MANIAC +

17 Jan

Masterpiece du cinéma gore underground, Maniac réunit, au-delà de ses qualités ou caractéristiques intrinsèques, tous les ingrédients du film-culte : tourné à l’arrachée dans les rues de New York sans autorisation, interdit aux moins de 16 ou 18 ans à sa sortie (18 en France), exploitation commerciale refusée… C’est par la vidéo que Maniac se sauvera et concrétisera sa légende ; à l’instar de Massacre à la tronçonneuse, il inspire tous les fantasmes et pour ceux qui auront passé le cap, il accomplit effectivement un dépassement des limites connues et entretenues par le Bis poli façon débuts de Sam Raimi. En France, il paraît dans la collection K7 « Les films que vous ne verrez jamais à la télévision » avant de pouvoir ressortir dans les cinémas de quartiers.

Maniac peut sembler désuet sur le fond au départ et beaucoup d’amateurs avisés gageront que Joe Spinell incarne une espèce de puritain par défaut. Ils verront rapidement que ce n’est pas le cas (même si certaines scènes de repli autistique paraîtront stéréotypées aux plus blasés, la puissance évocatrice de celle-ci demeure impressionnante malgré toute l’expérience cinéphile enregistrée). Si la performance de Joe Spinelli est un paroxysme de tueur misogyne paradoxal, elle offre surtout un plongeon sans concession ni scrupules dans l’antre d’un monstre, avec ses hallucinations, sa solitude maladive, son rapport au monde compartimenté, les délires qui façonnent son fonctionnement. Le rôle poursuivra d’ailleurs le comédien jusqu’à la tombe, bel apport complémentaire au statut  »culte ».

D’un bout à l’autre, Maniac est un film coup-de-poing, radical, à la fois sec et tortueux au possible, hyper-réaliste et simultanément sans aucune distance avec le délire du tueur. Le spectateur est confondu dans l’angle de vue du tueur ou à ses côtés au quotidien ; presque jamais le Monde extérieur n’existe en lui-même, par et pour lui-même. Maniac pourrait facilement être considéré comme un reportage trash sur un tueur en série hardcore plus ou moins typé, mais le sujet est vécu sans recul plutôt que disséqué. Il n’y a pas d’intellectualisation, de détours explicatifs ni de symptômes reconnaissables, seulement un aller-simple vers la brutalité d’un cauchemar interne permanent.

Joe Spinell est un asocial, un enfant-gâteux régulièrement reclus dans sa maison de poupée ou il peut prendre soin de sa collection mortifère. Il répète ses scènes originelles et traumatiques, les poursuit sans relâche, retrouvant des indices ou des contextes prompts à exulter sa psychose dans le réel. Etranger au Monde, il n’existe en lui que pour y accoucher ses pulsions, l’inclure dans ses paysages morbides. C’est une silhouette grasse et affectée, paranoïaque et culpabilisante (aux prises avec son Surmoi maternel, pour les nominalistes et les intégristes freudiens) mais insatiable, addict, même pas à un quelconque frisson, mais à une logique compensatrice, un réflexe délétère quoique ponctuellement libérateur.

Ainsi Lustig mène une incursion dans l’horreur et l’abstraction pure ; sa pellicule s’évade régulièrement vers l’univers terrifiant du personnage, totalement dévoré par ses pulsions et ses phobies. Les avatars de son psychisme dévasté sont matérialisés avec subtilité. Ce sera surtout le cas après les meurtres, ou le tueur se retrouve, redécouvre toute sa nature et ses fardeaux inlassables. En marge de ces séquences morbides, les tentatives d’approches pathétiques et émouvantes, ainsi que les meurtres spectaculaires et glaçants, sont autant de prestations déroutantes.

Les maquillages de Tom Savini (extraordinaires pour l’époque – notamment lors d’un certain car-crash…) participent largement à la grandeur esthétique de ce cérémonial impulsif et animal, exultant tout particulièrement lors d’un bal des masques ensanglantés.

Tendu, envoûtant, absolument glauque et monumental en son genre, Maniac sera en quelque sorte prolongé par la saga Maniac Cop du même Lustig à la fin des 80s. Un Maniac 2 a failli voir le jour et le film Fanatic ou Spinelli intervient sous une peau similaire est opportunément sous-titré de cette manière. Maniac aura son remake ; cette énième profanation d’un chef-d’œuvre sera étroitement assurée par Alexandre Aja (Haute Tension), dont le remake de La Colline a des Yeux était un évènement dans le monde horrifique à lui tout seul.

