QU’EST-CE QU’ON A FAIT AU BON DIEU ? *

16 Oct

au bon dieu

1sur5  En matière de comédies populaires, le cinéma français est généralement médiocre, dans les vannes, dans l’écriture et la mise en scène. Régulièrement, une grosse comédie ultra-marketée tombe et repousse les limites de l’inanité, de la laideur ou de la bêtise. Et puis s’y ajoute la vocation sociale puante ou laborieuse. Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu débarque ainsi en 2014 en cumulant tous ces vices, de forme et de fond. Ses qualités en tant qu’objet de cinéma sont très faibles, avec même une poignée de séquences immondes, comme la bagarre entre juif et chinois.

Le programme se distingue ailleurs : c’est un film à message, chargé de bonnes intentions et d’enfonçage de portes ouvertes, nous indique-t-on. Dans le même temps, le spectateur est bien mis au fait : cet enfonçage est non seulement légitime, mais il est nécessaire car jamais la saine parole antiraciste n’aura suffisamment été assénée, compte tenu des coups lui étant portés chaque jour. La France elle-même, celle des français de province en tout cas, n’a pas encore assimilé son idéal universaliste, lequel pourtant la nourrit et garanti sa pérennité ; mieux, son renouveau !

Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu est donc un brave produit nous mettant en face de nos préjugés afin que chacun nous puissions rire ensemble, de ce racisme nous habitant, dont certains n’ont même pas conscience ! Et alors le beauf commun vient voir le film et la foule s’éclate : c’est normal, d’abord, il ne faut pas dépareiller, ensuite, le spectacle est d’une telle euphorie. L’immense succès de Qu’est-ce qu’on a fait a été bien aidé par le matraquage médiatique à tous les niveaux. À l’arrivée, chacun redoute d’en dire du mal puisqu’il est fondé sur des intentions si nobles et assermentées.

Au mieux, on l’attaquera en tant que comédie insuffisante. Car sinon on est un : facho ! Pourquoi pas. Pourquoi ne pas accepter l’injure émanant des clowns décérébrés. Face à un film faisant la promotion de la mutilation (sur les nouveaux-nés, au nom de la religion et d’un ordre culturel différent) dès son ouverture, tout en crachant au visage du connard à l’habitus franchouillard que vous êtes, dire Non est cohérent. Oui il faut assumer un ordre moral et plus encore un ordre culturel minimal. Oui il faut refuser la compromission et l’atteinte à vos valeurs fondamentales et à celle de l’espace collectif où vous êtes nés, quand des forces régressives et malsaines s’inventent chez vous.

Oui, l’excision et la circoncision sont des pratiques barbares ; oui, certaines civilisations ont su dépasser la sauvagerie et ne pas en faire des fondements de leurs mœurs. Et lorsque c’est le cas, lorsque vous avez cette chance au moins de conserver votre intégrité, aucun slogan ni aucune pression ne doit vous atteindre. Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu vend l’excision dès sa scène d’exposition et la banalise. L’argument de son hygiénisme est naturellement assorti, pas celui de son ancrage aux Etats-Unis curieusement : peut-être car il est là-bas une marque de snobisme et que ce film se veut démocratique et égalitaire au dernier degré.

Celui qui émettra un haut-le-coeur face à ce délicat événément n’a qu’une seule solution : il rejoint le personnage incarné par Christian Clavier (et sa femme), le vieux con absolu, le seul dont l’esprit est encore trop obtus et petit pour accepter la circoncision. Eh ! Autour de lui, tout le monde ne voit que la normalité. Comment peut-on être psychorigide (psychorigide est un défaut ultime) au point de ne pas comprendre (ou accepter, les deux s’équivalent) la normalité des autres !

Dans ses grands élans bienveillants et humanistes, Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu assène donc la tolérance et promeut la France comme une terre d’accueil. Il fait l’éloge de la diversité et du multiculturalisme, donc des traditions importées, tout en ridiculisant celles locales. Allant au bout de son idéologie, il diabolise et humilie également les défenseurs de l’ordre culturel d’ailleurs : ainsi Christian Clavier (le français réac ne comprennant même pas que l’excision est une chose saine) trouve un alter-égo en Pascal N’Zonzi. Tous deux sont les papas relous gâchant le dernier mariage international de la famille Verneuil.

