SORTIES DU MOMENT (1)

9 Mai

Films du moment ou de l’année en cours. Au programme cette fois-ci :

_ Bullhead*** (70) > drame Belge

_ Battleship* (38) > action-movie & SF USA

_ Le Prénom* (8) > comédie Française

Bientôt sera publié un article condensant les chroniques de plusieurs films sortis en 2011.

BULLHEAD ***

3sur5 C’est l’histoire d’un homme soustrait de la trivialité et du Monde commun, par l’Horreur, la brutalité, par un secret inavouable, vraiment inavouable, puisque même pas criminel – mais honteux. Bullhead est, sur le fond, la chronique d’un amputé total, privé de sa vie, réduit à l’état d’animal et d’enfant délaissé. Sur la forme, c’est d’abord un film d’atmosphère et psychologique.

Tout consiste ici en l’étreinte de ce monstre atrophié, replié et mutique. Les seules horizons se dégageant sont intimes. Le film pourrait alors être étouffant, glauque même ; pourtant, l’immersion du spectateur dans l’antre de la Bête est aisée. Nous sommes dans un cadre épuré et cette souffrance confuse n’opprime pas : au contraire, elle fait de nous des spectateurs-voyeurs mais compatissants, des analystes bienveillants.

Les intrigues mafieuses bénéficient d’une attention très seconde : Michael R.Roskam assume la chose, avec soin et même quelques facéties (on aperçoit quelques portraits bien croqués, quelques caractères bien trempés – mais aussi des micro-tentatives de confusion des genres un peu désuètes). Mais ce n’est pas là qu’il se concentre. C’est bien sur le terrain du drame qu’il déploie tout son talent, ainsi que par le biais de sa mise en scène.

Presque organique, sèche et sculpturale comme son héros, cette mise en scène scelle, parfois dans des élans suspendus, une épopée désespérée, poétique malgré elle. Il y a deux rencontres : celle du tragique et du trivial, celle de la Bête affectée et de la Belle nantie. De la même façon, le film s’achève en deux temps : d’une part, la fatalité l’emporte, d’une autre, Bullhead vire à la bad romance, avec un prétendant s’échouant alors qu’il est parvenu dans la tour de la princesse. Le film est en cela à la fois cruel et simpliste, frustrant mais néanmoins fascinant, puisqu’il débouche sur l’échec d’une tentative d’émancipation.

Bullhead est un de ces films à l’issue duquel on a, à la sortie, peu à dire ; mais pourtant, qu’on a vécu, ressenti et peut-être compris, plus que tant d’autres.C’est le gage d’un spectacle simple, percutant et complet. Bullhead est effectivement réussi, profond et impliquant, tout en manquant d’une dimension extraordinaire ; il faudrait une excroissance majeure, de quelconques surprises ou sorties de pistes un peu téméraire, pour que l’expérience devienne coup-de-massue et que de bon film, Bullhead se mue en film monumental. Si seulement le héros croisait, même un instant, la folie, ou qu’à son âme se greffaient d’autres secrets, ou même que gravitait d’autres personnages tourmentés ou mis à nu…

Note globale 70

Page AlloCiné

Espace MetaCritic

*

————————————————————————————————————————————————————————————

*

BATTLESHIP*

2sur5 Vaguement drôle, normalement spectaculaire, surtout, déplaisant en aucun point (ni pour des raisons de forme, ni pour des raisons de morale interne), Battleship n’est certainement pas à recommander, mais largement regardable (quoiqu’un peu désespérant sur la fin) pour un blockbuster bourrin d’envergure moyenne.

C’est du ciné pop-corn, sans originalité dans le ton ni dans l’esthétique (nous sommes dans la lignée des Battle Los Angeles & cie), mais sans valeurs  »US army » ostentatoires (en dépit du bruit qui ne manquera pas d’être entretenu à ce sujet). Un jeu de chat et de la souris avec les extraterrestres est entretenu sur les deux tiers du métrage et celui-ci réussit à faire naître une tension minimale, quand d’habitude, le blockbuster de cet acabit se contente de dérouler un rouleau-compresseur clinquant mais atone, inerte. Par ailleurs, Battleship parvient à créer une modeste ébauche d’identité visuelle à ses envahisseurs extraterrestres.

