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HELLRAISER 3 : HELL ON EARTH =-

8 Jan

Troisième Hellraiser, déjà la chute. Les deux premiers opus resteront à part, tout ce qui suivra ne sera que bonus avariés avec quelques échappées remarquables, c’est-à-dire Hellraiser 4 et quelques aspects de tous les autres, notamment celui-ci. Entre continuité et rupture, Hellraiser III ne conserve que Kirsty et Pinhead dans ce nouvel opus, la première étant réduite à une courte apparition au début, presque un cameo. Elle en fera un autre dans Hellseeker, sixième opus exclusivement sur le marché de la vidéo.

 

Dès que les santiags rouges sont posées, il faut s’en douter : Hell on earth est bien plus mainstream. Une série B, mais ouverte au grand-public et ne posant guère de problèmes manifestes concernant la censure ou les atteintes aux bonnes mœurs – tout en étant monstrueusement beauf par endroits. Hellraiser III se rapproche de l’univers horrifique pour teen et jeunes adultes typique des 80s, avec un lot d’excentricités dans la lignée des Freddy. Réalisateur des Waxwork, Anthony Hickox est compétitif en ce qui concerne la création d’une galerie des horreurs.

 

Orphelin de Julia et Franck, le film suit une jeune journaliste, témoin d’une victime des Cénobites lors de son transfert à l’hôpital, infiltrant le monde de la nuit ; et un artiste badass, manipulateur et addict au sexe, vivant dans un cocon luxueux à côté de la boîte. Ils vont s’approcher de l’enfer de la boîte et lui va provoquer le retour de Pinhead, tout en passant vers la force obscure d’une kitschissime manière. Le démon à la face cloutée prend contact par le biais d’une statue et exige d’ingurgiter des corps femme pour pouvoir se matérialiser. La forme évolue, la méthode reste.

 

L’optique se veux  »fun » : outre les loubards ou blousons noirs de l’époque (1992), on entre directement dans le bain avec des performances grand-guignoles radicales. C’est la bouffonnerie pure et simple, infamante à l’égard des prédécesseurs, où le climax est atteint avec le massacre en boîte de nuit par Pinhead et où de nouveaux Cénobites (caricatures de Playmobil inexpressifs et disciplinés) sont lancés pour épater la galerie. Hellraiser III est l’opus couillu, surtout vers la fin avec ses quartiers louches et ses costumes heavy metal. Les protagonistes font penser au méchant gang de souris dans Tom et Jerry le film, l’univers autour, le leur et surtout celui de Pinhead, étant plus iconoclaste.

 

Ce qui fait de Hell On Earth un échec dans tous les cas, en tout cas une chose minable face aux deux premiers opus, c’est son attitude pour renouveller le mythe et la franchise. L’utilisation d’un large panel de techniques (flashbacks, voyages temporels, slapstick) a pour effet de divertir mais il n’y a pas de suite dans les idées. Découvrir le visage humain de Pinhead par le biais capitaine Elliot Spencer en pleine guerre du Viet-Nam est curieux mais stérile. Le cheap mélodramatique et onirique des séquences concernées est légèrement déconcertant.

 

Le final mettant en scène Pinhead face à lui-même est certes inattendu, pas spécialement mauvais, mais n’amplifie pas son personnage, le dénaturant tout à fait. Pinhead a beau avoir lâché un pittoresque « Il n’y a pas de bien Momo, il n’y a pas de Mal, il y a uniquement la chair », nous voilà devant une lutte Bien/Mal ridicule (dont l’opus suivant ne se défendra pas, même si comme toujours il ne s’agira pas du filtre fondateur). Le délire de Pinhead comme icône satanique burlesques, professant ses menaces sardoniques dans une Eglise dont les vitraux éclatent à sa présence, est très brave et inventif. Il ne peux cependant que nourrir l’amertume du fan du chef-d’oeuvre de Clive Barker et aurait été méprisé ou à peine relevé, comme il se doit, si cet Hellraiser III n’était qu’un quelconque Hell On Earth détaché de toutes références. Le destin de Pinhead est d’être l’administrateur de Sodome et Gomorrhe version BDSM, pas de se comporter comme un simple farceur ténébreux.

