LA TOUR 2 CONTROLE INFERNALE =+

6 Sep

La Tour Montparnasse Infernale (2001) était un sommet de régression sublimée dans l’absurdisme. Cette comédie monstre avait connu un grand succès (2.8 millions d’entrées en France), a gardé ses fans d’époque enchantés, s’est traînée également une réputation de navet éthylique et des masses de critiques consternées. Par la suite, Eric & Ramzy seront anoblis par Dupieux via Steak et fabriqueront la série Moot-Moot pour Canal+. Eric Judor étendra ses activités en réalisant sa propre série (Platane, toujours pour Canal+). La Tour 2 Controle Infernale, suite de La Tour de 2001, est sa première réalisation en solo, après avoir partagé la casquette avec Ramzy pour Seuls Two (2008) – expérience décevante sur tous les plans et jamais renouvelée.

Les deux Tours ont en commun la stupidité du tandem principal, l’incompétence et les pauses absurdes des autres personnages et surtout le pastiche de Die Hard (du second opus –58 minutes pour vivre– maintenant, après avoir calqué Piège de cristal). Outre Eric & Ramzy, la Tour 2 ré-engage Marina Fois et Serge Riaboukine, en leur attribuant des costumes différents. Cette suite est inférieure à l’original mais elle limite la casse en s’en détachant pour former son propre délire (situé en 1981 et appuyé sur quelques ‘allures’ ou références 70s), systématisé et jusqu’au-boutiste (quoique parasité par des effets comme les ralentis alourdis, le faux kitsch joyeux et toutes les autres représentations dans un esprit ‘parodique’ trivial : McCalloway, la petite famille old school). Le film arrive à se tirer de ses paradoxes grâce à sa surenchère : rouleau-compresseur de la déconstruction navrée d’un côté, gags constants de l’autre. À force de générosité et d’intégrité, on arrive à laisser de beaux morceaux. Mais ce ne serait que de petits atouts ridicules s’il n’y avait la présence de Philippe Katerine. Le bouffon glauque et optimiste de la chanson française est un support idéal pour les choix de mise en scène, en terme de principes (plutôt qu’au niveau technique, où il ne cherche pas à se différencier).

L’humour de La Tour 2 se fonde sur les aberrations du langage (néologismes débiles, expressions mal formulées), les comportements disloqués, private joke de nihilistes dépendants quoique libérés : autant de domaines adaptés à la nature de Katerine le sous-Ubu tenté de se foutre du sort – contrairement à son personnage, très ambitieux, décidé à s’accrocher quitte à cramer avec le reste. On en arrive à voir Katerine dans son masque craquelé et un Janouniou sûr de lui. Globalement, ce n’est plus les acteurs qui sur-jouent, mais les individus dans les films ; ces gens sont décalés, odieux sans s’en préoccuper, d’une bonne foi digne de systèmes humanisés en panne : ils sont les habitants de leur connerie en réseau ! Des plans et mouvements improbables viennent prêter une main forte loyale et donc ‘dérapante’, pittoresque dans tous les sens imaginables, à tous ces numéros, tout ce sérieux et cette affectation (les gens respectables raisonnent, le terroriste raconte sa vie, son âme, son œuvre).

Il est cependant fréquent de voir les acteurs en train de se mettre en scène, ce qui est à la limite de tout saper et doit être compensé par une relance plus forte, ou juste plus convaincue, où l’acteur se désintègre avec foi et surtout démonstration ; en général, ça marche, en particulier pour Grégoire Oestermann (le ministre de l’Intérieur fantasmant sur une Fête de la Musique). Lorsque ça échoue, on voit des hommes en train de s’amuser : c’est le cas du duo de débiles passé à la centrifugeuse, Eric étant à l’aise, Ramzy ayant trop atterri pour compenser le retard et le manque d’illusion. Se décentrer de ces deux-là est donc une bonne idée, ils sont d’autant plus forts et ‘habilités’ lorsqu’on les retrouve. L’énergie d’Eric Judor et son insistance à faire l’illuminé profondément retardé est toujours payante et entraîne toute la scène et ses compagnons vers le haut – ou la performance efficace, c’est selon. Cette Tour 2 est un après-Dupieux, une version accessible sans efforts et dépourvue du petit parfum sournois, anxiogène, de Wrong Cops ou Réalité. Le scénario est pauvre, les rebondissements rares, mais alors qu’on croit se laisser avoir à l’usure, les fruits et les bizarreries réussies tombent effectivement.

Cela dit à chaque fois que le duo Eric & Ramzy tend vers la revendication d’une deuxième jeunesse, il en montre l’impossibilité : il y a un charme, un absolu de la naïveté, qu’on ne peut plus que simuler – parfois en marquant des points, puisqu’il y a un talent actuel à dilapider. Cela se sent à chaque fois que le film cherche à jouer avec son propre texte (le lancement du faux générique de fin, l’avant-propos qui flanche : on tombe dans la banalité, la distance ironique discount), ce qui fonctionne lorsque les acteurs seuls en ont la charge en toute transparence (en interne on discute le plan du boss ou la carrure de l’adversaire, sa teneur, sa crédibilité). Mais imiter la fraîcheur à un degré toujours plus lointain, ça passe ! Pour Katerine, l’acceptation tragi-comique de la maturité et le pseudo-sérieux sans distance de son pathétique personnage (lubies, histoire personnelle, manques gênants) fonctionnent immédiatement ; la paranoïa et l’impuissance lui vont bien. C’est lui qui rend le film performant et éventuellement nous y fera revenir. Notons le cameo du réalisateur Charles Nemes, recruteur des laveurs de carreau dans la dernière séquence, menant à La Tour Montparnasse Infernale où il les a dirigé.

Note globale 62

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Adieu au langage + Les Visiteurs : la Révolution + Saint Amour + Les Kaira + Les Garçons et Guillaume à table

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (2), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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