LE DIPTYQUE HOSTEL +

12 Fév

En 2009, mes idéaux étaient un peu différents [=le « politiquement correct » agissait encore comme un lambeau de Surmoi par endroits] et j’étais bien gêné par cet Hostel, dont la beaufitude et la démagogie n’entravaient pas le pouvoir de séduction ; mieux, auquel elles collaboraient. Hostel est curieux car il répond à plusieurs espérances contradictoires ; et son esprit même est contradictoire. Il y a autant de génie que d’opportunisme ou de tendances sulfureuses là-dedans. Mais la Nature elle-même choisit la facilité et ses orientations sont sujettes à polémique ; et le résultat est un organisme parfait. 

Même au plus gras, Hostel est un film d’esthète. Et un programme pertinent. En dépit d’un rejet construit, rationalisé par les valeurs ou un refus de ces « facilités » (flirter avec un genre bas-de-gamme, donner dans le racolage, laisser passer la misogynie ou l’auto-défense), Hostel s’insinue en nous parce qu’il cogne avec une maestria exemplaire. Il est trivial aux entournures mais percutant ; et sa suite touche plus profond encore, socialement et moralement. C’est trop pour en faire un simple « coup » vicieux. 

Il y a bien sûr cet Hostel III, il aura son heure.

HOSTEL ***

4sur5  Dans l’ère du torture porn des années 2000s ouverte par Saw, Hostel a été l’un des plus gros morceaux. L’énorme buzz du film, de sa promotion assurée par le label Tarantino (se dévouant producteur après être tombé amoureux de Cabin Fever, premier film de Eli Roth) à son succès miracle au box office (leader des entrées aux USA pour son premier week-end) repose sur les arguments les plus putassiers. Hostel est un film odieux bien sûr, mais il ne l’est pas seulement par sa prodigieuse violence. Deux choses, majeures : c’est un voyage au bout de l’enfer, un vrai ; c’est l’horreur vivante, consistante, réfléchissant son époque ; accessoirement, écumant son genre en le dépassant sur le plan des idées, de la performance et du style.

S’il a reçu de bonnes critiques et un accueil public enthousiaste, Hostel contient ce qu’un film d’horreur a de plus révulsant pour les phobiques, tandis que sa démarche peut être ressentie comme détestable. Tout ce qu’on peut reprocher à Hostel se retourne en sa faveur et c’est justement le problème et le génie de ce spectacle fascinant. Éventuellement on peut le tenir en plaisir coupable et se flageller ou minimiser ; mais il y a bien mieux à faire, c’est avouer toute la richesse du matériel, de son sujet, toute la consistance et le (bon) goût du raconteur d’histoires et mythologue à l’œuvre. Qu’on lui reproche ses côtés rustauds, barbaques ou démagos (la vengeance légitimée, le cynisme profond), Hostel est brillant et c’est très agaçant.

La première richesse c’est cette ambiance… fabuleuse ! Même dans la première moitié, vulgaire et outrancière, Hostel est virtuose et enchanteur. Quelque chose couve, le drame affreux négocie sa place dans la comédie, un conte tisse sa toile. Dans les intervalles entre les moments les plus sombres, des zones d’humour grotesque apparaissent et Eli Roth invente presque le survival cartoonesque tandis que le mystère s’épaissit et l’explicite devient subtil. Le récit est simple mais excellent, ménage la suggestion et la démonstration. Tout est techniquement impeccable, en particulier la très belle photo. Eli Roth fait preuve d’un art du suspense et plus encore d’une aptitude à générer l’ambivalence admirables.

Il joue avec les fantasmes, clichés mais surtout réalités dont le contexte est mal éclairé. La Slovaquie de Hostel est une contrée paupérisée, sinistre, abandonnée aux forces du mal et de la dégradation. Cette confusion est à l’image de l’ivresse nauséeuse qu’inspirent l’amalgame des peurs, des faits et des croyances. La conformité documentaire importe peu, la vraisemblance est parfaite. Nous savons qu’il existe des perversions et  »extases » secrètes pour ceux qui sont prêts à en payer le prix. Si nous ne le savons pas, nous ressentons la possibilité, voir la fatalité de ces trafics souterrains, des humains et même de leur mort.

Cette marchandisation des individus est un sujet de fond et de forme. Souvent les slashers manifestent une orientation puritaine en créant un lien de causalité entre plaisir transgressif même mineur et retour de bâton par la mort. Hostel va plus loin car elle représente la contamination de l’irresponsabilité et du désir muselé seulement par l’argent ; les trois jeunes américains sont venus passer du bon temps, sans égards pour les territoires qu’ils foulent, sans la moindre inhibition ; mais il y a d’autres touristes avides. Et eux ont du pouvoir, pire, ils ont des pouvoirs organisés avec eux. Toutes ces pistes, Hostel II va les mener à leur terme en élaguant le chemin.

