LES COURTS & MOYENS DE JEAN VIGO **

4 Oct

Jean Vigo est un des principaux contributeurs au « réalisme poétique » (mouvement français des années 1930). Ses convictions anarchistes, héritées de son père, retentissent dans ses quatre métrages, dont seul le dernier est un long : L’Atalante, avec Michel Simon dans le rôle du vieux Jules.

Ses trois précédents films, deux courts et un moyen, sont traités dans cet article.

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A PROPOS DE NICE ***

3sur5  Jean Vigo commence sa courte carrière de réalisateur avec A propos de Nice en 1930, réalisé dans le cadre des « Cités symphonies ». Il mourra quatre ans plus tard, après avoir signé Taris roi de l’eau, Zéro de conduite et finalement son unique long, L’Atalante (avec Michel Simon en vieux marin et routier de la contre-culture). Même si le temps ne lui a pas permis d’être très prolifique, Vigo a réussi à imprimer son empreinte dans la mémoire des cinéphiles, honorant l’idéal français de « l’auteur » et inspirant la Nouvelle Vague (Truffaut en fait un de ses ‘pères’).

Pendant vingt-trois minutes la caméra se balade dans la ville de Nice, en commençant par la prendre vue du ciel. Vigo présente le Nice des riches, celui des prolos ; le premier fier de lui, froid et sec, le second joyeux et vulgaire. Sa préférence va au second si on en croit la façon de revenir sur ses femmes heureuses et ‘généreuses’. Une présence morbide discrète se ressent, sans entraver les flux à l’oeuvre. D’un point de vue de pure ‘surface’, c’est le plus beau film de Vigo et le plus divertissant. L’Atalante est plus concluant mais l’opus présent est déjà très riche et d’une modernité saillante.

L’orientation des prises de vue, les artifices ludiques, le montage syncopé, mais aussi le ton très libre (Vigo apprécie le surréalisme et se classe anarchiste) font son originalité. Malheureusement Vigo ne sera pas si fluide et fulgurant à l’avenir, notamment dans le cas de Zéro de conduite. La Cinémathèque royale de Belgique conserve le film et en 2001, Marc Perrone y ajoute une bande-sonore à l’accordéon, à la demande de Luce Vigo et en reprenant les compositions de Maurice Jaubert, collaborateur du cinéaste (musicien pour Nana de Renoir et les films les plus éminents de Carné).

Note globale 68

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Suggestions… Citizen Kane

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TARIS ROI DE L’EAU **

3sur5  Jean Vigo est quasiment le seul à participer à la conception de son second film, Taris roi de l’eau (1931), aussi appelé La Natation par Jean Taris. Ce court-métrage de 6 minutes met en scène un champion de natation de l’époque. Sa démonstration est le prétexte à une espèce de cours accéléré. Après la balade d’A propos de Nice (1930), Vigo traite ce produit de commande comme une occasion poétique. Son cinéma charnel trouve un sujet à sa mesure. La photographie de Kaufman (contributeur sur les quatre films de Vigo) se joint à la sensualité de Vigo en tant que créateur d’images.

Il multiplie les ralentis et d’autres effets (bruitages expressifs, gros plans sous l’eau), généralement pour souligner avec grâce le corps et les mouvements, parfois pour sublimer la scène en lui donnant des allures plus fantaisistes. Ce court-là est certainement plus académique que le précédent mais est encore révélateur du style de Vigo, de sa malice aussi (petite surprise finale). Cette créativité sera moins épanouie dans Zéro de conduite, où le discours et les excentricités à demi-accomplies plombent la narration visuelle.

Note globale 62

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Suggestions…

Note ajustée de 61 à 62 suite aux modifications de la grille de notation.

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ZÉRO DE CONDUITE **

2sur5  Jean Vigo est un des artisans du réalisme poétique, courant français des années 1930. Il tourne son unique long-métrage (L’Atalante) juste avant de mourir. Il est déjà atteint par la maladie lorsqu’il réalise le dernier de ses trois courts, Zéro de conduite, satire de la vie en pensionnat. Sa fibre libertaire y est plus explicite que jamais et lui vaut la censure du gouvernement. Zéro de conduite sera interdit à la diffusion jusqu’en 1945.

Au-delà de ses orientations idéologiques, Zéro de conduite propose un programme bien fragile. Son entrain est poussif, sa conception semble baclée ; c’est apparemment un film ‘à l’inspiration’, conduit par son idéal guilleret. Le manque de fluidité et la sauvagerie du montage (violent contraste avec A propos de Nice, premier opus de Vigo) s’entretiennent, la photo de Boris Kaufman (collaborateur sur les quatre réalisations de Vigo et pour Sur les quais d’Elia Kazan) compense ces maladresses. Les moments ‘gags’ sont souvent totalement patraques, à cause d’un défaut de rythme et de choix techniques étranges, révélant tout le poids négatif du surréalisme et de l’anarchisme où Jean Vigo prend sa source.

Vigo pioche un peu ailleurs (le surveillant est un ersatz de Chaplin) et aligne ses idées, sans les laisser croître vraiment et encore moins mûrir. Si le film peut constituer une forme d’audace à cause du rejet de l’ordre affiché, la contestation demeure socialement éthérée. L’objectif unique consiste à placer l’amusement au-dessus du respect. La « révolution » est finalement déclarée (la petite mutinerie dans le dortoir se posant alors comme une allégorie politique) mais ses protagonistes sont insignifiants. Cet univers n’est peuplé que de caricatures ou de pantins sans relief ; l’authenticité livrée par petits bouts raccommodés y met du charme mais peu d’intelligence.

Les problèmes de sons sont amplifiés par de longs moments de latence (synchro inadéquate) avant la profération de dialogues incantatoires pauvres et un peu gênés. Taris roi de l’eau (second court, en 1931) sortait déjà du muet, sans rien garantir sur les ambitions ou les aptitudes de Vigo concernant le parlant (encore tout neuf – premier film de la sorte en 1926 : A Plantation Act). Zéro de conduite apparaît dès lors comme une transition un peu laborieuse, avant l’épanouissement relatif observable sur L’Atalante, dont les démonstrations emphatiques sont de bien plus grandes qualités. La mise en scène est cependant ponctuée par quelques initiatives (la vue originale avec le prof nabot) et de fortes intuitions esthétiques (le ralenti avec les plumes).

Note globale 52

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Suggestions…

Scénario & Ecriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (2), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (2), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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