Tag Archives: descente aux enfers

MAD GOD +

27 Fév

Cauchemar éveillé pour tous et pour les jeunes cinéphiles, possible expérience fondatrice, Mad God a le goût de ces aberrations et cas limites du cinéma sur lesquelles on revient toujours, au moins en esprit ; on reviendra vers celle-ci avec davantage de plaisir sinon de facilité. Par rapport à Begotten ou Philosophy of a knife, Mad God est relativement intelligible et surtout plus regardable sur tous les plans. Ce plaisir est aussi un chemin de croix, car il s’agit de traverser un royaume de l’arbitraire et de la violence permanente, où les semblants d’Homme naissent et meurent comme matériel (et plus comme poussières).

Ce ‘film d’auteur’ (avec beaucoup de petites mains) en stop-motion, signé d’une référence des effets visuels (Phil Tippett connu pour L’empire contre-attaque et la saga RoboCop) a pris pour l’essentiel une décennie à la conception, mais l’entame remonte à 1990. L’ampleur du travail et de la démonstration impressionnent (peu de moments semblent ‘cheap’ malgré le style de production), l’écosystème monstrueux passionne (ou rebute, la faible popularité du film joua donc en sa faveur au début, avant que sa réputation se nuance suite à la sortie sur internet en 2022 puis surtout celle en salles en 2023). Les décors, silhouettes, explosions de feu ou de sang évoquent 1914-18, les exploits des khmers rouges. On pensera à toutes sortes de représentations de l’enfer émaillant l’histoire des arts visuels, soupçonnera quelques sectes. Mais Mad God se voit sans eux ; il y a une matière en-deçà de la culture, le parfum d’une humanité visitée pour la première fois, pas ou peu encombrée de références (comme dans les premiers films de David Lynch, Alphabet ou Eraserhead).

La traversée se fait sans paroles, cris et borborygmes sont autorisés. Le missionnaire anonyme déambule dans un univers industriel miteux sans grâce ni pitié, où tout sera retenu contre vous si par hasard votre existence était aperçue – mais c’est peut-être ‘humaniser’ ce qui tient davantage d’un choc de réflexes animaux face à l’arbitraire du chaos et de despotes puérils (le tyran d’un des premiers étages se résume à une bouche capricieuse, à nourrir et à subir, étalée sur des écrans omniprésents). La création de pantins articulés à la chaîne, sans égards ni plus petite conception de leur développement et leur bien-être, évoque au mieux un élevage de bêtes intensif et aveugle (générées pour être ingérées, sacrifiées par nécessité ou divertissement, vouées aux travaux abrutissants) – sinon, la modernité vue par ceux qui la vivent comme la pire des déchéances. Au cinéma, ce contre-modèle a déjà pris forme via Metropolis. Mais on peut estimer qu’il n’y a pas tant de ‘modernité’ que de modernisation de l’oppression et du cannibalisme inter-individuel ; lesquels peuvent être archaïques, spontanés, ritualisés, avec ou sans destin présumé.

À la fois fugue et dystopie, Mad God donne l’impression d’une Humanité soumise à une simulation de royaume du Mal, sans échappatoire, sans repos ni compensations, sans espoir – où l’once de rationalité et de haute technologie s’emploie à asservir des êtres interchangeables, privés de toute autonomie (dans la première scène avec des visages humains, les secondes s’éternisent pour le patient d’un savant fou sous l’effet de la terreur et de l’anticipation du pire… peut-être aussi à cause d’une drogue expérimentale ?). Finalement apparaît un paradis artificiel : il existe pour permettre à une somme de gangrènes humanoïde d’observer ses petites créatures arrachées au bonheur. L’architecte en rouge avec une trogne sartrienne sans le regard de carpe démoniaque a peut-être des motivations plus nobles que le voyeurisme morbide, peut-être aussi vaut-il mieux mourir qu’être son cobaye.

Écriture 6, Formel 8+, Intensité 8- ; Pertinence 8-, Style 9, Sympathie 8+.

