LE VRAI CLIVAGE EN 2012 : AUSTÉRITAIRES VS ANTI-AUSTÉRITAIRES

6 Oct

L’échiquier politique n’est pas lisse, pas horizontal, pas éternel. Il est particulièrement bousculé aujourd’hui ; cependant, les rapports de force et les équilibres idéologiques réels ne sont pas assimilés sitôt leur exercice et leur influence effective. Il faut du temps pour que les clivages authentiques soient plus transparents, alors que les schémas anciens restent, servant éventuellement à nommer ce qu’ils ne recouvrent pourtant pas (un anti-austéritaire serait de gauche, un austéritaire de droite), servant aussi à maquiller des logiciels ou à travestir la crise de modèles sociétaux, culturels.

Aujourd’hui, nous observons que les partis censément « progressistes » (PS, MoDem en France) aménagent des programmes d’austérité, alors que les partis « conservateurs » et « modérés » (UMP, Nouveau Centre en France) assument ces programmes. Il s’agit pourtant de planification économique, un principe que les mêmes considèrent comme archaïque et qu’on juge tombé en disgrâce jusque chez les révolutionnaires des mœurs et les anarchistes de salon.

Il semble qu’on ait confondu progressisme et modernisme béât, ou progressisme avec soutien de l’ordre établi. Or si l’ordre établi est éventuellement un ordre en mouvement, comme c’est le cas aujourd’hui, il n’est qu’un ordre différent d’un autre révolu (celui défendu par les « conservateurs » et les « réactionnaires » de la droite de l’UMP). Mais cet ordre en mouvement n’est pas légitime pour la simple raison qu’il domine (ne serait-ce que culturellement ou auprès de l’élite médiatique, polémiste et/ou intellectuelle), il n’est pas non plus davantage éclairé que ses antagonistes parce qu’ils prône des valeurs plus relativistes ou autrement coercitives.

En face, les partis populistes, dogmatiques ou sulfureux s’avèrent anti-austéritaires. Invariablement. De vieilles formations socialistes ou sociales-démocrates, aux postures éventuellement poussives (Front de Gauche en France) revendiquent leur opposition à toute austérité au nom de l’égalité sociale, ou d’une certaine vision des rapports sociaux ; les mouvements  »xénophobes », national-populistes et  »autoritaires » rejettent cette austérité qu’ils jugent comme une ingérence ; l’ensemble des inclassables (souvent relégué pour cette raison soit au centre, soit à l’extrême-droite) combinent ces deux motifs, évoquent autant la crise de Civilisation que l’impasse d’un modèle économique, le racket institutionnel que l’annihilation des droits et de l’identité.

Les formations et idéologies prenant le parti du peuple, ou au moins se souciant de l’intégrer ou de l’accepter dans leur démarche politique (même si le peuple est éventuellement sale, inculte, intolérant et mal élevé) refusent que l’austérité s’abatte.

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Deux croquis pour visualiser l’échiquier politique. Pardonnez la forme, visez l’effet.

  • 1 : Gauche/Droite + Volonté de Rupture avec l’ordre actuel / Acceptation. Ces deux pôles sont, à mon sens, l’équivalent pour notre époque des dualités mêlées Souverainisme-Mondialisme & Antilibéral-Néolibéral.

  • 2 : Gauche/Droite + Austéritaires / Anti-Austéritaires

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A quel moment la relation à l’ordre en vigueur a le plus d’importance ? En période de crise, de trouble, de mutations.

Quel est la ligne de fracture la plus déterminante ? Celle qui concerne la vision ou l’appréhension de l’avenir.

 

L’ordre actuel est le clivage. Nous sommes donc dans une période de transition, à laquelle s’adaptent tant bien que mal les partis.

L’ordre actuel et le rapport à l’austérité se confondent. L’Austérité fait le clivage et définit l’ordre actuel. L’Austérité concentre donc l’ensemble des rapports de force conséquents, au-delà de la simple sphère économique ou du débat autour de l’Europe.

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Comment tout ceci se structure-t-il en France, comment se calque ce rapport à l’Austérité ?

