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EX MACHINA =+

31 Déc

Alex Garland est un romancier britannique devenu scénariste pour le cinéma grâce à sa récupération par Danny Boyle (qui adapte en 2000 son premier roman The Beach). Il est son auteur pour 28 jours plus tard et Sunshine, puis également celui de Dredd, remake féroce et premier degré de Judge Dredd. Autant de films brillants quand ils ne sont pas simplement clinquants, donnant facilement l’illusion de la profondeur tout en secouant les tripes avec force (mais légèreté). En 2015, Garland présente son premier film en tant que réalisateur : Ex Machina, psycho-drame technologique apparemment très visionnaire et finalement démissionnaire. Dans une espèce de bunker high-tech, un jeune programmeur (Caleb par Domnhall Gleeson) est chargé d’évaluer une intelligence artificielle, après sa désignation par tirage au sort parmi tous les membres de l’entreprise de Nathan (Oscar Isaac).

Pendant le premier contact, Ex Machina en impose, déboulant avec de forts arguments et des ribambelles de promesses à peine masquées. S’il est loin de manquer de génie et surtout de références (d’Asimov à Barbe-Bleue de Perrault), Ex Machina laisse cependant dans le doute à peine sorti du brouillard. L’illusion de la rencontre avec un géant tient aux révélations au compte-goutte, à l’image du jeu pervers de Nathan (bardé de tous les oripeaux du mec cool, puissant, vif et odieux) dont Caleb (bon garçon, l’agilité d’esprit en plus pour mériter le respect) est l’otage. La puissance d’Ex Machina repose largement sur l’induction ; lorsqu’elle est déconstruite et qu’on apprend peu, c’est encore raisonnable ; mais l’équation entre loufoque et conformité qui s’ensuit laisse groggy et pas d’admiration.

Pour l’essentiel la séance est anxiogène, par instants à l’extrême. Le détachement de l’humanité s’opère dans tous les sens du terme, la façon dont y retourne est désespérante. Nathan, le PDG concepteur de l’IA, est taillé comme un méchant très complet de son siècle. S’il est un ‘Mal’ ce n’est pas par son éventuelle volonté de nuire, c’est par son dédain instinctif (et rationalisé) pour tous repères légaux ou moraux. Si la froideur de la bulle des surhommes [‘techniques’] rebute, sa collusion avec les sursauts reptiliens de Nathan est carrément sinistre. Comme le dépassement des conflits et besoins triviaux est un leurre, la paranoïa est décuplée (tous sont affectés, y compris les prédateurs comme Nathan). On avance dans un brouillard terrible : Caleb est manifestement un cobaye, le spectateur est face aux dangers silencieux et pourtant éclatants du temps présent et des évolutions se déroulant sous ses yeux. Surveillance absolue, post-humanité, perspective de l’extinction de la race, abolition des individualités et de tout droit ‘élémentaire’ : remplacement de la Nature, aliénation de toutes ses productions.

Puis tout cela est bradé. La dégringolade commence avec les premiers mouvements de révolte de Ava contre sa condition, c’est-à-dire lors de la soumission de Caleb à des questions censées vérifier son honnêteté et surtout son éveil, sa conscience de soi. Cérémonie assez bizarre, surtout lorsque le robot semble se satisfaire de réponses de ‘rationnels’ pour le moins primitifs (où la vanité du petit malin imite l’intellect pur), presque pseudo romantiques par endroit (le souvenir dans le ventre de la mère) ou simplement aberrantes tant qu’aucune définition n’est reconnue : en quoi Caleb est « quelqu’un de bien » (alors que les grilles morales ou affectives, l’intuition, sont soumises aux filtres du raisonnement pur) ? S’il s’agissait pour Ava de flatter Caleb pour arriver à ses fins, ou de le mettre en confiance, ce recours est peu pertinent. L’état d’Ava, la nature de ses perceptions et ses motivations deviennent de la bouillie. Ensuite la descente s’opère, de façon irrégulière, en ménageant éclats, surprises tapageuses et chausse-trappes, ce qui fera l’effet d’un trop-plein de complexité et de confusion, avant que de toutes évidences la kitscherie post-moderne l’emporte.

La figuration domine, comme en attestent les scènes à teneur érotiques, dans le prolongement de l’échappée swag (mais vintage) de la danse avec Kyoko l’assistante. Les révélations et confrontations entre Nathan et Caleb sont encore passionnantes mais sur un autre terrain que celui des joutes technologiques ou des projections évolutionnistes. Finalement Ex Machina, peut-être pour rassurer l’auditoire et tempérer les vertiges des auteurs eux-mêmes, en revient à des balises plus nettes et, au fond, à la limite de l’idiotie – ou des régressions éventuellement gracieuses, mais uniquement en surface ou pour des esprits ‘abolis’ aux attirances enfantines. Tout ce qui se profilait de plus trivial, tout ce qui avait trait aux dominations et extases les plus sommaires bien qu’elles se voulaient sublimées, semble l’emporter du côté de Nathan. La toute-puissance et l’atteinte d’un nouveau stade de conscience semblent n’intéresser plus personne, au profit d’un retour aux chimères traditionnelles ou existentialistes, dont les robots, en tout cas Ava, sont les premiers sujets.

