SOCIETY +

30 Mar

Producteur et scénariste, Brian Yuzna passe derrière la caméra avec Society ; dans ce film politiquement et socialement engagé, il privilégie l’étrangeté, le fantastique et l’extrapolation métaphorique au gore, à l’angoisse et à la farce, sans pour autant les sacrifier. Classique mineur du cinéma horrifique, Society part d’un postulat et d’un contexte de sitcom pour évoluer vers la satire fantasmagorique.

L’œuvre affirme cette  »patte » Yuzna qui combine dimension ludique du cinéma bis, audace de l’underground et classicisme kitsch dans la lignée des Contes de la Crypte, avec ici quasiment aucune once d’humour (malgré quelques saillies noires). Parfois peu cohérent, voir naïf jusque dans ses méthodes (les dialogues candides au départ, la perche dépassant lors d’une scène!), Society tire une puissance certaine de ses imperfections ; Yuzna favorise un développement intuitif et le privilège au concept et au sens est un atout formidable, consolidant le charme et l’intelligence de Society.

Extrêmement mal reçu aux États-Unis, le film a forgé sa réputation en Europe, terrain plus propice à recevoir sa réflexion assez alarmiste et passionnée au sujet des rapports de force entre classes sociales et du rôle prédominant de l’élite économique dans l’ordre du Monde.

Mettant en scène une aristocratie autarcique dans un Beverly Hills immaculé, Society choisit pour héros et personnage identificatoire un fils de riche peu à son aise dans son milieu. S’il fait illusion, donne le change face à la société (en accumulant les honneurs, notamment en devenant président des élèves), il a néanmoins l’impression d’assister et de participer à des métamorphoses qu’il ne maîtrise et ne comprend pas.

Ce malaise est celui de l’otage d’une Société qui lui échappe, dans laquelle il a fait l’erreur d’être né. L’organisation calquée sur les avatars et autorités de l’ « american dream » teinte et délimite cette Société, mais Society n’est pas animé par un quelconque sentiment anti-américain, préférant sonder les motifs secrets des constructions sociales, plutôt que de charger celles de son choix.

On peut lire différemment ces faux-semblants. Naturellement, il y a ici un aspect fantastique, occulte, ainsi qu’une critique sociale (évidente mais avisée). Society cultive aussi l’empathie avec ce gamin incapable de devenir adulte. Cela impliquerait de renoncer à une naïveté originelle pour adopter les hypocrisies sociétales communes ; en d’autres termes, à accepter un ordre, une pureté artificielle, à accepter un vernis confortable mais factice pour substitut.

Society est le récit d’une trajectoire d’initiation sabotée, à cause d’une quête d’authenticité (à la fois de vérité et d’identité) menée à son terme. Pour Bill (Billy Warlock), sa famille superficielle a sacrifié son humanité, son indépendance d’esprit, au conformisme de leur environnement, à un ordre et un faste qui pourrait se passer d’eux et où ils doivent exécuter une performance avec brio. Leur état est à la fois restrictif et apaisant ; s’y soustraire, c’est autant exulter en tant que dissident (et donc adolescent) face aux dominants locaux que faire face à la vie et la liberté (donc construire, comme un adulte).

Fable parano, proche de certains Carpenter (et complémentaire à They Live) mais aussi du Polanski première période (la meilleure – Rosemary’s Baby tout particulièrement, Le Locataire un peu), Society invite à découvrir la réalité dionysiaque, l’amorale et étrange normalité enfouie dans le décors sirupeux et délicat du soap-opera grandiloquent. Une régularité subjective tellement simulée qu’elle finit par être tenue pour la raison pure, spontanée et objective. Cette disposition sceptique et distanciée, ainsi que l’attraction-répulsion pour l’objet, fait de Society un de ces chefs-d’oeuvre poursuivant l’humanité nue à la façon de Blue Velvet.

