NERUDA =-

15 Nov

Le cinéma de Larrain est toujours aussi ambivalent, à moins qu’il s’agisse d’atténuer sa responsabilité dans sa collaboration passive à reluire des opprimés magnifiques et superficiels des dernières décennies. C’est le troisième film que je vois signé de lui et c’est encore un exercice de fascination avec ‘déconstruction’ de très loin, voire réenchantement du mythe tout en donnant [cherchant] l’illusion de l’approcher de façon équilibrée. Comme nous jetons l’œil dans les coulisses de l’Histoire, dans la machinerie, le mystère est censé rompre – la magie peut rester mais lui va s’expliquer.

Or bien sûr le film ne fait que regonfler le mystère et donner une validité romantique à son sujet (même No sur le référendum anti-Pinochet essayait de l’insuffler, mais c’était trop moche et condamné par les options ‘cheap’). Le Jackie suivant a confirmé ce désir de s’embarquer aux avants-postes des ‘grands’ événements ou destins (dans ce cas c’est aux côtés d’une participante passive, la touche Larrain est donc plus appropriée – et pas agaçante puisqu’elle est légitimement enfermée dans ce manège). Le niveau de Neruda est à mi-chemin entre ces deux-là : le film est rincé en-dehors du personnage principal et en terme de scénario, mais s’avère loin d’être éprouvant ou de patauger dans l’incurie [technique]. Il est capable d’une certaine distance par rapport à l’entourage de son héros, mais se mêle peu lui-même de véritable politique et se réfère à des contradictions largement relatées. Lors de la soirée d’élite de gaucho-communistes on peut donc entendre « Tout criminel doit s’entourer d’hommes en cravate, qui ont appris la ruse bureaucratique à l’université » ; on constate que tout ce monde se veut artiste ou fin esprit en plus de grand commis de l’État, de la conspiration ou de la révolution. Il faudrait sauter encore de petits verrous et parler concrètement du trotskysme, des agents communistes et des experts mandatés par diverses puissances.

Au lieu de ça on reste sur la position de bon citoyen éclairé volontiers critique, plus sûrement délicatement désenchanté – trop bien acquis et hypnotisé. La mise en scène souligne en permanence l’artificialité des actions, suggérant éventuellement celle des convictions – sans jamais de garanties sur ce plan-là ; tant de postures qui sont autant d’expressions d’un rêve à la fois égocentrique et humaniste. Le malheur de ce film c’est de ne rien épanouir en-dehors de cette position ; il est raccord avec les gens fascinés par cet artiste, comme d’autres le sont d’un philosophe, d’un politicien ou d’un spécialiste sachant les pommader. C’est toujours la même bêtise pimpante, moralement crasseuse et prétentieuse ; avec au fond cette promesse de paradis terrestre, où chacun forniquera dans une cuisine high-tech et sera poète ; et à terme cette évidente angoisse béante, d’assister à l’avènement de cette vision et que les gens qui pensent, rêvent ou font la différence [pour le ‘progrès’ ou le ‘bien commun’] n’aient plus rien de leur avantage et de leur justification ‘altruiste’ ou ‘très-élevée’ à exister sans rien payer.

Mais c’est encore une autre histoire que ce film ne saurait aborder ; il préfère cette humanité aux gesticulations flamboyantes d’aventuriers sous caution, figée dans des fantaisies infantiles qui à défaut de faire fonctionner le monde font tourner la tête et filer doux ses agents vaniteux ou turbulents. D’où la nullité du personnage campé par Gael Garcia, inspecteur fictif rappelant le Trintignant du Conformiste (idéaliste formel et sans illusions sociales ou concernant sa propre valeur), en version fringant puceau croisé. Son personnage est sévèrement sous-développé (un ‘facho’ aseptisé qui devait être le maximum envisageable avec le corps, l’aura et la dégaine de cet interprète) au point que même la traque de l’écrivain-politicien n’a jamais rien d’intense ou de fructueux – sauf peut-être sur le plan graphique avec ce final de western enneigé, qui vient confirmer que mourir tôt est préférable pour entrer dans la légende. Évidemment c’est toujours moins débile voire dégueulasse que du Loach dernière période ou le commun du cinéma démagogique ou engagé (comme l’insanité de mi-robot mi-retardé compatissants Deux jours une nuit), mais ça reste du Mishima démocratique pour clients studieux amoureux du luxe ou d’icônes médiatiques domestiquées et propres sur elles.

Note globale 48

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