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LE MUR ***

21 Sep

4sur5  Le climax d’une longue série de spectacles de trop. Le Mur a été l’occasion d’un déchaînement de la puissance publique contre Dieudonné. Le gouvernement français s’acharne sur sa personne en raison de ses provocations répétées – à celles posant le plus de problèmes on reproche le caractère antisémite ou négationniste. On, c’est les associations (contre le racisme et l’antisémitisme, défense des droits de l’Homme, etc), LICRA en tête, désormais relayées par l’Etat. Manuel Valls fait de la punition à l’égard de Dieudonné son cheval de bataille et obtient in extremis l’interdiction des représentations de son spectacle Le Mur. Il y parvient en violant le droit et en forçant une ordonnance du Conseil d’Etat.

L’exécutif socialiste se situe alors au-dessus des lois et des pratiques d’un état de droit. La croisade contre Dieudonné ne s’arrête pas aux atteintes à la liberté d’expression, car l’humoriste et activiste est mis sous pression, harcelé, surveillé, avec naturellement l’appui du Fisc et la mise en branle du système judiciaire. Dans la classe politique, on se mobilise ou on se tait. Dieudonné renomme son spectacle « Asu Zoa », variante édulcorée du Mur, où il met davantage en valeur un thème lui étant cher, les croyances et traditions africaines relatives au pays de ses ancêtres, le Cameroun. C’est cependant, globalement, le même spectacle ; les connotations demeurent, l’essentiel des gags et des sujets aussi.

L’interdiction des représentations a eu un fort impact car pour la première fois, un spectacle de Dieudonné s’est trouvé inaccessible ou quasiment sur internet. Il y est visible aujourd’hui mais les copies présentées ont vocation à disparaître. Les fournisseurs bénévoles pourront donc suivre Dieudonné sur RuTube, l’imitation russe de YouTube où l’humoriste a déplacée sa chaîne, YouTube l’ayant fermée en août 2014 (certaines de ses vidéos cumulaient plusieurs millions de vues). Le Mur n’est pas le meilleur spectacle de Dieudonné ni le plus drôle. Par contre, c’est l’un des plus offensifs et désespérés.

L’accélération de la lutte contre Dieudonné, revendiquée et affichée dans les sphères dirigeantes, se ressent. On rit beaucoup, mais ce n’est plus grinçant ou acide, c’est glaçant. Il y a une certaine gravité. Les sujets, le contexte, sont lourds. Marquant le début 2014 pour Dieudonné, période charnière, Le Mur restera un bon témoin de ce glissement vers des performances plus sombres. Désormais, Dieudonné est systématiquement sinon précis, au moins transparent concernant les cibles attaquées ou tournées en dérision.

Le spectacle commence notamment par un retour sur le traitement de la « galaxie Dieudonné » par les médias. Vient rapidement la série de nouveaux personnages, des monstres absolus, ceux qu’on reproche à Dieudonné de synthétiser (lequel prépare La Bête Immonde). Il accueille ainsi Guillaume Laquiche le néo-nazi, un belge qui évoquera le frère de Marc Dutroux quelques spectacles plus tôt. Suivent Mr Ebangué, le tireur sénégalais embauché par l’armée française ; un professeur antillais et suprématiste noir ; et pour remettre de l’ordre, une interprétation d’Alain Jakubbovitz, président de la LICRA intronisé « vanilloderme ». Dieudonné reproche notamment à cet ennemi une attitude mafieuse à son égard et renvoie à des menaces sur sa famille qu’il aurait proférées en public, au tribunal.

Merveilleuse entracte avec la petite séquence de trois minutes concernant Elie Semoun, le genre de pépite redonnant la foi dans le génie de mise en scène et d’écriture de Dieudonné, au cas où on s’impatientait suite à quelques récentes interventions. Il faut dire que la guerre ouverte à l’encontre de Dieudonné a permis de recadrer les choses ; certaines de ses vidéos du dernier semestre 2013 se noyaient dans la démagogie, les a priori et les vaines grossièretés. Après le passage Semoun, Dieudonné revient sur un thème qui a déjà compté : le commerce autour des adoptions. Il incarne Mr Belingua, directeur d’un centre d’adoption au Cameroun.