On regrettera néanmoins que les aliens peinent autant à émerger. Bien sûr, l’attente est sans frustration grâce à de nombreux petits signaux ou des manifestations plus directes, comme l’apparition des vaisseaux. Mais lorsque le premier alien apparaît au milieu du film, entre-temps les personnages n’ont pas pris chaire. Ce sont tous des standards lisses, aux mâchoires carrées ou aux yeux en amande, à l’exception de celui campé par Rihanna, mais qui lui-même ne s’affirme jamais. Il aurait fallu affirmer davantage la posture de garçon manqué (terrain déjà partiellement occupé par Brooklyn Decker) ; en l’état, le personnage paraît refoulé et malgré les efforts de sobriété de la chanteuse, il ne consolidera pas sa carrière d’artiste ni ne révélera de quelconque facette.

L’autre personnage se détachant quelque peu, ou au moins attirant l’attention, est le héros incarné par Taylor Kitsch. Loser envoyé de force chez les Marines par son colocataire, cette sorte de feignasse narcissique amuse d’abord par sa virilité présumée et ses catastrophiques envolées romantiques (épisode du burito rapporté à la bien-aimée par son téméraire prince charmant)… puis ennuie comme les autres lorsque le sérieux le gagne.

Le film sera facilement accablé par la critique bienséante et avec une certaine légitimité ; dans la première partie notamment, Battleship oppose des jeunes adultes un peu lents (à l’image du héros) à d’autres tous épris d’un sens profond des réalités, de l’ordre social ou bien juste, et du devoir. C’est une vision assez particulière de la génération MTV, entre coolitude et rigorisme, qui trouve naturellement son équivalent chez nous, mais pas au même degré ou sous la même forme. Le patriotisme, le culte de la responsabilité et de l’héroïsme restent globalement étrangers à nos divertissements.

Autre phénomène saillant du film : son anti-intellectualisme. Toutefois, il est asséné sans profondeur, simplement par réflexe. D’ailleurs, s’il est illustré par la caricature du scientifique pédant et poltron, celui-ci est également une sorte de bouffon de service et le seul pouvant se permettre l’auto-dénigrement du spectacle auquel il participe, par exemple en relevant les poussées grandiloquentes de ses camarades. Bref, un programme pyrotechnique et conservateur, ou chacun est à sa place ou parvient à la trouver, cela dans la joie et l’allégresse. C’est un peu lourd mais absolument inoffensif.

Note globale 38

Page AlloCiné

Espace MetaCritic

————————————————————————————————————————————————————————————

*

LE PRÉNOM *

*

1sur5 Le Prénom est un film de beaufs parvenus, confectionné par des beaufs parvenus, avec des beaufs parvenus, pour un grand-public qui s’y collera presque malgré lui compte tenu de la propagande massive autour de cet étron sidérant. Le spectateur pourra y retrouver une équipe d’acteurs moralement bedonnants, intellectuellement rachitiques et idéologiquement affligeants qu’il a l’habitude de voir occuper, sur tous les plateaux des divertissements lobotomisés mais aussi dans des magazines TV, radio et presse réclamant une certaine hauteur de vue, s’attribuant le titre d’observateurs de la vie culturelle sans jamais réaliser qu’ils ne sont que les réceptacles de banalités auto-sabordées par leur conformisme, leurs manies télévisuelles et leurs schémas rabattus ou marketés à l’extrême.

*

Une bande de planqués insignifiants donc (Charles Berling, Patrick Bruel, -le très arrogant et dédaigneux, on a pu le réaliser après son succès dans Fais pas ci fais pas ça– Guillaume de Tonquédec), ennuyeux et inexpressifs (sauf pour les élans de connivence graveleuse), en interviews comme à la scène. Ceux-là pourtant se prennent pour de grands artistes, alors qu’ils sont entretenus par et dans un cinéma populiste et petit-bourgeois qui, par la force du matraquage et de la violence culturelle, se prétend populaire et honnête alors qu’il est bâclé, facile et niais, mais aussi extrêmement replié et fermé.

