CHŒUR DE TOKYO +

1 Fév

Ozu a tourné une trentaine de films muets avant 1936. Quelques-uns ont été conservés, parmi lesquels l’un des plus fameux de sa carrière, Gosses de Tokyo (1932). Chœur de Tokyo, sorti la même année que le premier parlant japonais (1931), marque le passage d’Ozu aux shomin-geki, films sur les gens et travailleurs ordinaires, avec une prédilection pour l’enfance et la famille dans le cas de ce réalisateur. Il succède à plusieurs essais prenant la comédie américaine en modèle (le protagoniste a encore l’allure d’Harold Lloyd, le perché de Safety Last) et impliquant des étudiants – orientations abandonnées.

Ce film suit un jeune père de famille et employé (dans les assurances) allant au bout des engagements habituellement pris en l’air : il s’oppose à un abus de son supérieur hiérarchique, subi par un de ses collègues ; le paie en étant renvoyé. Le petit-bourgeois est ramené à la réalité de sa condition sociale, cet exemplaire l’assume entièrement. C’est donc une sorte de héros banal, vraisemblable mais toujours rare (par ce comportement et son sérieux), refusant indirectement la soumission déguisée. Pendant que tant d’autres braillent et se couchent, lui fait le clair au lieu d’imiter la colère et taire sa rébellion après la pause collective.

Le soulèvement d’Okajia n’arrive pas par hasard et n’est pas simplement le produit du contexte. Cet homme d’équilibre, pacifique et attentif, est dominé par son sens de la justice (manifeste dès le début, avec les enfants et le ballon – après la dissidence troupière de la scène d’exposition). Le film est plutôt optimiste a-priori ; l’acte est récompensé, Okajia rebondit, trouve des soutiens. Il dépasse les obstacles, les tensions et réprobations dans la famille, ne se relâche pas quand l’entourage le considère comme un être diminué ; il doute de son succès, mais pas d’avoir eu raison.

Pour dresser ce tableau le mensonge et les flatteries ne sont pas nécessaires. Sans son obstination, sa vieille relation et un peu de chance, Okajia aurait connu le déclassement et l’exclusion, y compris sur le plan intime. Sa sagesse et son implication ne sont pas toujours suffisantes et tardent souvent à produire des effets décisifs, comme en attestent ses deux garçons difficiles, malgré une éducation (probablement) exigeante et (certainement) charitable. Le courage et la liberté du protagoniste sont jaugés avec la même honnêteté ; cette liberté est celle d’un homme mûr, pas pourri ni enflammé, persistant mais se mettant en insécurité pour garder cette solidité. L’aigreur et la rancune menacent et font parfois surface.

La signature d’Ozu est déjà prégnante, le développement bien plus direct que ce qu’il produira plus tard. Le soin méticuleux caractérisant Le Goût du saké ou Voyage à Tokyo n’est pas encore assez poussé pour donner leur abord dissuasif (et pudique à l’extrême). Ozu fait face à la violence des relations, de la menace d’indignité, avec sobriété et en prenant les ambiguïtés (et le chemin de la joie), plutôt qu’en montant des charges ou distribuant des bons ou mauvais points. La déconnexion de ses propres urgences apparaît comme une qualité, tant qu’elle est temporaire (comme doivent l’être les scrupules, la remise en question ou le sacrifice de l’estime de soi). Kurosawa abordera des préoccupations similaires dans Vivre ! en jetant son dévolu sur un anti-héros, fonctionnaire au sursaut plus pataud et à l’ascendant inexistant.

Note globale 75

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Suggestions… Sanjuro

Scénario/Écriture (4), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (4), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (4)

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