SÉANCES EXPRESS n°4

26 Oct

> Marebito*** (75)  fantastique Japonais

> Shutter/2004** (52) fantastique Thailandais

> Abandonnée* (32) fantastique Espagnol

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MAREBITO ***

4sur5 Typé underground, racé lovecraftien, Marebito est le premier film de l’après-Ju On pour Takashi Shimizu. Le créateur de cette saga rapidement remakée et internationalisée avec la version US The Grudge vit déjà une gloire discrète : Marebito, Réincarnations (sorti un peu plus tard) sont connus des amateurs d’épouvante et d’étrange nippone, mais n’ont pas franchit ce cap et restent à l’état de curiosités, d’anecdotes. C’est dommage, néanmoins ces produits sont trop rêches et décalés pour que survienne un miracle.

Dans Marebito, Shinya Tsukamoto (réalisateur notamment de Tetsuo) poursuit une quête assez iconoclaste. Fasciné par les mécanismes de la peur, il a assisté et filmé un suicide et veut retrouver cette terreur, la percevoir chez un cobaye, la capter pour la comprendre, peut-être la ressentir et pourquoi pas la dépasser. La dimension métaphysique est confuse (pas artificielle, mais plutôt potache) et il n’en reste bientôt que des miettes, au profit du déroulement d’un home-movie tendu et étrange ponctué d’illumination féroces.

La meilleure partie est le premier tiers, balade dans un monde souterrain voisin du réel, musée des âmes perdues et passage vers les ténèbres. C’est le principe du couloir interminable, jonché de créatures et de possibilités initiatiques ou oniriques – malheureusement, ça s’arrête (comme toujours) trop vite. Le héros retourne à la surface une sorte d’innocente arrachée à un Eden vierge sur les bras. Fasciné par la créature («mon petit Kaspar Hauser»), il observe ses mouvements, ses besoins et tente de la rééduquer.

Mais cette prisonnière, sexy, maladive et mutique est en proie à la démence et l’agitation, tandis que des forces obscures harcèlent Masuoka : le Deros surnaturel, des hommes menaçants au téléphone, une illuminée aux prophéties terrifiantes. Quelle boîte de Pandore a ainsi été ouverte ? Aucune importance : le héros se défile, puisque ça n’est pas rationnel, ça n’a pas de sens. Sa volonté d’absolu lui fait omettre toute approche holistique et alors même qu’il avance dans le délire, il passe à côté des évidences qu’il réclame.

C’est l’histoire d’un basculement sensoriel, le spectacle des convulsions d’un monstre. La victoire de Marebito est de faire partager la normalité interne et externe, le cheminement d’un serial-killer inspiré et curieux, mais absolument froid et pragmatique, dans sa vision, ses conclusions comme dans son comportement. Shimizu se concentre sur les déambulations de ce chercheur transi par ses découvertes et bientôt structuré selon sa psychose, faisant du monde réel et non plus de celui enfoui dans le sol ou dans sa tête, le terrain de ses expérimentations.

Note globale 75

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Enneagramme-MBTI : Le héros est un INTJ très marqué (Ni-Te-Fi). C’est un type 5 dont l’aile 4 s’épanouit et le dévore (alors qu’elle existe plutôt par défaut au départ).

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Interface Cinemagora

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SHUTTER (2004) **

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2sur5 Shutter jouit d’une excellente réputation auprès des initiés mais sa notoriété est très réduite et il n’est pas sorti en salles, tout comme Alone, le film suivant du tandem Pisanthanakun/Wongpoom. Banal mais raffiné (avec même une dose d’humour), le programme est assez rigide pendant la première moitié du film, déroulant les effets classiques du ghost-movie asiatique (manifestations surnaturelles, infiltration dans le quotidien, hallucinations sonores, sentiments de présence, etc) avec un brio certain mais aucune initiative un tant soit peu différente.