  • le PS (comme les libéraux-bourgeois de gauche et beaucoup de libéraux-démocrates) feint de rechigner, mais s’y plie et ne trompe que les moins avertis ;

  • le FDG et une certaine frange de la gauche radicale et socialiste sont empêtrés dans quelques contradictions mais peuvent capter l’air du temps, moins les aspirations populaires ;

  • l’UMP comme les  »centristes », la droite libérale et les républicains consensuels, appuie les processus en cours, ses postures populistes n’étant pas crédibles, même si elles restent tenables grâce aux cibles sociologiques prises en otage et à de nombreux réflexes de famille politique ou de carcans idéologiques ;

  • EELV, comme les écolo-progressistes, les libertaires, sont des réformistes contradictoires et complaisants ;

  • le FN réunit les droites plus ou moins marquées pour un programme alternatif, et déborde de toutes parts, même si sa définition peut paraître floue ou en pleine mue. C’est le parti qui se soucie le plus de l’angoisse populaire et l’angoisse identitaire, ce qui engendre ses fameux « dérapages ». C’est celui qui prend en compte frontalement la réalité, globalement, et prend, par sa nature plus que pour une quête délibérée, le contre-pied des ordres actuels ;

  • Le Modem, par européisme, pragmatisme, goût du consensus et esprit accommodant, adopte une posture hybride, entre le stoïcisme allemand et l’espoir d’un libéralisme serein (à la façon de la « mondialisation heureuse »). Parfaite synthèse aussi entre son héritage de la démocratie-chrétienne et du centrisme, son discours social-libéral (et ses préoccupations timidement de gauche sur le sociétal), ses adhésions libéral-conservatrices (primat de l’économie sur le politique).

 

8 Réponses to “LE VRAI CLIVAGE EN 2012 : AUSTÉRITAIRES VS ANTI-AUSTÉRITAIRES”

  1. arielmonroe octobre 6, 2012 à 14:26 #

    C’est pas mal comme ça, on va plus vite au sujet. Intro, plan graphique, détails et comparaison. Ca c’est pour la forme. Un truc cependant, pourquoi ne pas placer les « eurocentristes » sur la première image ? Il me semble que personne ne se dit « eurocentriste », ais-je tord ? Et Jean-Marie le pen est en-dehors du Front national, c’est normal ? Pour tous les autres placements, je suis d’accord : Duflot, Tapie (un mec de droite pour moi, en tout), Valls (idem, un peu différent mais même résultat), Giscard… Moi non plus je n’ai jamais pris Mitterrand pour un pur homme « de gauche », ni un « socialiste » pur et dur (c’est lui qui a achevé les nationalisations), donc sa place peut paraitre bizarre mais je lui colle la même. Chirac est plus libéral je pense, mais limite à gauche… dur à définir. Pareil pour Ségolène.
    En revanche, le Modem tend davantage à gauche maintenant et il est peut-être encore plus libéral que le PS sur certains points… Dur à définir aussi, surtout que ça se vide un peu au centre.. La définition qui suit permet d’éclaircir (social-libéral et « européiste », terme un peu d’anti-européens je trouve).
    Enfin le Front National est peut-être anti-austérité, mais parce qu’il n’est pas au pouvoir… qu’en serait-il sinon ? et s’il devient un parti de droite « normale », qu’est-ce qu’il va devenir ? Par contre il ira plus vers le centre, la modération, l’ouverture et Marine Le Pen a un discours social de gauche, qui est celui que je retrouve ici des fois (comme quand vous l’avez soutenu), et qui séduit aussi, mais qui ne sera peut-être pas cohérent quand il faudra faire des choix et assumer.

    • zogarok octobre 6, 2012 à 16:19 #

      Questions intéressantes. Dans l’ordre :
      – « eurocentristes » : personne ne se désigne ainsi, mais beaucoup se réclament d’une idéologie et d’un positionnement qualifiable ainsi. Ce n’est pas employé parce que ça renvoie à une autre signification, celle qui fait de la culture européenne la matrice de la culture mondiale… Pas terrible pour signifier une ligne modérée et libérale. Mais l’ « eurocentrisme », c’est l’aile droite de Bayrou et l’aile gauche de l’UMP : au centre/centre-droit sur l’échiquier classique, très favorable à l’intégration européenne, vaguement social et plus clairement écolo, peu pro-active, plutôt « catalyseur ».
      – JMLP hors du FN : la zone d’influence des partis cerne la masse du parti et de ses tendances, en tentant d’inclure ses composantes plus marginales ou plus radicales. Le FN tel qu’il est aujourd’hui n’est pas totalement adéquat avec celui de Jean-Marie Le Pen. Il a toujours défendu la proportionnelle, les petits commerçants, dénoncé l’immigration, promu la préférence nationale ; mais il est aussi beaucoup moins ouvert à toute forme d’état-providence ; et même s’il arrive à MLP d’évoquer « l’assistanat », elle-même tient quelquefois des promesses qu’on pourrait considérer favorables aux « assistés ». En revanche, il est quasiment aussi anti-austéritaire qu’elle, pour des raisons de souveraineté bien sûr, de culture libérale (au sens strict, initial) aussi.

