Archive | octobre, 2018

POINT LIMITE ZÉRO *

29 Oct

2sur5 Recommandable aux amateurs de road-movie et très représentatif d’un certain cinéma des 70s, Point limite zéro est le film d’une génération contestataire essoufflée. Devenu culte, il est l’objet de sur-interprétations abondantes ; pourtant l’ambiance seule peut justifier un attachement ou un respect prononcés pour cette œuvre. Toutefois Point limite est trop candide, sporadique et sans vision. Il restera à l’ombre de Easy Rider et de Zabriski Point auxquels il emboîte le pas, tandis que tout le désenchantement nihiliste qu’il exprime ressemble à un brouillon honteux des deux premiers Max Max, conçus par George Miller en Australie à la fin de la décennie.

Vanishing Point est en fait un produit d’exploitation émancipé, où un commentaire idéaliste et anarchiste vient s’ajouter aux performances mécaniques. Le film propose de longues scènes de poursuites dans l’Amérique sauvage, sympathiques mais guère intenses ; ce qui fait le charme du film, c’est le désir de liberté exprimé, par l’action ; et la nécessité d’avancer dans cette nature hostile mais prompte à être dominée. La puissance en revanche est le gros manque de Point limite.

Ce point compromettant se marie assez bien avec le propos du film et la trajectoire de son personnage car il est aussi l’histoire d’un échec. Comme plus tard dans Thelma et Louise, on salue l’héroïsme de celui qui en évitant la punition d’une société fermée, préfère mourir libre aux pieds des forces de l’ordre qui le rattrape. Un choix regrettable mais apportant un peu de noblesse au tableau. En effet, Vanishing Point se veut brûlot et sa grossièreté ne serait pas un problème s’il frappait fort et précis, or il est insignifiant et confus.

Il exprime tout de même un rapport à l’existant d’un gauchisme navré et démoralisant. L’Amérique ? Un pays pourri rempli de bouseux racistes et d’intolérants. Les péquenauds sont vraiment les ennemis de la liberté et le cancer de l’Humanité ! Mais un cancer silencieux, regardez-bien comme ils sont là, bientôt la bave aux lèvres : la réalisation le souligne pour vous aider. Mais les soucis de l’homme viril quoique paumé ne s’arrêtent pas là.

Intervient alors la touche comique : c’est qu’on croise des pédés parfois, mais mieux vaut en rire. C’est donc l’occasion d’insinuer dans ce film très déprimé un humour gaillard, mais bon enfant, pas comme chez Eastwood. Par contre au milieu de ces figurines déshumanisées pour mieux les humilier et se rassurer sur sa condition de blaireau aux burnes contrariées, il y a les noirs ! Richard Sarafian et Kowalski sentent bien qu’ils subissent l’oppression, celle des institutions et celle des hommes du quotidien, aussi ils sont sensibles à leur cause. Enfin il y a les hippies, de bons gars mais à petite dose.

Vanishing Point est un film opportuniste et primaire, mais de bonne volonté et comme le disent les artistes et les groupies pour défendre une œuvre sans se fouler : sincère. Il a le malheur de pomper toutes ses idées chez les autres et d’avoir de la peine à aligner quoique ce soit de façon intelligible. Il n’est finalement qu’un objet cool mais dépressif, à l’existentialisme concret, dont la construction est si catastrophique (c’est en fait un empilement de flashback) qu’il semble étouffé par trop d’inspiration et de sentiments non élucidés et présentés avec peine. Ils n’en demeurent pas moins lisibles et peuvent faire écho chez un public partageant les valeurs, les rêves et les désillusions affichées.

Note globale 37

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LES HOMMES PRÉFÈRENT LES BLONDES ***

28 Oct

les hommes préfèrent les blondes

4sur5  En 1953, le réalisateur de Rio Bravo, Scarface ou encore du Port de l’Angoisse réalise son unique comédie musicale : Les hommes préfèrent les blondes avec Marilyn Monroe et Jane Russell, amies dépareillées en croisière. La brune charme les hommes, la blonde en fait des laquais exaltés. Au-delà de ce thème enfantin, celui de l’argent et du statut est traité avec une certaine rudesse, celui du sexe de façon couvée même s’il est omniprésent.

Tout en étant vaguement candide et extrêmement superficielle, la blonde est d’un cynisme total. Elle cherche un mariage d’intérêt pour se donner le loisir d’aimer : seul l’argent justifie les fantaisies et les sentiments. Il faut être une dame, avoir ses mobiles de drama-queen conforme sur tout. Ce n’est pas tant le prix du confort qu’une fin en soi, quoique les diamants sont encore au-dessus de toutes les priorités.