Note globale 82

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15 Réponses to “MANIAC +”

  1. tangokoni janvier 17, 2013 à 09:16 #

    Encore une bien belle analyse, je te rejoins bien évidemment pour ce film culte pour moi. Je ne connais pas du tout le film Fanatic par contre, et je vais pallier tout de suite à cela.

    • zogarok janvier 17, 2013 à 17:06 #

      Moi non plus, j’ai seulement fouillé autour du film – parce qu’il a eu des répercussions et des successeurs, directs et indirects. Je serais curieux de savoir ce qu’il vaut !

      • tangokoni janvier 17, 2013 à 18:54 #

        Hihi, je devrais le savoir cette nuit, ça a l’air de bien rappeler Maniac.

        • zogarok janvier 20, 2013 à 10:29 #

          Alors, tu as vu « Fanatic » ? Même registre, même « mythe » ?

      • tangokoni janvier 20, 2013 à 13:19 #

        Hello Zoga,

        non, pas de mythe, très déçue personnellement, je termine à l’instant de le voir.

  2. Chonchon44 janvier 17, 2013 à 10:54 #

    Je ne connaissais pas ce film. Je le rajoute dans ma liste. Merci !

    • zogarok janvier 17, 2013 à 17:04 #

      De rien ; je pense qu’il va te surprendre et te secouer, mais tu devrais aimer. Et c’est une référence importante. Je ne sais pas encore ce que vaut le remake..

  3. Voracinéphile janvier 17, 2013 à 16:41 #

    Bonne chronique sur l’original, j’espère que le remake te fera le même effet (vu qu’il reste suffisamment original pour justifier le côté remake (refonte bienvenue du thème des mannequins, qui sont bien vite comparés avec les gens dans la rues…)). L’immersion dans le quotidien est en effet payante, c’est d’ailleurs en en montrant peu que le film réussit à convaincre (le remake est plus démonstratif, ça ne le sert pas vraiment (psychologiquement, c’est trop brutal, trop asséné), mais les scènes trash sont efficaces). Toutefois, je trouve que si le film décrit tout le quotidien du tueur, il y a toujours une distance entre lui et nous. La plus belle démonstration est celle des meurtres. On les voit essentiellement du point de vue des victimes, le tueur devient l’élément perturbateur, et n’est plus le sujet du récit. C’est l’angoisse de la mort qui va débouler, et pas l’excitation de la chasse que le remake exploite avec jubilation (une vraie claque gore, même si les effets n’ont plus le côté prouesse de l’époque). Bon, après, les scènes gores étaient l’argument économique du projet, à la base mis en branle pour alimenter le marché underground des gorrophiles qui n’en demandaient pas tant. Une aubaine en tout cas, qui a lancé la carrière de William Lustig qui continuera dans la branche horrifique avec Maniac Cop qui donne plus volontiers dans le slasher divertissant (bon rythme, ambiance plus légère, un petit air de fantastique…).

    • zogarok janvier 17, 2013 à 16:51 #

      Je n’ai pas vu les Maniac Cop mais le principe est alléchant et on cerne facilement ce qu’il peut donner. Concernant le Maniac de Lustig, effectivement nous sommes dissocié du tueur, on ne se fond pas littéralement dans son esprit ; néanmoins il y a une proximité rare. Elle est tellement limpide que l’oeuvre s’abstient d’écrire sa genèse, détailler ses troubles : tout est très naturel et l’immersion directe, sans intermédiaire (que ce soit par le biais d’une enquête ou d’une description implicite des troubles). Le spectateur est totalement lâché, il rampe aux côtés du tueur – et c’est pour ça que le film a une telle réputation, il était l’un des premiers à le faire et surtout à le pratiquer si intensément.

      La bande-annonce du remake m’a franchement emballé et annonçait effectivement une « fusion » avec « le chasseur », pour reprendre ton expression – apparemment, le film mise autant sur le gore et l’atmosphère, dans un registre différent (plus glamour peut-être ?) : j’ai hâte, mais je ne peux pas dépasser ce cap pour le moment. De fortes promesses, à tenir sur la durée. Les critiques décentes, voir positives, qu’il a reçu de la part de la presse cinéma tendent à confirmer cette impression (en France particulièrement la presse spécialisée est réticente et caricaturale, je dirais même : archaïque).

