L’EMPEREUR DU NORD +

2 Mai

Lointainement inspiré de The Road de Jack London (1907), L’Empereur du Nord s’intéresse à une population de marginaux : les hobos, nom donné à des vagabonds d’un genre propre aux États-Unis. Ils sont généralement actifs (emplois manuels, saisonniers) et évoluent autour de lignes ferroviaires. Depuis les années 1970 ils sont davantage un souvenir romantique qu’une réalité vivace. Leur heure de ‘gloire’ remonte aux années 1930 : la résilience de ces travailleurs itinérants était la bienvenue dans le contexte de la Grande Dépression.

L’Empereur du Nord met en scène la cruauté et l’absurdité de ce monde, avec une certaine fascination voire de l’envie. Ce projet était initialement prévu pour Peckinpah (Chiens de paille, La Horde Sauvage) mais Robert Aldrich, qui a souvent présenté des héros virils avec une dose de perversité (miss Baby Jane est l’exemple ultime), est excellent pour le diriger. Le film est centré sur un duo de trimardeurs ; le vieux est a-priori un ennemi et devient un mentor, mais la relation est compliquée et les personnages instables. C’est la rencontre entre une légende vivante et ascendante du milieu, la seconde ayant encore des coups-d’éclats à accomplir pour inspirer le respect sans se forcer. L’approche est brutale, sans filtres, les coups portés sont criards ; un esprit critique d’enfant rebelle se déchaîne, en se passant de justifications, de recours au mental ou à l’idéologie.

Le dégoût envers la religion, l’autorité, renvoie à une fibre libertaire et valorise ‘Numéro 1’ (joué par Lee Marvin) dans son mode de vie et sa malice. Par la ruse et la puissance pure, le gueux ultime peut mettre en échec, quelques instants, le dominant social ou ses symboles, ses représentants. Mais son existence n’en est pas moins décevante, car lui comme ses camarades sont dépendants de leurs querelles explosives mais stériles ; ils ont largué la société commune pour marcher en parallèle et s’enchaîner à ce besoin de démonstrations. Il y a tout de même des gratifications : les pulsions sont autorisées, la mesquinerie est banalisée et si on a la force pour confronter alors on peut devenir un virtuose. On finit aussi par beugler seul, de façon mélodramatique pour un prestige presque invisible ; les hobos promettent au meilleur d’entre eux d’être ‘l’empereur du nord’ (« north pole »), c’est-à-dire d’un désert.

La ligne ferroviaire présente à l’écran est la même que celle employée par Buster Keaton dans Le Mécano de la Général (1927), ‘classique’ du muet. Cette séance est aussi une ballade dans un Oregon du passé plutôt conforme à la réalité, bien que ce soit une réalité étriquée et sauvage. Le scénario est assez simple, l’emballage énergique et le casting percutant ; Ernest Borgnine (déjà dans Les Douze Salopards) est excellent en méchant acrimonieux, sadique. Shack sous les traits de Borgnine invente presque un genre de prédateurs, celui qui aurait pu s’inviter dans le ‘western fayot’ pour l’emmener vers l’horreur, avec une bonne couche de cynisme vicelard et glauque digne d’un tonton ex-alcoolo de Michael Myers qui se serait trouvé des responsabilités.

Note globale 72

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Le Voleur/Louis Malle + Un homme est passé/Sturges + En quatrième vitesse

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

Note arrondie de 71 à 72 suite à la mise à jour générale des notes.

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