L’ECOLE DE BRIGHTON ***

6 Oct

Courant de pionniers du cinéma, intégrant la majorité des réalisateurs anglais influents vers l’an 1900. 

Autres articles spéciaux sur les origines du cinéma : Pré-cinéma, les Lumière, Méliès (1 & 2), Premiers films, Débuts de Griffith, Edwin S.Porter.

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THE X-RAYS (octobre 1897) ***

3sur5 James Williamson et George Albert Smith sont les instigateurs de ‘l’école de Brighton’, courant anglais des premiers temps du cinéma auquel on doit la sophistication voire la création de nombreux effets spéciaux, comme le gros plan, le plan subjectif ou le champ/contrechamp. Smith en tourne les premiers films en 1897, année généralement exclue pour situer le courant (1898-1908), où ne surnage que The X-Rays (aussi nommé X-Ray Fiend), projeté en octobre.

Ce film de 44 secondes est le premier à faire mention au cinéma des rayons X, découverts en 1895 par le physicien allemand Wilhelm Röntgen. À l’écran, un homme muni d’une caméra ‘x-rays’ se poste devant un homme et une femme installés sur un banc. La machine occulte la chair (mais pas le chapeau de madame) et nous montre les squelettes sous leur peau, continuant de s’animer normalement puisque l’anormalité vient de notre perspective.

Les anecdotes faisant la gloire de ce film ne sont pas là, puisqu’on voit simplement des acteurs recouverts de costumes noir et os. D’ailleurs tout le dispositif est rudimentaire et la machine ‘x-rays’ est un gadget bâclé. En revanche The X-Rays est l’un des premiers films à utiliser des effets spéciaux (et le premier pour les britanniques, à l’exception des artifices du kinétoscope : la décapitation dans The Execution of Mary en 1895, le ralenti de Rough Sea at Dover de R.W.Paul en 1896). The X-Rays exploite ainsi ‘l’arrêt caméra’ dont se sert Méliès depuis son Escamotage (1896).

Cela lui permet d’opérer une transition nette et réunir des moments tournés séparément, ainsi que recouper avec une relative subtilité les accessoires entre vues normales et l’exposition sous rayon X. Ainsi les vêtements ne sont pas complètement transparents, tandis que l’ombrelle est elle aussi réduite à son ‘os’ ; dans le premier cas, ce peut être une faute (impureté) comme une richesse. Comme l’heure n’est pas au fantastique mais plutôt à une espèce de réalité augmentée, c’est probablement plutôt la preuve d’un manque.

Le premier film recensé qui entre pleinement dans la SF arrivera en 1901 : Over-Incubated Baby (de R.Booth, anglais) avec sa machine de vieillissement accéléré. Méliès tournera un ‘remake’ de X-Ray Fiend l’année suivante (Les rayons X), ce qui n’est pas compromettant, puisqu’il a été la source d’inspiration principale de George Albert Smith à ses débuts (avant que l’école de Brighton dont il est le représentant le plus illustre et performant ne soit à son tour la référence première d’un français, Ferdinand Zecca).

Note globale 68

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SANTA CLAUS (1898) ***

3sur5 Ce film est un pionnier sur le plan technique et sur un autre, culturel et trivial. En effet c’est probablement le premier impliquant Noël et assurément le premier à convoquer Santa Claus, c’est-à-dire le gros barbu en rouge et blanc. Le substitut marchand à la commémoration de la venue du Christ a le droit à une entrée prestigieuse puisque le meilleur des effets spéciaux de l’époque est déployé pour lui. De cette façon père Noël descend parmi nous sans se souiller, car la magie est garantie.

Le personnage est d’abord inséré dans une bulle séparée, avant de rejoindre de façon ambiguë (mi-ratée mi-géniale, comme avec X-Rays, précédent court très ambitieux du même réalisateur) les enfants puis de disparaître plus vite qu’on exécute un battement de sourcil. George Albert Smith utilise le split screen pour permettre de suivre les actions divergentes sur un même écran (sommeil des enfants impatients et père Noël à sa besogne), mais aussi de façon moins immédiate pour introduire le père Noël par une confusion entre le rideau et la ‘bulle’ dont il provient (c’est limite mais il y a encore la cheminée tout près pour accréditer).