Au milieu du film, le mystère s’épaissit, la malédiction initiale, assez sommaire, devient plus complexe et envahissante, avec notamment une romance antique et des avatars imprévus (le héros n’en demeure pas moins transparent). Le climat, inlassablement tendu, sans doute trop spéculatif, devient dès lors plus attractif, gagnant en noirceur et en étrangeté. C’est sobre en tous points, contrôlé et efficace (les filtres et les apparitions sont plutôt élégants), plaisant (voir contemplatif) mais anodin. Si Shutter n’est qu’une énième variation, c’est un joli exercice de style, ni plus ni moins.

Note globale 52

Résumé :
Un photographe professionnel renverse accidentellement en voiture une jeune femme et décide de prendre la fuite. Les jours assent et il continue à prendre des photos qui s’avèrent mystérieusement gâchées par des reflets blancs inexplicables..

 

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ABANDONNÉE *

1sur5 Le passage au long-métrage pour Nacho Cerda, auteur de la curieuse et fascinante Trilogie de la Mort, était l’occasion de concrétiser un univers, des obsessions, un style précis. Il est venu briser l’aura de cet artiste tout en participant à saborder les espoirs autour de la vague fantastique espagnole des années 2000, dont l’hégémonie touchait alors à sa fin (2006-2007). Avec Abandonnée, Cerda promet une sorte de voyage « antérieur » et s’y tient : une femme découvre les images mentales enfouies, les scènes originelles, explorant les degrés de son existence et de sa conception. Le cadre est envoûtant, rêvé dans son registre (glauque, pictural et ténébreux) ; le reste manque de goût et de force. Le pitsch-minimal s’érode rapidement  (un vague complot et une identité volage), le scénario est nul, la bande-son envahissante. C’est un The Cell amorphe et péremptoire, un Silent Hill agité et encore plus autiste.

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Cerda veut en faire une balade pleine de créatures ou de lieux fantasmatiques. Il accumule les effets clippesques sans grâce, les séquences d’errance confinant à l’inertie pure, mais rien n’y fait. En vérité, Abandonnée se définit paradoxalement par un refus d’intégrer toute dimension abstraite ou irrationnelle, à la faveur de la figuration outrée, parfois stylée, toujours confuse. Le film est froid et interminable, sa description d’un Enfer est terne et sans imagination, malgré le déversement de bizarreries poussives et empruntées (au zombie comme au ghost-movie, dont tous les catalogues sont épuisés).

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Résultat : Abandonnée est extrêmement noir, mais inconsistant, tant humainement, esthétiquement que sur le terrain des frissons ou de l’initiative. On étouffe mais sans rien ressentir ni admirer, sinon le vaste gâchis d’un univers au fort potentiel, au moins graphique. C’est effectivement une sorte d’horreur extatique : on est tétanisé, plombé par un programme aussi lourd, fonctionnel, catégorique. Il accable le spectateur ou l’amène à décrocher (la diversion se fera par la léthargie plutôt que par l’humour, le film irrite passablement mais ne trouble jamais).

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Il faut en retenir l’exploitation stylée de concepts alambiqués lors d’un dernier quart-d’heure cauchemardesque, transmettant parfaitement la sensation d’évaporation de l’héroïne, spectatrice de sa propre décomposition. Cette performance isolée (pourtant en pleine cohérence graphique avec ce qui a précédé) achève le film sur une contradiction interne criante et rappelle la singularité de Cerda ; pour cet opus, il est trop tard, mais gageons que ce n’est qu’une sorte de panne industrielle. Tout au moins, ça le deviendra dans les livres spécialisés si son Yo soy legion voit le jour.