*

Quel est l’univers dans lequel gravitent les personnages du Prénom ? C’est celui d’individus ne parlant de rien, sinon de leurs humeurs petits-bourgeoises. Ils installent entre eux des clivages autour de la réussite (accomplie ou pas, clinquante ou pas), de la dualité slip/caleçon. Il faut montrer qu’on a un peu de culture, épater les copains. Et puis surtout, il faut se fondre dans les caricatures sociales et sociétales de son milieu de plouc parisien.

*

*

Le  »cynisme » d’opérette du film est une façon maline de travestir la nullité du propos, de l’écriture et de la mise en scène. Le Prénom va jusqu’à hercher l’alibi culturel : théâtre filmé selon la tradition gauloise, il va chercher des références à des personnages éminents ou à des événements historiques pour se muer en melting-pot. Un melting-pot armant aussi bien pour Question pour un champion que pour le film du prime-time, sponsorisé par une quelconque industrie veule et balourde, ou se retrouveront la grosse Monique aux prises avec les problèmes érectiles de son époux ou son chien péteur, à moins qu’elle ne soit embarquer dans de folles aventures avec sa copine de bureau.

*

Car nous en sommes là : ce film est celui d’une petite-bourgeoisie vulgaire venant se rappeler qu’elle n’échappe pas à la petitesse de la condition humaine. L’horizon du bobo droitier est décidément circonscrite aux clichés sociologiques et politiques dans lesquels ils se confond, ainsi qu’à son petit entourage, son petit métier, son petit appartement dans un grand quartier cossu. Des petites préoccupations de ménagère obséquieuse, mais des ménagères d’une autre nature (et à un autre degré).

*

Alors oui, c’est totalement plat, mou et même crétin. Et ce n’est pas être opportuniste que de le dire ; parce que de toutes façons Le Prénom vole son succès ; c’est cela, le blockbuster rayon comédie à la française. Un blockbuster agrémenté d’une intro à la Amélie Poulain, la facétie et les flonflons en moins, les anecdotes insipides bien présents. C’est encore sans compter sur la narration verbeuse et puérile, plombé définitivement par la voix de Patrick Bruel. Il faut être juste cependant : le chanteur pour midinettes à la voie éraillée est celui qui, curieusement, parvient à être le plus ponctuellement drôle (sans doute grâce à son personnage insupportable).

Il semblerait qu’on ne rit que de ce qui vient de soi, que de ce qu’on connaît, éprouve ou devine déjà ; c’est dire comme le monde du Prénom est triste et limité, non-averti même et peut-être carrément lâche, derrière ses apparences BCBG discount. C’est de la sous-comédie industrielle américaine ; au moins, celle-là sait faire rire sans déployer autant d’hystérie, ou alors en s’assumant sans systématiquement aller convoquer les leitmotiv/figurines politiques les plus bien-pensants et éculés.

Note globale 8

————————————————————————————————————————————————————————————

*

Sorties ciné en 2012

* John Carter (en salles – février)

* Tucker and Dale fightent le Mal (en salles – février)

* Atrocious (en DVD – mars)

* L’Antisémite/Dieudonné (abonnement et téléchargements Internet – mars)

* The Iron Lady – la Dame de Fer (chronique sur le personnage et à propos du film / mais non-visionné)