Le split-screen est une technique extrêmement importante, ouvrant de nombreuses possibilités comme les superpositions. Il sert, la même année, à Méliès pour son Homme de têtes (1898). Zecca le magnifiera pour créer l’illusion d’un homme sur une machine volante dans À a conquête de l’air (1901). La technique employée pour l’évaporation du père Noël est l’arrêt caméra, lui aussi déjà employé par Méliès dès Escamotage d’une dame (1896). Mais pendant que Méliès enrichira le cinéma avec ses trucages, ses créatures, dessins et figurants loufoques, George A.Smith apportera une contribution plus solennelle en raffinant la narration (Baiser dans un tunnel – 1899) et inventant ou améliorant des techniques fondamentales. Il sera le principal acteur de l’école de Brighton, alors en train de naître.

Note globale 67

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THE KISS IN THE TUNNEL / LE BAISER DANS UN TUNNEL (1899) ***

4sur5 Après avoir livré un pionnier SF très artisanal (The X-Rays en 1897) puis utilisé l’incrustation en mode split-screen tout en introduisant le père Noël au cinéma (Santa Claus en 1898), George A.Smith réalise des exploits plus conséquents. En 1900, il présente le plan subjectif, le révélant dans As Seen through a telescope et l’étendant dans Grandma Reading Glass (1900). Un an plus tôt, il contribue à révolutionner le cinéma en fournissant à The Kiss in the Tunnel (novembre 1899) un montage sophistiqué, par opposition à la mise bout à bout de séquences diverses qui est alors l’alternative au plan-séquence fixe.

Trois séquences distinctes sont enchaînées, la seconde avec une perspective décalée (intérieur d’une cabine versus extérieur du train). La première et la dernière sont prise par l’avant du train sans que ce point de vue ne soit directement en lien avec la vue du milieu, ni avec la vue des personnages (ce n’est donc pas encore un ‘plan subjectif’, ce terme étant utilisé pour les individus situés dans le film). Ces vues depuis l’avant du train, ne semblant appartenir et n’encadrant aucun acteur, relèvent des ‘phantom shot’ (ou ‘phantom ride’). Avec ce point de vue et cette alternance, The Kiss exclue toute attache au monde du théâtre, s’écartant notamment des stakhanovistes les plus influents de l’époque : Méliès et les Lumière (dans les premiers temps, la production française domine en nombre de créations et en diffusions).

Il s’éloigne également de la forme ‘sous-documentariste’ habituelle, puisque la seconde séquence n’est pas réaliste. Elle est aussi éclairée que l’expédition sous terre et mer dans La Crypte (exploitation clinquante, 2005), afin de montrer une scène où le mobilier et les circonstances ne sont que vaguement conformes aux cabines réelles ; on dirait plutôt une sorte de bulle luxueuse aux allures de débarras romantique (avec fenêtres en papier). Les interprètes sont George Albert Smith et Laura Bayley sa compagne ; la promotion aurait mis en avant ce détail pour atténuer la dimension scandaleuse du baiser (dans le contexte de l’époque victorienne, qui touche à sa fin) ; le premier dans ce registre, May-Irvin Kiss (1896 – production Edison), avait fait des remous.

Cet effort de subtilité dans langage visuel et donc dans la narration n’est cependant pas le résultat de Smith seul, qui réunit plusieurs contributions et observations. Les scènes en extérieur seraient issues du documentaire View from an Engine front de Cecil Hepworth (Alice in Wonderland, Rescued by Rover), qui a tourné sous cette forme la majorité (oubliée) de ses films (209 selon IMDB). Le premier plan (avancée vers l’entrée du tunnel) rappelle Panorama d’un tunnel en chemin de fer des Lumière, un de leurs rares films mobiles, produit l’an précédent (1898).

Cette sommité sera facilement ignorée avec le recul, mais la banalité perçue souligne son caractère précoce. Tout ce rendu est dérisoire vu déjà 15 ou 20 ans après, pourtant ce petit morceau emploie déjà un langage cinématographique élaboré, digne du cinéma tel que nous l’entendons (et l’exigeons a-priori). Cela donne l’impression d’un moment volé à un film digne de ce nom – car il appartient à une époque où les scripts sont rares ou négligés, les métrages courts avec à peine une minute de spectacle en moyenne, l’heure aux expérimentations au mieux, à la restitution ‘aveugle’ de ‘l’objectif’ ad hoc sinon.

