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RENDEZ-NOUS JÉSUS ****

11 Juin

4sur5  Désormais, cela depuis quelques temps (lancement très solennel de la campagne de Biquette), Dieudonné adopte un côté vieux briscard distingué et narquois. Un vieux gourou sans terre promise, se complaisant dans sa condition chaotique (mais ouverte à tous les possibles depuis de récentes connexions) et se délectant d’un Monde qu’il estime comprendre (parce que son parcours a favorisé un travail d’épure ou les grandes lignes sont ostensibles) mais qu’il sait sclérosé. On pourrait en conclure qu’il s’est décidé à profiter humblement des restes de la vie, mais son hédonisme apparent et simulé est contrebalancé par un combat utopique et idéologique – combat trop manifeste pour garantir le sérieux tant des hystériques que des faux-naïfs minimisant tout ce qui leur est soumis.


Rendez-nous Jésus est un condensé final, mêlant running-gag débridés (DSK en ligne de mire) et nouveautés musclées (sketchs entiers autour de la Légion d’Honneur, de la Gay Pride…). C’est la conclusion d’une époque courte mais chargée, entamée aux alentours du lancement de son compte officiel IamDieudo (sur YouTube). Dieudonné reprend quelques gimmicks et saillies récentes, vues ou entendues dans ses vidéos (du « j’ai fait marrer jusqu’à Téhéran » à la « femelle babouin ») ; c’est presque un catalogue pendant le deuxième quart du show, pourtant c’est toujours aussi scandaleusement excellent. Cette curieuse absence d’usure ne pourrait cependant justifier un spectacle entier : la force des redites éventuelles, c’est que le catalogue converge vers la redéfinition jusqu’au-boutiste de l’ensemble des grands motifs du farceur magnifique (notamment au sujet du racisme des élites, de la corruption comme principe et mode de vie, du sionisme)Après l’inégal Antisémite, l’oeuvre de Dieudonné est vraisemblablement dans un tournant et appelée à se transformer, soit dans le ton, soit dans la vigueur, soit dans la nature des sujets, à moins qu’il n’y ait abandon de ce type de performance (le one man show de deux heures). De toutes façons, avec InterNet, le spectacle physique n’est plus qu’une concrétisation pour Dieudonné (et une initiative certaine de la part des acheteurs de tickets) ; c’est maintenant le spectacle l’étape, qui vient ponctuer l’actualité au lieu de la re-lancer ou de redéfinir les orientations. 


Les circonstances extérieures concourent avec insistance à faire de Rendez-nous Jésus un spectacle-testament. L’ostracisme et l’anathème étaient acquis et accomplis à jamais, mais les détracteurs de Dieudonné ont franchis un cap et rejoint un mode beaucoup plus agressif. Ses spectacles sont censurés à plusieurs reprises, avec régulièrement l’appui de polices municipales ou de groupuscules extrémistes ou juvéniles : l’activité de Dieudonné est par ailleurs plombée toujours par les mêmes moyens et émissaires, c’est-à-dire des arrêtés locaux délivrés grâce à des intervenants inconnus, des intermédiaires notoires ou des petits dogmatiques bien-pensants croyant attirer la sympathie de plus forts qu’eux par leur geste totalitaire exécuté au nom de la liberté et de la paix civile. Sauf que généralement, la Justice ou l’Etat ne se chargent pas du cas de Dieudonné, sinon éventuellement pour relever l’illégalité (et donc la triple absurdité) des rejets administratifs dont l’humoriste-polémiste est victime – rejets valides seulement pour les serviteurs des idéologies dominantes et autres soumis à des pressions morales et culturelles de masse.


Pour autant, faire de Dieudonné un apôtre de l’harmonie est une pure aberration. Aujourd’hui, tout s’accélère autour de sa personne, il est maintenant interdit dans plusieurs États (comme au Québec dont il est désormais banni officiellement) et un palier a été franchi de chaque côtés. Outre quelques élections mineures (le mouvement antisioniste de Dieudonné a propulsé quatre candidats aux Législatives dans l’Eure-et-Loir) n’y aura bientôt plus qu’InterNet pour Dieudonné, dont le triomphe en salles à Lyon a excédé ses cibles et adversaires, à l’heure ou il se permet de franchir toutes les limites au nom de la sacro-sainte rigolade. Le point culminant du spectacle, c’est le débat (rappelant une édition spéciale Psychopathes) entre des représentants de l’ensemble des religions du Monde (dont un athée et Evelyne LaChatte) avec Jésus pour ordre du jour… et bientôt la supposée domination hébraïque. Débordements et invitations à la « haine raciale » s’y délectent dans l’outrance la plus totale. Les personnages appelant de leurs voeux cet axe anti-satanique sont farfelus et pathétiques, mais la part de sincérité est évidente. Cette facette ne fait pas de Dieudonné un antisémite, mais un antisioniste exaspéré (au point d’approcher bientôt le lâcher-prise ?), n’hésitant plus à se caricaturer au-delà de toutes limites. Cela en fait aussi un potentiel agitateur de colères et même si on peut croire qu’il neutralise une vigueur populaire, la rigolade est à hauts risques – mais Dieudonné ne s’appartient même plus et il le sait, la farce le dépasse et lui ne fait que traverser sa propre existence avec, pour masquer son désespoir et son impuissance, une fureur artificielle et une nonchalance de circonstance.


Dieudonné est irrécupérable et ira jusqu’au-bout de sa logique, de farce et de dénonciation. S’il était tout à fait en-dehors du réel, il ne serait pas drôle ; mais il rappelle aux consciences endormies les tensions même plus sous-jacentes de son époque et s’il est de parti-pris, sa propre lecture idéologique s’efface derrière le goût d’un tragi-comique en mouvement et en direct. C’est une sorte d’éditorialiste azimuté et trop extrême pour être encore simplement répréhensible ou borderline. Venir à son oeuvre n’est ni une adhésion ni l’aboutissement d’une simple curiosité, c’est partager l’enthousiasme suicidaire d’un homme que plus rien ne retient dans sa course après les limites de la Société commune.



* Cet article ouvre la 9e catégorie de Zogarok, celle des « Spectacles (& Documents) ». Cette expansion va se poursuivre et s’achever avec une 10e catégorie impliquant des vidéos (ou éventuellement d’autres supports ou documents) à valeur pédagogique, polémique ou subjective.

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