*

6 Réponses to “SORTIES DU MOMENT (1)”

  1. Voracinéphile Mai 9, 2012 à 13:23 #

    Ah, une séance éclectique, à ce que je lis…
    Si Bullhead a attiré mon attention (je n’en avais pas entendu parler jusqu’à maintenant), Battleship me semble assez bien inscrit dans la logique blockbuster formaté qui réussit à être bien formaté, sans visée politique ou racoleuse derrière les images (on se souvient du désastreux Battle Los Angeles), tout en soignant ses effets spéciaux et en les rendant impressionnants. En revanche, les dialogues tiendraient de la pure bouffonnerie, tout droit sortis de nos fantasmes nanardeux, ce qui ne manque pas de faire sourire au vu du budget de l’ensemble (ils ont économisé sur le dialoguiste, mais ils ont pris Liam Neeson pour un rôle où il reste à faire les 100 pas dans une pièce)…
    Quand au Prénom, j’ai entendu de vagues rumeurs à son sujet, mais je n’ai pas poussé plus avant, probablement par dédain pour la comédie française (à l’exception des sorties familiales, je ne suis jamais allé en voir une au ciné, je me contente des dvds quand je suis sûr de la qualité du produit). En tout cas, ta chronique tire à boulets rouges sur la stérilité de l’affaire, qui a finalement l’air d’un rendez-vous d’acteurs qui vont discuter pendant une heure trente.
    J’ouvre une parenthèse sur le film Potiche, où ton avis m’intéresserais beaucoup. Je n’ai vraiment pas aimé, mais je ne sais pas vraiment par quel bout le prendre. Par l’intermédiaire d’une famille, le film s’aventure dans différentes directions politiques (la caricature du patronat par Fabrice Lucchini m’a à ce titre décontenancé) mais ne m’a convaincu sur aucun tableau (à l’époque où je l’ai découvert).

    • zogarok Mai 9, 2012 à 20:22 #

      Pas vu Potiche… cas intéressant je pense, surtout que Ozon semble singer ses propres contradictions. J’aime beaucoup « 8 femmes » & « Le temps qui reste », mais je ne suis pas sûr qu’il n’ait pas quelque peu basculé… mais je n’en suis pas encore sûr.

      Ce n’est même pas la vacuité et la médiocrité du film qui est un problème, c’est réellement sa complaisance avec des préoccupations crasseuses. Ces personnages sont des beaufs ; ils ont les moyens de se déguiser, mais ce sont des gros ploucs, des ploucs parvenus qui n’ont même pas la décence de mesurer leur propre connerie, de s’avouer leurs faiblesses et leurs lâchetés. Du cinéma petit-bourgeois dans toute son horreur. Et qui confond simplicité avec vulgarité ; et je ne doute pas qu’une large part du public de ce film vive dans le même univers que ces personnages. Je ne sais pas de toutes façons comment on peut objectivement et sincèrement apprécier un truc pareil sinon ; j’ai été quelquefois amusé, je ne le nie pas au contraire, mais le climat, le contexte et surtout les personnages, leur univers et leur vision du Monde, sont effarants. Et ils ne sont pas réellement « raillés » : on est dans la complaisance avec les petits vices de lourdauds et la connivence avec cette petitesse dont on se délecte (entre l’arriviste grossier et la bobo idéaliste mais surtout pas cohérente ni pragmatique, on étouffe !).

      Bref, un machin qui tendait si bien la joue…

  2. maxlamenace89 Mai 18, 2012 à 10:48 #

    Très envie de voir Bullhead, même si ton avis est pas 100% positif, ta critique donne envie.

    Pour le reste, je passe mon tour avec grand plaisir.

    • zogarok Mai 18, 2012 à 14:15 #

      Battleship n’est pas si mal, mais il ne faut surtout pas payer 10euros pour un tel produit. En revanche, on reviendra vers Bullhead.

      Max, pourquoi ne pas mettre le lien vers ton blog !?

  3. chonchon44 juin 24, 2013 à 08:24 #

    Pas vu Battleship mais entièrement d’accord sur tes analyses pour Bullhead et Le prénom, hyper décevant.

    • zogarok juillet 3, 2013 à 15:14 #

      Quand je constate qu’il est encore si souvent cité, je me demande pourquoi les gens restent si difficiles pour tout ce qui ne touche pas à la comédie… Comment vouloir du cinéma quand on se tord devant un truc pareil.

Laisser un commentaire