Et N’Zonzi aka André Koffi est encore pire que son homologue français : il est vindicatif, haineux, toujours ancré sur de vieilles histoires. Il est dominateur, gueulard et fermé, comme tous les machos qui n’ont pas compris que le monde avait changé, voyez-vous ! Enfin il est revendicatif. Et là le film est immonde. Car si André se plaint de la perception condescendante et raciste de la France envers son peuple, le film ne fait jamais mention de sujets sérieux, comme ceux relevant d’abus concrets liés à la colonisation. Non, André se plaint parce qu’il a une image pré-conçue en tête, comprenez-vous ?

au bon dieu aff

Par ailleurs, de quel droit les concepteurs de ce produit abruti se permettent-ils d’humilier le ressenti d’un homme heurté par l’existence passée de « têtes de nègres » dans les boulangeries françaises ? Il est manifestement normal d’avoir été sali et insulté. L’essentiel, dans le monde de Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu, c’est d’être gentil, indulgent et renoncer à tout jugement. De cette manière, on peut atteindre la mixité culturelle dans l’harmonie (oh mais voilà que nous allons rejoindre la réconciliation chère aux soraliens). Cela étant, chacun doit renoncer à ce qu’il est et à d’éventuelles blessures passées.

Chacun est vite dit, bien sûr : ce sont les dominants actuels qui doivent céder la place, tandis que l’exotisme culturel doit devenir le nouveau ciment. Et à ceux y résistant, tous les vieux cons mais aussi les revendicatifs du passé, il n’y a que la conversion ou la disparition. À la fin, Clavier l’ex papa-beauf facho est devenu un bon beauf coopératif et s’exalte sur des percussions africaines. Ici est le gain : on ne parle pas au public comme à des Dupont Lajoie ; chacun peut rejoindre le mouvement s’il accepte de se mélanger dans la bonne humeur et sans un mot plus haut que l’autre.

On termine sur une promesse de beau voyage à travers le monde, en passant chez chaque membre entré dans la famille Verneuil, devenue l’incarnation non plus de l’intégration réussie (même si on chope ce bon point avec une Marseillaise juive-sino-beur – black-blanc-beur, c’est un peu périmé), mais d’un équilibre où la France s’efface de toutes façons et devient une auberge anesthésiée. La conclusion est naïve, comme si tout le monde profitait, dans la cohésion pure et simple, sans tâche. La question est : qui de l’hypocrisie ou de la stupidité est le plus grand serviteur de toute cette chorégraphie ? La seconde option est un pilier du film.

En effet, Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu aurait pu être écrit par des enfants de CE1 s’inspirant sociologues. On aurait confié la tâche aux élèves les plus souriants et aimables, les plus soucieux de ne froisser personne et ne pas creuser plus loin qu’on ne leur a enseigné. Ainsi dans ce produit sans le moindre recul sur les idées reçues les plus primaires de son environnement immédiat, les dépressifs n’ont aucun problème d’ordre physiologique.

Et comme notre normativité humaniste et cool a gagné la partie (ce qui est juste), il est normal de présenter un curé post-moderne et adapté à la mondialisation, n’ayant lui-même aucune considération pour les vieilles lunes de son Eglise et sachant bien que la morale adroite consiste à être open et décontracté. Enfin et c’est un comble, hormis le fait qu’il vient conclure la série, en quoi le beau-fils noir serait la plus grosse partie à digérer pour ces bourgeois old school ? Dans la France réelle, ce serait plutôt l’arabe qui poserait, le plus communément, une gêne.

Malgré tout son prosélytisme humaniste et bienveillant, le film ne sait jamais dépasser les clichés, parfois les plus réducteurs et secrètement injurieux. C’est à la fois ironique et totalement logique, puisque chaque caractère accompli est assimilé à de la non-évolution. Mais la conséquence est fâcheuse pour un spectacle se voulant politiquement correct, l’étant par son idéologie, tout en recyclant ces imaginaires douteux et primaires (idem avec les femmes raisonnables) ; et y enfermant ses petits protégés. Ainsi Rachid, l’arabe de service, agressif – mais vertueux. Il le dit lui-même : « je ne mange pas de porc mais je suis pas intégriste ».

Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu vise bas. Il a sans doute raison. Il se rend accessible au dernier demeuré tout en le pressant avec fermeté mais charité vers le camp du Bien et de la Lumière. Celui où l’on sait que les musulmans ne sont pas tous des terroristes et que les gens psychorigides sont des obstacles au progrès. Lolilol. Dire que des gens ne vont pas comprendre ça mais sérieusement mais où en sont les gens Bobby ! Ils voient des reportages à la télé et ça leur suffit, ils prennent ça pour argent comptant ! Heureusement qu’un film lénifiant, participant de tous les conformismes les plus vulgaires et les bourrages de crâne les plus nocifs de son temps, est là pour les recadrer et leur barrer la route.

Enfin comme comédie, cette abjection dispose malgré tout quelques instants amusants, grâce à son casting, spécifiquement les deux vieux cons de l’affaire, les seuls à avoir une âme qui soit la leur puisqu’eux refusent de laisser saccager leur identité. Mais sans doute, dans l’esprit des concepteurs de Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu, cette assertivité philosophique assumée est le propre des débiles.

