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L’ATALANTE +

9 Déc

l'atalante

Jean Vigo était un réalisateur français très controversé au début du XXe siècle (positions anarchistes, pacifistes et anti-patriotiques), dont certaines œuvres ont été censurées par le gouvernement français. L’Atalante est son seul long-métrage, son exploitation en salles s’achevant une semaine avant que Vigo ne meurt de la tuberculose, à seulement 29 ans en 1934. Depuis sa sortie, L’Atalante a lui-même été souvent coupé et remonté.

C’est l’un des emblèmes du réalisme poétique, courant dominant du cinéma français dans les années 1930, soit dans les premiers temps du parlant et jusqu’à la seconde guerre mondiale. Influencé par le naturalisme, l’expressionnisme et dans une moindre mesure du surréalisme, le réalisme poétique plongeait dans les milieux populaires avec des personnages tragiques ; a-posteriori on pourrait le définir comme un pendant authentique et social du film noir américain, se plaçant aux frontières du fantastique.

L’Atalante raconte l’apprentissage de l’amour d’un jeune couple fraîchement marié. En s’engageant avec Jean, Juliette s’engage aussi pour la vie sur une péniche, dont il est le patron. Il y a une tierce personne sur le navire : le père Jules, vieux matelot et commis de Jean, un peu grillé par l’alcool mais toujours réceptif. Pathétique mais solide, ce personnage arrive au terme d’une vie de joie et de liberté. Sa philosophie et sa douceur réussissent à apaiser Juliette.

Le lyrisme profond de L’Atalante est relayé par une science technique avancée et originale. Cet envoutement opère par exemple dans l’usage de la voix-off, lorsque Juliette se rappelle des mots du garçon euphorique lui promettant Paris, pendant que son mari la ramène à la réalité. L’ensemble baigne dans un climat sensuel, à la fois lunaire et terrien et certaines scènes versent tout près de l’onirisme. La dernière partie notamment est marquée par des temps de déconnexion, où la narration se fait abstraite, mais jamais cryptée.

Le voyage représente une initiation à la vie marginale pour Juliette et le défi de plonger dans l’univers de l’autre pour les deux aspirants amoureux. Chacun cherche des signes et tâche de se dépasser, consultant éventuellement quelques oracles. Cette aventure peut sembler paradoxal, à la fois simple et idéaliste, épanouissant et morose, comme toutes ces belles scènes au parfum fataliste mais pourtant heureux (celle enfantine et grave avec le pantin).

Note globale 74

Page Allocine & IMDB  + Zogarok sur SensCritique

Suggestions… Le roi et l’oiseau + Le vieil homme et l’enfant + Querelle + La dame de Shanghai + Les Vieux de la vieille + Boulevard du crépuscule

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MINI CRITIQUES SDM 2020 (1 : Janvier)

27 Jan

Désormais les critiques seront rares. Au départ je pensais à un modèle fixe pour les séances de l’année en cours – tous les trois mois, pour autant d’éditions que de saisons ; exceptionnellement tous les six ou neuf mois si je manque les sorties en salles ou n’en vois qu’une ou deux certains trimestres. Finalement je m’en tiendrais à un mois minimum et une année maximum. Je n’inclus que les films vus dans et de l’année, pas les récentes sorties en salles qui appartiendraient à celle écoulée (comme A couteaux tirés le deuxième jour de l’année). Sur ce lien le SDM suivant.

Pour cette première vague :

  • Les vétos ** (comédie dramatique, France)
  • L’Adieu/Farewell ** (comédie dramatique, USA)
  • Les enfants du temps ** (animation, Japon)
  • Selfie ** (comédie, France)
  • La llorona *** (drame/thriller fantastique, Guatemala)
  • Marche avec les loups ** (documentaire, France)
  • Adoration *** (drame/thriller/aventure, Belgique – Du Welz)
  • 1917 *** (guerre, UK – Sam Mendes)
  • Underwater ** (fantastique, USA) 
  • Scandale * (comédie dramatique, USA – Nicole Kidman) : critique à venir

LES VÉTOS ** : Sympathique et vaguement séduisant, mais paresseux et tendance à ‘forcer’ : direction d’acteurs souvent lourde, traits appuyés plutôt qu’étayés, humour évident et précipité. Tendance aussi à aligner élégamment les clichés. Le regard est assez plat même si pas sans subtilité, parfois limite crétins comme dans le cas des contrastes entre la vie de chercheur et l’aisance urbaine versus l’engagement et l’affection pour le low-tech en province. Sur la désertification des campagnes avec focus sur une profession typique, Petit paysan est plus complet sur tous les points (et sa platitude musicale vaut mieux que les tentatives d’ici). (56)

Suggestions : Perdrix, La Ritournelle. Au nom de la terre.