 

Globalement c’est donc un petit nanar (en aucun cas un navet) relativement plaisant à suivre, mais relativement banal aussi. On dirait une espèce de comic-book kitsch adapté pour un public de groupies exclusif. Intention maligne dans ce cas, mais c’est Hellraiser 4 qui remportera la mise de ce côté, en développant avec brio et furie graphique les promesses de la dernière image de cet objet désolant.

Note globale 46

 

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Suggestions… Le Blob 

HELLRAISER II : HELLBOUND, LES ÉCORCHÉS ++

29 Nov

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Hellraiser II n’est pas parfait, juste miraculeux. Il flirte avec la perfection, l’embrasse à plusieurs reprises, commet quelques fautes de goûts aussi délectables que ses exploits les plus éclatants. C’est une merveille à l’état brut. Hellbound est la suite du film-culte Hellraiser le Pacte où Frank revenait dans le monde commun et apportait avec lui une boîte mystérieuse, portail vers un monde de plaisirs et de souffrances. Il ne s’agit plus de drame familial ou du portrait de personnages borderline (au-delà de tous les avatars, le film tournait autour de Julia, sorte de femdom dépressive redécouvrant l’exaltation) mais d’une incursion dans cet univers d’où émanent les Cénobites. Dans Hellraiser II, nous entrons dans la boîte. 

Le Ying et le Yang, indissociables

Enchaînant directement après le final de Hellraiser, ce second opus a bénéficié d’un budget conséquent, bien que retaillé par la New World Pictures. Il a en revanche subit la censure dans le monde anglo-saxon en raison de son ultra-violence (la chair éprouvée, les rangs de dépouilles féminines offertes à Julia), comparable à celle exhibée dans Martyrs. Réalisé par Tony Randel, Hellraiser II connaît un honnête succès commercial mais perturbe la critique et le public. On lui reproche notamment ses fulgurances, voir ses incohérences (pendant longtemps, le film n’était accessible que dans des versions bancales – le montage approprié et complet est récent, mais somme toute il ne change rien à l’essence du programme). Son absence de lien à toutes les conventions et aux repères connus dérange, sa virulence et ses  »exploits » font halluciner. Tout le monde n’est pas près à accepter ce Nirvana sado-masochiste.

S’il y a un film dantesque dans l’Histoire de l’horreur ou du fantastique, c’est lui. Dans le pire des cas, il est sur le podium. Basculement total dans l’antre des monstres (les Cénobites, créatures de la boîte, sont au cœur des réjouissances), Hellraiser II invente un labyrinthe aux confins de l’enfer et du mystère. Il insinue des symboliques profondes, souvent inédites, parfois enfantines, avec une part de grotesque, toujours jusqu’au-boutistes. Le monde mis en scène est absolu, d’ordre démesuré, d’animalité sublimée ; là où la civilisation est dépouillée, où les décors les plus fantasmagoriques et grandioses restent, au service d’une course sans fin dans un espace où tout est possible et abondant.

Hellraiser 1 et 2 se complémentent et forme un tandem parfait, définitif. Hellbound marque le passage de l’autre côté, donnant l’accès à tout ce que ce dernier suggérait ou contenait, fondant le mythe et enrichissant son imaginaire. Par contraste avec la gravité du premier opus, d’un sérieux terrible, celui-ci marque le temps du déchaînement, où la psychologie devient une affaire seconde, les caractères se définissent d’abord par leur rapport au monde sensuel. Macabre au possible, mais beaucoup plus outrancier, il confond grotesque et sublime, onirique et trash. Explicite et spiritualité malade. Les deux films, chacun à leur manière, montrent tout ce qu’un enfant trop averti ou angoissé rêve de transfigurer. C’est encore le grand saut dans l’indicible, avec ici une proximité envers la sensation d’immortalité, de dissidence à la réalité et à la condition humaine. Une ivresse qui se solde par un chaos en trompe-l’œil, un folklore mystique croissant sous nos yeux, notamment dans une seconde moitié parfois délicieusement absurde, toujours tournant le dos au réel.