Surfant sur l’homophobie, les valeurs et frustrations de l’essentiel de son public, Dieudo adopte un postulat assez racoleur et très soralien. Il n’y a pas toutefois la fureur et le rejet unilatéral de Soral (estimant que l’ensemble des couples homosexuels adoptent à des fins pédophiles), toutefois les manipulations liées aux nouveaux-nés sont ici au service d’un couple de gays riches. Le Mal perçu par Dieudonné et le peuple qui l’apprécie est sans doute plus subtil et pluriel. L’humoriste enchaîne alors sur les réseaux pédophiles, sujet assez important là encore, mais peu développé. Le passage est très violent, le point de vue d’une noirceur totale. Dieudo fait référence à des affaires connues, comme celle impliquant Marc Dutroux et un réseau de notables, affaire relayée par des marginaux du monde du spectacle comme Jean-Pierre Mocky.

C’est à ce moment que la sensation d’un fossé entre le monde des humbles et celui d’une élite occulte et immorale est le plus vertigineux. Le Mur du titre, c’est celui entre les résistants d’une part ; le monde factice de l’asservissement et des dominateurs d’une autre. Naturellement, la plupart des gens opèrent des allez-retours ; l’Ananassurance lancée mi-2014 répond à ce besoin d’autonomie à l’égard du ou des « systèmes » installés. Le « dommage » concernant les chambres à gaz et Patrick Cohen arrive un peu après, en réponse à ce journaliste ayant accusé le « cerveau malade » de Dieudonné. Une autre séquence, plus tôt dans le spectacle et dans le même registre, a beaucoup interpellée ses détracteurs ; c’est son « entre les nazis et les juifs, je suis neutre », déclamé sur un ton nonchalant. Le spectacle s’achève sur l’évocation de Romain, le jeune cancéreux mourant dont le dernier vœu était de voir Dieudonné, lequel l’a intégré dans son spectacle.

Le Mur se situe dans la moyenne basse de l’oeuvre de Dieudonné, ce qui place déjà la barre assez haut ; plus haut que l’essentiel des humoristes ou performers peuvent espérer. Le spectacle s’apparente à un instant assez intime, entre le combattant et son public. Il est moins affiné que la plupart du temps, il est aussi bien plus à vif. La démagogie et les simplifications qui se multipliaient dans ses vidéos sont mises de côté, au profit d’un recentrage sur les thèmes chers à l’homme, comme le traitement des civils camerounais par l’armée française il y a près d’un siècle. Dieudonné est un communautariste accusant les communautaristes pour certains détracteurs, ils n’ont pas tout à fait tort, mais la dénonciation de crimes impunis contre les siens est non seulement reçevable, mais surtout essentielle. Dieudonné n’est pas un idéologue, un prophète ni un penseur, c’est un homme d’action, sincère et cynique. Ses fans comme ses traqueurs ont tendance à occulter cette simplicité dont lui ne se cache pas.

Note globale 72

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Suggestions…  L’Antisémite + Rendez-nous Jésus   

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METASTASES, LE NOUVEAU FILM DE DIEUDONNE

24 Sep

Les amateurs se rappellent de la séquence du Cancer, sketch de l’avant-dernier spectacle de Dieudonné qui lui a valu d’être cité à la télévision, certes par Patrick Sébastien, mais dans un contexte ou le chansonnier-polémiste ne trouvait plus d’écho, sinon pour être vilipendé et ridiculisé.

Ils se souviennent également de toutes les évocations du Cameroun, ou Dieudonné se rend régulièrement pour rejoindre des membres de sa famille. Dans J’ai fait l’con notamment, mais à nouveau récemment dans Rendez-nous Jésus, il brocardait les mœurs sociales en vigueur, évoquait des modes de vie différents (habillant ses sympathies d’un cynisme outrageux), tout en fabriquant des personnages caustiques et grotesques.

Avec Métastases, Dieudonné synthétise des préoccupations et des sujets récurrents, utilisant vraisemblablement la comédie voir la farce pour emmener sur des terrains l’impliquant plus sincèrement. Outre le sujet de la maladie, le second film de Dieudonné semble axé sur une réhabilitation de ses origines. Dans le trailer, Dieudonné joue de lui, de son image, de ses propres mimiques et caricatures. L’urgence n’est plus pour lui dans le politique et les complotistes comme les chiens de garde risquent d’être déçus.

Métastases sera diffusé en avant-première le 26 septembre, dans deux jours. Les curieux le découvriront dans son Théâtre de la Main-d’Or ou en s’abonnant sur son site. Dieudonné en a déjà proposé un extrait (diffusé sur son compte IamDieudo), mettant en scène Mr M’Foudi, hybride de ses portraits de manitous africains bon-vivants et de médecins aux prescriptions désuètes ou farfelues.

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« C’est l’histoire de deux hommes confrontés à l’épreuve du cancer. Chacun va aborder la maladie de manière très différente. L’un, Bruno, va se soumettre religieusement à la médecine officielle en acceptant la chimiothérapie, l’autre, Olivier, entrainé par son ami Dieudo, va partir en Afrique pour se faire soigner par un guérisseur.
Ce film oppose deux approches de la médecine sur le mode de la satire.

