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SOUTH PARK, LE FILM +

11 Nov

Deux ans seulement après son lancement (1997), South Park est un tel succès d’audience et d’estime (record de la chaîne câblée Comedy Central, obtentions de plusieurs prix) qu’il a déjà droit à sa consécration au cinéma. Les fans le découvrent ainsi dans la foulée de la saison 3, alors qu’aujourd’hui la 16e est en cours de diffusion. Dans ce long-métrage de 80 minutes, salué par les adeptes, la critique et même nommé aux Oscars pour sa chanson « Blame Canada », une mère-juive, celle de Kyle, en appelle à l’épuration de la vulgarité et diffuse dans tout le pays une folle quête d’aseptisation. L’élément déclencheur : Terrance et Philippe, les pétomanes dont le film  »De tempêtes en naufrages » est la provocation de trop. La cible : tous les Canadiens en général, avec leur mode de vie saugrenu, leur faciès indigne et leur sens de l’humour délétère. Un chaos en appelle un autre et l’armée américaine, Saddam Hussein, Satan, Bill Gates ainsi que l’avenir de l’Humanité toute entière seront rapidement impliqués, jusqu’à des affrontement homériques.

Les spectateurs se sont longtemps délectés des outrages des Simpson. Mais à côté de South Park, les délires des habitants de Spriegfield font pâle figure ; en matière d’irrévérence, South Park a tout balayé. Ce n’est pas par hasard que Cartman y vainc Saddam grâce au pouvoir de la vulgarité ; d’ailleurs, South Park le film ne démérite pas face à la série, puisqu’il est resté le dessin animé citant le plus de « gros mots » de l’Histoire du Cinéma. Mais les raisons de la vigueur trash ne sont pas tant là que dans l’esprit systémique des auteurs : contrairement aux Simpson, il ne s’agit pas de choisir un camp et contrairement à bien d’autres, l’enjeu n’est pas de partir en guerre. La croisade menée par les auteurs a pourtant un Graal, c’est la désacralisation, non pas des structures du réel, mais de toutes les illusions, de toutes les croyances notoires. South Park désaliène par la farce.

C’est donc une série assimilant le Monde tel qu’il est, au lieu de le lire et le réattribuer tel que chacun se le leurre. Le film s’inscrit dans cette même démarche, soucieux de dynamiter quelque chose de tangible et d’essentiel – principalement en pulvérisant des biais collectifs et exhibant leurs mécanismes. Dans Le camp de la mort de la tolérance (6.14), les créateurs pointeront les excès de la morale progressiste et relativiste ; ici, avec des parents exultant leur rage sur le Canada, ils font d’une pierre trois coups.

D’abord, c’est l’occasion de montrer comme une foule d’amalgames et de clichés peuvent servir à jouer un rôle dans le Monde (la mère de Kyle et ses sbires sans ambition trouvent l’occasion d’exister) et à réduire la complexité de celui-ci (les Canadiens sont diabolisés, leur présumée dégénérescence est globalisée). Ensuite, Trey Parker et Matt Stone osent carrément assimiler la lutte idéologique, le combat au nom de valeurs, comme le masque d’une fuite à ses responsabilités. Enfin, South Park le film nous montre des combattants de la Vérité et du Bien, des barbares lucides, qui au nom d’une conscience avertie accompliraient de sains réflexes, même lorsqu’ils foulent les limites du bienséant sur lesquelles ils s’appuient.

Cette passion à brutaliser tous les repères, tous les dogmes, devrait conduire à terme à un état d’impuissance. Au contraire, South Park et son supplément-clé tirent de leur cruauté et leur excès de lucidité une furie créatrice. L’hystérie compulsive booste ce qui pourrait n’être qu’une peinture de mœurs nihiliste ou acerbe, transformant des constats bruts de décoffrages en valse absurde et tonitruante.

Pour autant, South Park le film ne se défile pas devant les impératifs du grand-écran. Parker et Stone y ont déjà fait quelques incursions, avec le réputé Cannibal the Musical et le plus obscur Capitaine Orgazmo, sortis eux-mêmes ces deux dernières années (1997-1999), en marge de la production de la série. Ces programmes-là cependant ne se souciaient pas d’approcher le spectateur mainstream (pas plus que la série somme toute) ; et si la série a déjà son lot d’irréductibles, le défi est bien dans ce dépassement. La version cinéma multiplie ainsi les numéros musicaux, flirtant avec un kitsch limite disco et des élans plus burtoniens, des marqueurs tout à fait innovants pour South Park qui pour autant n’en perd pas de sa verve. En outre, le film tend vers le trip psychédélique (voyage de Kenny dans l’au-delà), le running-gag, est plus axé slapstick que les premières saisons. L’intégration de procédés, d’un découpage cinématographique sont troublants par rapport au rythme de la série ; néanmoins, l’adaptation est réussie, incitative pour les néophytes, autrement jouissives pour les habitués.

C’est une sorte de patchwork délirant, sans ambition arrêtée, peut-être moins percutant que la série mais néanmoins absolument libre, déviant et brutal dans ses manières : un akoibonisme festif s’en dégage à chaque plan. En même temps, le format du long-métrage contraint South Park à canaliser ses effusions ; South Park le film tire plus encore vers la gaudriole exubérante et la vulgarité radicale que la série. C’est plus carnavalesque que jamais, sans doute un peu moins acide. Aussi jouissif que la série, voir plus encore que sa moyenne tant il enchaîne les exploits comiques, le film est cependant un peu alourdi par le trop-plein de séquences chorales et  »collectors », si ébouriffantes soient-elles. Dans la foulée, de nouveaux repères sont installés, notamment la relation Saddam-Satan, pilier de la saison 4.

D’un point de vue plus technique, le film prépare l’installation des intrigues uniques, concrétisée avec brio par l’épisode-pilote de la saison 5 (Scott Tenorman doit mourir) ; dans le film comme dans la série, les créateurs ne perdent rien à se recentrer, découvrant plutôt l’occasion de faire de l’univers de South Park un puzzle, plutôt qu’une spirale désordonnée qui finirait par perdre de son sens (écueil pourtant rencontré par la saison 7).

Note globale 82

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