hell2 ishotNouvel ordre sous le joug de l’outrance et de la jouissance

Les attitudes du film stimuleront, heurteront ou laisseront sceptiques, catégoriquement : Hellraiser II refuse la demi-mesure et suscite la même intensité, ou génère rejet et distance. Le film a le goût du grotesque de la manière la plus littérale qui soit, tout en jouissant d’une mise en scène de qualité. Le raffinement tonitruant est à chaque endroit, par la BO de Christopher Young devenue épique, par les décors flamboyants, par les choix scénaristiques audacieux. À certains égards, Hellraiser II réinvente les totems du fantastique, en plus d’innover avec les siens propres et ceux de la franchise. Le retour de Julia est très significatif en ce sens : véritable maîtresse des enfers, d’une élégance  »glam-kitsch » (et 80s) absolue, elle est aussi au cœur d’une relecture du mythe de Frankenstein. Avec Channard, qui lui a permis de remettre le pied dans le monde commun, elle réalise un tandem maléfique, tourné vers les forces occultes (le Léviathan, nouvel avatar et pilier des Enfers sur-mesure) et la satisfaction suprême. Ce même docteur Channard, à la tête d’un asile, s’avère un pervers complet derrière une façade conformiste et légale. Lorsque, dans la toute dernière partie où le film se perd en rebondissements et flirt avec le jeu de rôles (dimension sympathique au demeurant, assez fascinante même), Channard amène le film vers la farce gore par ses excentricités. À la fois spectateur-voyeur et participant odieux, ce personnage apporte beaucoup avec ses multiples facettes, tout en immisçant une sorte de neutralité, d’extériorité au mythe, permettant de prendre du recul et le voir avec plus de sagesse et de neutralité, sans rien en démythifier.

Multipliant les démonstrations dans une sorte de parade cauchemardesque, Hellraiser II s’avère aussi radical et à l’aise dans le thriller, le fantastique, le thriller puis finalement l’heroic-fantasy. Un ensemble d’une originalité prodigieuse, aussi déconcertant que subjuguant par son style, sa faculté d’associer lyrisme et farce premier degré avec naturel, précision et fureur. Les visions les plus inouïes s’enchaînent avec grâce et cohérence. Le cadre de l’hôpital psychiatrique est intégré dans l’ivresse et apparaît comme une antichambre de la boîte, un endroit où les pulsions et les passions auraient libre court, dans leur parcelle réservée. Les apparences sont ambiguës et une visite auprès des grands malades se transforme en passage à l’abattoir (avec Channard derrière la lucarne, comme un prêtre auscultant ses patients à bout), ou dans une usine ordonnée pour la dépravation. Les auteurs ont été d’une générosité inouïe et d’une imagination sans limite.

Rapport à la saga

Après l’orgasme aussi, il y a la descente. Hellraiser va se poursuivre avec de nombreux opus, neuf à ce jour, dont un supplément improbable en forme de documentaire. Clive Barker, scénariste de la nouvelle originelle qu’il adaptait via le film inaugural, sera lié aux quatre premiers opus. Pour les trois suites de son chef-d’œuvre, il collabore avec Peter Atkins pour le scénario. Ensuite, les direct-to-video seront improvisés par des réalisateurs détachés, avec des équipes différentes, seul Doug Bradley rejoignant les troupes.

Concernant Hellraiser II, il a été réalisé par Tony Randel. Avec ce premier film (si on omet l’anonyme Def-Con 4), il annonçait son style graphique inimitable, coloré et tranchant, qui cependant ne trouvera et de très loin, jamais une expression un tant soit peu comparable à celle d’Hellraiser II. C’est qu’il faut aussi une équipe, de la matière, une inspiration. Une manne et des génies pour stimuler le sien, en d’autres termes.

Tous les autres opus de la saga Hellraiser s’écarteront de l’intrigue originelle du Pacte, avec des personnages différents, voir un point de vue très éloigné, dénaturant le lien aux sources (notamment les direct-to-video de Rick Bota).

Note globale 98

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Suggestions… Phantasm + Cannibal Holocaust + Hollow Man + Frankenstein + Killer Klowns

La Saga >> Hellraiser le Pacte + Hellraiser II Hellbound : les Ecorchés + Hellraiser III : Hell On Earth + Hellraiser IV Bloodline + Hellraiser V Inferno

Note ajustée de 99 à 98 suite aux modifications de la grille de notation.

