L’ANTIFEMME OPULENTE

5 Sep

Effectivement, je n’ai jamais vu quelqu’un mépriser à ce point les femmes et les gays, tout en suggérant son inaptitude à l’homosexualité sereine ou au transgendérisme assumé.

Mais j’ai fait une erreur en croyant que cet aveu ostensible n’existait pas, n’était manifeste que par hasard, alors qu’il cohabite avec la simple et pure volonté d’humiliation de toute forme sexuelle non-hétérosexuelle, par dépit et par haine  »rentrée ». Il est étouffé, mais il est partout. Certes, un personnage comme Divine vient sacrer toutes les identités sexuées  »différentes » comme des horreurs toxiques, des déviances intrinsèques ; l’hétéro-beauf est le premier ravis, de même que le petit gay inconscient.

Cependant, Divine est dans un mode passif-agressif. Elle n’est pas tout à fait offensive, ni tout à fait cynique. Et ce qu’annihile réellement Divine, c’est la femme, plus particulièrement la femme prude, rangée, inconsistante, bref, la gentille ménagère lisse et insipide, effacée et conformiste, modèle rayonnant encore dans les fantasmes d’aujourd’hui et dominant à son époque.

Divine ne va pas vers la féminité en ami : il fait une OPA sur elle pour l’entraîner dans son sillage et sa poursuite ( »revancharde ») du laid et du médiocre. Les rondeurs nourricières deviennent gras superflu, outrance répugnante et comique. Divine montre qu’un homme peut être aussi fort qu’une femme, aussi égocentrique et avachi aussi. Il blesse la féminité au cœur. Ce n’est pas par hasard que ce travelo homérique, cette loque polie et gentille, devient une femme opulente.

Elle déteste les femmes fragiles et déboule comme pour leur montrer « regarde ce que je sais faire ». Elle s’en prend indirectement aux princes charmants n’attendant que de trouver la perle rare ; elle les désillusionne. Elle se donne en spectacle devant des gays et des folles haissant la femme et la préférant diminuée ou ravagée ; eux-mêmes poursuivant une image et une attitude que l’homme ne tolère pas et la femme elle-même n’accepte pas. C’est une célébration libidinale au nom de l’amour de la médiocrité, de la quête de l’instinct primaire et de la régression, morale, esthétique et sexuée. Et sexuelle éventuellement parmi le public sincèrement et objectivement fan de Divine, miroir dans lequel ils se confondent avec énergie et enthousiasme.

Il y a chez Divine un côté christique, sacrificiel et autoconsumériste. C’est le paroxysme de l’artiste débridé engagé dans un délire sans fin, festoyant la haine de sa propre personne.

Ce qu’elle est et représente est ignoble, mais justement, le trouble de Divine est fascinant, de même que son rapport au-delà du tragique et du grotesque à sa propre valeur d’être humain, dont elle fait l’écrin des passions les plus brutales et sommaires, tout en les habillant d’un romantisme de caniveau et de fastes dionysiaques.

Elle n’envoie pas de messages ; elle contemple sa propre décadence. Et sans arrêt, elle en exprime autant la conscience que la satisfaction suicidaire. Et c’est pour ça que Divine fascine, pas simplement en tant que divertissement grotesque et hargneux, mais comme identité souillée de la plus grandiloquente et extrême des façons. C’est une façon de se ré-approprier : si je ne puis être parfait, je vais tout décimer, mais dans un ordre certain. Je lâche l’affaire et je prend les choses en main mieux que jamais. 

11 Réponses to “L’ANTIFEMME OPULENTE”

  1. 2flicsamiami septembre 5, 2013 à 10:50 #

    Pour être honnête, comme je ne connait pas le cinéma de John Waters, je ne connaissais pas Divine (juste de nom, comme ça). Après le clip que tu as mis en lien et avoir lu ton brillant décryptage de la personnalité de cette drag queen, cela m’a donné envie d’en savoir plus sur cette icône.
    En tout cas, ton autopsie de Divine semble tenir debout. Si je comprend bien, il serait à la fois critique et lucide sur son statut de travestit.

    • zogarok septembre 6, 2013 à 12:52 #

      Oui totalement – et en même temps, c’est aussi téléguidé que sans calcul mûrement réfléchi. On assiste surtout à un fabuleux suicide social, un suicide intégral. Comment trouver le goût à la vie après avoir autant sacrifiée la sienne ? Il est mort assez jeune (43 ans) mais je crois que compte tenu de cette nature monstrueuse et du désespoir qui amène à de telles excentricités, il aurait vieilli dans la mélancolie la plus extrême, ou même dans la médiocrité.

  2. Voracinéphile septembre 5, 2013 à 18:30 #

    Ah, retour chez les freaks, dans une analyse encore plus poussée que sur la lucarne aménagée sur Pinksat. Dire qu’on se délecte de Divine est peu dire, ce monument de provoc fait mouche à chaque fois qu’il apparaît. Non seulement chez John Waters, mais aussi dans sa carrière musicale (je recommande « you think you’re a man » et « shoot your shot ! » pour se faire une idée, c’est édifiant pour les face à face avec les princes charmants).
    Entre temps, j’ai enfin réussi à obtenir Desperate living, que j’ai découvert grâce à Alice. Il s’annonce costaud, malgré l’absence de notre Vénus de soirée Pizza-Bowling-Karaoké.

    • zogarok septembre 6, 2013 à 12:49 #

      Aie… Il ne faudrait jamais te dire !!! Car il y aura la Playlist Divine pour très bientôt – je crois que j’avais déjà abordé quelques-unes de ses « chansons » précédemment, mais pas avec la précision de ce qui arrive.

  3. Voracinéphile septembre 7, 2013 à 13:20 #

    Et ben, ça fait plaisir de voir que mes interventions spoilent involontairement ton programme. Par vengeance, je vais donc me murer dans un silence mutique. Na !

    • 2flicsamiami septembre 8, 2013 à 08:12 #

      J’ai d’ailleurs aussi jeté un coup d’oeil à sa performance vocale sur le film Lust In The Dust. J’ai bien rit.

      • zogarok septembre 11, 2013 à 01:24 #

        Mais c’est de ce film que viens « Walk Like a Man » ! Merci, je pensais que c’était un truc ex nihilo.

        Pour les masos, suivez la flèche => clique

    • zogarok septembre 11, 2013 à 01:01 #

      Formidable.

  4. Voracinéphile septembre 11, 2013 à 16:12 #

    Walk like a man ou comment dire « aïe » toutes les 5 secondes en se frottant les yeux. Vu que les chansons de divine sont bloquées pour la prochaine playlist, on part sur des extraits de performances d’acteur…

  5. Kapalsky septembre 12, 2013 à 19:09 #

    Peu de célébrités actuelles peuvent se targuer d’avoir la même aura à la fois fascinante ou réplusive. John Waters a su exploiter sa personnalité à merveille dans ses films pour dresser un modèle d' »anti-féminisme » comme tu le dis si bien dans ce portrait. Chez Waters, il s’agit de bousculer les conventions étriqués de la société, et Divine était pour l’époque (et reste de manière intemporelle, à la manière d’une Greta Garbo ou Marlène Dietrich mais version déviante) une muse, et un parfait porte-étendard de tolérance. 🙂

    • zogarok septembre 12, 2013 à 19:49 #

      Justement – je suis d’accord avec toi pour tout, par contre je soupçonne une forme d’intolérance de Divine à l’égard de son propre personnage et surtout des « drag-queens », qu’il parodie de façon dégradante.

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