boucher « touché par la grâce » selon son réalisateur se distingue par une écriture brillante, des paysages et lumières sublimes piochés dans la réalité crue, une intrigue unie et simple, un tandem de caractères riches. Il est centré sur la rencontre de deux solitudes instinctives, renvoie à leurs parts innées et acquises (les affres de la vie personnelle et des demandes publiques). Dans la foulée on trouve une histoire d’amour impossible naturaliste, dont seule l’incongruité et les excès refoulés ou endormis sont d’évidence cinématographiques.

Chabrol met l’accent sur le mode de vie. Nous sommes à la sortie des sixties, dans la ruralité française. Les repères passés et distractions présentes s’accordent bien. C’est le temps où on est encore portés par la confiance dans le progrès, celui en tout cas sur le plan technique a les vertus et les retombées requises pour convaincre. Les locaux et institutions reposent sur de vieux moyens. Ils sont fonctionnels, mais le décalage avec les ressources urbaines ou des grandes communes est souligné. C’est dans ces terres du Périgord [la Dordogne] que la jeune Hélène (Stéphane Audran) est venue se cacher. À l’abri des passions. Conventionnelle et moderne (évasions non-traditionnelles), elle récupère les loisirs et gâteries parisiennes sans être en rupture avec son environnement.

Cette directrice précoce, perméable et actuelle, libérée mais loyale, gardant une apparence lisse, complaisante, plaît au village. Elle tisse des liens avec Paul le boucher, qui a grandi ici et est revenu s’installer. Il parle souvent de son expérience à l’armée et la juge avec sévérité. Ils se découvrent pendant un mariage où ils ont en commun d’être à la périphérie, tout en étant intégrés et appréciés. La mise en scène souligne leur ambivalence, leur aliénation plus ou moins choisie et chérie parce qu’elle est un moindre mal. La tension ne vient pas du suspense lui-même mais de son objet. La crainte la plus forte c’est la fin du doute et l’abolition des authenticités dociles – les masques se devinent, mais ce sont encore des masques, la sécurité demeure. Les émotions sont tranquilles et faciles tant que leurs valeurs restent confidentielles, auprès des pulsions refoulées (et déguisées pour parader en plein jour).

Le Boucher est un exemple remarquable de film où beaucoup se vit en hors-champ, parce que les protagonistes se voilent, très peu pour des raisons de tactique (même si Chabrol sait cultiver l’attente et l’ambiguïté pour assurer, aussi, le divertissement d’un policier réussi). La fin propose un cote à cote singulier, un plongeon désabusé et brave en plein cauchemar. La musique du compositeur Pierre Jansen (affecté à une trentaine de films de Chabrol, qui a peu varié ses collaborateurs en 49 ans de carrière) encourage le soupçon, insinue une distance abstraite. Elle tire vers le large cette puissance ‘noire’ et sensorielle, terre-à-terre et assiégée par les vapeurs psychiques. Le réalisme du film est complété par une intelligence émotionnelle et viscérale ; il transmet un ressenti lugubre, mais serein, cousin de ce que Chabrol travaillera pour Alice ou la dernière fugue (1976), son unique incursion dans le fantastique et plus généralement dans la fantaisie pure.

Le fond d’ignorance, sauf bestiale, de Paul n’a jamais fait aucun doute y compris pour lui-même. Le Boucher renforce l’image insinuée par Que la bête meure sorti l’année d’avant, avec Jean Yanne en bête immonde ; ce chabrol-là se frottait à davantage de complications, multipliait les caractères difficilement défendables (ou corrompus à mesure), avec une tendance à la manipulation (et un semblant de mystère) décuplée. Comme en attestera plus tard La Cérémonie (avec Isabelle Huppert, l’actrice fétiche, dans un contre-emploi pourtant cohérent), Chabrol s’envole lorsqu’il s’agit de prendre en charge des monstres, les considérer avec intelligence, les voir de près sans goût du sensationnel ou du mensonge, avec une empathie pratique et peut-être de la compassion, mais plus laconique et cérébrale. Anecdote pour les fétichistes : dans un petit rôle (l’inspecteur) on retrouve Roger Rudel, doubleur attitré de Kirk Douglas pour les francophones (il a également prêté sa voix à Sinatra et Fred Astaire).