La mémoire collective retient essentiellement le quart-d’heure final, orgie sadienne et grotesque où la chaire des hauts-bourgeois américains se confond et se délecte sans entraves (ces effets spéciaux exécutés par Screaming Mad George sont inspirés des tableaux de Dali, modèle de l’aspirant peintre que fut le jeune Yuzna). Dans cette cérémonie aux relents  »sataniques » (par sa déstructuration des corps), les assistants et sbires de l’élite et du pouvoir suprême incorporent les faibles, aspirent leur énergie en liquidant leur essence et leurs ressources physiques. Au-delà de ce sommet de l’horreur biologique, tout le long du film, Woody Keith et Brian Yuzna ont démontré que les dominants pragmatiques jouissent de ce que la loi prohibe pour les plus faibles ; l’inceste, meurtres et transgressions morbides, mais aussi l’inversion, la facilité, la coercition et le réseautage, le temps libre.

Note globale 84

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4 Réponses to “SOCIETY +”

  1. Voracinéphile mars 30, 2013 à 02:11 #

    Un classique du cinéma bis en effet. Très minimaliste et volontairement obscur durant sa première heure (où le climat social est effectivement mis en avant sous cet angle mondain, complètement impersonnel et pétri de convenances, éclipsant facilement les rares élans fantastiques), la fin se lance dans des défis graphiques sans bornes, des excès si gargantuesque qu’ils en sont devenus une référence. Une vision assez caustique de la Jet Society, assez drôle dans sa naïveté et en tout point réjouissante pour sa sincérité (héros attachant en effet, et vrai sentiment de paranoïa. Intéressant que tu cites Polanski pour cet aspect, j’aurai plus facilement parlé de Carpenter… Ou de Ferarra d’ailleurs. Une chronique sortira bientôt sur mon blog de son adaptation de Body Snatchers. Son côté bis est surprenant, et son côté parano est comparable…

    • zogarok mars 30, 2013 à 11:28 #

      Oui Carpenter est évident, je l’ai d’ailleurs cité. Mais je ne suis pas du tout sceptique comme tu l’est, bien sûr le film est passablement léger et kitsch, mais c’est la plus juste et stimulante mise en scène d’un cauchemar marxiste. Sa vision n’est pas naive, elle est métaphorique et radicalisée. Je ne vois pas d’infidélité au réel, juste un angle extrêmement noir dont le cinéaste se tire avec une petite tendance punk lucide qui est je crois l’une des meilleures options pour rendre supportable un monde angoissant, trop factice et injuste, voir même, une façon optimale pour maîtriser son destin. Ce qui m’a marqué dans le film n’est, somme toute, pas tellement ce final, car tous ces doutes sur la nature de son environnement engendrent (en plus d’une identification forte) une révision de toutes ses perceptions, or cet état dangereux et excitant est un passage obligé pour quiconque a été adolescent et quiconque a voulu briser la glace.

  2. Voracinéphile mars 30, 2013 à 13:00 #

    Le mot sceptique est un peu fort, je suis partisan du film même si il ne figure pas dans mon top latex, mais je n’ai effectivement pas ressenti ce foisonnement thématique à son égard (c’est ce qui fait l’enthousiasme de ta chronique). Tout ce que tu abordes s’y retrouve, tu en soulignes la pertinence et la clarté, et il ressort très bien que tu préfères la première heure au déballage indécent des maquillages gluants qui font aujourd’hui sa célébrité. Merci pour le recul que tu installes en insistant sur ces points, car lors de mes visionnages, ce point de vue, cette « méthode de narration » me semblait aller de soit. Yuzna faisant du gore, cette paranoïa, je la concevais surtout comme un écrin pour envelopper amoureusement les séquences dérangeantes et sublimer le final. Plus comme une ambiance, une note de fond…

    • zogarok mars 30, 2013 à 15:01 #

      Bien sûr que ça va de soi, c’est pour ça que Yuzna est aussi doué. Pour moi le propos est trop intense et étendu à chaque aspect du film pour être simplement un « arrière-plan ». Mais j’aime TOUT le film, simplement ma transe vient de la crise du personnage et de son heurt à la réalité, plus fantasque et simple qu’il ne l’aurait cru. C’est, comme « Blue Velvet », un chef-d’oeuvre sur le passage à l’âge adulte, sauf qu’ici la dimension sociale prend le pas sur la psychologie.

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