Note globale 12

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6 Réponses to “QU’EST-CE QU’ON A FAIT AU BON DIEU ? *”

  1. Oblomov octobre 16, 2014 à 22:43 #

    Ça donne envie dis donc. Pas vu pour être honnête mais j’imagine assez bien le topo en effet.. Dans le même genre en encore plus neuneu et malsain dans l’esprit y’a le nouveau truc là, le film avec Omar Sy, « Samba ». Chef-d’oeuvre de moraline en perspective.

    J’sais pas si t’as vu l’interview de la co-réalisatrice je crois au Grand Journal, c’était la 4ème dimension. Apathie et De Caunes passe pour des mecs d’extrême-droite à côté.

    Ah, qu’on est gâté côté socio-comédie-bobo ces derniers temps, ça fait bien plaisir !

    • zogarok novembre 4, 2014 à 19:28 #

      Non je n’ai pas vu ça, je ne regarde plus la télévision (sauf pour la cinéma – sauf que le cinéma à la télé, c’est l’horreur), sinon quelques extraits repris dans les sites médias. Mais c’est devenu exceptionnel et très superficiel.

      J’avais vu une partie de la bande-annonce sans relever la chose. C’est votre commentaire et la réaction ensuite qui m’ont fait prendre conscience de son existence. La façon dont Omar Sy s’y exprime est pour le moins déroutante.

  2. Moonrise octobre 22, 2014 à 01:39 #

    Je n’ai regardé que le début, je n’ai pas eu le courage de me le faire en entier… (mais je me suis spoilé la fin :B)

    Sans être contre le multiculturalisme (loin de là), j’ai trouvé ce film douteux. C’est d’un lourd. On n’a que des clichés qui s’enfilent comme des perles, et le seul prisme est celui des différentes… races ?… et de leur différence.
    Race, oui, je ne trouve malheureusement pas vraiment d’autre mot à employer, et c’est bien parce que c’est l’angle du film. Il souligne bien plus ces fameux clichés qu’il ne les déconstruit, en montrant bien un noir, un chinois, un arabe, un juif, et en soulignant sans cesse en quoi ils différent de leur stéréotype (tout en y étant facilement rattachable, comme tu le décris).
    Je ne me suis absolument pas reconnue dans cette vision de la société qui ne m’a pas paru naturelle pour un sou, et le tout m’a paru pénible à suivre.

    D’autant plus qu’effectivement, les personnages des parents sont pour moi plus stigmatisés qu’ils ne le devraient. Après la scène du repas, j’ai été assez perplexe en voyant qu’on blâmait le père pour son racisme, car tous les personnages l’étaient autant les uns que les autres. Et que la fille choisisse d’élever son enfant en respectant certains codes de la tradition juive ne me dérange pas en soi, mais on dirait qu’elle ne l’assume pas, en disant que ça ne fait pas de lui un juif (mais pourquoi tout ce cérémonial alors ? n’est-ce pas un équivalent d’un baptême catholique ?), et en imposant à ses parents catholiques de prendre part au rituel (l’enterrement du prépuce, malsain comme scène aussi d’ailleurs -_-).
    Bref, comme tu le soulignes, on demande le respect des cultures tout en forçant le trait et ringardisant les « vieux » sans les respecter, eux.

    Par contre pour ma part je n’ai pas d’a priori contre Olivier Nakache et Eric Toledano dont j’ai aimé Intouchables, qui justement prônait la tolérance et la réconciliation entre les classes sociales sans être aussi poussif et artificiel.
    En revanche, j’ai trouvé la bande-annonce de Samba d’un pathos insupportable, je n’irai certainement pas le voir. Ça me paraît moins malsain sur le fond par contre parce que plus sincère (mais j’imagine que tout le monde ne sera pas forcément d’accord avec moi sur ce point :B).

    • Oblomov octobre 22, 2014 à 04:01 #

      « Ça me paraît moins malsain sur le fond par contre parce que plus sincère »

      Si c’est le cas ça me paraît encore plus effrayant.


      « Bonjour, je suis Delphine Coulin et je vais vous expliquer la vie.
      ♪ Les migrants sont nos amis, il faut les aimer aussi.. ♫ »

      • zogarok novembre 4, 2014 à 19:33 #

        Je ne connaissais pas non plus ; elle est auteure et réalisatrice, son Dix-sept filles a été comparé à Virgin Suicids selon Wiki : http://fr.wikipedia.org/wiki/Delphine_Coulin

        Effectivement « l’anti-racisme » de la bande-annonce de Samba laisse à désirer ; pourquoi Omar Sy prend-il ce gros accent caricatural digne d’un sketch ?? Il est le noir/africain de service du cinéma bo-beauf français ?

  3. Moonrise octobre 22, 2014 à 19:25 #

    Je serais plutôt neutre sur cette question. Sans être des amis, ce ne sont pas nécessairement de vils parasites non plus.

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