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HELLRAISER, LE PACTE ++

28 Nov

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Il faut revenir vers Hellraiser en sachant les secrets qu’il porte de nous. Cette éminente référence du cinéma d’horreur, au-delà de ses performances gores et de ses excès ébouriffants pour son époque (1988), propose un scénario structuré jusque dans ses moindres ramifications. Il s’en dégage un pouvoir de suggestion achevé et permanent ; quand bien même on pourra juger l’œuvre dépassée dans ses effets spéciaux ou son aspect graphique (quoi de plus évident au fur et à mesure qu’un produit vieilli), la force de ce scénario traversera les âges parce qu’Hellraiser se frotte à l’essence même du désir et bafoue allègrement les tabous les plus enracinés dans notre culture. C’est en outre un modèle de cinéma inépuisable pour la densité de son propos et ses  »niveaux de lectures » abondants.

L’existence d’Hellraiser le film est la conséquence de l’adaptation vidéo des écrits de Clive Barker avec Transmutations. L’artiste est abasourdi par cette série Z. Devant cette expérience malheureuse, il décide d’adapter une de ses œuvres sans mettre en péril son univers aux mains d’obscurs auteurs bis peu attachés à mettre en valeur la dimension éthique et transgressive du matériau, traitant tout ce qui leur ait offert sans égards particuliers.

Avant de devenir culte, Hellraiser est un projet qui a peiné à s’affirmer. D’abord, le film devait s’intituler Sadomasochists from Beyond the Graves, titre évocateur, peut-être un peu trop. Par ailleurs, il devait s’accompagner d’une BO forgée par le groupe Coil, dont la musique expérimentale inquiète la production ; Barker devra se contenter d’une BO plus traditionnelle, celle de Christopher Young. Celle-ci demeure une réussite fulgurante et insinue dans le film un climat des plus mystérieux (le theme principal est assurément un classique pour les adeptes de cinéma fantastique). Toutefois, l’atmosphère dégagée par les titres de Coil aurait rendu probablement rendue la vision d’Hellraiser autrement plus étrange et décalée (peut-être le film serait-il moins glacial et inquiétant ? plus proche du cauchemar psychédélique ?) ; difficile d’imaginer l’impact d’un morceau aussi déroutant que Video Recorder.

En dépit de ces quelques compromis, Hellraiser nous est parvenu sans être dénaturé. L’absence de censure est d’ailleurs un phénomène qu’on s’explique toujours assez mal aujourd’hui ; surtout que Hellraiser 2 ne bénéficiera pas de cette clémence et sera allègrement amputé (pour compenser la tolérance accordée au premier opus ?). Clive Barker, lui-même assez perplexe, estimera d’ailleurs que les comités de censure « n’ont sans doute rien compris ». Il n’y a donc qu’à s’en réjouir. Pourtant, on sait combien la culture SM, au cœur de l’œuvre, est peu accessible dans les 80’s, ce qui redoubla l’intensité du choc occasionné par la vision d’un film aussi radical et incisif.

La figure de Pinhead, incarnation agressive, sophistiquée et grand-guignole de cette culture SM, imprègnera directement la conscience collective des amateurs de cinéma  »déviant ». Toujours incarné par Doug Bradley (acteur dans Cabal et le récent Bienvenue au cottage) et intervenant dans les huit opus de la saga (bien que les direct-to-video lui réserveront une place limitée),  »tête d’épingle » est devenu une icône goth macabre ; son allure est si impressionnante qu’il compte de nombreux admirateurs ignorant jusqu’à sa source et son nom. Cet ange hédoniste, ambassadeur du plaisir par la souffrance, suscite tour à tour attraction et répulsion auprès des spectateurs comme des personnages, fascinés par cette synthèse inédite des désirs les plus ténébreux et interdits des Hommes.

Pourtant, à ce stade de la saga, la mythologie de Pinhead et de ses acolytes, les Cénobites, des damnés éternels eux-même emportés vers l’au-delà par leurs voeux de jouissance éternelle, reste au second plan. Hellraiser se concentre davantage sur le personnage de Julia (interprétée par Clare Higgins, théâtreuse de formation). C’est d’abord un conte adulte, à contre-courant de la bienséance ou du carnavalesque inconséquent imprégnant alors le genre horrifique, déjà en 1988 rarement axé sur des thématiques ambitieuses mais plutôt sur des performances gores potaches, ou simplement barbaques (Freddy et Jason font alors la loi).