La brune est un personnage plus complexe, au charisme fort, assez offensive et têtue, ne se prêtant au jeu de la séduction que si elle est sincèrement intéressée. Elle n’accorde pas de considération aux barrières sociales ou culturelles et reste toujours distante avec son environnement, même lorsqu’elle est à l’avant-scène. D’ailleurs, la concurrence de son amie Lorelei Lee lui rappelle combien son recul est approprié.

Gentlemen prefer Blondes est manifestement sous l’inspiration de la screwball comedy (années 1930-1940) et jouit de sa liberté de ton. Cette comédie musicale est donc passablement old school dès sa sortie par son genre, elle est aussi d’un culot assez rare, adoptant un ton cru sans sacrifier l’élégance. En plus de sa drôlerie, le show est assez euphorisant, bien plus qu’un film de Blake Edwards (Diamants sur canapé, La Party), plus lucide que lui surtout (sans recul sur son racisme social permanent).

Note globale 71

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THE DISASTER ARTIST ***

25 Oct

3sur5  Cette farce en dit davantage sur l’appréciation des nanars que sur Tommy Wiseau et son soit-disant ‘Citizen Kane des mauvais films’ (The Room, ‘nanar’ le plus connu aux USA). La nanardophilie mesquine est à son comble avec Disaster Artist, excellente comédie et brillant prétexte à une performance d’acteur à défaut d’être une bonne investigation. Elle se présente sous une forme conventionnelle de biopic complaisant, en affichant la quasi démence de son personnage principal – son ego est délirant, comme l’ensemble de ce qui le caractérise. Il ne s’agit pas seulement de moquer l’hurluberlu – son décalage et son jusqu’au-boutisme le rendent passionnant et méritant, comme le pseudo-Cloclo de Podium ou le saint-patron officiel du nanar américain soit Ed Wood.

Les hymnes kitschs des 90s, alimentant des mèmes d’aujourd’hui, ne trompent pas sur la volonté de dérision (Rythm of the Night, ‘sa’ chanson qu’il est prêt à faire ‘leur’) ; pour autant accabler ne semble pas la priorité, ainsi l’affiche publicitaire est moins sordide que la vraie, certains détails clés du mythe sont négligés. Le nanardophile obsédé par les erreurs aura son compte, le curieux des créateurs déviants ou déficients l’aura plus encore. L’auto-satisfaction propre à Wiseau évacue les pudeurs et, avec sa participation indirecte [à la préparation et à la promotion], rend le diagnostic plus clément – sauf l’intro avec happy few, le film est peu condescendant, plutôt fasciné (et amusé) par les extravagances de Wiseau – en gardant les crocs limés. Sa parenté avec Patrick Sébastien (responsable de T’aime), en se prenant pour un être exclusivement et extraordinairement bon, sensible et positif (forcément raillé et rejeté par les méchants), révèle sa dimension tragique même si comme le reste elle est moins honorable que folklorique.

Même si le tournage occupe la moitié de la séance, celle-ci se concentre sur l’amitié entre Wiseau et Sestero, les deux compères de The Room. Franco adopte une approche à la Paul Thomas Anderson – à son niveau et avec un degré anormal de décontraction. Le point de vue partagé du jeune favori amène de la douceur au programme – à lui de porter l’admiration et la compassion ressenties, éventuellement avec un certain désarroi, pour le phénoménal Wiseau. On jouit de sa mythomanie et sa mégalomanie, de son déni grotesque à propos de son accent, qu’il empire en adoptant des dictions aberrantes, de son jeu affecté d’épave sûre d’elle-même et malheureusement en pleine possession de ses moyens douteux. On est sidérés par son attitude possessive, sa quête d’amour et ses signaux lourds envoyés à « Baby Face » (le sommet étant son happening nu sur le plateau juste après le départ annoncé de Greg – le film étant notamment un prétexte pour souder le tuteur et son favori absorbé par Amber).

Il n’est pas nécessaire d’avoir vu The Room pour découvrir Disaster Artist, tant celui-ci se montre pédagogue et parfois même mimétique, en plus de s’intéresser au relationnel des deux héros, contempler plutôt qu’élucider la folie et la biographie du principal. Aucun secret n’y sera révélé, sinon quelques anecdotes du livre The Disaster Artist (de Sestero et Tom Bissell – 2013) sur lequel se base ce premier essai salué de James Franco (après une dizaine d’adaptations littéraires et de biographies de grands artistes presque confidentielles, n’existant que dans les festivals). C’est ainsi qu’on verra, présent à la première personne dans cette épopée, Bryan Cranston, le père dans Malcolm à l’époque, invitant l’acolyte de Wiseau pour un petit rôle dans la série culte.

