SORTIES DU MOMENT (3)

11 Juil

Plus vraiment du moment, mais de 2012 : c’est bien ce qu’il faut comprendre à cette catégorie, « le Moment » est large, il s’agira toujours de l’année en cours (quelque soit mon délai de réaction).

Aujourd’hui, deux biopics british un peu ronflants ou grandiloquents, au choix, chacun hésitant entre old school et sujet transgressif.

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_ The Iron Lady – La Dame de Fer *** (64) biopic UK-France – sortie en février

_ Albert Nobbs * (29)  drame UK-Irlande – sortie en février

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THE IRON LADY – LA DAME DE FER ***

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3sur5 Assez fabuleuse, la promotion semblait négliger la politique et ses facettes parfois vulgaires, ou plutôt s’en servir comme d’un outil, pour se concentrer sur une trajectoire hors-norme. The Iron Lady fait de Thatcher un monstre glam-conservateur en omettant relativement l’aspect pragmatique et les assertions (néo)libérales pour parfaire une peinture sur le pouvoir.

Pourtant The Iron Lady prend à revers et dès le début, Thatcher est escamotée. Phillida Lloyd se veut alors fidèle au cadre réel (et actuel) de l’unique femme Premier Ministre du Royaume-Uni, celle-ci vivotant entourée d’une garde indésirable, seule et coupée du monde. Dans le film au moins, elle remplit ce triste quotidien par son monde imaginaire quitte à confondre, quelquefois, ses réminiscences avec des actions en cours, des enjeux à résoudre. Elle est toujours accompagnée de Dennis, son mari qui la conseille et qu’elle-même supervise réciproquement.

Mais l’exhibition du visage décomposé et malade ne désacralise pas l’odyssée ; Phillida Lloyd y voit l’occasion d’une approche théâtrale, réaffirmant son goût de la mise en scène hypertrophiée mais classiciste, hystérique et poseuse à la fois. La décadence se veut sublime, avec une icône en proie à l’angoisse de néantisation de son image et de son Empire. Le spectateur l’accompagne dans cette déchéance mélancolique, rendue flamboyante par le passage en revue des fastes anciens (d’ailleurs même les vestiges naissants le suggèrent).

The Iron Lady est un objet étrange. Jamais il ne trouve un ton approprié qu’il conserverait sur la durée. Au contraire, il est plutôt linéaire dans sa persistance à vagabonder, entre le catalogue de souvenirs, le retour vif mais très court à la réalité, les échappées vaguement oniriques et les erranes tragi-comiques (déchaînements au Conseil des Ministres pour la poll tax), les diaporamas lyriques et ceux un peu plus trash. The Iron Lady passe du drame intime au roman de l’Histoire, mais le premier l’emporte toujours, le second servant d’auxiliaire et toile de fond à l’élaboration d’un portrait de femme extraordinaire, souveraine et brillante. Le film ressemble aux rêveries d’une ancienne gloire devenue gâteuse, au point de peiner à raccorder les éléments de sa vie ; quitte à flirter avec l’abstraction sur le plan narratif (la chronologie mais également le temps de façon générale sont méprisés, au profit des enchaînements et des grands axes).

Ce n’est pas sur le terrain de l’analyse que The Iron Lady marque des points. Il ne s’agissait pas d’évoquer la politique, mais de façonner un film sur le pouvoir, sur l’attachement d’un leader hors-norme à sa vision du Juste et de l’Ordre, sur sa façon de poursuivre son idéal et affirmer sa conception de la Raison – ce qu’elle explique et démontre parfaitement, lors de prises de paroles publiques ou d’exclamations péremptoires.

The Iron Lady est une sorte de puzzle d’un mythe et conte d’une conquête et initiation à la fonction suprême, puis d’une expérimentation synthétisée à l’extrême – pour faire émerger une essence totalement subjective, intuitive et obsessionnelle. Thatcher apparaît comme un bloc uniforme, dont les aspérités et les nuances s’évanouissent dans une marche sans fin et sans jamais l’once d’un relativisme. Ce caractère mouvant, presque baroque, peut aussi être considéré comme une manière virtuose et foutraque de survoler le sujet  et d’éviter la prise en compte sérieuse et frontale du règne de Thatcher et ses implications.