James Bamforth (A Joke on the Gardener/The Biter Bit, tiré de L’Arroseur arrosé et premier des ‘chase films’) proposera très vite après sa propre version, plus ouvertement érotique et jouant sur les connotations (The Kiss in the Tunnel, 1899). Zecca (le perché d’À la conquête de l’air) proposera sa version en 1901 : Une idylle sous un tunnel. Smith inventera (après s’être frotté à la pyrotechnie pour La Mésaventure de Mary Jane en 1903) le Kinemacolor en 1906, premier système de coloration performant, mais dépassé la décennie suivante et peu exploité hors d’Angleterre.

Note globale 73

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CE QU’ON VOIT DANS UN TÉLESCOPE (1900) ***

3sur5 Dans Santa Claus (1898), un de ses premiers films (et le premier de l’Histoire où apparaît le Père Noël), George Albert Smith montrait sur un même plan deux actions différentes, grâce à la superposition d’un insert où le père Noël s’affairait.

Avec Ce qu’on voit dans un télescope (aussi appelé L’Astronome Indiscret), il utilise le découpage pour placer des séquences de nature différente dans une même scène et sans changer de lieu (contrairement au Baiser dans le tunnel l’année précédente). Du plan de demi-ensemble ‘trivial’, le film glisse subitement vers le plan subjectif, où le spectateur voit la même chose que le protagoniste, comme s’il enfilait son objectif. Ce que le vieux voit à travers le télescope est vu en gros plan, cerclé sur un fond noir.

Un tel point de vue est sans précédent, même si on peut en trouver des prémisses. Si Méliès (inspiration majeure de Smith et par conséquent de l’école de Brighton) a prodigieusement nourri le cinéma en terme de trucages, il n’a jamais reconsidéré le cadre ‘entier’. En outre, il a étalé à l’écran ses fantaisies, mais n’a pas joué sur la distance avec le spectateur (ce que The Big Swallow poussera à un point de rupture dès 1901), ni ne lui a offert en supplément d’une vue donnée avec un ou des protagonistes, l’aperçu individuel de l’un d’entre eux.

Le plan subjectif est donc un bond en avant pour le cinéma, ce qui fait de As Seen through a telescope plus qu’un exploit local (contrairement à un film comme La Lune à un mètre ou au Voyage de Gulliver). Néanmoins cette mini-séance marque peu de points hors de la technique pure. Le film arrive à être extrêmement répétitif en tout juste une minute et ce qu’on voit au travers du télescope est pauvre. Le petit gag de la fin est tout ce qui relève le contenu. Juste après cet essai, George A.Smith accomplira La Loupe de grand-mère, qui proposera plusieurs de ces plans subjectifs. C’est celui-là qui est généralement retenu pour saluer l’innovation.

Note globale 67

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LA LOUPE DE GRAND MÈRE (1900) ***

4sur5 Ce film est l’un des moments-clés de l’école de Brighton et par conséquent des débuts du cinéma. L’inventeur Georges Albert Smith y reprend le principe de la prise de vue à l’intérieur de la prise initiale, déjà expérimenté dans L’Astronome Indiscret (1900). Le plan subjectif, ‘individualisé’ en fonction d’un protagoniste, vient de s’imposer. Cette innovation est généralement attribuée à La Loupe de grand-mère par erreur, probablement parce qu’il fait de son prédécesseur un brouillon. Lui ne contenait qu’un de ces plans et n’avait plus qu’à s’attarder sur cette vue originale ; par la loupe de grand-mère on en perçoit cinq.

Le quatrième est audacieux puisqu’il s’agit d’un gros plan sur l’œil de la vieille, alors qu’isoler des morceaux du corps a pu être tabou – la seule alternative observable dans les arts [en Occident où a été fabriqué le cinéma, du moins] jusqu’alors étant le portrait, avec le buste seul. D’ailleurs le reste du temps c’est encore le corps entier qu’on donne à voir dans ce métrage. Même Après le bal de Méliès qui frise l’érotisme pour la première fois (dès 1897) rapporte le corps de sa cible en entier, dans un plan de demi-ensemble. Ce n’est pas anodin car le propre de la pornographie est d’isoler des portions du corps pour les exploiter en tant qu’objets livrés aux besoins, défini pour eux (et finalement par). Pour le spectateur posant son regard un siècle plus tard, le parti-pris du métrage sera encore moins évident que son caractère innovant en son temps. Dès lors le rire final de l’avaleur de Big Swallow (Williamson 1901) devient doublement sardonique.