Note globale 86

Page IMDB  + Zogarok sur SensCritique

Suggestions… Bandits bandits + Frankenstein + Mad Max + Damnation/Tarr + Prince des ténèbres + Color out of space + Titane + Possession/Zulawski + Dredd + Pearl + Mandy

 

SICK OF MYSELF +

3 Déc

Un de ces films pour lequel je peux comprendre toutes sortes de réactions (et de notes), mais aussi qui à défaut d’être taillé pour me plaire (avec sa protagoniste irrécupérable et auto-cobaye), parle un langage auquel je suis forcément sensible (tout comme Nanni Moretti sait me crisper… et me donner envie de revenir). Un langage ‘complaisant’ car subjectif mais comme une participation dépouillée de toute conviction ; un langage brutalement réaliste à propos des motivations individuelles, présentées comme ‘grossières’ en premier lieu, quelque soit la sophistication et/ou la radicalisation avec lesquelles elles germent – un langage sans sermon, générant du pathétique sans tendresse, ou la laissant à la discrétion du spectateur.

C’est radicalement démonstratif donc lourd et implacable ; je me réjouissais d’anticiper les saillies intégristes dans Prayers for Bobby, ici je me régalais de voir empilées les petites lâchetés et grotesques fuites en avant, les dénigrements dans chaque compliment, les opportunités lamentables d’afficher sa vertu et son courage de façon ‘télégénique’. Ce film est cruel et sans figures positives, ou alors elles sont plombantes et passagères ; mais la comédie sombre et triviale est aussi une façon d’entrer doucement et sans idéalisation dans une tragédie individuelle – que seul un bourru ou un sadique déguisés en moraliste (ou ‘critique’ social) pourraient manquer ; à la fin il n’y a plus de quoi ricaner (déjà au départ on riait pour éviter de suffoquer) et d’ailleurs, à ce désir ridicule d’exister par l’autre, on pourrait en substituer d’autres incitant à saboter sa vie.

Cette attitude déplorable est une adaptation en valant bien une autre à un environnement humain froid et superficiel – qu’elle choisit certainement ; que pourrait-elle choisir d’autre à ce stade – et dans un contexte où la mise en scène de soi compte autant, est décorrélée de toute contribution sérieuse ? Car on appelle ‘art’ un assemblage de meubles volés par son amant ; en guise de création, on trouve des braquages et du recyclage. Qu’aurait à gagner quelqu’un de si ordinaire à devenir sage, qu’aurait-elle à améliorer et faire valoir ? Elle n’a rien de propice à faire la différence ; alors elle choisit l’option qu’empruntent tant de ses camarades – mais elle y va tellement à fond qu’elle mériterait, finalement, légitimement l’attention ; celle aux grands blessés, bien banale ; puis celle aux grands tarés, bien supérieure !

L’approche a des ressorts communs avec celle misanthrope et mesquine d’Ostlund (The square, Triangle of sadness), mais une dose massive d’empathie fait la différence, y compris en terme de narration : on a moins de temps pour s’ennuyer tandis que le réal s’astique sur la tête du monteur et du chef-opérateur, lesquels naturellement n’osent plus bouger. Les scènes du récit intérieur flirtent parfois avec la satire (séquence de l’enterrement) et à terme avec l’absurde apparent ; l’ivresse et la confusion du sujet mènent alors. Dans ces scènes intérieures, Signe est célébrée mais aussi menacée – cette enquête à charge, c’était simplement dans sa tête ; on s’est joué de nous ? Non, car ce n’est pas davantage un thriller qu’un film social – ou ça l’est incidemment. C’est le déroulé d’une maladie morale et mentale en train de se gangrener. Être objet de l’agressivité de ses congénères, c’est surtout être l’objet accaparant ces congénères ; pour une personne en si mauvais état, être menacée c’est mieux qu’être ignorée. Toute volonté dirigée vers elle la galvanise ; tout inquisiteur sera son allié. Elle a probablement voulue être digne d’être aimée ; elle doit maintenant être digne d’être remarquée, même si c’est au prix de la dégradation ; un tel profil, pendant masculin, verserait facilement dans l’agression ou le militantisme armé.

Alors on doit admettre et c’est inconfortable : Signe n’est pas simplement une connasse, ni une grande fille méprisable, ni une mythomane grotesque ; c’est aussi une malade. Malade de son narcissisme, malade de son ineptie, malade d’être une femme insuffisamment désirée. Et sur sa route, il n’y aura jamais d’allié bénéfique (sauf peut-être à l’hospice, c’est-à-dire au garage où elle peut moisir ou -il faut se garder de l’espoir- préparer sa reprise en mains) ; dans cet univers d’inclusion sociale et de tolérance déclarée, elle ne trouve que des abrutis et des lâches interchangeables. Les plus éveillés s’échangent des regards, tout comme le font ses amis ; si l’édifice s’effondre, peut-être la grondera-t-on, de façon laconique et péremptoire, surtout d’une façon qui tienne désengagé – la fermeté comme l’ouverture ne sont bonnes qu’à cette fin ! Où sont les gens exigeant simplement qu’elle arrête son cirque ? Où sont ceux qui oseront voir une malade au lieu d’en profiter, ou sont assez débiles pour voir sérieusement une différence à célébrer ? Il faut à la fois être courageux, honnête, lucide et bienveillant ; puis être prêt à assumer d’avoir secoué tout ce cinéma… qui a toutes ces qualités ? Simultanément ? Qui a ce sens stupide et remarquable de l’effort ? Pour une personne sans attrait ni qualité – sauf celui d’avoir commis un exploit ? Ces gens doivent exister et appartenir à un autre monde… il est improbable qu’ils sachent alors comment aider à se ré-équilibrer dans celui-ci.