Dieudonné produit, scénarise, et interprète ce film avec Olivier Sauton et Juliette Montel, acteurs au talent certain. »

RENDEZ-NOUS JÉSUS ****

11 Juin

4sur5  Désormais, cela depuis quelques temps (lancement très solennel de la campagne de Biquette), Dieudonné adopte un côté vieux briscard distingué et narquois. Un vieux gourou sans terre promise, se complaisant dans sa condition chaotique (mais ouverte à tous les possibles depuis de récentes connexions) et se délectant d’un Monde qu’il estime comprendre (parce que son parcours a favorisé un travail d’épure ou les grandes lignes sont ostensibles) mais qu’il sait sclérosé. On pourrait en conclure qu’il s’est décidé à profiter humblement des restes de la vie, mais son hédonisme apparent et simulé est contrebalancé par un combat utopique et idéologique – combat trop manifeste pour garantir le sérieux tant des hystériques que des faux-naïfs minimisant tout ce qui leur est soumis.


Rendez-nous Jésus est un condensé final, mêlant running-gag débridés (DSK en ligne de mire) et nouveautés musclées (sketchs entiers autour de la Légion d’Honneur, de la Gay Pride…). C’est la conclusion d’une époque courte mais chargée, entamée aux alentours du lancement de son compte officiel IamDieudo (sur YouTube). Dieudonné reprend quelques gimmicks et saillies récentes, vues ou entendues dans ses vidéos (du « j’ai fait marrer jusqu’à Téhéran » à la « femelle babouin ») ; c’est presque un catalogue pendant le deuxième quart du show, pourtant c’est toujours aussi scandaleusement excellent. Cette curieuse absence d’usure ne pourrait cependant justifier un spectacle entier : la force des redites éventuelles, c’est que le catalogue converge vers la redéfinition jusqu’au-boutiste de l’ensemble des grands motifs du farceur magnifique (notamment au sujet du racisme des élites, de la corruption comme principe et mode de vie, du sionisme)Après l’inégal Antisémite, l’oeuvre de Dieudonné est vraisemblablement dans un tournant et appelée à se transformer, soit dans le ton, soit dans la vigueur, soit dans la nature des sujets, à moins qu’il n’y ait abandon de ce type de performance (le one man show de deux heures). De toutes façons, avec InterNet, le spectacle physique n’est plus qu’une concrétisation pour Dieudonné (et une initiative certaine de la part des acheteurs de tickets) ; c’est maintenant le spectacle l’étape, qui vient ponctuer l’actualité au lieu de la re-lancer ou de redéfinir les orientations. 


Les circonstances extérieures concourent avec insistance à faire de Rendez-nous Jésus un spectacle-testament. L’ostracisme et l’anathème étaient acquis et accomplis à jamais, mais les détracteurs de Dieudonné ont franchis un cap et rejoint un mode beaucoup plus agressif. Ses spectacles sont censurés à plusieurs reprises, avec régulièrement l’appui de polices municipales ou de groupuscules extrémistes ou juvéniles : l’activité de Dieudonné est par ailleurs plombée toujours par les mêmes moyens et émissaires, c’est-à-dire des arrêtés locaux délivrés grâce à des intervenants inconnus, des intermédiaires notoires ou des petits dogmatiques bien-pensants croyant attirer la sympathie de plus forts qu’eux par leur geste totalitaire exécuté au nom de la liberté et de la paix civile. Sauf que généralement, la Justice ou l’Etat ne se chargent pas du cas de Dieudonné, sinon éventuellement pour relever l’illégalité (et donc la triple absurdité) des rejets administratifs dont l’humoriste-polémiste est victime – rejets valides seulement pour les serviteurs des idéologies dominantes et autres soumis à des pressions morales et culturelles de masse.