Grandma Reading Glass n’est donc pas le premier film à exploiter le montage et le découpage comme on le lit parfois : la façon dont Méliès exploite le split-screen dans Un homme de têtes en 1898, les trois scènes du Baiser dans un tunnel de Georges A.Smith himself en 1899, le démentent. En revanche il est bien le second connu à s’en servir pour un plan subjectif (alternant plan ‘standard’ et point de vue interne soutenu par un close-up) considéré comme le premier car il le diversifie, le fait ‘exulter’ pour la première fois. Même si l’action reste simpliste, ce film est plus consistant qu’As Seen through a telescope et plus attractif que l’ensemble des productions de l’époque. Il est resté perdu jusqu’en 1960, date où on le retrouva dans la collection du photographe Peter Elfelt, pionnier du cinéma pour le Danemark (Kørsel med Grønlandske Hunde aka ‘Traveling avec des chiens groenlandais’ en 1897, Henrettelsen en 1903).

Note globale 75

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LET ME DREAM AGAIN (1900) ***

4sur5 Dans ce film, George Albert Smith (The X-Rays, Santa Claus) utilise pour la première fois de sa carrière et probablement de l’Histoire du cinéma le flou de façon volontaire. Il sert la narration et découpe la minute de spectacle en deux parties. Dans la première, un homme élégamment vêtu s’acoquine avec une femme plus jeune déguisée pour le cirque (en Pierrot ou assimilé), consentante et manifestement encore plus ivre. Dans la suite, il est au lit en bonnet de nuit avec sa femme guère affriolante.

Elle est très fâchée d’avoir été confondue dans son sommeil avec l’objet des fantasmes de son mari, ce qui la rend encore plus disgracieuse. Avec elle, c’est sûr, on ne décollera jamais de terre, ni de l’odieuse réalité. Malheureusement le flou ne vient plus à la rescousse. Le film n’est toutefois pas si mesquin qu’il en a l’air, car la touche misogyne cohabite avec un bel hommage, la femme désirable étant Laura Bayley, épouse du réalisateur (la folle de Mary Jane’s mishap -1903). C’est déjà plus noble que l’afficher cul nu comme a fait Méliès dans Après le bal avec sa future épouse, déjà cobaye pour Escamotage d’une dame (premiers trucages de Méliès, qui bâtira son œuvre là-dessus).

Cette innovation technique [le flou] interpelle moins que le plan subjectif du même George A.Smith (As Seen through a telescope, La Loupe de grand-mère), le champ/contrechamp de Williamson (Attaque d’une mission en Chine, The Big Swallow), ou la construction opérée pour Le baiser dans un tunnel (1899). Néanmoins elle s’ajoute aux gloires de l’école de Brighton, qui a posé les bases du langage cinématographique moderne, de manière plus décisive encore que les bric-à-brac fabuleux de Méliès (Le Voyage dans la Lune). Du reste, c’est l’une des meilleures comédies présentées jusqu’alors, osant un humour agressif et offensant, quoique commis sur le domaine le plus trivial. Le français Zecca tournera un remake : Rêve et Réalité, projeté en juillet 1901.

Note globale 74

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Suggestions… La Vie rêvée de Walter Mitty + Carnage/Polanski

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THE BIG SWALLOW (1901) ***

4sur5 John Williamson est l’artisan principal de l’école de Brighton avec George A.Smith (Le baiser dans un tunnel, La Loupe de grand-mère). En 1900, Williamson projette Attaque d’une mission en Chine (film de 4 minutes, perdu aux trois quarts), au retentissement massif. Ce film reproduit à l’écran des événements en cours, liés à la révolte des Boxers. Il utilise beaucoup de ressources humaines et matérielles, donnant un divertissement redoutable, d’après les réactions rapportées de l’époque. Cependant sur ces deux plans, le film n’est pas complètement original. Les films d’actualité sont ‘franchement’ lancés dès 1899 avec de nombreux comptes-rendus orientés sur l’affaire Dreyfus – dont le rapport de Méliès). Quand aux divertissements, là encore Méliès est déjà passé et a réalisé des centaines de films avec trucages depuis Escamotage d’une dame en 1896. Mais son cinéma est tourné vers la fantaisie, joue souvent l’innocence et épate par ses recrues et ses astuces plus que par ses constructions scénaristiques. Le Manoir du diable (1896), probable premier film d’horreur, en atteste.

