BLONDE =-

15 Nov

Blonde a la vertu de le confirmer : montrer une ‘expérience intérieure’ est difficile voire mortel à l’écran tant le risque d’engendrer de la mélasse est global alors que les bénéfices ne sont que ponctuels et partiels – s’il n’y a pas un flot d’événements et de rappels ‘objectifs’ en contrepartie. La musique est un meilleur moyen de figurer des sensations sans se vouer à ce qu’on appellera poliment ‘de la contemplation’. D’ailleurs la bande-son composée par Nick Cave et Warren Ellis y arrive ! Aussi quand cette expérience intérieure est un trou noir où règnent le sentiment d’impuissance et d’abandon, même si le geste a de la noblesse et l’exécution belle, l’appréciation se fait mentale ou formelle plutôt qu’émotionnelle ; et du voisinage avec Twin Peaks [pour Laura Palmer] on passe à la variation raffinée et monolithique d’Inland Empire. La mère au début annonce « à Hollywood on ne sait pas distinguer ce qui vient de soi de ce qui est réel » ; bientôt on ne verra plus que Marilyn bien réelle absorbée par ses émotions toujours plus détachées. Mais il y a un goût de Mysterious skins et de The canyons là-dedans et peut-être que ce film tape le plafond de ce qui est prononçable depuis l’intérieur du ‘système’, en l’occurrence le cinéma de masse.

Présenter un tel film au grand-public est surprenant et cet essai-là a le tort de braquer des légions plus spécifiques (les amoureux de Marilyn Monroe) ou cinéphiles contre lui (le noir et blanc est toujours un peu suspect et ça ne mérite pas de changer). Je vois un tournant à la moitié, où subitement, je me suis lassé d’entendre que son papa lui manque et que Norma n’aime pas assurer le service Marilyn. Pourquoi ne la voit-on que prendre des claques ; et puisque c’est un non-biopic ou biopic ‘libre’, pourquoi ne pas la voir dominer cette mère dégénérée, s’arracher à cette dette et ce respect absurde qu’elle ressent et que le film relève si bien ? Mais le film s’interdit toute initiative qui ne laisserait pas la même litanie masochiste s’égrener. La gradation est dans la folie avec toujours la même détresse et aucun écho. La tentative de vie normale (inventée) et les projets prestigieux (réels) ne sont que des à-cotés par rapport à sa vie intérieure tourmentée et ‘bloquée’. Ce qui permet de nombreuses ellipses et donc d’éloigner encore plus le biopic conventionnel. Quand le film se permet d’arbitrer contre le mystère, c’est pour une scène grotesque avec le président Kennedy. Quand il s’agit de sa carrière, on aperçoit des connards de l’industrie ou voit Norma piquer deux crises contre le mesquin Billy Wilder (avec lequel Marilyn a tourné Sept ans de réflexion et Certains l’aiment chaud).

Ce film est dans la commémoration abstraite et n’intervient sur la personne de Norma que pour littéralement la dévêtir. Qu’elle se soit sentie dépassée, pas écoutée, par des gens insensibles ou avides envers Marilyn, qu’elle ait eu le sentiment d’être mal-aimée ou non-aimée est joliment martelé ; c’est surtout vite redondant. Ce film ressemble plus à une collection de brouillons d’un même court-métrage qu’à un long… c’est pourquoi se permettre d’être aussi inutilement lent et long n’a de sens que pour poser son ambition en vertu de la norme du moment, à laquelle souscrit donc même Netflix. C’est terrible, mais on aime surtout ce film grâce à Ana de Armas, pour toutes sortes de raisons flagrantes ; elle aurait pu interpréter une icône imaginaire qu’on y aurait rien perdu – ç’aurait simplement été élégant envers la cible du présumé hommage, présentée comme une charmante victime, donc pas tellement mieux traitée que comme une ‘femme-objet’. Qu’aimait-elle, que souhait-elle en-dehors d’une étreinte sincère et devenir une mère comme une autre (et être une actrice mieux reconnue – que de banalités) ? À peu près rien d’après ce film où on la voit s’effondrer devant ses peurs ou la pression, peu combattre ne serait-ce que pour assurer ses performances – à moins que la montrer exceller dans ces moments-là sans s’attarder sur les alentours soit justement un hommage, ce qui me semble une incohérence de fétichiste ou d’amoureux.

Écriture 2, Formel 7, Intensité 5 ; Pertinence 3, Style 6, Sympathie 5.

Note globale 52

Page IMDB   + Zogarok sur Sens Critique

Suggestions…My week with Marilyn + Spencer

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