Pour autant, faire de Dieudonné un apôtre de l’harmonie est une pure aberration. Aujourd’hui, tout s’accélère autour de sa personne, il est maintenant interdit dans plusieurs États (comme au Québec dont il est désormais banni officiellement) et un palier a été franchi de chaque côtés. Outre quelques élections mineures (le mouvement antisioniste de Dieudonné a propulsé quatre candidats aux Législatives dans l’Eure-et-Loir) n’y aura bientôt plus qu’InterNet pour Dieudonné, dont le triomphe en salles à Lyon a excédé ses cibles et adversaires, à l’heure ou il se permet de franchir toutes les limites au nom de la sacro-sainte rigolade. Le point culminant du spectacle, c’est le débat (rappelant une édition spéciale Psychopathes) entre des représentants de l’ensemble des religions du Monde (dont un athée et Evelyne LaChatte) avec Jésus pour ordre du jour… et bientôt la supposée domination hébraïque. Débordements et invitations à la « haine raciale » s’y délectent dans l’outrance la plus totale. Les personnages appelant de leurs voeux cet axe anti-satanique sont farfelus et pathétiques, mais la part de sincérité est évidente. Cette facette ne fait pas de Dieudonné un antisémite, mais un antisioniste exaspéré (au point d’approcher bientôt le lâcher-prise ?), n’hésitant plus à se caricaturer au-delà de toutes limites. Cela en fait aussi un potentiel agitateur de colères et même si on peut croire qu’il neutralise une vigueur populaire, la rigolade est à hauts risques – mais Dieudonné ne s’appartient même plus et il le sait, la farce le dépasse et lui ne fait que traverser sa propre existence avec, pour masquer son désespoir et son impuissance, une fureur artificielle et une nonchalance de circonstance.


Dieudonné est irrécupérable et ira jusqu’au-bout de sa logique, de farce et de dénonciation. S’il était tout à fait en-dehors du réel, il ne serait pas drôle ; mais il rappelle aux consciences endormies les tensions même plus sous-jacentes de son époque et s’il est de parti-pris, sa propre lecture idéologique s’efface derrière le goût d’un tragi-comique en mouvement et en direct. C’est une sorte d’éditorialiste azimuté et trop extrême pour être encore simplement répréhensible ou borderline. Venir à son oeuvre n’est ni une adhésion ni l’aboutissement d’une simple curiosité, c’est partager l’enthousiasme suicidaire d’un homme que plus rien ne retient dans sa course après les limites de la Société commune.



* Cet article ouvre la 9e catégorie de Zogarok, celle des « Spectacles (& Documents) ». Cette expansion va se poursuivre et s’achever avec une 10e catégorie impliquant des vidéos (ou éventuellement d’autres supports ou documents) à valeur pédagogique, polémique ou subjective.

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L’ANTISÉMITE =+

18 Avr

Un contexte brouillé

Il y a une semaine, Dieudonné était convoqué devant la Justice par la Licra pour son film présenté en avant-première le 15 janvier et accessible aux abonnés de son site depuis le 23 mars. Refoulé partout en Occident, financé en Iran, regroupant des comédiens sans espoirs carriéristes, L’Antisémite personnifie la Mort et la Shoah, met en scène le guest Faurisson dans son propre rôle et construit sa trame autour des péripéties, directes ou mises en abyme, d’un personnage alcoolique, négationniste et antisémite. Ces tares sont d’ailleurs les motifs retenus par la Licra.

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D’abord, il est certain que L’Antisémite aurait réalisé un score impressionnant au box-office et que sa condamnation, avant même que le projet ne soit concrétisé, était autant de principe que stratégique (une opération de sécurité publique et de maintien de l’ordre et du bonheur des citoyens, diront probablement les camarades de Malek Boutih ou d’Alain Jakubowicz). Un succès populaire aurait précipité la prise de conscience pour certains, la reconnaissance par d’autres, du phénomène de contestation et des frustrations que Dieudonné canalise ; sa présence contient peut-être davantage les esprits qu’elle ne les échauffe. Ainsi, certaines saillies de Dieudonné servent d’exutoire, quand son Théâtre de la main-d’or, QG officieux et temple de l’antisionisme, est devenu un espace d’expression notamment pour certains publics déshérités ou inaudibles. A coup sûr, la relative paix sociale doit plus à des chansonniers, artistes ou polémistes (ce n’est pas un fait nouveau) comme Dieudonné, qui sont parfois des portes-paroles ou des icônes malgré eux, qu’à des associations opportunistes (donc nécessairement viles si on tient compte de leurs engagements).

Le film en lui-même : une semi-déception

L’Antisémite ne cherche pas la nuance ni la réhabilitation, il s’en moque éperdument. Dans un élan à l’héroïsme bonhomme, Dieudonné balaie toutes les critiques dès l’introduction de son film (évocation de la Shoah en noir et blanc), ou il se vautre avec allégresse dans tous les écueils, cumule tous les gags les plus  »politiquement » irrecevables. Dès lors L’Antisémite peut commencer et exister pour de bon et pour lui-même ; et si Dieudonné dépasse les bornes, les aficionados seront probablement déçus de l’ensemble. Non pas que l’esprit des spectacles soit absent, mais nous sommes un ton en-dessous et la bombe subversive, si elle est offensive, a tout d’une bagatelle approximative.