En revanche, Attaque d’une mission en Chine est remarquable au-delà de son style ou de sa capacité d’absorption du spectateur à cause de sa trouvaille technique : le champ/contrechamp. À l’époque les réalisateurs évitent ou ignorent les transgressions possibles de l’unité de temps, de lieu et d’action ; concernant le champ/contre-champ, ils devaient redouter autant la complexité de la manipulation, les contre-jours que les fautes de lisibilité. Le résultat obtenu par Williamson aura une influence importante et renforce la marche vers ‘l’entertainment’ au cinéma : L’Attaque du grand rapide (1903), ancêtre du western, s’en inspire largement. Après ce coup-d’éclat, Williamson enchaîne en 1901 avec Fire !, où il introduit une ellipse et reprend le champ/contrechamp, puis Stop Thief qui donne le coup-d’envoi aux ‘chase films’ (films de poursuites). À la même période il réalise The Big Swallow, l’un des films les plus audacieux jamais vus alors.

Ce film d’environ 75 secondes pousse le procédé du gros plan à son maximum de l’époque. C’est donc la première fois qu’on voit de si près un être humain au cinéma (ici, sa bouche vient à occuper tout l’écran). Williamson présente de manière inventive et humoristique l’absorption du photographe par le jeune homme venu engloutir la caméra. L’audace est aussi morale car en 1901 les corps morcelés par le grand écran auraient été un des motifs d’aversion de ses détracteurs (on peut alors imaginer l’effroi provoqué par le premier baiser, en 1896 dans The May-Irvin Kiss – signé Heise). Le film constitue aussi une feinte de zoom avant/arrière, avec le personnage s’approchant et reculant – lors des transitions l’illusion d’un mouvement de caméra peut opérer. Ce très gros plan constitue une des images phares du cinéma primitif, avec celles de L’arroseur arrosé, de L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat ou, dans une moindre mesure, du Salut de Dickson (objet de la première exposition publique du Kinétoscope). Cet exploit agressif et spectaculaire concoure à faire de Williamson qui fait un peu ce qu’a été Méliès pour les français.

Note globale 72

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AUDACIEUX CAMBRIOLAGE EN PLEIN JOUR (1903) ***

4sur5 Les ‘chase films’ [films de poursuite] sont une étape primitive dans l’Histoire du cinéma d’action. Ces films connaissaient un grand succès chez les britanniques dans les années 1901-1908. Leur développement est tributaire des innovations de l’école de Brighton, qui raffine le montage, densifie le langage de la mise en scène. L’un de ses plus hauts faits est l’introduction du plan subjectif (avec L’Astronome Indiscret et La Loupe de grand-mère, par George A.Smith) ou le très gros plan, via Big Swallow de James Williamson.

Ce dernier est justement le réalisateur de Stop Thief ! (1901), premier ‘phare’ des chase films (A Joke on the Gardener serait le pionnier en 1900). Frank Mottershaw (créateur pour son compte de la Sheffield Photo Company) dote rapidement le courant de nouveaux modèles, parmi lesquels Robberry of the Mail Coach et Daring Daylight Burglary, tous deux sortis en 1903 – année de la présentation de Great Train Robbery aux USA (premier western pour lequel Edwin S.Porter s’est inspiré des apports de Brighton et des chase films). Daring Daylight Burglary sera le principal mètre-étalon des réalisateurs novices et traîne sa flopée d’imitations et de ‘remake’, à l’instar des films emblématiques des frères Lumière (L’Arroseur Arrosé en particulier).

Il réunit toutes les caractéristiques du chase film en y ajoutant des qualités plastiques notables et un rythme endiablé. Les prises de vue sont effectivement en extérieur mais surtout elles s’opèrent depuis des angles audacieux, avec plusieurs contre-plongées. Les mouvements des personnages ne sont pas guindés comme souvent dans le muet, ils sont rapides et centrés sur l’action unique, les processus et précautions du théâtre ne sont pas de mise (des films éminents comme L’Assassinat du duc de Guise ou ceux de Méliès y seront toujours enfermés à la fin de la décennie). Mottershaw exploite la diagonale (utilisée peu après par le ‘chase’ Desperate Poaching Affray) et la profondeur de champ (le passage de la carriole) pour intensifier l’effet dramatique et le réalisme.

Il y gagne aussi en joliesse, les contrastes sur ce film étant particulièrement soignés, les décors donnant de l’originalité aux circonstances (fuite sur le toit, course à travers le ruisseau). Cet ‘Audacieux cambriolage en plein jour’ apporte beaucoup en gardant un script simpliste. Il est plus énergique que l’excellent Rescued by Rover (1905), futur triomphe commercial : ce film sera plus démonstratif techniquement (avec des plans en intérieur préjudiciables), mais moins malin pour tenir la tension (pas si ramassé et en plus, coupure d’une partie du suspense une fois que le chien a découvert le lieu). De plus ce ‘chase’ familial est loin d’être aussi carnassier que Daring Daylight, où les poursuivants se blessent, le pourchassé s’abîme et où la morale ne l’emporte sur le suspens qu’en dernier recours.

