APOCALYPSE NOW +

10 Fév

Suave et absurde, Apocalpyse Now, référence du film de guerre, est pourtant plus encore un film-trip. Il comprend deux axes essentiels : un aspect psychologique et un aspect sensoriel. Le contexte historique n’a aucune importance, car le récit est universel et immatériel. C’est justement en dissertant poussivement sur la nature humaine que Coppola s’égare. La véritable ampleur d’Apocalypse Now est révélée par un vertige communicatif, qui trouve son point d’orgue lors de plusieurs illustrations hypertrophiées, à la fois violentes et planantes, à l’instar de la séquence culte de l’attaque des hélicoptères sur les Walkyries (ou des hommes prennent leur dose d’adrénaline en orchestrant une boucherie voluptueuse).

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En faisant d’un soldat déraciné et déjà anesthésié l’intermédiaire de l’immersion, Apocalypse Now se fonde sur un parti-pris fort. Il empêche l’identification mais paradoxalement renforce l’emprise psychique (parce que nous-mêmes sommes dépouillés de références trop connotées – il y a un travail d’épure acharné). L’odyssée est communicative, le spectateur fait corps avec ce chaos, s’imprègne directement de cet Enfer, sous le regard désabusé, presqu’inhumain du personnage-accompagnateur. Celui-là est un héros dissocié mais néanmoins accroché à sa destinée, se la laissant dicter comme un robot conscient, analysant et commentant en permanence, quoique néanmoins résigné et sans emphase. Il poursuit une logique parce qu’il ne s’appartient plus ; de toutes façons, une rupture serait encore plus perturbante (sortir du trauma précipite dans le vide, c’est pour cela que les victimes restent soumises à leurs bourreaux, qu’ils soient leur parent, leur amant, l’environnement ou la société).

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Lorsqu’il faudra revenir de cet Enfer, tout sera achevé ; la pulsion essentielle désormais, c’est celle qui conduit à retourner sur le Styx. Sinon, s’en échapper n’amène qu’à vivoter, alors qu’on est déjà mort et que notre place, c’est cet état de dilution, hors de la Civilisation et de tout ce qui rattache à une identité sociale. L’Humanité en soi est une chose évaporée, les désirs des émotions superflues et parasites auxquels se substitue l’instinct seul.

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Dans ce genre de situation, l’Homme est réduit à sa volonté et son état minimal, précipité face à sa vérité, intime et universelle, brute et simple. Quand il s’agit de filmer et exprimer cette errance folle, cette rage passive, Apocalypse Now est brillant et ponctué de fragments grandioses. Mais quand le film s’oriente vers la théorisation, notamment par les dissertation des personnages, le résultat est artificiel et creux. Perspective intéressante néanmoins (et a-morale de la part de Coppola), les soldats ne s’habillent pas d’héroïsme pour guider leur trajectoire.

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En marge des considérations morales voir métaphysiques plutôt laborieuses, stigmate de la dépendance du cinéma à son contexte social (et peut-être de Coppola au système hollywoodien ou à ses créanciers), Apocalypse Now est un film-massue axé sur la mise en scène de la beauté secrète de « l’Horreur ». Cependant le film reste tempéré dans l’exhibition de celle-ci (pas de charmes trop scabreux ou saillants – pas de déviance non plus, puisque tout est attribué à cette logique qui dépasse ses bras armés) : il s’agit probablement plutôt du Chaos que de l’Horreur dont il se réclame.

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Qu’importe, l’ensemble est sensoriel et explosif à la Oliver Stone (parallèle inespéré pour l’homme du Parrain), dont il se rapproche chaque fois qu’il lorgne vers le psychédélique ou que le récit tend à s’effacer au profit de la transe. Apocalypse Now s’achève ainsi dans un Enfer exotique, entre spiritualité animiste et démence théâtrale.

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Note globale 81

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5 Réponses to “APOCALYPSE NOW +”

  1. Voracinéphile février 10, 2013 à 22:45 #

    Pas surpris de ton avis, il reste une référence du genre, qu’on classe souvent trop rapidement parmi les chefs d’oeuvres (je me souviens d’une conversation de lycée assez marrante où des camarades le classaient comme un chef d’oeuvre mais n’arrivaient pas à mettre vraiment le doigt sur ce qu’il y avait de fascinant dans ce film. Incontestablement, la folie est communicative et se densifie au fur et à mesure que l’on remonte le fleuve, pour culminer dans un final complètement déstabilisant. Dans ce contexte, je trouve aussi que les passages parlés sont un peu préjudiciables à l’ensemble, essentiellement parce qu’ils cassent le rythme et rompent avec la folie pourtant bien retranscrite de l’ensemble. Des pauses souvent longues qui font hélas un peu émerger le spectateur… Mais la puissance est toujours là, malgré ce rythme un peu fluctuant…

    • zogarok février 10, 2013 à 23:13 #

      C’est exactement ça. Les mots sont de trop. L’ensemble est majestueux ; il faut tout de même un peu s’y abandonner, faire un effort pour s’oublier dans le film, et on peut le ressentir comme un grand moment, une communion rare, un peu comme la première fois où j’ai découvert « Hannibal ». Je n’ai pas adhéré à ce point ici, j’ai gardé (et soutenu, c’est vrai) une certaine distance malgré tout.

  2. mymp février 12, 2013 à 14:30 #

    Le 2001 du Vietnam ! À chaque vision, ça fonctionne : comme Willard, on est fébrile de rencontrer Kurtz qui n’intervient qu’au bout de 2h30, nous laissant complètement hagard (de par l’attente paroxystique et les horreurs vues entre-temps). Et quand enfin Brando sort de l’ombre et discourt sur les gardénias, c’est juste sublime et notre coeur et notre souffle s’arrêtent pour de bon. Aucune distance pour ma part !

    • zogarok février 14, 2013 à 13:15 #

      Je n’ai de coeur que par intermittences, alors forcément… « Aguirre » et « Valhalla Rising » se sont davantage infusés en moi. Mais attention, tout ça est, objectivement parlant, du même niveau pour moi.

  3. gomorra mars 21, 2013 à 23:23 #

    Ce n’est pas un chef d’oeuvre! C’EST UN MONUMENT!!!!

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