Dans le fond (et c’est là qu’il est le plus obsédant), Hellraiser trace l’itinéraire d’une renaissance via la transgression des interdits les plus élémentaires. Julia (Clare Higgins) est celle qui franchit les limites posées par la morale et la civilisation. Proche de la dépression au début du film, c’est une âme endormie et asséchée qui n’attendait désespérément que d’être de nouveau irriguée. La restauration de ses pulsions marquera le climax de son existence.

Julia, la renaissance

Avant l’intervention de Frank, les deux héros du film sont le couple Larry/Julia. Un tandem dynamique, aisé, bourgeois, venu de Brooklyn pour s’installer dans la demeure familiale délaissée. On découvre une Julia assez passive, laissant à Larry le soin de gérer leur vie. Julia est, sans surprise, peu enthousiaste devant sa nouvelle résidence, mais elle s’incline. Mais que Frank ait habité ici réveille Julia. Déjà, le simple souvenir de sa sulfureuse liaison avec le frère de Larry la tire de son présent léthargique pour invoquer ses désirs égarés. Lorsqu’elle trouve des photos sans ambiguïtés (elles montrent la dégradation d’une femme) abandonnées par Frank, Julia acquiesce avec force. Nous sommes encore au stade de la résurgence des fantasmes, et Julia pourrait encore demeurer une femme frustrée au tempérament fuyant.

C’est encore le cas pendant un long moment. Julia est un corps étranger dans l’univers qui la cloisonne. Le premier atout d’Hellraiser tient dans cette évocation du conflit entre le monde intérieur et les désirs d’un individu et l’atmosphère de son entourage. Julia est comme privée d’une part d’elle-même, bloquée dans un monde qui ne voit, ne comprend rien. Il est impossible pour elle de se soulever contre cet ordre établi qu’elle abhorre ; elle ne connaît rien d’autre et n’a pas d’appui, personne pour venir la sauver, ou simplement la rejoindre. Elle semble donc condamnée à vivre dans un milieu qui n’est pas le sien ; en ce sens, le film s’adresse et plaira plus particulièrement à ceux qui auront vécus dans un cadre déplaisant, trop codé, trop strict, ou en même temps s’échappaient les instincts primaires de congénères observés par le vilain canard avec condescendance (une émotion qui engendre aussi bien le dépit que la fureur).

Barker insiste sur une opposition très marquée entre Julia et le reste du monde ; Julia est entourée d’individus naturels, spontanés, mais gavés d’eux-mêmes, sans curiosité et recroquevillés sur leur petite vie. Ils ne sont en quête de rien. Il y a dans Hellraiser une approche de la  »beaufitude » ordinaire, cette réalité si commune et si terrible. A ce titre, la scène du dîner est édifiante. Julia, probablement décontenancée par l’ineptie et la triste banalité des invités de Larry, reste blottie dans une posture songeuse, à l’écart du groupe. C’est une galerie de  »copains » de bureaux qui forme la table des invités ; uniquement des personnages médiocres, moins socialement (ils semblent avoir réussis leur vie) que dans leur vie intérieure (dont on devine la platitude infinie). Il y a une femme aux répliques insipides et tellement attendues, un petit crétin épatant Kirsty, la fille née de la première union de Larry, personnage approfondi au même titre que Julia dans le film, mais ici véritable niaise transie devant un micro-exploit digne des plus grossières traditions champêtres. Il y a surtout cet époux au ton grivois et faussement mielleux qui aimerait faire boire un autre verre à Julia, quand celle-ci se damnerait plutôt que de lui ressembler. Parce qu’il ne faut pas se leurrer ; leur tendre la main, entrer dans leur jeu, c’est gommer les frontières qui nous séparent.

En parfaite borderline, Julia quittera l’assemblée. Avec délicatesse, gêne même. Mais au fond, Julia est partagée entre détresse et désir de mettre un terme à cette mascarade. A ce moment, Frank baisse la tête, vaguement mal-à-l’aise ; il sait qu’il a déçu, qu’il a peut-être perdu à jamais les liens qui l’unissaient encore à Julia. C’est ici, à cet instant précis, que tout se rompt et qu’Hellraiser entre dans une nouvelle dimension.