Note globale 84

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Nous ne vieillirons pas ensemble + Le Corbeau

Scénario/Écriture (4), Casting/Personnages (4), Dialogues (5), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

Passage de 83 à 84 avec la mise à jour de 2018.

Voir l’index cinéma de Zogarok

.

PAPY FAIT DE LA RÉSISTANCE =-

11 Avr

À son échelle d’estime, de popularité et de notoriété, c’est une des comédies françaises les plus hystériques, sinon la plus hystérique avec Les Visiteurs 2. Papy fait de la résistance est un de ces (assez rares) all star movies à la française (comme Astérix et Obélix Mission Cléôpatre) présentant la particularité de réunir à l’écran plusieurs générations de comédiens.

Les héros du vaudeville et du cinéma à papa comme Jacqueline Maillant, Michel Galabru et Jean Carmet donnent ainsi la réplique à la troupe du Splendid, rassemblée ici pour la dernière fois de son histoire (si l’on omet Les Bronzés 3 où la plupart se retrouvent). L’autre grand atout du film est son rythme effréné. Les gags fusent sans arrêt, souvent pince-sans-rire, l’action n’est nuancée par aucune pause et le montage réussit le tour de force de donner une lisibilité à toute cette agitation.

Si on l’a découvert porté par l’euphorie ou si on a grandi avec : c’est génial (comme les films avec De Funès). Sinon, on profite d’une comédie hystérique sortant les grands moyens. Certains éléments clés interpellent, comme la performance bigger-than-life de Gérard Jugnot en collabo odieux, ou plus encore l’intervention de Jacques Villeret venu conduire les réjouissances vers la farce musicale. Avec Jacqueline Maillant ces deux-là sont les plus divertissants de la partie, ce qui n’était pas évident (le passage éclair de Jean Yanne était aussi plein de promesses, alors que le numéro de Galabru est vermoulu).

Il y a toutefois de quoi douter. Lamotte, Clavier et Poiré ne sont pas clairs sur ce qu’ils entendent démontrer, entre la peinture innocente mais malvenue d’une Résistance paumée et la parodie de films sur la guerre de 1939-1945. La tenue du débat imitant l’émission Les Dossiers de l’écran s’en ressent.

Et puis on retrouve tous ces gimmicks navrants du vaudeville, avec pour exemple le plus grossier ce gag éternel de l’efféminé quarantenaire fil-fille à maman. Bien sûr, on peut estimer qu’il soit dans le même temps Super Résistant est une manière de nous prendre au piège de nos propres clichés. On peut. Personne n’a forcé l’équipe de Papy à polluer ce film avec des repères esthétiques si rabougris (comme les supposés vices de ‘chleus’).

Note globale 54

 

Page Allocine & IMDB   + Zoga sur SC

Suggestions… La Grande Vadrouille + Nicky Larson et le parfum de Cupidon + Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? + Les aventures de Rabbi Jacob

Ajout des trois dernières parenthèses lors de la publication sur SC (30 mars 2020). Note passée de 53 à 54.

 

Voir l’index cinéma de Zogarok

 

NOUS NE VIEILLIRONS PAS ENSEMBLE =+

5 Oct

Maurice Pialat entame sa carrière de cinéaste sur le tard. Après une poignée de courts (L’amour existe, Janine, la série des Chroniques turques), il accomplit son premier long-métrage en 1968 à 43 ans avec L’Enfance nue, au point de vue cru et complaisant sur la réalité d’un orphelin livré à des tuteurs gâteux. Après une série pour la télévision (La Maison des bois, feuilleton de 1970), Pialat présente un second long, cette fois avec des acteurs professionnels. Jean Yanne et Marlène Jobert y mènent une liaison pathétique, vouée à l’échec comme l’indique le titre. Sauf qu’ils ne savent pas se quitter.