Écriture 7, Formel 5, Intensité 8 ; Pertinence 8, Style 7, Sympathie 8.

Note globale 78

Page IMDB  + Zog sur SensCritique

Suggestions… Blue Jasmine + Crimes of the future + Oslo 31 août

TAR =+

11 Nov

Sur le désarroi d’un individu au sommet de la chaîne se découvrant remplaçable – Lydia Tar est contrainte de voir, peut-être les limites de son talent, certainement celles de l’aura et des passe-droits que ce talent octroyait. On la traite pour son image : maintenant cette image devient celle d’une personne de l’establishment qui est pourrie et désinhibée. Or ce n’est pas ce qu’elle est, ou si elle l’est, c’est par accident, ou dans un reflet particulier ; oui mais elle n’a toujours été qu’une image et une missionnaire ; l’image est salie, la mission lui est retirée ; c’est cruel dans les deux cas, injuste dans le second (lui enlever la musique, c’est lui interdire le seul levier pour canaliser sa vanité et la faire se décentrer – d’un narcissisme qui ne peut qu’être douloureux livré à lui-même). Au pire, les méfaits idéologiques et comportementaux dont on l’accuse ne devraient pas compter face à sa contribution pour l’art ; et l’attaquer, ce n’est pas simplement la brutaliser elle, c’est mépriser l’art – c’est ignorer l’œuvre. À moins que l’œuvre ne soit que le refuge des prédateurs plus raffinés – ou inaptes aux conquêtes véritables, la culture étant le domaine des inaptes au commerce, au management des foules et du destin collectif ou des plus puissantes institutions ?

Le film est remarquablement rebutant au départ à cause de son choix d’une voie hermétique et artificielle, spécialement avec cette séquence du déjeuner proche de l’anti-cinéma où le duo ne fait que parler et juger à demi-mots de gens et choses dont on ne sait encore rien. Ces manières doivent illustrer le pouvoir et le prestige du personnage comme la ‘hauteur’ de son univers, en ponçant bien à fond l’ego social du génie – avec cette face publique qui suscite l’admiration pour les initiés à son art, le respect vague sinon secrètement vide des autres ; car qui sait s’il s’agit bien d’un génie ? Peu de gens sauront le juger ; ce qu’on voit, c’est qu’elle est brillante et largement au-dessus de la mêlée par son style et ses réalisations. Mais est-elle davantage qu’une conservatrice de la culture ? Qu’une chorégraphe plus habile que suffisamment d’autres ? Cette difficulté à lire la qualité et l’originalité de sa contribution à l’art est probablement une façon de nous mettre à la place du commun, qui d’ailleurs ne la hait pas pour cette contribution, mais bien pour les fautes commises depuis sa position – voire à cause de sa position pour les plus enclins à guillotiner.

Mais ces jeux de leurres sont un peu surfaits (comme un prétexte à la fuite en avant), de même que la trajectoire de la chute – cependant il n’y a pas d’erreurs : la façon dont est avancé le visage toxique peut sembler maladroite car tout se ‘devine’ trop vite, par exemple l’intimidation de l’enfant a tout d’une surprise ratée. Mais c’est aussi une excellente façon de montrer la confiance excessive de Lydia en son image : car peu d’adultes pourraient sembler hors de tout soupçon d’intimidation sur un enfant et rien chez elle ne l’appelle à passer pour une des exceptions naturelles. Donc le commun de ces moments de supposé dévoilement et ceux où Lydia vit en cohérence avec son image renvoyée pourraient être allégés ; ainsi le film pourrait facilement être réduit d’un tiers sans rien omettre, même en prenant soin de garder les signes extérieurs de mystères ouverts. Car malgré ses deux heures et demi il se permet de laisser en plan l’essentiel des petits arcs pour n’épanouir que la crise égotique et les effusions ; comme si tout, des affaires l’impliquant à la culpabilité de Lydia, devait n’être que détail – et la souffrance, la seule vérité et la seule marque de ces événements.