Note globale 75

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Suggestions… The Mad Musician (Mottershaw 1909)

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MARY JANE’S MISHAP (1903) ***

3sur5  Dans les années 1896-1901, George A.Smith a exploité de façon innovante ou audacieuse le slipt-screen (Santa Claus), le plan subjectif et le gros plan (As seen through a telescope, Grandma reading glass), le flou délibéré (Let me dream again) et s’est même frotté précocement à la science-fiction (le dinosaure cheap The X-Rays). Les expérimentations sont maintenant accomplies, Smith se perfectionne et se lance dans des projets plus ambitieux en terme de scénario et de contenu, où il compile ses trucages.

Mary Jane’s Mishap en est le principal exemple. Il suit l’ultime mésaventure d’une femme de ménage délurée, provoquant une explosion mortelle avant de réapparaître en fantôme. Ces deux effets sont modérément réussis. Le ton naïf permet de mieux faire passer l’explosion et l’ascension ‘chimique’ ; pour le fantôme, la surimpression est nette même si l’effet reste primitif. Sur ce terrain, Méliès est bien plus éloquent et d’autres films anglais ont déjà exploré le secteur : en premier lieu Explosion of a Motor Car (1900 – Cecil Hepworth) où un véhicule se retrouve en morceau d’une scène à l’autre, avec quelques vapeurs pour crédibiliser la transformation.

C’est par ses mélanges et sa quantité de procédés que le film s’élève. MJM contient douze plans répartis sur trois scènes, alterne les échelles entre plans moyens, gros ou larges. Il verse dans un registre non-conventionnel en exploitant l’humour splapstick via les péripéties et même l’allure de son cobaye, interprété par l’épouse de Smith, Laura Bayley (plusieurs fois son actrice [Santa Claus, Let me dream again], cette fois la principale), avec laquelle il formait le couple du Baiser dans un tunnel (1899). Son jeu est fantaisiste et la fait ressembler à une espèce de folle stéréotypée. Cette attitude et le penchant surnaturel font verser le film dans la comédie fantastique voire le cartoon.

Ce film « far ahead of its time » comme l’affirme l’historien/critique John Barnes et de nombreux conservateurs ou académiciens du cinéma a aussi deux autres caractéristiques : l’originalité (ou la tentative) et une certaine tiédeur finale. Le résultat est assez rigide et la démonstration manque de nerf, ce qui créée un contraste avec la lourdeur ‘enfantine’ de la loufoquerie. Elle est due aux moyens à disposition (recours comparable au surlignage dans An Over-Incubated Baby, plus fluide mais chargé en écrits) et donc aux limites du muet, mais renforcée par la lenteur du développement et l’obsession pour une expressivité radicale (tutoyant les limites ‘hystériques’ du cinéma muet burlesque, mettant tout dans le physique).

Hors de ses films-éclairs novateurs, Smith n’est pas si performant et ne sait pas forcément couper ou accélérer à temps. Il n’a pas l’efficacité de l’Audacieux cambriolage de Mottershaw (sorti deux mois plus tard) ni des chase films en général, courant qui s’apprête à éclore. Mais au-delà de son avance technique, il lui reste l’humour et le goût de l’insolite pour mater la concurrence.

Note globale 69

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Suggestions…

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Autres films importants de l’Ecole de Brighton :

  • Old Man Drinking a Glass of Beer (1897 – George A.Smith)

  • The Miller and the Sweep (1897 – George A.Smith)

  • L’Attaque d’une mission en Chine (1900) : serait le premier à utiliser le champ/contre-champ. Propose un développement narratif ‘important’. Film perdu pour l’essentiel (3 minutes sur 4).

  • How It Feels To Be Run Over (1900 – George A.Smith)

  • Explosion of a Motor Car (1900 – Cecil M.Hepworth)

  • Stop Thief ! (1901 – James Williamson)

  • Fire ! (1901 – James Williamson)

  • The Little Doctor and Sick Kitten (1901 – George A.Smith)

Associés à ce courant :

  • Desperate Poaching Affray/ Combat acharné de deux braconniers (1903 – William Haggar)

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