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Note globale 32

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Résumé :  Marie, productrice de cinéma américaine, retourne dans son pays natal, la Russie, où le cadavre de sa mère a été retrouvé dans des circonstances étranges. Elle ne l’a jamais connue, ayant été adoptée et emmenée aux Etats-Unis à la naissance. Le seul indice dont elle dispose est une ferme isolée, abandonnée dans les montagnes, qui appartenait à ses parents naturels.Marie hérite du lieu, mais personne ne veut l’y conduire car une superstition locale prétend que l’endroit est… damné. Un seul homme est prêt à s’embarquer pour un voyage aussi long et dangereux… Un inconnu qui, étrangement, semble en savoir beaucoup sur son histoire… Une fois sur place, le mystérieux guide disparaît, obligeant Marie à explorer seule le site abandonné.Elle y retrouve un homme appelé Nikolaï, qui prétend avoir été attiré ici exactement de la même manière, afin de découvrir également la vérité sur son passé…

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Interface Cinemagora

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4 Réponses to “SÉANCES EXPRESS n°4”

  1. Voracinéphile octobre 26, 2012 à 09:34 #

    Ha, enfin une séance où j’ai tout vu (enfin, Abandonnée, c’était il y a très longtemps, je dois réessayer).

    Marebito est en effet très déroutant. J’avais fait confiance aux bonnes critiques à son sujet et le dvd était relativement peu cher, mais le résultat, hybride, est franchement étrange. D’accord pour la première partie, les passions morbides de notre personnage parviennent à intriguer et font en quelque sorte une « promesse » au spectateur, qui s’installe alors confortablement en espérant que le film y arrive. Puis on passe à autre chose, avec cet univers étrange de terre creuse, et cette créature pour le coup très sexy, mais au comportement inconstant, tantôt placide et fréquemment turbulent. Bien compliqué de se faire un avis sur ce film, j’ignore toujours pour ma part si il m’a surpris en bien ou en mal. Son mélange est forcément inattendu, mais il est loin d’être homogène. Et comme tu l’écris, comme ça n’est pas rationnel, j’ai eu l’impression que le film enchaînait les idées en laissant au spectateur le soin d’y trouver un contenu (j’ai vu quelques trucs qui m’ont intéressé, mais au niveau du constat final…). Film très bizarre en tout cas.

    Nos avis sur Shutter convergent : bon exercice de style utilisant simplement la technique de la photographie avec un peu plus de détails que les concurrents. Efficace lors de la découverte mais effacé quand on le replace dans le contexte du genre. Je te recommande grandement Infection, qui est une merveille dans son genre, très malsain dans ses ambiances, original (car ce n’est pas un film de fantôme pendant une heure) et surtout d’une efficacité redoutable (on pourrait avoir là un catégorie III si le film était moins sage sur le gore, ici très suggéré mais complètement nauséeux…).

    • zogarok octobre 26, 2012 à 19:51 #

      Je lui avais mis 3 au départ, j’y suis revenu, c’est un film qui ne s’oublie pas, qui revient à l’esprit et dont on mesure finalement l’identité propre : ce n’est pas « Shutter ». Des mêmes auteurs, j’ai préféré « Alone », à venir lors d’une future SE. Je vois ce qu’est cet « Infection », je l’ai listé mais pas en priorité, je l’aurais à l’esprit lors des prochaines recherches.

      Marebito n’est pas à ce point « offert » au spectateur, il est même assez orgueilleux de lui-même et de son léger caractère hermétique. Il n’y a pas de « matière » à interprétation, ou dans des proportions raisonnables. Très bizarre, mais bien ancré dans sa logique, quoique confus (même pour lui-même je pense). L’auteur s’est laissé allez et il peut se le permettre : c’est naif ou bancal parfois, mais c’est passionnant et vraiment nouveau (sans chercher à être une montagne d’iconoclasme). Un auteur qui pourrait concocter un grand film, s’il avait un nouvel élan (les autres sont très bons aussi, mais encore trop réticents, cadrés).

  2. chonchon44 octobre 26, 2012 à 10:54 #

    J’ai vu Abandonnée, que j’ai détesté (voir mon billet sur mon blog). Une grosse daube.

    • zogarok octobre 26, 2012 à 19:43 #

      Ca me rassure, je me disais que j’y avais été fort, je ne me met pas si souvent 1 et « Abandonnée » a quand même des qualités graphiques. Mais c’est tout, juste un clip mou se leurrant sur son excentricité présumée.

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