Une petite dizaine d’autres grands noms traversent le film pour des sortes de cameo : Bob Odenkirk (actuellement porté par Better Call Saul) en professeur de l’Actors Studio, Sharon Stone en dirigeante féroce d’une agence de mannequinat où Sestero se fait embaucher, Zac Efron en figurant et spectateur consterné, etc. Des trublions d’Hollywood et des vieux routiers aux multiples dérapages sont invités à la foire – c’est là que le parti-pris devient faible. Lors de l’intro notamment avec le faux hommage au travail de Wiseau (par d’ex-jeunes gens du cinéma tels Kevin Smith ou JJ Abrams), ce ne sont pas nécessairement des génies, ce sont même des auteurs nanardesques à leurs heures (ou pire, naveteux) qui s’expriment. Et si drôle soit Disaster Artist, l’exercice semble finalement assez vain – il est techniquement bien équipé, mais sans fulgurances, la reconstitution est solide mais aussi peu constructive que les bouts de culture mis en avant par Wiseau/Franco. En même temps c’est du fan service pertinent puisqu’il s’offre au fan endormi ou en devenir autant qu’à l’amateur de The Room et de son mystérieux roi-bouffon.

La part de gêne est atténuée par cette sympathie réelle pour Wiseau. On se le paie mais se retrouve en lui, ou du moins apprécie ce type audacieux, indifférent voire partisan du ridicule. Dans tous les cas les auteurs s’estiment plus doués ou lucides (même sans le brandir, ça dégouline), mais exorcisent manifestement leurs tensions à travers cette idole. Pour James Franco c’est une sorte de double, un reflet guignol, son ‘beauf’ intérieur, son équivalent en roue libre – qu’il sait ridicule mais aussi entier, jamais compromis par des inhibitions, des savoirs contraires, des éclairs de conscience parasitaires. La méchanceté et la complicité deviennent difficiles à démêler – elles fonctionnent ensemble pour acclamer la victoire du perdant et extraterrestre personnifié. Il est venu annoncer au monde que le succès et la reconnaissance sont ‘relatifs’ (tant pis si la qualité reste accrochée à des critères absolus). À l’époque du sarcasme roi et du second degré, la médiocrité ultime peut amener au triomphe – même sale, c’en est bien un ; au pire reste la notoriété.

Note globale 68

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Suggestions… Ed Wood + Dans l’ombre de Mary + Boogies Nights + The Master + Three Billboards + Wonder Wheel + The Mule/Border Run + Panic sur Florida Beach + The Rocky Horror Picture Show + Les Idiots/Von Trier

Scénario/Écriture (7), Casting/Personnages (7), Dialogues (7), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (6), Visuel/Photo-technique (6), Originalité (5), Ambition (6), Audace (6), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (7), Pertinence/Cohérence (7)

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CROWS ZERO *

23 Oct

crows zero

1sur5  Crows Zero a été un nouveau gros coup pour Miike en 2007 et il en réalisera même la première suite. Adaptation des mangas Crow et Worst d’Hiroshi Takahashi, le film pourrait tout aussi bien n’avoir aucun modèle précis tant il ne vit que par les clichés les plus ridicules et exacerbés de l’anime japonais pour jeunes ados hystériques. Le film oppose des groupes de jeunes cherchant à prendre le contrôle du lycée de Suzuran à Tokyo ; le résultat patauge entre l’Infernal affairs des (beaux) quartiers boutonneux et attaque de BB Brunes nippons en mode darky trashouille. Musiques de groupes (pop-)rock pour jeunes rebelles à faire passer Coldplay pour un visionnaire assorti.

Miike est très volontariste, gonfle les poses, aligne des interactions foutraques, des petites soirées, les activités extrascolaires badass voir d’apprentis-mafieux, des petites échanges de groupes, les scènes de concerts pour jeunes ploucs argentés, les projections de X expliquant à V ce qu’il songe pour son avenir ou contre ses adversaires. Les quelques combats sont minables, la violence est puérile ; et surtout que de détails, de personnages avec leurs petites missions et caractéristiques, de bavardages et d’absence de colonne vertébrale, au profit d’un cumul d’anecdotes indifférenciées et de faux clips rabougris. On est dans Pokémon by Kassovitz (La Haine) et manifestement bon nombre d’ados sont enchantés.

