SOUTHERN COMFORT – SANS RETOUR +

30 Juil

Walter Hill est un cinéaste multiple : yes-man prodige, animateur audacieux, héritier ambitieux et très carré des crades et méchantes seventies (il est au scénario du Guet-apens de Peckinpah). Il a fait de superbes cadeaux au système hollywoodien, comme 48 heures, crucial pour la redéfinition des buddy-movie (tellement qu’il contient déjà Eddy Murphy). Juste avant lui, il signe Southern Confort, son cinquième film, vu comme le meilleur, ce qu’il est probablement. Survival militaire, faux film de guerre et thriller psychologique (en système et non en détail), Sans retour fait écho au Délivrance de Boorman (1972). Il est dans la continuité pour les grandes lignes, en rupture dans son appréciation et ne partage pas la dimension polémique (Délivrance est directement engagé et son idée de l’Homme absolument sombre ; Sans retour évite d’universaliser). C’est aussi un anti-Rambo (1982) – dans les deux cas, le bayou est un substitut de la jungle à l’étranger.

1973, neuf membres de la garde nationale sont en exercice militaire dans les marécages de Louisiane. Différents représentants des forces de l’ordre sont réunis, variant en postes, en grades et en vécus. C’est la foire au masculinisme outrancier, parfois juvénile, avec ce que ça peut comporter de crétin et de névroses éclatantes – même s’il y a des nuances dans l’équipe. Excités par la promesse de sensations, les recrues s’autorisent à emprunter les canoës de « péquenauds » locaux pour traverser une rive ; lorsqu’ils se pointent, un des jeunes tire sur eux. C’est le début des ennuis, c’est-à-dire d’une lutte pour la survie à l’intérieur d’un lieu hostile et inconnu, avec des adversaires armés, furieux et lésés aux trousses. La petite troupe de soldat a joué, s’est exposée et réalise soudain qu’outrepasser ses droits a un prix susceptible de plomber l’ambiance – et quelques cervelles.

Le film met du temps, non à lancer les hostilités, mais à dérouler l’action et à verser dans l’horreur. Quand l’allégresse du départ est anéantie, l’état d’esprit la présidant ne s’annule pas mais se déplace : l’hystérie et bientôt la démence prennent le relais pour démentir la réalité et étourdir la conscience. Les enjeux et la conscience du péril mortel ne poussent pas ces hommes à des réactions coordonnées ou à se protéger : l’urgence à entretenir le déni est bien plus forte. Par conséquent les militaires sont dans la fuite en avant et se bercent dans une espèce d’insouciance, non par une prise de recul, mais par l’exagération et l’agitation qui couvrent les choses telles qu’elles sont. Leur agressivité est comme le reste : primaire ; cette primarité soulage en apparence, envenime dans les faits. L’imagination s’emballe elle aussi, sans rendre de compte, la mauvaise foi et le repli sur des rôles n’effacent pas les actes ni leur nature – et leurs victimes le sauront, pendant qu’eux cherchent à se convaincre. Par conséquent les militaires montent la pression tout seuls.

En effet les ploucs sont certainement derrière à les poursuivre, mais on ne les voient jamais. Le focus du film est sur les militaires. Concrètement, les poursuivants affectent au minimum les mauvais soldats (mauvais car en se comportant comme une tribu de mercenaires, ils deviennent des autorités illégitimes) ; c’est eux qui s’entre-déchirent, se disputent dans de vains conflits de couilles ; et c’est leur hiérarchie qui est faible et complaisante. Car les leaders, dont un est vétéran du Viet-Nam, rappellent les règles, s’énervent parfois, mais ne font rien pour calmer véritablement les bourrins, ou pour stopper le mouvement. Ainsi tout ce monde s’installe dans le délire, avec pour adversaires des épouvantails hirsutes, presque cartoonesques et perçus comme des genres de sous-homme. Au milieu des gorilles en vert et de leurs responsables (ou aînés), le péquenaud capturé est complètement apathique, abruti par l’absurdité de la situation – tout à fait censée en revanche dans le délire de ses agresseurs, en train de se tailler un champ de bataille auprès de la civilisation, une apocalypse faite maison.

La démonstration (qui n’est pas théorique) justifie les personnages plus que l’inverse. Ils sont bons relativement à elle ; par eux-mêmes, ils sont sommaires, quelquefois limites d’un point de vue strictement réaliste. C’est le cas notamment des autochtones, dignes d’une génération d’avant ceux de Calvaire de Du Welz, quand ils étaient encore humains et diversifiés (dans les deux cas le lien avec une culture significative repose sur la musique). Le point de vue réaliste n’est de toutes façons pas celui de Hill sur ce coup. Dans Les guerriers de la nuit comme dans Driver, la sublimation l’emportait déjà, au service du ras-du-bitume [au sens propre] ; dans Le bagarreur (premier film) Bronson est au fond le seul élément refusant de passer au rouleau-compresseur du 100% vraisemblable, en même temps qu’il refuse les attaches immédiates. Avec Southern Confort, Hill résout les tensions en allant de façon linéaire vers la subjectivité totale, tout en soulignant le processus. Il décontextualise les rappels au réel (les menaces, attaques ou accès de violence) tout en indiquant explicitement que les biais des militaires sont à l’œuvre dans ses perceptions (au travers des nombreux échecs, des mesures inadéquates, etc). Les hommes forcent leur cauchemar, inconsciemment mais vigoureusement, jusqu’à ce que la réalité les dépassent.

Tous ces éléments font de Southern Confort une représentation de la paranoïa brillante ; assez pour garder de son éclat comparée au chef de file Conversation secrète (Coppola). Dans l’arrière-monde des ploucs, au moment où la joie éclate et tous les indicateurs passent apparemment au vert les concernant, l’issue tant crainte se profile et trouve des objets sur lesquels se fixer. À force d’être justifiée, la peur devient avisée. Les hommes redoutent une sanction qu’ils savent mériter, ou du moins qu’ils devraient sembler mériter compte tenu des événements dans lesquels ils ont été impliqués (même si la responsabilité incombe plutôt à d’autres membres de l’équipe). Les fantasmes persistent parce qu’on a fourni à la réalité des éléments plaidant en leur faveur. En accompagnant cette terreur, la mise en scène s’achève dans une pseudo-confusion, en fait un yo-yo entre soulagement et promesse d’agression. Southern Confort offre une brillante illustration de l’effet Koulechov. Elle l’exerce sur le spectateur et sur les protagonistes, mais les premiers peuvent toujours profiter de leur distance : elle permet de voir plus net, pas forcément de mieux anticiper.

Note globale 76

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