C’est l’heure de la rencontre qui va changer sa vie ; l’heure qu’elle n’attendait plus qu’en rêves, et encore, ceux-ci commençaient à se dissiper. Julia monte au grenier, s’avançant comme vers les fantômes radieux du passé. Elle se plonge dans les ténèbres ou, exaltée et étourdie au souvenir de Frank un peu plus tôt, elle retrouve celui-ci, sous la forme d’un amas de chaire et de nerfs.

C’est alors qu’ils scelleront leur pacte faustien, l’élément fondateur de la mythologie Hellraiser et du film. Toute l’œuvre est, de cette manière, assez littéraire. A chaque nouveau fait, Barker multiplie les parallèles, à chaque vérité, il impose un reflet déformé, voir antithétique. Hellraiser jouit ainsi d’une grande cohérence narrative et thématique ; c’est aussi de ces effets narratifs que naissent la grande profondeur du propos. Barker n’a pas peur d’apporter des réponses ; s’il y a un pouvoir de suggestion au-delà du gore, c’est parce que le film ne se contente pas d’afficher des figurines, il les travaille sous nos yeux (les préparant de telle façon qu’il permettra à Hellraiser 2 d’aller au-devant des fantasmes et du monde narcissique, largement dessinés, de chacun).

Quand l’interdit moral et les tristes façons de s’en accommoder préparent l’horreur

Hellraiser se penche donc sur le rapport au monde de ses personnages et axe son point de vue essentiellement autour de celui de Julia. Les données majeures de départ pour le film sont la religion et la beaufitude ; Barker en fait les deux chapelles de l’interdit, celles qui astreignent l’Homme et réduisent son champ d’action. Il assène ses coups hargneux, vraisemblablement vengeurs et sans retenue, contre cette religion castratrice, contre les autorités morales fagocitant, non seulement la liberté de mœurs, mais surtout jusqu’à la liberté de l’imaginaire. Elle pollue insidieusement cette dernière en y investissant sa morale rigoureuse et restrictive ; d’ailleurs, Julia est une enfant du catéchisme. Sa réaction devant Frank est dictée par ce qu’on lui a inculquée ; en lâchant « vous êtes un démon, vous venez de l’enfer », elle se cramponne sur les références qui maintiennent un équilibre dans sa logique et sa pensée (alors qu’elle aimerait s’en débarrasser – sauf qu’elle ne sait même plus que c’est cette source qui l’empêche de s’épanouir et l’enferme dans un circuit d’échecs). Le Monde a adopté cette rigueur, elle lui colle à la peau et lui donne des allures si brutales, si obscènes (chaque morceau d’humanité devient laid car il est perverti par l’intolérance du dogme) ; avec Frank, c’est l’émancipation, de cet idéal imposé, de cette sexualité triviale, de sa mise en scène poussive par les Hommes.

C’est alors une Julia qui, au plus profond de sa nature, se réenvisageant d’une façon insoupçonnée, fait tomber ses névroses. Elle s’affranchit de la honte et de la culpabilité, abolit l’emprise des forces oppressives grâce à Frank, l’hédoniste, le jouisseur en quête de plaisirs inconnus, qui lui rapporte l’expérience, physique et spirituelle, ultime. Il s’agit de s’extraire du marasme commun, de la tristesse du Monde, pour atteindre une réalité supérieure. Lorsque Frank, évadé des Enfers régis par Pinhead, lui demande de lui rapporter des hommes pour reconstituer sa peau, elle fait la promesse de répondre à ses besoins. C’est comme une communion, une profession de foi, et un engagement irréversible.

En face, les Autres sont demeurés à un stade primaire. On en revient à ce rapport au  »beauf » ; la séquence des déménageurs est explicite. À ces deux ombres vulgaires, Julia refuse d’accorder la moindre empathie ou connivence, affichant le fossé entre eux en les toisant. Froide pour ceux qu’elle méprise, Julia voue une sainte haine à ces roturiers buveurs de bierres. Lorsqu’elle répond par la négative à leur demande, c’est pour mieux leur signifier tout le dégoût qu’elle éprouve à leur simple vision. Sans doute devine-t-elle combien ces vulgaires obsédés se confondent dans une sexualité rustre et pataude.