Sauf qu’au-delà de la ‘tour d’ivoire’ illustrée, Tar fait sienne cette manie d’étirer et ressasser des films ‘sérieux’ et lourds manifestement plus soucieux de nous convaincre de leur importance que de prêter un regard ou offrir une histoire – alors que celui-ci, avec la pression publique du wokistan et en se faisant l’ombre de son héroïne, a une manière spécifique de traiter de la tyrannie (généralement plutôt traitée du point de vue de la victime totale ou du combattant). Laquelle sort du cadre et se répand, la majorité lésée (les collègues) se crispant et répliquant sans excès, les prolos pressés (les jeunes ou étudiants, les observateurs mondains à l’affût du sang) se vautrant dans la rage et la mauvaise foi – s’adonnant à l’ivresse de salir en meute. En somme ce film s’interdit d’explorer des réalités à cause de ce qui fait son succès : l’empathie pour une personne puissante acculée, dont le point de vue en silo a facilité le ‘confort’ psychique et la réussite. Empathie pour une personne et complaisance aristocratique (qui ne peut se vivre que comme tragique dans ce cas, jusqu’à cette conclusion vomissant la ‘sous-culture’).

Écriture 6, Formel 7, Intensité 6 ; Pertinence 6, Style 5, Sympathie 7.

Note globale 62

Page IMDB  + Zogarok sur SensCritique

Suggestions…

KING OF THE ANTS =+

28 Oct

Stuart Gordon est d’abord un des barons du bis horrifique, avec une œuvre sous influence lovecraftienne dont les plus fameux morceaux sont Re-Animator et From Beyond. Dès les années 1990 sa filmographie s’étend à la science-fiction, pour des résultats mésestimés (Fortress, Space Truckler). Deux ans après sa première adaptation directe de Lovecraft (Dagon), Gordon change totalement de registre. King of the Ants présente toujours des éléments gores, mais le fantastique est délaissé et les quelques loufoqueries ont des sources bien réelles. Après cet opus, Gordon récidivera via Edmond et Stuck, chroniques sur des gens entamant leur décrochage, ou le subissant depuis les origines comme Sean.

Ouvrier sans grands désirs ni ambitions, Sean Crawley (Chris McKenna) accepte de s’improviser tueur à gages, sur la demande tout en sous-entendus de Duke et Ray. Mais Sean a trop bien fait son boulot et le meurtre pose problème. Il a un moyen de pression pour obtenir le salaire que lui refuse Duke et s’abstenir de fuir la ville ; ses commanditaires le lui font payer cher. Ils sont d’autant plus agacés que Sean a eu leurs faveurs car c’est un zéro et certainement un idiot (il n’a « même pas de voiture » !). Sauvé par un de ses amis qui l’abandonne sur la route en ville, Sean se retrouve au milieu des mendiants à traîner sa piteuse figure. Récupéré par une travailleuse sociale qui l’emmène à l’hôpital où elle veille sur lui, il est accueilli chez elle à la sortie. Forcément, dans la crasse et la fiction, les bonheurs ne sauraient arriver par hasard.

C’est donc une malédiction sans surnaturel, où l’absurde et la cruauté servent de transcendance. Ce jeune type semble privé d’une vie paisible et reliée à d’autres, quelque soient ses efforts ou ses dispositions. Sean est toujours rattrapé par sa condition misérable et par son erreur, commise à cause de son zèle, de sa veulerie désespérée et de sa conscience légère. Son manque de volonté passé, s’il se comprend compte tenu de sa perdition profonde (c’est l’anomie totale et lui barbote sans boussole individuelle), continue à l’empoisonner jusqu’au-bout. Sauf s’il s’adapte puis disparaît, c’est-à-dire se comporte en prédateur destiné à vivre dans l’ombre, tirant un trait sur les soupçons d’attaches plombants, les promesses moisies et les sources d’ennui.