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Sans surprise, Dieudonné campe le personnage-miroir entrevu dans la bande-annonce. C’est une sorte de Bernard Frédéric de Podium, en mille fois plus trash, mais avec cette même rigidité burlesque chez le héros. Sauf que le film promis par la bande-annonce se dilue dans un autre ; ainsi, L’Antisémite est une compilation d’extraits de tournage, un fake sur un fake, ou Dieudonné est une star respectée et accueillie pour concevoir un projet sur-mesure. Les Dieudonné multiples (à l’écran) partagent ainsi les mêmes traits ; hystériques, paranos, chacun voit des francs-maçons partout, amalgame tout ce qui lui passe sous le nez ou les yeux, à la façon des théoriciens du complot les plus farfelus ou incultes.

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A l’arrivée, c’est un festival de vignettes plus ou moins osées ou transgressives, mais plombées par une confiance excessive en l’inspiration et le talent, peut-être même par une forme d’empâtement. Que la dramaturgie soit méprisée n’est pas le problème ; c’est la méthode adoptée et elle atteint ses objectifs. Mais il n’y a ni envolées ni coups-d’éclats grandioses (hormis quelques symboles, assez créatifs d’ailleurs), au point que le meilleur de L’Antisémite est contenu dans ses premières minutes, avec le monumental monologue du nazillon en goguettes, c’est-à-dire lorsqu’il ressemble à un  »vrai » film (comprendre simple et structuré, de ceux qui ne confondent pas immédiatement les niveaux de réel). La seconde partie est même assez balourde, voir médiocre car redondante. Tout cela pourrait indiquer que Dieudonné, non seulement évolue en circuit fermé, mais en plus a épuisé le filon (ce serait donc un point de rupture car les dernières vidéos étaient toujours aussi brillantes et pleines de gimmicks fraîchement élaborés). Ou peut-être y a-t-il eu auto-limitation. D’ailleurs, la trivialité finit par mener au lieu d’accompagner (jusqu’au générique, drôle au début et vite limité), à la façon de ce gag du vieux beauf bloqué sur l’homosexualité qui finit par s’user.

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C’est donc une succession anarchique de saynètes potaches ; c’est artisanal, bon enfant dans la pratique et téméraire sinon scabreux dans l’intention ; une boutique ou les fans et curieux viendront piocher (et il y a de la matière). Les plus avertis apprécieront la prestation de Alain Soral en producteur juif, un peu athée et fasciste sur les bords ; un personnage borderline qui lui sied parfaitement (on relève la revanche sur le milieu du spectacle, infesté de sionistes et de folles – il le proclame au premier comme au dernier degré). L’Antisémite peut être considéré comme une sorte de bonus à une œuvre gargantuesque et jouissive… alors que ç’aurait pu en être un morceau de choix. Mais il faut dire que, idéologiquement, Dieudonné n’a peut-être plus grand chose à transgresser (au niveau des notions sérieuses ou essentielles) tant il a atteint les stratosphères de l’underground géo-politique. Après tout, Dieudonné n’avait aucune aide, aucune salle, aucun réseau pour fabriquer son film : il est donc naturel que L’Antisémite ne soit pas un film, mais une parfaite créature dégénérée.

L’iconoclaste indépendant

Ceux qui ont suivis les actualités du film par le biais des polémiques qui l’ont accompagné et ont permis aux ouvriers de la Licra de se nourrir seront heurtés (parce qu’ils se sont conditionnés dans cette intention) mais pas surpris. Les étonnés seront des menteurs et des hypocrites ; les choqués/scandalisés (sur commande ? commande de quoi?) des conformistes ou des drama-queens en mal de bien-pensance et de reconnaissance d’une quelconque conscience citoyenne ou humaniste.

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A cette heure, Dieudonné est le plus grand vendeur de tickets de spectacles, dans l’indifférence générale. C’est peu dire que le quidam qui se contente d’un monde émergé factice, soit a oublié l’existence de celui qui se qualifie de « branche humoristique d’Al-Qaida », soit l’a catalogué ex-icône perdue de vue à tout jamais. Pour autant, Dieudonné continue non seukement à subvenir à ses besoins, mais aussi à vivre, au milieu d’une Société qui l’a mis au ban et le nie ou le combat sans plus trop savoir pourquoi. Paradoxe, c’est peut-être cet homme reclus dans des tranchées qui est le plus libre de tous, en tout cas son château fort à lui est l’un des plus épanouis, éveillés et visités, alors même qu’il ne s’impose à personne, par aucune voie ni aucune stratégie de propagande d’envergure.

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Note globale 61