Ce spectacle d’une totale inanité, d’un niveau sans doute fréquent dans le Z pour ados, reste déconcertant de la part d’un auteur aussi avancé que Miike. Enchaîner les films, avec parfois quatre ou cinq par an, ça a aussi ce genre de contre-coups. Il n’y a aucune discipline dans Crows Zero, pas plus d’inspiration (même narquoise), une mise en scène sans direction, une propension à la pose – bâclée, sans goût et même très laide, mais conforme à l’esthétique de roman-photos pour puceaux revendicatifs se rêvant yakuzas. Le budget se ressent, notamment avec le travail sur la photo, mais son rendu glauque ne correspond pas du tout au déroulé des événements et il n’y a moins de travail sur l’atmosphère et de puissance dans l’écriture que dans Arthur et Maltazard.

Au programme, beaucoup d’intrigues et sous-intrigues de clan, un peu de filiation, de relations à papa ou de pression à devenir un homme, qu’on se met ou que l’environnement nous met, oui mais c’est pas si facile ! C’est proche du nul, plus embarrassant que les beauferies de Taxi & co car eux évitent de s’arroger ce lyrisme en carton. Pire, Crows Zero croule sous la psychanalyse de trisomique boiteux ; Miike n’a jamais été spécialement brillant pour la psychologie, raison de plus pour ne pas essayer. Il peut faire un Taxi 5 ou s’illustrer par de nouvelles histoires torturées ou des outrances visuelles, mais il y a des terrains qu’il faut savoir s’interdire ; si Visitor Q était un naufrage redoutable c’était en partie pour ça.

Peu importe cependant pour Takashi Miike, il est capable d’envoyer des films percutants mais n’a pas vocation à travailler pour l’amour de l’art. Il tourne pour tourner, donc si lui vient le courage et l’énergie de façonner des films bien troussés, tant mieux, sinon, une série B genrée, peu importe sa qualité à la sortie, ça ne mange pas de pain. Avec Crow Zero, Miike se fout de la gueule du monde et capitalise sur une niche ? Ok, soit. Qu’il fasse sa merde, qu’elle soit adulée par les habitants de cette niche et qu’il aille se faire foutre avec ses films pour bikers débutants. S’il est rendu à ce degré de cynisme, il y a la possibilité de prendre un pseudonyme sous lequel il exécuterait les basses besognes.

Note globale 28

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Suggestions… The Raid 2 + Machine Girl 

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Miike sur Zogarok >> Crows Zero + La Maison des Sévices + Audition

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CAPITAINE ORGAZMO *

22 Oct

orgazmo

2sur5  Trey Parker et Matt Stone sont surtout connus pour la série South Park. Ils ont également conçus plusieurs films, réalisés par Trey Parker, dont le premier fut Cannibal, The Musical ! en 1992. Cinq ans plus tard, au moment où démarre South Park sort en parallèle Capitaine Orgazmo. Si Team America est une gaudriole parfois monumentale, South Park génial, son incursion au cinéma moins tout en restant à haut niveau ; comment peut-on produire un tel écart entre l’animation et le cinéma live ?

Nanar volontaire, Capitaine Orgazmo est une comédie de potaches restant au ras-du-bitume. Le niveau est digne de la suite de Dumb & Dumber, du pire de Alex de la Iglesia (le générique de Action mutante). La beauferie finale de De retour pour minuit n’est pas si loin et même Ali G de Sacha Baron Cohen est plus fin. L’esprit parodique n’excuse pas la médiocrité : indigence de la mise en scène, inspiration faible, gags idiots bloqués au stade collégien, tout est bâclé, plus foireux encore que Z.

Il y a bien sûr quelques séquences marrantes, comme la vieille du DADV, certains dialogues absurdes. Mais Parker et Stone sont paresseux, se contentent des passages classiques des parodies débiles, avec par exemple l’insistance sur les flashbacks et larmes ironiques. Les sous-intrigues caricaturales ou référencées sont là, avec notamment le restaurateur chinois harcelé par le mafia. On en arrive bien sûr aux pets et aux chutes contre des portes.

Du dépit arrive finalement la faculté à se prendre au jeu, surtout que la séance s’améliore par paliers. La performance de Trey Parker en Joe, mormon engagé sur un tournage X et dont le personnage devient une star est valable. Il ressemble à une espèce de Butters adulte au pays des pornos folklos et hauts-en-couleurs avec scénarios ringards et abrutis. Matt Stone est bien gentil en poux photographe, mais lui (et son homosexualité refoulée) rejoignent directement l’univers de Scary Movie 2, en simplement plus cru. L’indulgence est possible, mais c’est à voir avant ses 16 ans de préférence.

Note globale 36

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