La sympathie de Gordon à l’égard des hors-jeux ou égarés est manifeste. Sorti du ‘cinéma de genre’, il restitue l’ambiance dans laquelle ils s’agitent avec empathie mais sans sombrer avec eux, gardant un œil à distance : de la complaisance réfléchie, pour une vision au nihilisme éloquent. Toutefois il n’abstrait pas grand chose avec cette attitude (sauf pour dire le souci des losers communs) : le film est agressif, éventuellement remuant (côté ‘uppercut’ et vengeance de Sean), mais le scénario bâclé cumulé à une forme vulgaire et cheap donnent le sentiment d’assister à un tour de chauffe sous couverture (Edmond sera plus ‘ferme’). Enfin le film est généreux y compris rayon grotesque, au travers des délires poursuivant Sean (démenti radical de ses fantasmes déclarés au début, triviaux et ‘hollywoodiens’) : visions libidinales d’une nostalgie glauque ou fantaisies effrayantes (avec cette fille prenant des proportions monstrueuses).

Note globale 66

Page IMDB   + Zogarok King of the Ants sur Sens Critique

Suggestions… Der Todesking + Feed + Terreur à domicile

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (3), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

Voir l’index cinéma de Zogarok

SÉRIE NOIRE ***

29 Nov

série noire

4sur5  Le quatrième long-métrage d’Alain Corneau (Tous les matins du monde) est aussi le plus célèbre : Série noire, très remarqué dès sa sortie en 1979 et devenu une petite référence. Dans ce faux polar, Corneau pousse son style réaliste jusqu’à un point de rupture, servant la violence de l’histoire et créant la proximité avec le spectateur. Il y a un côté Ferrara dans cette entreprise, sans le lyrisme, juste avec la saleté et le protagoniste pilier excentrique. C’est le film dans lequel Patrick Dewaere a le plus apprécié de jouer.

Série noire, c’est 111 minutes avec un anti-héros intégral, impossible à racheter ou à aimer, sauf si on aime les détritus à niveau animal. Démarcheur (ou représentant de commerce) dans les banlieues pauvres voir mal fâmées, il découvre, chez une vieille femme, sa petite-fille, qui se prostitue et le tente. Quitté par sa femme après une nuit de garde à vue, dont il sort grâce à la caution de cette gamine de 16 ans, il largue les amarres. Devenant un assassin et s’accomplissant comme monstre, il envisage de refaire sa vie avec elle, au terme de quelques affaires à régler, en totale improvisation.

Franck Poupart/Patrick Dewaere explose. Trop sous pressé, trop usé, trop paumé, raccroché à rien, tempéré, satisfait, rassuré par rien, c’est un pauvre type, à la ramasse, mentant pour plaquer ses méfaits et sa lâcheté, voir son ignominie. Son langage et ses hésitations sont grotesques. Il joue à agoniser plus encore ; veut prendre sa part et sa revanche ; est rattrapé par des bouffées morales : c’est la confusion. Dans ce chaos, les phases de surplace apparent sont en faite des périodes de latence avant un nouvel événement grave, tombant inopinément mais finalement, de manière banale.

Série noire est un spectacle assez gênant. Il met le spectateur aux premières loges d’une déliquescence continue, celle d’un être perdu depuis probablement longtemps et déjà trop entamé pour retrouver puissance et harmonie. Ce n’est pas seulement choquant, c’est aussi pénible, d’être le témoin de toutes ces déjections verbales, cette essence dissipée. Franck Poupart a une vie minable, il a aussi une façon d’être au monde calamiteuse, un tempérament d’insecte débile, puant et destructeur. Et au point où il en est, perdu tout entier, il a zappé son humanité aussi, la capacité à consulter une once de conscience ayant quasiment disparue.

Il ne pourrait plus faire autrement ; c’est comme sa mythomanie, elle est en roue libre parce qu’il n’y a pas de vérité ni de repères. Autour de lui, il n’y a personne de recommandable, seulement des épaves ou des salauds, assermentés eux, comme son patron, ce Staplin (Bernard Blier) taciturne et bonhomme, incroyablement cruel et cynique en vérité. Sa femme (Myriam Boyer) est tout aussi abîmée, quand à la grand-mère de Mona (Marie Trintignant), elle n’est plus de ce monde qu’elle redoute, c’est plutôt une gardienne dans son bunker. Les personnages de Série noire vivent dans un enfer bien réel. C’est comme du Mocky en désespéré et définitivement noir, c’est plus triste que du Blier (Les Valseuses, Tenue de soirée), c’est hystérique et odieux, ça marque intensément.

Note globale 77

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Crime d’amour + Le Prince du Pacifique + Funny Games + Buffet froid + Comme la Lune + A mort l’arbitre + Bad Lieutenant

 Voir l’index cinéma de Zogarok

.