Hellraiser explore ainsi cette frustration des hommes démissionnaires devant l’inconnu et la liberté. Ce refus de se livrer à soi, de s’abandonner à ses désirs, investit la cellule familiale, que le film explose en y bafouant les normes en vigueur, ou même simplement en allant au-delà de celles acquises et admises. Jusque dans ce repère, il n’y a désormais plus de remparts avant la sauvagerie ; c’est même le lieu des premières loges pour l’émergence des fantasmes les plus noirs. Kirsty, l’ado, a l’occasion de voir le monstre dans l’adulte – c’est pour elle l’occasion du  »passage », mais en bonne âme étendard de la morale, elle ne songera même pas à s’avancer.

On ne le relève jamais, peut-être par pudeur, ou bien par manque d’intérêt, mais Hellraiser évoque bien l’inceste, et pas seulement avec le fameux « viens voir papa » proféré par Frank. Larry lui-même, derrière ses apparences irréprochables, est un de ces ogres du passé ; au-delà de la consensualité apparente, voir du manque de substance, du personnage, on aperçoit cet air à la fois rassurant (paternel, dévoué) et intéressé (incestueux). Certains seront sceptiques, mais goûtez plutôt cette échange qui sera sans doute passée inaperçue, avant que son sens profond ne surgisse avec évidence qu’au bout de plusieurs visions :

Larry : « Oh chérie tu adorerais cette maison »

Kirsty : « Tu adorerais celle-ci »

Lorsque Kirsty découvrira la maison gagnée par le couple, on la verra, face-à-face avec son père, soudain échanger leur posture. Leur geste est apparemment inconscient, irréfléchi car spontané, et ne signifie sans doute rien. Mais à ce moment, Kirsty est passé dans une position d’infériorité par rapport à son père ; c’est désormais lui qui la regarde de haut. Ce petit déplacement n’était-il voué qu’à observer les nuances du plafond, ou bien n’avait-il pour but que de rétablir un contact dominant/dominé entre le père et la fille, celui dont chacun a tellement besoin ? Autre détail, qui pourra passer pour un caprice de grande petite fille, mais tout de même ; pourquoi Kirsty appelle-t-elle son père chez lui alors qu’elle vient de faire un cauchemar ? Son inquiétude ne tient-elle pas aussi à la peur de perdre le pilier sans lequel elle se retrouverait livrée à elle-même ? Larry est un père recroquevillé sur son petit monde, son petit circuit ; il veut garder à soi sa fille, lui interdit de s’approprier quoique ce soit, la dissuade de travailler. Il l’éduque dans la perspective de ne pas l’ouvrir au monde ; puisque ce que pourrait offrir le Monde, lui-même en a peur ; il pourrait y trouver sa vraie nature. Et si Kirsty la trouvait avant lui ? Impossible !

Tout cela se déroule dans un climat de silence et de non-dits dont seule Julia semble avoir conscience. L’omerta familiale règne : il s’agit de garder nos frustrations et les trahir entre nous. Ce système va à l’encontre des aspirations de Julia, laquelle n’a aucune foi (l’a-t-elle perdue en rencontrant Frank) dans de telles valeurs.

La domination et les rapports de force

Hellraiser va ainsi à la source de la relation sadomasochiste ; le masochiste accepte la bêtise, les instincts ou le désir de sublime d’une autorité supérieure. Avec ses dialogues à double-tranchant, le film peint des caractères résolument humains, trop humains. Le premier rapport de force exhibé est celui concernant Larry et Julia. Bien que Larry entreprenne, fasse des projets, Julia entretient avec lui un rapport de supériorité, comme si elle s’adressait à un enfant dans la posture d’une mère castratrice. Aussi le rassure-t-elle pour sa blessure (connotée sexuellement par le montage du film), comme elle le ferait pour un gamin, pour son fils. Elle s’applique sans y réfléchir mais aussi sans aimer le faire ; sa réaction est simplement  »normale », logique, évidente.

