LES NEIGES DU KILIMANDJARO =+

24 Nov

Je sais que j’ai été ‘souple’ avec Gloria mundi dont je suis loin d’être la cible naturelle, je m’avançais donc vers cet autre film de Guédiguian en étant prêt à être exclu et surtout ennuyé. Effectivement, je n’ai pas de sympathie pour cet univers terne et baveux (les culpabilisés compulsifs, toujours à se demander si vous avez une âme : écoutez la musique de ce film et vous la sentirez – s’enfuir), pour ce Darroussin à la fois digne et assommant, pour cette tendresse politisée ; j’en ai par contre pour les idéalistes sachant faire leur auto-critique sans se laisser abattre et pour les peintures justes des caractères. Même en étant un peu mielleux, le film excelle dans son exposition de ‘gens petits’ et sobres aux existences médiocres – prolos modérés, sociaux, écrasés mais pas démunis (et adhérents à la CGT).

Rien de flamboyant, pourtant comme ils sont de gauche, ils se sentent ‘bourgeois’ pour si peu. Ils éprouvent ce sentiment d’imposture autrement noble que la crainte de devenir un vieux con ; ils se demandent : sommes-nous de ces salauds en pleine normalisation, en train de dissimuler à eux-mêmes et aux autres leur bassesse derrière quelques beaux gestes et de grands idéaux ? Le peu qu’ils accumulent est à partager ; le malheur du monde, ils ne peuvent y remédier, mais ils doivent prendre leur part – si cette part vient à eux, tant pis si c’est brutal, c’est qu’ils dormaient trop ! C’est qu’ils profitaient de la vie et des cadeaux de l’entreprise comme si on pouvait être serein quand la misère reste à proximité. Ils ont une responsabilité contre la fatalité – et elle n’est pas un prétexte pour devenir des persécuteurs persécutés ; il y a une telle pureté ici que cette mesquinerie, pourtant omniprésente dans le moindre troupeau de gauche ou à revendication même la plus locale et bénigne, n’est même pas envisagée (par contre l’orgueil du justicier et l’étroitesse du militant ‘éveillé’ sont mentionnés).

Cette absence d’accusation des déviants ou égoïstes semble venir aussi de la confiance dans l’inévitable victoire de la bonté, donc [la conviction] qu’une âme non convertie sera tourmentée (tout comme un individu loin de ses racines et de sa communauté historique éprouve un manque, dans Le voyage en Arménie). Il y a un côté religieux, providentialiste, soutenu par l’illusion de création de l’abondance – non seulement l’amour et la dévotion doivent venir à bout de tous les maux, à condition d’une patience et d’un dépassement de soi constants (mais galvanisants), mais surtout il y a cette insouciance envers l’intendance et l’économie – à la fois une vraie pression [elle est identifiée et reconnue] et un faux problème, car l’essentiel est censé être ailleurs. Mentalité typiquement bourgeoise diraient probablement les marxistes, les antilibéraux et tous les damnés à perpétuité ; mentalité révolutionnaire en vérité, sans -dans le cas présent- la part infantile généralement inhérente, mais toujours difficilement soutenable. Autrement dit : utopiste. C’est d’ailleurs ce qui pose un plafond de verre à ce Kilimandjaro – il est proche sinon au mieux de ce que des objectifs et expressions angéliques et ‘anti-fonctionnels’ peuvent fournir, sans recours aux arguments techniques – le dire n’est pas être désobligeant envers ce film, sur la forme il joue dans la cour des productions télé davantage que celles du grand écran.

La beauté dans ce film, ce n’est sûrement pas celle de Marseille dont l’équipe est manifestement amoureuse, c’est ce regard véhiculé, cette abnégation joyeuse. Le couple en particulier est à la fois ridicule sur le plan matériel (son ‘sacrifice’ est stupide, il génère une frustration légitime de la famille et de l’entourage) et remarquable par son courage – il est, réellement, irréprochable. Le film salue un héroïsme de gauchiste adulte tout en montrant la facture (ici, le prix du pardon et de la générosité). Sa limite c’est aussi sa vertu : il ne voit personne d’irrécupérable ou de complètement toxique (mais ce serait destructeur dans l’absolu comme pour son idéal de présenter une telle lie). Ce refus de l’endurcissement et du cynisme n’implique pas un déni de la réalité, ou de façon indirecte, dans la mesure où l’espoir est une forme de déni. J’apprécie le choc entre l’utopie et les gifles de réalisme ; voir des gens persévérer en dépit des sanctions et déceptions, sans devenir confus ou hystériques, quelque soit leur mobile et tant pis si je le trouve débile. C’est aussi honorable que le cinéma de Loach est lamentable et laid ; c’est la différence entre se fixer sur des miséreux victimes éternels et observer des humains avec une conscience, capables de faire des choix et de s’ajuster quand ils se sont loupés, de se tenir droit et de faire passer ses normes d’absurdité à réalité.

Écriture 6, Formel 4, Intensité 7 ; Pertinence 7, Style 3, Sympathie 7.

Note globale 66

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