  4. Voracinéphile janvier 17, 2013 à 20:22 #

    Sans te faire grimper au rideau (si tu me permets l’expression), les Maniac Cop devraient te faire passer une agréable soirée. C’est du bis à l’état pur. Le premier exploite assez bien la paranoïa d’avoir un psychopathe dans les rangs des flics et se veut plutôt sérieux (bon suspense, l’identité du tueur est un des points forts du film. Et après un bon premier épisode, on se rend compte que la suite est au moins aussi réussie. Elle développe la mythologie de notre tueur, et se lance dans plusieurs scènes d’action inventives et divertissantes. Avec un vrai truc de mauvais goût qui met direct en connivence avec le film : le tueur assassine tous les représentants de la morale et laisse s’échapper les voyous ^^. Par contre, le 3ème est raté, il mérite à peine un **.
    Le remake a une photographie un peu glam en effet. En dehors de la magnifique photographie et des travelling très argentesques des scènes de meurtres en caméra subjective, c’est surtout la musique qui te marquera, une vraie merveille. La presse de genre est plutôt emballée en effet, mais si les chroniques sont globalement positives, je n’ai pas relevé beaucoup d’enthousiasme. On dit que c’est bien, mais je trouve que le film aspire à plus que ça. Même en tant que remake, il est ambitieux, et parfois d’une finesse touchante (oui, on éprouve pendant plusieurs séquence de l’empathie pour le tueur). Après, je m’emballe facilement, mais j’en garde un excellent souvenir, durable en tout cas.

    • zogarok janvier 20, 2013 à 10:25 #

      Justement il a été assez bien reçu au-delà de la presse de genre, ce qui n’est jamais acquis, loin de là. C’est en tout cas une priorité de ce début d’année… d’autres attisent ma curiosité mais c’est le seul m’important vraiment.

  5. mymp janvier 18, 2013 à 14:32 #

    Je l’ai revu avant de voir sa pâle copie, ça a quand même trop vieilli. Replacé dans son époque, évidemment ça a du sens et de la gueule (les maquillages de Savini effectivement), mais les grands films sont ceux qui parviennent à se foutre des décennies qui passent. Un truc en revanche qui marque toujours, c’est Spinell et sa gueule de taré, et en le revoyant je me suis dit qu’il était l’ancêtre parfait de ce cher Jame Gumb, limite son père !

    • zogarok janvier 20, 2013 à 10:23 #

      C’est vrai, mais il garde la puissance et survole son genre. Les films de Wes Craven, ses « classiques » notamment, sont carrément plus vieillis, et même désuets. Un public d’aujourd’hui pourrait voir « Maniac » sans mal, même s’il le trouverait kitsch. Le ton ne dérouterait pas un ado amateur de cinéma de l’extrême.
      Bien joué pour ce parallèle à Buffalo Bill. Celui-là est bien plus terrifiant et attractif ; alors que Maniac suscite une pitié assez scandaleuse pour son personnage. Deux « gueules » manifestes.

  6. arielmonroe janvier 20, 2013 à 18:19 #

    Pour avoir un point de repère j’ai découvert ce film et quel choc ce fut ! Je suis bien d’accord avec un commentaire plus haut car c’est ultra vieilli et on ne sent pas le classique, il manque plus de structure. Par contre tout ça le rend d’autant plus malsain, avec un côté documentaire, un peu comme les snuff mais vu par le tueur et sans les plan longs sur des meurtres. J’ai bien aimé même si c’est remuant, on a une compassion pas saine du tout qui se noue avec le tueur. J’ai trouvé au contraire qu’on est assez peu à dissocié de son personnage. Finalement ça rejoint ce qui est dit : pas de recul tout en étant observateur.

    Le remake est moins crade et avec le tueur il est clair, il joue la carte de l’empathie, sans excès, mais on a pas de jugements, on est de son côté et on le voit perdu même quand il est à fond. Vous devriez aimer !

    • zogarok janvier 21, 2013 à 19:23 #

      Beau parallèle. Je n’irais pas jusqu’à la « copie volée », je trouve plutôt que c’est une intrusion impudique, mais comme vous le dites il n’y a pas le côté documentaire impassible où la caméra est posée dans un coin de pièce pour arracher des morceaux d’horreur et de barbaque. Nous sommes beaucoup plus impliqués et le réalisme ou la proximité sont exclusivement psychologiques.

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