Note globale 76

Page Allocine & IMDB + Zoga sur SC

Suggestions… The Conspiracy + saga Guinea Pig + Tokyo Gore Police

Note passée de 73 à 76 le 22 avril 2018 suite à une nouvelle séance.

 

hostel 2

HOSTEL II ****

4sur5  Le succès de Hostel appelle une suite, sortie un an après. Hostel ne deviendra pas une saga fleuve comme Saw ou Destination finale ; un petit Hostel III est sorti, certes, mais il n’est pas signé Eli Roth, ni produit par Tarantino et est perdu dans les bacs à direct-to-video miteux.

Supérieur au premier opus sans le diminuer, il est lui aussi un film d’horreur, parfois gratuit ou sarcastique, mais d’horreur profonde et absolue. Parce qu’il fait du premier degré bien sûr, parce qu’il montre l’horreur vraie surtout, celle qui reflète les pires hantises de n’importe quel esprit sceptique et paranoïaque. C’est ce que montre Hostel II, un envers du monde, sans morale ni Droit, basé sur des intérêts malsains et des lois inhumaines.

Cette fois, l’escapade implique un groupe de filles et la première partie s’avère nuancée. Hostel II gomme les scories de son prédécesseur, règle les affaires laissées en suspens et engage directement le processus. Il n’y a plus de American Pie glissant vers l’immonde. C’est le cauchemar déclaré de A à Z (mais avançant maquillé, en laissant échapper des indices), avec toujours ce talent pour le portrait, ce raffinement esthétique et des belles idées visuelles.

Elles comprennent la démonstration d’actes de violence extrêmement choquants (la baignoire de miss Bathory), mais aussi des instants magiques où des lieux pittoresques semblent à la lisière du fantastique. On retrouve aussi ces tics de nerd, avec la déférence à Tarantino (l’extrait de Pulp Fiction réapparaît) et des clins-d’œil pour les légions averties (le cameo de Ruggero Deodato, réalisateur de Cannibal Holocaust).

Nouveau cap et point de vue audacieux : montrer les motivations alimentant le Mal absolu, entrer dans l’intimité mentale de ceux qui le choisisse ; et surtout montrer ce Mal comme un commerce scientifique. Ce n’est pas le fruit d’une simple impulsion, ni d’errances isolées ; et c’est ce qui le rend plus effrayant. Il n’y a rien de plus intolérable que ce qui est désigné dans ce film.

Une simple secte improvisant ad hoc serait moins effrayante qu’un système rationnel qui exerce son emprise. Hostel était une prise de conscience de cette affreuse réalité industrielle, Hostel II montre les à-côtés. L’un des tours de force de Eli Roth est de mettre en scène deux héros de Desperate Housewives en clients de la boucherie sur-mesure. Le tourisme sexuel a trouvé un partenaire le surpassant dans l’abjection. Une séquence brillante montre des yuppies miser sur une condamnée aux quatre coins du globe. Les diables sont ici.

Deux choses, d’une part, la désignation d’un vaste réseau mondialisé et la captation des perversions par le business ; les frontières sautent ensemble. À côté de cet aperçu social, la réalité psychologique des protagonistes. Qu’est-ce qu’un individu impliqué dans un tel processus ? Eli Roth imagine donc toute la démarche vers cet éveil sordide, exigeant une initiation pratique. Un univers avec ses rituels et contraintes (le tatouage pour sceller à jamais), ses promesses : alors que l’un des deux tueurs novices est réticent et impressionné, son ami est extrêmement enthousiaste.

Il perçoit l’opportunité d’un dépassement de soi. Son attitude est celle d’un affranchi mesurant ses performances. Il vient pour inscrire une dimension supérieure à celle des simples mortels dans ses instincts. C’est là aussi que Hostel II est complet dans sa vision : il y a la dérive de l’hédoniste et du chasseur de sensations, mais la frustration et l’échec sont aussi des moteurs. Nanti certes, Stuart le bon père de famille est aussi une victime et un minable, dominé par les convenances, par sa femme, jouet de son environnement. Dans les deux Hostel, la dégradation de la vie exerce sa menace partout. L’innocence ne peut qu’être une vue de l’esprit et elle est obsolète.

Ce n’est pas un cinéma intellectuel ou conceptuel ; c’est un cinéma d’artisan euphorique, téméraire, capable d’assumer son choix de prendre aux tripes. Certains ont trouvé comme motif de rejet, « arnaque ». Soit mais.. la matière est là pour les amateurs (de pellicule hargneuse, de terreur et de gore), pour les autres ou ceux dotés d’exigences particulières en terme d’ambitions, le film dépasse les espérances. Alors film roublard oui, escroquerie en rien. Film de terreur, physique, morale, sociale, donc film modèle.

Note globale 82

Page Allocine & IMDB + Zoga sur SC

Suggestions… Hellraiser le Pacte

Note arrondie de 81 à 82 suite à la mise à jour générale des notes.

 

 

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