      * Tapie est un « libéral-populiste », comme Sarkozy. C’est tout. Ce n’est pas forcément « mal », simplement c’est ça.
      * Chirac est dur à définir parce qu’il était un hollandiste lui-même… Comme un artiste, il a ses « périodes »… Gaulliste conservateur en 81, Copé lissé en 83, capitaliste débridé en 86-88, radical-socialiste en 95… Une pute, en quelque sorte.
      * JMLP a déjà évoqué « une alliance avec une UMP minoritaire ». C’est à espérer pour eux, néanmoins il en sortirait plutôt une vaste cacophonie… Une alliance avec des forces plus indépendantes serait peut-être plus productive, même si ça implique de gros changements dans les perceptions et une couverture médiatique incertaine. De quoi favoriser une autre alliance, libéral-populiste à la Tapie/Sarkozy associé aux centristes du PS et du Modem… Pas sûr que ça arrive tout de suite, de tels cas de figures émietterait le paysage politique et les grosses machines actuellement dominantes n’aiment pas ce types d’incertitudes…

  2. Voracinéphile octobre 9, 2012 à 21:23 #

    Intéressante répartition, c’est en effet le point primordial dans la « politique économique », puisqu’il va régir notre comportement national pendant de longues prochaines années. Les schémas sont en effet assez clairs dans leur répartition, hélas je ne connais pas assez la personnalité de certaines personnalités politique pour « apprécier » suffisamment la pertinence du classement. Toutefois, une petite question me turlupine : où se situerait Edouard Balladur sur le premier schéma ? (pour info, c’est pour satisfaire une curiosité comparative avec Nicolas Sarkozy).
    Le deuxième schéma est un résumé concis, rien à redire là dessus. J’adhère.

    • zogarok octobre 9, 2012 à 23:59 #

      Ca c’est sûr, mais on imagine mal à quel point… Le TSCG vient d’être adopté. Deux articles vont venir rapidement, juste après celui qui sera publié dans quelques minutes. Les jeux sont fait, reste à comprendre. Au moins.

      Trace une diagonale « imaginaire » entre Tapie et Hortefeux, Balladur est au milieu.
      Sarkozy est un petit chevalier-servant néolibéral, alors que Balladur était plus passif à ce titre, sans la passion du modèle anglo-saxon et des USA notamment.

      Dans le second on voit que la « Droite populaire », c’est-à-dire les « fachos » de service de la droite gouvernementale, sont à l’arrivée austéritaires et même tout à fait pro-européens. Ils n’ont rien à voir avec les souverainistes, bien qu’on tente de les confondre et que certains crétins croient qu’il tisse un lien vers eux ; ils n’ont à voir avec le FN que pour les outrances et les convictions de beaufs.

  3. Voracinéphile octobre 10, 2012 à 21:31 #

    Merci d’avoir clarifié la nuance avant que je ne pose la question sur la droite populaire. Ils ne retiennent donc du FN que les postures agaçantes qui font les choux gras des médias.
    Je vais jeter un coup d’oeil déjà sur internet pour le TSCG (à titre d’avant goût). Ca m’a échappé quand j’ai lu la presse ces derniers jours…

    • zogarok octobre 11, 2012 à 11:01 #

      Dont le FN lui-même fait ses choux gras ; Wauquiez vient de se déclarer fan de Lady Gaga, chacun doit essayer de « faire peuple » à sa manière. Quand on veux s’adresser aux catégories les plus marginalisées, c’est normal de céder, parfois, à une rhétorique pas très subtile sur le plan des valeurs. Mais en vérité, ce conservatisme des moeurs est partout.

      Il faut s’informer sur ce TSCG, juste savoir de quoi il s’agit. Il y a de quoi le prendre avec catastrophisme ; mais ce genre d’étapes fait aussi partie de l’Histoire, de l’évolution Humaine. Il vient un moment où certains sont contraints de se dépasser et de s’adapter pour survivre. On y sera de façon plus « officielle » maintenant. Le problème, c’est quand il n’y a pas de compensations et qu’un système a toutes les cartes en main pour partir en roue-libre ; et on y est là aussi.

  4. chonchon44 octobre 13, 2012 à 12:03 #

    Je retiens de ce bel article « crise de civilisation ». Tout est dit. Et tous ces beaux parleurs n’ont aucune solution.

    • zogarok octobre 15, 2012 à 09:46 #

      Oui, ce n’est pas vers la politique qu’il faut se tourner pour s’épanouir ou trouver une orientation juste. Nous sommes à l’âge des consommateurs, pas des héros ni des combattants ; ce n’est que lorsque la majorité souffre intensément dans son quotidien que le changement a un sens, et quand elle est frustrée dans sa majorité que le progrès est nécessaire.

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