L’ADIEU / THE FAREWELL ** : Fin et doux, pas original. Se regarde sans ennui malgré le ressenti d’une séance assez longue. Des rotations un peu désagréables à l’œil, ralentis et recours musicaux lourdingues, petits effets éculés. N’en fait pas trop concernant la conscience des fossés culturels, les positions diverses face aux traditions, aux responsabilités et au principe de réalité. Se place loin des fautes, loin de toutes révélations aussi. Garde une distance, par pudeur peut-être, qui amène à survoler le comique comme le tragique. Des instants croustillants ou révélateurs mais généralement stériles (ce qui concerne l’amant de grand-maman – une relation bien stérile aussi et tellement typique) ; pas d’évolution tout le long du film, même sur les points clés du scénario. Voilà un film raisonnablement compatissant et résolument modéré recommandable uniquement à ceux qui aiment jeter un œil sur les coutumes et les ambiances chinoises, en gardant un pied et des références bien de chez eux. (56)

LES ENFANTS DU TEMPS ** : Japanim décente et ennuyeuse, du kikoo-kawai propre. Quelques beaux plans sous la neige. Identité propre faible malgré les initiatives autour des ‘filles-soleil’. Ampleur importante sur le plan sonore en terme de qualité comme d’originalité, en gardant le sommet toujours très éloigné, mais aussi en évitant l’irritant trop prononcé. (46)

SELFIE ** : Efficace et assez juste, pas téméraire. L’humour est évident, les quatre sketches ont tous un certain niveau de pertinence et balaie l’essentiel ‘superficiel’ sans entrer dans le glauque ou les marges. Le sketch avec Blanche Gardin sert de liant et est le plus proche par son style de Black Mirror grâce à son ton d’une platitude sournoise et son humour résolument blasé. Les personnages sont mêlés, les secondaires appelés à prendre une plus grande place dans un suivant, ce qui permet notamment au protagoniste du quatrième de s’octroyer une espèce de tenue alors qu’il reste méchamment insignifiant. Le premier sketche est très typé romcom et montre le mieux une bêtise absolument pas propre aux médias sociaux : celle des profs. Le second est le plus typiquement relié à l’époque et repose sur un jeune assez débile, au point où on pourrait (à tort) demeurer sceptique quant à sa transformation. Le troisième sketche a des côtés Dupieux et le pathétique l’emporte plus violemment, car le type est aliéné et crétinisé au maximum. Le quatrième s’achève en faisant retomber la pression et suggérant à raison qu’un peu de responsabilisation et de dédain pour l’opinion des autres dégonflerait une large part des angoisses liées au numérique – en même temps c’est une façon de s’accommoder de la captation de la vie privée, donc en tant que fatalisme une sorte de sagesse et de renoncement odieux. (58)

LA LLORONA / THE WEEPING WOMAN *** : Plutôt calibré pour me convaincre, par de nombreux éléments de sa mise en scène (style froid rigide et intimiste, empathique sans tendresse, le réalisateur a parlé de « réalisme magique » en interview), par les thèmes et sensations qu’il illustre (déni et culpabilité, mélange de honte et de loyauté, héritage malsain dont on est tributaire, superstition omniprésente et jouant un rôle propre dans des milieux différents). Pourtant le film traîne beaucoup de lourdeurs (explicitations futiles, probablement pédagogiques, par exemple pour clore la scène entre papa et « princesse ») ou d’auto-indulgence, avec ses lenteurs faciles (y compris pour soit surligner, soit faire planer le doute sur la nature de l’invitée), son symbolisme redondant de la montée des eaux – quand même le truc élémentaire dans le genre. Mais l’immixtion de l’inconscient dans cette réalité crépusculaire et sinistre fonctionne. Elle favorise l’empathie via la projection dans l’autre, pour un ressenti à vif, au-delà des valeurs ou de l’intellect – et donc au-delà de la simple ‘bonne conscience’. C’est une excellente façon de ré-humaniser des personnes trop éloignées – doublées de victimes dans le cas présent.

Entre dans la catégorie des « +85% féminin », beaucoup moins fournie que son pendant masculin. Il aurait pu tomber également dans l’escarcelle du « Cosmopolitiquement correct » et a un fort potentiel de séduction chez les clients du genre, puisque la cible est droitière sur tous les plans et que l’ex-général génocidaire évoque lors de son procès la nécessité de bâtir une ‘identité nationale’ ; en même temps la sympathie pour les Mayas, comme tout ce qui se rapproche du souci des droits et de la réhabilitation des autochtones, a une proximité avec les luttes de libération nationale – par définition cosmopolitiquement compatibles pour un temps. (68)

Suggestions : Le jardin des délices/Saura, La déchirure/Killing Fields, Ne nous jugez pas, La maison du diable, Mama.