Jean est toujours plus odieux envers Catherine ; elle s’accommode de ses bassesses, par lâcheté et paresse encore plus que pour satisfaire son franc masochisme, sans doute rassasié depuis longtemps. Ils ne s’aiment déjà plus, se méprisent, mais une petite pointe de connivence due à l’habitude et au passé commun les rapprochent toujours ; ils sont minables mais minables ensemble. Ce sont deux amorphes tourmentés, noyés dans leur médiocrité, leurs besoins rustauds, leurs occupations de ploucs fatigués. Ils se sont trop bien trouvés. Pourtant Jean est marié à Françoise (Macha Méril, blonde en ce temps là), bien plus jolie, réactive et délicate ; Catherine fait pâle figure face à elle et Jobert est enlaidie et vieillie pour ce rôle, du moins au début du film.

Jean la rejette car cette nerveuse abattue est nulle comme lui ; elle a peur de décoller, évite la réussite, investi son intelligence dans l’inertie. On voit. On voit bien qu’ils sont moches, qu’à ce moment il est lourd, qu’elle se fait bête, qu’il en chialerait presque d’être aussi impuissant, etc. On les voit s’appeler, après deux ruptures en un éclair et c’est débile. Et le film suit le cours de cette débilité, rigoureusement torve. Pialat n’y met pas de panache, mais une ‘entièreté’. Et à force de s’éterniser, de répéter les mêmes schémas grotesques sans accepter d’en rire ; nous aussi on deviendrait bizarrement otages de cette aberration désagréable, vannés mais résignés à traîner dedans en attendant le crépuscule.

Sans avoir la violence de La Gueule Ouverte (prochain opus et coup d’arrêt à la carrière de Pialat en raison du désastre commercial), cet extrait de l’oeuvre de Pialat met en relief ce que son cinéma a de plus dissuasif et impérieux. Ce n’est pas encore Loulou (avec Depardieu et Huppert) mais c’est du cinéma bœuf accompli, sans malice ni manières. L’implication de l’auteur semblerait minimale s’il n’y avait ce fiel criant à chaque portion de séquence. Sitôt qu’on regarde autour du film, son caractère autobiographique devient évident (il est même tiré d’un livre du réalisateur, publié aux éditions Galliéra). Le personnage confié à Jean Yanne (cinéaste raté, bourru et abject) est un décalque de Pialat.

Cela ne suffit pas à rendre le film remarquable ; en-dehors de ses émotions ‘pourries’, crachées avec une distance de sécurité et pleines d’aigreur, Nous ne vieillirons pas ensemble se refuse à germer. Le travail ‘formel’ n’est pas omis mais Pialat en dénie l’importance, au profit de la cure féroce et son réservoir de fulgurances. C’était déjà le cas dans L’enfance nue et les sentiments sales seront toujours son totem, mais à ce niveau de ‘savante’ négligence cela devient terne – l’amertume est chargée de tout. Dans le fond c’est juste une simple vieille histoire de couple, voire de coucherie, en train de se rétamer ; le supplément c’est de l’afficher dans toute sa capricieuse dégueulasserie, mais sans véritable inquisition.

Finalement c’est un peu comme les heures crasses de Tavernier, celui de Coup de torchon, mais devenu apathique y compris à propos de lui-même et l’imaginaire de ses turpitudes, court à tous points de vue. Pialat demeure sans jugement à propos de cette fosse ordinaire où il nous balade, avec sa part de génie. Le film connaît un grand succès à sa sortie, avec 1.7 million d’entrées et une reconnaissance critique envers son auteur. Yanne, qui allait bientôt passer derrière la caméra (Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil en 1972) reçoit le prix d’interprétation masculine à Cannes, malgré ou peut-être à cause des circonstances troublées du tournage, entre ses conflits avec Pialat (incapable de diriger un acteur selon lui) et l’agonie de son épouse.

Note globale 57

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions…

Scénario & Ecriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (4), Ambition (3), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

Voir l’index cinéma de Zogarok 

.