ASSASSINS (Kassovitz) =+

11 Mai

Le principal atout du film, le seul qui tienne jusqu’au-bout, est la prestation de Michel Serrault, fossoyeur truculent virant débris tragique. Il prête ses traits à Wagner, un tueur à gages arrivé au crépuscule, trouvant en Max, malheureuse petite frappe, un possible héritier. Le vieux se prétend « artisan », s’invente une « éthique » et tient bon dans le déni. Il met son efficacité et son assertivité au service d’une mission légèrement délirante, certainement improductive ; il n’est pas sûr que les types qu’il exécute lui rapporte quoique ce soit, même pas des satisfactions de prédateurs. Manifestement il s’invente des commandes clients, le seul mystère concerne l’ampleur de ce mensonge.

La transmission offre une perspective ambitieuse, romanesque, à ce pauvre gars ne valant rien, interprété par Kassovitz avec un jeu proche du légume mobile. Son visage blanc, pas marqué par l’émotion, le stress, ne cadre pas avec les situations, reflète juste une âme de type hagard et lisse, impuissant à voir en-dedans comme au-dehors ; le personnage est ainsi, soumis cynique et crétin. Peu combatif, vite débordé, c’est un égaré. Il n’est pas spécialement miséreux mais il est carrément stérile, capable de suivre et reproduire, jamais de créer, imposer ou adapter correctement. Au fond Wagner n’est même pas un guide, il est seulement une relation forte succédant à d’autres insipides ou vulgaires, ne menant jamais à rien.

Max le suit car il n’a pas le choix, reste parce qu’il a trouvé une source fournissant tout : aptitudes, principes, convictions, habitudes. Quand on est écrasé et emporté par la bêtise, de surcroît sans avoir développé ses propres ressources (il ne sait que cambrioler – et se faire coffrer), c’est ‘le’ cadeau inespéré. Mais Max n’est pas à la hauteur de cette opportunité, qu’il ne sait ni réformer, ni décalquer. Une fois qu’il s’est laissé assimiler par Wagner, il parle de son « métier », répète qu’il n’est « pas un voleur » pour se donner contenance et imiter les salauds qui cherchent à s’estimer. Très vite lui-même cherche à transmettre. Il reprend alors bêtement les mots de son tuteur et est finalement un commis qui aura essayé d’exister ; le talent c’est une génération sur deux, le sacrifice c’est pour les deux.

La relève dans le métier, ce sont des perdus qui se prennent pour des gangsters professionnels, gangsters à la tâche. Ils peuvent faire les gestes de (pas tellement ‘à la façon de’) ; ils n’en ont pas le but, en plus de ne pas avoir l’organisation. Ils simulent par petits bouts un modèle de vie qui était une des grandes évasions auxquelles ils rêvaient tout bas (du ‘Just do it’ de casseurs). Le film n’insiste pas sur ce point, contrairement à La Haine qui allait chercher des icônes américaines de la violence individuelle, la violence montante venant des résidus aliénés. En revanche il insiste sur la place des médias : les pubs/informations (techniques parfois, essentiellement des actualités violentes) ou jeux débiles (avec Nagui) s’incrustent dans de nombreuses scènes, tout comme le jeu vidéo, presque toujours en ramenant à la médiocrité ou à l’agressivité épanouies.

Wagner est le père inattendu, délabré mais encore puissant, autorisant le vice et même poussant à l’offensive. Il double Max dans l’exclusion, ignorant le piteux stade de l’errance et de la frustration sans nom qui caractérise la condition du jeune homme. C’est un marginal qui a fait sa culture, son code, en harmonie avec sa fièvre nihiliste. Le monde est hostile, les assassins sont partout, lui n’est qu’un petit indépendant avec de l’honneur – même si ses hauts faits appartiennent sûrement à d’anciens temps. Baratineur presque malgré lui, le vieux parfois floue pour ‘avoir’, ou en fait des tonnes avec des exposés superflus. En cause, ses problèmes mentaux autant que son caractère dominateur. Il intimide avec un un humour discret et acide, qu’il perd sur le long (basculant de l’émission de répliques cultes à l’oubli gastrique de soi) ; tout comme le film s’essouffle, passé les effets du début, l’envoi des boucles et annonces aguichantes.

La surprise et la tension sont digérées, ne restent que la violence bête, vécue avec fatigue ou indifférence éveillée par les protagonistes – assistée, normalement (soit dans l’intention visée) avec sidération par spectateur, qui a plutôt de quoi rester sur sa faim, déçu par cette descente. Ainsi triomphe cette tendance chez Kassovitz, massive avant Les rivières pourpres, à vouloir dégager le terrain pour un jugement mal maîtrisé, après avoir mis en évidence sa dissidence en esprit par rapport au cinéma français. En somme le film fléchit en même temps que ses personnages. La fiction, l’aventure, l’initiation, se tassent voire passent à la trappe en elles-mêmes – pour développer un radicalisme et un moralisme sans qu’il y ait l’équipement nécessaire (La Haine l’illustre méchamment, sa virulence créant un gouffre infâme).

Le scénario de Boukhrief (plus tard réalisateur – Le Convoyeur, Cortex, Made in France) n’est pas tant en cause que les choix d’adaptation. La démonstration ne valait pas grand chose, elle part dévorer toute l’épaisseur intime et le potentiel subjectif qui rendaient la première moitié presque captivante. Ce qui se joue est la banalité acquise des images, des gens et finalement des actes définitifs ; le climax sera la seconde rêverie, un soap (parodie d’Hélène et les garçons) virant au snuff. Fracassant en soi, d’une grossièreté absolue, bien vaine quand bien même elle aurait été déballée à temps ou avec parcimonie. Le passage final au JT 20h de PPDA est un sommet de kitsch, mais permet d’introduire une référence massue. La télé, la société, sont fautifs, etc ; on dirait qu’Haneke, surtout celui de Benny’s Video (1993), a pondu un gosse turbulent essayant de rentrer dans les clous suggérés par une pompeuse académie.

Assassin(s) essaie de refaire le coup du très brutal et vulgaire Tueurs nés (1994), en mode mineur ; il le torche en mode minable, ayant trop peur de prendre un point de vue, redoutant d’avoir à subir ses contradictions, alors que le monstre d’Oliver Stone en instrumentalisait un maximum. Malgré cette dérive et ces régressions il reste d’Assassin(s) une signature forte, faisant de Kassovitz un réalisateur respectable et efficace au moins (La Haine avait de l’énergie à dilapider, Métisse était plutôt anonyme), sinon apte à interpeller autrement que par la plainte ou le tapage. Quelques travellings en tout sens, enchaînements originaux (la flamme/le ciel blanc) affirment un savoir-faire éloquent ; des recours paresseux cassent la moyenne. En tort, le symbolisme creux et commun (la posture christique d’un mourant ; tellement de lourdauds même brillants l’ont casé tout aussi gratuitement), ainsi que cette manie d’insérer carrément des extraits vidéos (séries ou films), allant jusqu’à placer un clip Nike entier.

Note globale 62

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Seul contre Tous + Bernie

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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Une Réponse to “ASSASSINS (Kassovitz) =+”

  1. Moonrise Mai 12, 2017 à 00:21 #

    Quel dommage que ça parte en sucette comme ça sur la fin ! 😦 C’est comme si Kassovitz avait fait preuve de trop d’ambition en fait, alors que ça aurait pu être très bien si ça ne partait pas dans ces délires graniloquents mais finalement banals sur la banalisation de la violence à la télé, etc.

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