* The Iron Lady a fait l’objet d’une attention particulière sur Zogarok il y a plusieurs mois, avec un article dédié au film, à sa promotion et ses promesses, ainsi qu’à Thatcher, pour le personnage, le style et son influence (esthétique et cinématographique surtout).

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Note globale 64

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Pages nationales : France-45 (allocine), USA-54 (metacritic), UK-62 (screenrush), ALL-58 (Filmstarts), Espagne-56 (Sensacine), Turquie-60 (Beyazperde)

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ALBERT NOBBS *

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1sur5  L’intention est transparente, il s’agissait de fabriquer une figure, un martyr de la rigidité morale d’une époque. Sans aller jusqu’à lui promettre une carrière de symbole LBGT (il s’agit plutôt d’évoquer la condition féminine et l’état de crise sociale), au moins Albert Nobbs devait être un héros digne et stoïque. Un héros discret à la tragédie intime, dont le fardeau est d’autant plus lourd qu’il le porte (presque) seul. 

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La réalité si particulière d’Albert Nobbs, identité factice d’une travestie pour son travail, suscite la curiosité : à défaut d’être consistant, un film doit pouvoir s’appuyer sur l’épaisseur de son pitsch. Mais le personnage en lui-même, comme les situations, sont anecdotiques. La force d’Albert Nobbs, c’est l’intrigante composition de Glenn Close (quoique Janet Mc Teer est bien plus charismatique) dans un univers effectivement sclérosé, cela malheureusement à tous les degrés. Il faut dire que l’actrice est la véritable âme du projet : c’est elle qui a mobilisé autour de cette adaptation d’une pièce de 1982 ou elle jouait déjà le rôle-principal. Rodrigo Garcia a suivi comme il a pu, donc mal.

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Tout est atrocement prévisible, le film n’ose aucune digression, chaque démarche d’un personnage appelle une évolution outrageusement limpide et simpliste ; et le pire, c’est que jamais Close (scénariste) et Garcia (réalisateur) ne font l’effort de casser cette routine, au contraire, ils laissent entendre que les choses seront convenues et ternes, puis vont au bout de la plus sinistre des logiques en assumant (par aveuglement, naïveté, désintérêt?) leur académisme effarant.

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Morne mais sympathique, Albert Nobbs enfile les clichés romantiques et s’enlise dans le mélodrame poussiéreux, tentant lamentablement de tout traduire par un psychologisme de collégien. Le dernier tiers du film flirte avec la parodie – le sommet étant atteint sans crier gare, lorsque Nobbs retrouve la robe et court heureux sur la plage, sa face de pantin au vent, avant de s’échouer comme un playmobil détraqué le nez dans le sable.

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C’est mignon et un peu niais, ça se voulait touchant et sensible. Ce n’est pas parce qu’un personnage n’a pas eu de chance qu’on doit se coltiner son pathétique et laborieux apprentissage de la vie. Dommage, car Glenn Close semble être la grande victime de cet échec : elle affuble son personnage victorien d’accents burtonien, manifestement fascinée par sa différence et son inaptitude à vivre. Avec le recul, cette volonté de transmettre une vision pure, candide, reste par bribes – mais il manque le cinéma, l’énergie et sans doute, une équipe pour répondre et canaliser l’inspiration de Glenn Close, réduite à peau de chagrin en l’absence de gouverne, de style et de talents.

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Note globale 29

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Page Allociné

Page Metacritic

Page Cinemagora

Page Rottentomatoes

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Sorties du Moment : 1, 2

Sorties en 2012 : Atrocious, Battleship, Bullhead, Dark Shadows, Hunger Games, John Carter, L’Antisémite/Dieudonné, Le Prénom, My Week with Marilyn, Prometheus, The Dictator, Take Shelter,  Tyrannosaur, Tucker and Dale fightent le Mal

8 Réponses to “SORTIES DU MOMENT (3)”

  1. 2flicsamiami juillet 11, 2012 à 11:30 #

    Très belle et juste critique de La Dame De Fer. Beaucoup ont crié à l’hagiographie. Je crois juste que la réalisatrice à voulu regarder notre monde par le prisme de la vie de Thatcher. Indépendance féminine, restriction économique, regard sur la vieillesse : tout est là dans ce film qui résume les principaux maux de notre société.
    D’ailleurs, la fin chaotique du règne de la dame n’est pas occulté.
    Peut-être pas exhaustif, ce film n’en demeure pas moins un modèle de fluidité et de narration.