Mais les rapports de force se lisent également avec les hommes que Julia aborde dans le but de restaurer la forme physique de Frank. Julia ne quitte la maison, son antre parfaite entre morosité et perspective d’un dépassement mortifère et sensuel, que pour y revenir avec des provisions. Elle apparaît alors comme une femme fatale extrême, un produit très  »film noir », signant définitivement son style. Et quand Julia ramène une nouvelle proie, forcée et dévouée pour son Frank, elle pose la main sur son épaule, met en confort son hôte pour le convaincre de franchir un cap, autrement plus anodin que celui qu’elle a dépassé, puisqu’il s’agit de celui de l’adultère. Dans cette position, Julia semble se vendre à cet homme éprouvant de la honte, tout en restant maître du jeu ; elle passe avec lui un  »pacte », inégal car elle connaît les vrais termes du contrat. Elle est le guide d’hommes effrayés à l’idée de transgresser le plus courant et banalisé des interdits occidentaux.

Ado typique du cinéma horrifique des 80s, sans être cette fois l’héroïne, Kirsty est un repère antagoniste, un bloc d’innocence. Ange compatissant (elle fait ses profits dans les sentiments), elle qui accepte un rapport de force défavorable avec son père, d’où elle tire un certain confort, ne peut instinctivement que ressentir le malaise et l’effroi à l’égard de ces transgressions trop fortes. Ce n’est pas leur caractère fondamental, mais bien leur virulence qui ravage son monde. Elle ressent toujours une suspicion à l’égard de Julia, perçoit des désirs torturés, sa violence inouïe derrière la sécheresse. Lorsqu’elle intervient pour empêcher l’horreur, il ne s’agit même pas pour elle de condamner ou de comprendre ; elle la rejette, purement et simplement, elle voit la monstruosité, accepte cette vérité, mais n’en tolère rien. Elle est comme immunisée, grâce finalement à sa simplicité, voir sa platitude psychique, son absence d’introspection, sa pureté superficielle.

Une esthétique profane

L’architecture de la maison a un rôle central dans le film. C’est le lieu où tout se déroule, un foyer où s’impose tacitement une hiérarchie, que l’espace reconnaît. Au-delà encore de l’étage où dorment les parents ou les adultes, trône le grenier qui renferme le passé d’abord, avec ses lourdeurs et ses totems, mais également le stade terminal de toute vie ; et l’univers où l’adulte est allé trop loin. Le grenier, le sommet, est le lieu du passage, pour goûter au plaisir ou recevoir la justice (au caractère divin dans les deux cas). Frank en descendra pour tirer vers cet au-delà de la vie ou menacer les sages parents ou enfants, notamment en s’infiltrant dans la chambre à coucher. Lorsqu’il se plaît à terroriser Julia en laissant supposer qu’il va s’en prendre à Larry, il la met dans la position du sauveur qui ne peut dire à la victime, dans une position infantile, qu’elle est en danger sans sa bienveillance d’une part, qu’elle-même a totalement rompu avec l’innocence dans laquelle elle se trouve.

Ce foyer est comme une cathédrale. La religion est partout, enracinée dans les esprits et dans les chairs. L’ambivalence règne à son égard (ridiculisée mais intériorisée), toutefois elle est presque une affaire seconde, une étoile morte qui a valeur de référence esthétique et bien sûr de base morale sévèrement dégénérescente. Dans la maison à l’arrivée de Larry et Julia restaient de vieux bibelots chrétiens, folkloriques et un peu ridicules ; le couple s’en débarrasse, pourtant ces objets n’ont pas dérangé Frank, le voyou. Plus loin une vignette christique prévient les brebis du danger qui rôde à l’étage. Elle récolte un regard de défi, une très fine grimace de dégoût, incontrôlée et presque invisible, de la part de Julia. A ce moment, l’installation dans la maison scelle la rupture avec les lambeaux du surmoi chrétien.

Toute son œuvre, avec Frank, retourne les interdits moraux. Et, plutôt que de se contenter d’abolir les rites religieux, elle la pervertit, s’empare de ses codes pour ériger une nouvelle norme à sa tête ; Julia et Frank ne se défont pas de leurs racines chrétiennes, mais ils les mettent en relief (les souillent, peut-être) et agrémentent leur forme ; Frank dissémine sa propre religion et Julia est son meilleur disciple, c’est même l’élève qui pourrait dépasser le maître, alors qu’il était d’abord timide, inquiet, pas sur de lui en franchissant le pas.

Note globale 98

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Note ajustée de 100 à 98 suite aux modifications de la grille de notation (sans -0 ni chiffres impairs, avec 12 comme minimale et 98 comme sommet).

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