LE MIROIR (ZERKALO) –

2 Nov

zerkalo

C‘est une blague. Il faut le dire sans violence ni rancœur et avoir vu Stalker suffisait à être blindé. Mais il le faut le dire : ce film, c’est une blague. Que le sens prêté à cette œuvre n’existe pas ou soit dans l’œil du spectateur, soit. En revanche, que les qualités plastiques et formelles tant louées de ce Miroir soient à ce point défaillantes, là c’est extrêmement gênant. Car sans elles, il reste un film d’auteur avec le mérite de la radicalité, de développer son style donc ; mais une source totalement asséchée par l’hermétisme pompeux de son créateur.

Que voit-on ? Des enchaînements abrupts, des mystifications de chaque instant, des séquences extatiques vacillant souvent entre onirisme et réalisme. Le réalisme, c’est le problème de Tarkovski : il filme le vent, la terre, une femme remettant ses manches, mais ça ne lui convient pas, alors il flou le tout. Charger de confusion apporte une consistance pour lui. Réalisé après Solaris, Le Miroir est une sorte de pied-de-nez au cinéma où la technique, le conformisme la rentabilité priment sur le geste artistique et sa singularité. Tarkovski estimait s’être compromis avec Solaris, aussi se rattrape-t-il ici. L’ombre d’une perche, à gauche, immense, à la deuxième minute, a-t-elle donc un sens délibéré, est-elle un fuck subliminal ?

Ou alors, sert-elle à nous indiquer, dans un élan méta-filmique, que ce Miroir est du théâtre du A à Z ? En tout cas Tarkovski ne semble pas disposé à négliger ses artifices et il compose avec Le Miroir un poème extrêmement personnel, nourri de souvenirs et de rêveries d’enfance. L’obsession pour de petits détails sensoriels, répandue un peu partout, en atteste. Mettant au point sa narration propre, Le Miroir se propose comme un voyage psychique, dans un monde intérieur sur lequel revient un vieil homme – comme plus tard dans Le Sacrifice et finalement, comme dans la plupart des réalisations de Tarkovski. Comme Lynch (Lost Highway, Eraserhead), le cinéaste russe choisit l’absolutisme de la subjectivité. Toutefois, l’hermétisme semble autant le préoccuper que l’atteinte d’une représentation précise de ses images personnelles.

Par conséquent, Le Miroir vire à l’exercice vaniteux, où les spectateurs se chargeront de projeter ce qu’ils souhaiteront, à partir d’archétypes touchant chacun. Le miroir, la mère, l’enfance, les secrets : Tarkovski n’exprime rien là-dessus, mais il envoie le champ sémantique et c’est une affaire gagnante. Nous pouvons alors entendre « Je suis de ceux qui halent le filet » sans sourciller, comme dans le pire des créations de Resnais (Marienbad). Tarkovski exécute cependant un travail esthétique singulier, donnant de beaux aperçus de Stalker à travers ses improbables tableaux bruns. Le Miroir jouit de cette invention et de belles chorégraphies de paysages fantasmés, entre photos vieillies et atmosphère post-apocalypse nucléaire. Les scènes oniriques avec Margareta Terekhova ont l’air d’ancêtres des found-footageet films de possession, ceux de la première décennie des années 2000 comme les ersatz directs de L’Exorciste.

Toutefois le résultat est loin d’être formellement imposant, à la fois à cause du snobisme de Tarkovski affichant son rejet des ressources matérielles, mais aussi parce que derrière la signature, Tarkovski se moque de la précision dans l’exécution. Il se focalise sur ses exagérations stylistiques en montage (qui sont très monocordes : même parti-pris décliné sur 105 minutes) et la direction d’acteur. Alors non : Tarkovski n’est pas un prodige sur le plan de la technique et de la mise en scène. Que cela lui plaise ou non, il a des moyens, tout en restant cet auteur scolaire et égotiste. Il manie la caméra avec aisance ? Lors d’une petite poignée de plans en mouvement, soit ; on trouve trois petites choses exécutées avec soin et intelligence, alors on généralise pour prolonger nos superlatifs.

Tarkovski a un style, c’est certain, mais il est assommant et artificiel, c’est une montagne de superflu, tout ce qu’il prétend justement ne pas être. Le Miroir est le résultat d’aspirations spiritualistes et religieuses indéterminées, un produit trop lâche pour explorer ou même cerner l’objet de ses illuminations. Il ne fonctionne que sur l’envie de s’exalter comme s’il était la quintessence d’une religion, mais refuse de passer par cette étape, avec toute la structure que cela implique. Avec Tarkovski, les méditations doivent rester sans nature et sans résultat. Il a cependant le mérite de présenter, à travers Le Miroir plus que dans les autres, une tentative de sacralisation (au sens religieux) des turpitudes intérieures d’un individu (lui-même). Ambition pharaonique.

Note globale 39

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Melancholia + Les Harmonies Werckmeister

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