    • zogarok juillet 11, 2012 à 16:32 #

      Ça l’est un peu, hagiographique, mais c’est la démarche de Lloyd. Aucune posture politique ici, plutôt l’ambition de faire le portrait d’un grand leader. Il faut y voir l’intérêt esthétique – tout réalisme est méprisé : la lecture chronologique et rationnelle est totalement flouée, on passe des Malouines à la poll tax, des scènes de bureau s’allongent quand des grands actes sont synthétisés en deux élans clippesques. Soit, c’est un parti-pris auquel j’adhère parfaitement. Ses mesures antisociales font partie du tableau, pas d’un commentaire. Tomber fan de Thatcher après The Iron Lady, c’est le problème du public ; tomber fan de son image, en revanche, c’est légitime et évident.

      • 2flicsamiami juillet 14, 2012 à 15:19 #

        Ça l’est un peu, mais pas d’avantage qu’un Invictus, qui ne s’est pas pris autant de mauvaises critiques que ce Iron Lady. Il est plus difficile de faire une hagiographie sur un personnage aussi controversé que Thatcher que sur Mandela.

        • zogarok juillet 14, 2012 à 16:23 #

          Complètement d’accord ; ici, c’est hagiographique sur le plan esthétique, sur le plan icônique – mais sur le plan humain et idéologique, non bien sûr, au contraire d’un film comme Invictus. Je préfère cette démarche (celle de Iron Lady), plus artificielle mais plus belle, autrement juste qu’un compte-rendu élogieux ou un hommage formaté.

  2. arielmonroe juillet 14, 2012 à 12:54 #

    Je l’ai vu en dvd, c’est bien kitsch, pas de politique et de parti-pris effectivement, mais tout le côté théâtral et sentimental du personnage. Je suis un peu déçu du coup, mais je m’y attendais. Ca ne fait pas très sérieux mais c’est plaisant. Je ne sais pas si c’est bon en tant que « peinture sur le pouvoir », je le vois plus comme une fable perso sur une gloire. En fait ç’aurait pu être n’importe ou ailleurs, ça pouvait être une danseuse, une actrice, une star, une chef de gang.
    Pas vu le second, m’intéresse pas. La bande annonce craint comme il faut. Par contre j’adore le passage sur la gueule de pantin au vent.

    • zogarok juillet 14, 2012 à 16:29 #

      Kitsch et théâtral. Alors voilà pourquoi j’ai aimé. Ce n’est pas si souvent qu’on retrouve un film « kitsch et théâtral » – ou alors pour une comédie musicale criarde, mais ce n’est pas… le même monde. Effectivement, ç’aurait pu être une ingénieure, une sportive de haut niveau : je prend aussi le film de cette façon. C’est le portrait que je retient ; c’est vrai aussi que le pouvoir en tant que tel n’est peut-être pas le sujet ultime du film, mais c’est le moyen par lequel elle s’affirme, c’est ça qu’elle choisi pour se tailler ce destin hors-norme – donc c’est bien une peinture sur le pouvoir, le cheminement ou la volonté de l’exercer -plus pour s’affirmer et le plier à ses vues, que pour le pouvoir lui-même.

  3. Moonrise juillet 20, 2014 à 20:45 #

    C’est curieux, j’ai à la base un avis plutôt neutre sur La Dame de Fer. Mais je ne l’ai pas détesté non plus, loin de là, et ta critique me rappelle des aspects que j’avais appréciés sans trop les relever (et les valoriser dans ma note sur SC).
    C’est vrai qu’il met bien en valeur le personnage Margaret Thatcher, ses convictions, sa noblesse, et que j’en suis ressortie avec une certaine admiration pour elle.
    Et effectivement, pour rebondir sur les commentaires précédents, ce film a en fait plus d’âme qu’Invictus. Il est plus intimiste, moins tape-à-l’oeil.

    • zogarok juillet 21, 2014 à 21:33 #

      Je l’attendais beaucoup, mais sans nourrir d’espoirs démesurés. Il a été très conforme à ce qui étais promis. Bien sûr, les affaires concrètes y sont dans un angle mort. Le principe est ailleurs : on s’empare d’un personnage, on respecte les bases, on fait un film-fantasme, hagiographique, pas tant sur l’individu que sur le personnage. J’aime ce parti-pris. Evidemment, concernant Thatcher et son travail, ça ne peut qu’être complaisant, au moins par omission.

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