Ex Machina exprime alors une forme d’espoir décalé mais pas infondé, quoiqu’en évitant systématiquement tout éclaircissement et tout jugement. Surgit alors, comme une évidence aucunement appropriée sous ces latitudes, la sentence classique à l’encontre des enthousiasmes prométhéens. Dans la foulée se profile l’échappée demi-mystique confortable, sans qu’il n’y ait trop d’engagements hors des jolies poses et de l’ouverture des boîtes à spéculer – cette fois sur le terrain philosophique, celui qui justement risquait de tomber en obsolescence. Ce virage vers le thriller sexy à l’insouciance décalée, voire à l’optimisme timoré et indéterminé, donne l’impression d’avoir assisté à un projet fou qui se serait vautré dans la facilité et l’épate conventionnelle (twist au garde-à-vous) pour éviter la maladie. Façon maline de ne pas percevoir la réalité de ses limites, en se gardant la révolution au chaud pour plus tard.

Note globale 62

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Her/2014 + L’Age du cristal

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

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HOUSEBOUND ***

31 Déc

Le premier film du néo-zélandais Gerard Johnstone ne propose rien de neuf, mais il vaut largement Hot Fuzz, Zombieland et les autres comédies horrifiques célébrées au cours de la décennie écoulée. Sorti chez les anglo-saxons, en Allemagne et au Koweït, il a du se contenter comme beaucoup dans sa catégorie du DTV en France. Dès l’ouverture, le ton se veut grave, les manières scrupuleuses, le grotesque s’infiltre l’air de rien. Les canons du thriller et du film de maison hantée sont honorés avec intelligence, une espèce de bouffonnerie sûre d’elle-même et de son bon droit huile les rouages.

C’est un pastiche avec ses excentricités propres, en constant équilibre entre normalité en déroute et décalage ordinaire. Bizarrement, cela donne une ambiance aimable, fluide, opérationnelle sur tous les plans. Grâce à la pluralité du langage, l’acceptation de choses invraisemblables passe mieux, les pics d’effroi font leur effet, avec une énergie élégante. Le film a beau être habité par une sorte de second degré, il est sérieux dans son exécution, sa conception et son ‘élocution’ (le gros gag ne demande pas de sacrifices, s’accommode du pathétique ou du gore) ; il n’est pas ‘parodique’ ou voué à l’humour spécifiquement. Ce pittoresque moderne tirant sur le WTF serein renvoie plutôt aux rejetons des délires de Peter Jackson (comme Black Sheep), à Scream lui-même (pas à son ‘esprit’ interprété avec le recul) et par endroits à l’ironie présente chez Barry Sonnenfeld (adaptations La Famille Addams et trilogie Men In Black).

Les protagonistes sont tous consternants a-priori, à cause de leurs défauts criants ou de leur manière gauche ou désuète de s’approprier une fonction sonnant ‘cliché’. Mais leurs personnalités sont trop criantes et ils inspirent tous rapidement une vive sympathie ; la compassion pour leurs drames et leurs ridicules rend réjouissante une pluie de détails qui sans doute passeraient pour neutres s’il n’y avait eu ce mouvement. La confrontation des hystéries et idiosyncrasies est jubilatoire ; ‘l’héroïne’ Kylie (Morgana O’Reilly), poussée à bout dans le seul costume demeurant conventionnel (l’ado attardée, sombre et mesquine), doit composer avec un entourage bien plus dissident (malgré, presque à chaque fois, une posture sociale très carrée). À ce jeu, la mère Miriam surpasse les deux ou trois bêtes de foire grâce à son décalage constant malgré tout ses efforts pour être une personne limpide et équilibrée ; et aussi grâce à la dégaine de Te Wiata Rima, digne d’un reflet champêtre embarrassant pour Edina Monsoon (AbFab).

Note globale 69

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions…

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (3), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

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AUGUST UNDERGROUND -°

31 Déc

August Underground est un des climax de l’horreur absolue des 2000s, dont l’ambition est de montrer le pire et d’imiter la formule du snuff. Nous sommes au-delà de A Serbian Film et de Philosophy Of A Knife, plutôt au rang final, celui de Snuff 102. Culte de l’underground, August a deux suites, August Underground Mordum et Penance. Nous y voyons trois jeunes tueurs tarés et survoltés (deux hommes, une femme) jouer avec les femmes qu’ils séquestrent. Caméra bas-de-gamme et rendu ultra-réaliste assortis.

Le film de Fred Vogel est souvent strictement dégueulasse, ponctué par l’horreur charnelle la plus crade et dérangeante. L’absence de netteté de l’image contient tout juste l’atrocité, mais c’est finalement plus le satanisme de l’entreprise que l’immonde exhibé qui heurte. Ce ne sont pas seulement des malades ou des monstres, ce sont des enfants sinistres et inhumains. Leurs séquences d’intimité (finalement les plus nombreuses), leurs ivresses permanentes et bien orientées, inspirent un dégoût plus profond encore que celui provoqué par les images.

Si on connaît la nature de ce shocker, donc sait à quoi s’en tenir (tortures, ultra-gore, excréments..), il n’y a pas de surprises. C’est écœurant, éventuellement révoltant et assurément sordide. Avis aux psychopathes et dégénérés, les curieux peuvent s’abstenir… ou au moins doivent savoir. Toutefois les cinéphiles intégristes y passeront (ou y songeront) nécessairement. De toutes manières, on passe l’essentiel du métrage les yeux rivés vers le plafond ; sauf pour les amateurs, il est impossible de tenir, d’être un simple récepteur. Ceux-là d’ailleurs ne sont pas totalement satisfaits par cet August Underground, les suivants étant tenus comme bien plus  »extrêmes ».

Note globale 12

Page IMDB  + Zogarok August Underground sur Sens Critique

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Suggestions… Scrapbook + Pig/Rozz Williams + Human Centipede II

Note arrondie de 8 à 12 suite à l’exclusion du zéro et suite à la mise à jour générale des notes.

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