MARCHE AVEC LES LOUPS ** : Si on retirait le seul membre de l’Humanité retenu, ce serait excellent. Le milieu du film est ravagé par les laïus incessants de l’écolo militant. Bertrand ne rate jamais une occasion de plaider pour « l’ouverture » d’esprit et accuse « nôtre civilisation » de ne pas avoir le goût du partage. Nous sommes d’affreux territorialistes et Yann Artus-Bertrand le disait déjà, avec plus d’ambition et de visées sociales dans Home. Ici la conclusion est la décroissance et l’éco-centrisme, plutôt que le cosmopolitisme expansif. Au moins la Nature et ses habitants sont omniprésents et pas tenus en laisse ; l’intégrité est là. La pertinence et jusqu’à la bonne foi pas tellement. En-dehors de l’observation de la vie des loups et opportunément des autres animaux, Bertrand ne se préoccupe que de son catéchisme (et de se mettre en valeur en temps qu’insouciant résilient, sans peurs ni reproches – la séquence d’ouverture contient toutes les contradictions et la part d’arnaque du projet ; le montage et les drones anéantissent les postures, ce dont le réalisateur se moque ou qui reste dans son angle mort). C’est au point où il nous prend un peu pour ses ombres consentantes – la scène du berger allié en esprit restant le summum (et l’évocation des brebis galeuses hostiles au loup un autre, dans la caricature du déni et du simplisme gauchiste) ; les niaiseries de la cabane nous rapprochent des errances maîtrisées d’Agnès Varda (et soulignent l’égocentrisme prosaïque et ennuyeux des personnages engagés dans ce type d’aventures – effectivement, Into the Wild est d’un romantisme et d’un idéalisme ridicules comparés à ces récurrences vraies). (62)

Suggestions : Cliffangher, Captain Fantastic.

ADORATION *** : Troisième film dans les Ardennes après deux policiers qui sentaient la commande – surtout par contraste (avec l’Alléluia furieux flanqué au milieu). Toujours cette grande capacité d’imprégnation.La présentation est excellente, les péripéties moins, la tournure prévisible. Heureusement les événements comptent moins que le climat – environnemental, sensitif, psychologique. Le gamin est certes un peu benêt mais aussi handicapé par ses ‘références’ : sa mère en plus d’être une demandeuse agressive et malsaine ne le prépare ni à la maturité ni au monde ; ‘forcément’ l’individu passe d’une tordue à une autre. Ce film n’aidera pas à ‘banaliser’ la figure du schizophrène, le cas local est trop violent ; mais d’autres fous dangereux déjà vus au cinéma, spécialement chez les belges, ont peut-être simplement eu le bonheur de ne pas être étiquetés. C’était un des films, sinon le seul, que j’attendais cette année. (72)

Suggestions : Kes/Loach, La balade sauvage, La nuit du chasseur, Jeux interdits, Les yeux sans visage, L’enfance d’Ivan, La première nuit/Franju, Journal d’un curé de campagne.

Réalisateur : Quand on est amoureux c’est merveilleux, Calvaire, Vinyan, Colt 45, Alleluia, Message from the King.

1917 *** : Spectacle prenant, techniquement formidable, avec des décors excellents ; il n’y a rien à dire contre l’interprétation et très peu contre le casting ; le reste, qui pèse peu, est moyen. Les invraisemblances et facilités jalonnent le parcours, heureusement nous avons l’esprit ailleurs – et Schofield à sa mission. Malheureusement ces bizarreries concernant le levé du jour ou d’autres progressions temporelles nuisent à la garantie plan-séquence ; de même que le splendide passage au village nécessite des artifices voyants – rien qui ne nuise à l’immersion et encore moins à la beauté du geste. Une pointe d’absurde nuance le caractère épique. Une telle virée est probablement plus efficace que de nombreux discours ou exposés sur la guerre ou même sur celle-ci ; pourtant, même si la mort et les cadavres s’empilent, même si le danger et la précarité couvrent tout, les représentations sont encore aseptisées. On anticipe les gueules cassées seulement en survolant les rangées de blessés dans l’une des dernières scènes. Les dégueulasseries de ces conditions de vie ne sont pas assez visibles ou encore trop lisses. Et surtout l’héroïsme reste préservé, la crise de foi est tempérée par le lyrisme et l’immédiateté. Enfin les gens ne se trompent pas : 1917 ressemble énormément à un jeu vidéo, si sa narration n’est pas carrément calquée dessus : le passage du milieu où il perd conscience (comme dans Half Life) et se réveille dans un univers transformé, les objets à emmener aux PNJ, puis bien sûr la succession de niveaux et les combats pour en sortir. (68)

UNDERWATER ** : Pas à la hauteur d’Alien Covenant à mes yeux (l’univers est loin d’être aussi vaste, impressionnant et développé) ni de Crawl (le rythme est beaucoup plus relâché et la narration plus confuse). C’est plutôt du niveau d’Un cri sous l’océan, mais d’un ton beaucoup plus grave. Les acteurs ont des partitions sympa et crédibles, mais rien de fort ne s’en dégage. Crédibilité médiocre (ouvertement lorsqu’il est question de ‘séisme’ ou d’oxygène). On gardera difficilement de ce film des impressions durables, même si celles du début et de la fin sont bonnes. Des passages obscurs à tous points de vue – il y aura peut-être des détails à redécouvrir grâce aux sorties vidéo. La créature a le mérite de ne pas être tout à fait convenue (malgré la quasi citation de la prise de contact dans l’Alien d’il y a 41 ans). Je m’attendais à quelque chose d’un peu plus criard mais aussi d’un peu plus malin ou intelligent. Les exhibitions malheureuses des parties grasses du sidekick TJ Miller servent-elles à justifier l’exposition récurrente de Kristen Stewart en deux pièces ? (58)

Suggestions : Humanoids from the Deep/Les monstres de la mer, Leviathan, Battleship, Le chant du loup, Pacific Rim, Tremors, Le choc des titans, The Host, Dagon, Necronomicon, Alien 4.

SDM 2020 : 2) Février – Mai, 3) Juillet – Aout.

SDM 2019. (retour en tant que mini-critiques, fin absolue des critiques systématiques)

LE QUAI DES BRUMES +

3 Mai

quai des brumes 2

Classique du cinéma français (plaçant le fameux « T’as de beaux yeux tu sais »), Le Quai des brumes est plus spécifiquement une pièce maîtresse du réalisme poétique. Ce courant français des années 1930 empruntant à l’expressionnisme se focalise généralement sur les milieux populaires et est caractérisé par une emphase particulière sur les dialogues, à une époque où le parlant se généralise. L’Atalante et La Grande Illusion sont deux exemples fameux du genre, auquel s’ajoute Quai des brumes, sorti un peu plus tard (1938). Quai des brumes est aussi un des sommets de la collaboration entre Carné et Prévert. Ce dernier fournit une écriture remarquable, avec un lot de bons mots typique mais surtout avec une justesse rendant des poussées théâtrales extrêmes tout à fait opérationnelles.

Quai des brumes se veut tragique ; sur ce terrain il n’est pas à la hauteur d’un film noir comme Les Forbans de la Nuit (avec la pègre au milieu également) ; Carné est peut-être plus à l’aise dans la comédie et l’encadrement d’acteurs très intenses ou éventuellement joueurs (la partition de Michel Simon est particulièrement amusante). Si sa façon d’être sombre est aussi nette que somme toute inoffensive (comme ses audaces plus sociales), Quai des brumes reste une superbe ballade romantique. Ce n’est pas dans les idées générales ou la confrontation à des vérités universelles très affirmées qu’il tire sa sève ; c’est plutôt par les spécificités de son intrigue, plus humblement donc mais avec une haute exigence qualitative. Peu remuant envers les archétypes qu’il déploie, Quai des brumes ébloui par son aspect populaire noble, avec ses répliques humbles et posées, philosophiques et ordinaires ; finalement, par son académisme sincère et vigoureux.

L’idylle entre Gabin et Michèle Morgan illumine la séance ; plus que les autres, leurs personnages sont otages de mauvaises circonstances et conscients qu’il n’y aura pas d’éclaircies, menant leur aventure à terme au mépris de quelques tentations pragmatiques, quoique dans le fond déprimantes. Cette attitude sera remise en scène dans Hôtel du Nord (avec carrément la perspective du suicide pour un jeune couple), lequel tâche d’être plus abstrait et se plante, à désincarner sans le faire exprès ses victimes résignées. Au contraire, tout est bouillonnant dans Quai des brumes. Il n’a pas non plus la précision froide du Jour se lève, ni sa pesanteur lugubre ; c’est plus une complainte, un purgatoire lustré. Trop peut-être ; ce désespoir s’affiche de façon bien propre et lisse ; mais il n’en est pas moins fondé et c’est simplement beau.

Note globale 76

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Les Yeux sans Visage + La Traversée de Paris + Querelle + Tristana   

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