BATMAN RETURNS / BATMAN, LE DÉFI ++

27 Juil

C’était le temps ou Burton refusait d’intégrer des gimmicks poussifs (Robin en l’occurrence – les producteurs s’en remettront à Schumacher) et de transiger sur son autonomie artistique. Le succès de Batman lui ayant permis de confectionner comme il l’entendait son si personnel (mais à l’aura et aux charmes contestables) Edward aux mains d’argent, Burton a pris goût à la liberté et sait désormais parfaitement canaliser son imaginaire. Il va alors réaliser ce qui demeurera l’un de ses meilleurs films avec Ed Wood et Mars Attacks ! (aujourd’hui, après Alice au pays des merveilles, il semble que ce tryptique soit indétrônable – mais, sait-on jamais…).

Moins bancal que le premier Batman (ce qui ne le rendait pas moins jouissif et, déjà, bluffant sur le plan plastique comme pour la prestation de Nicholson), ou le kitsch l’emportait sur la profondeur psychique des personnages, Batman Returns voit Burton atteindre une symbiose presque absolue avec le matériau cinématographique, en lui appliquant plus habilement que jamais l’emprunte de ses rêves. L’esthétique burtonienne est subjuguée par les influences expressionnistes, déjà en vigueur dans le premier Batman, mais poussées ici à leur plus haut degré. Un tantinet gothique naturellement, le film est aussi ludique, avec les gadgets du Pingouin, arguments majeurs pour constituer un film-culte. Massif et ténébreux, ce second volet de la saga marque probablement le paroxysme burtonien ; c’est un peu son Lost Highway à lui.

Batman Returns est une farce mélancolique, investie comme telle dès son intro avec le prologue de l’histoire de ce Pingouin, monstre obscène, erreur de la Nature décidée à prendre sa revanche, dont Burton en fait une figure christique en son genre (les 33 ans -évoquant Jésus-, le berceau sur l’eau – rappelant Moise). C’est aussi un conte adulte ou des êtres jouent la nuit aux méchants ou aux super-héros. D’une noirceur sans égal dans la mythologie Burtonienne, avec ses héros vulnérables, ses méchants attractifs et la bad romance entre Bruce/Salina (Batman/Catwoman), Batman Returns met en lumière et insiste sur la dualité de ses personnages tout en invitant à éprouver une sympathie infinie pour les méchants. Sauf que cette fois, ce n’est plus au détriment de Batman, certes encore moins présent, mais lui-même devenu beaucoup plus ambigu. Car les méchants devenant héros du film, Batman se doit de rivaliser et de se révéler plus tortueux qu’il n’en a eu l’air. On le découvre alors lui-même à la frontière entre le Bien et le Mal (sujet passablement esquivé dans le premier opus) commandé par une volonté de puissance, tuant les criminels au lieu de sagement les mettre hors-piste.

La galerie de personnages grandiloquents, hargneux et destructeurs face au Monde est composée de trois adversaires plus ou moins directs de Batman, tous aussi pervers et marquants les uns que les autres. Il y a d’abord, bien sûr, l’incroyable Pingouin, qui aspire à la reconnaissance mais privilégie la fureur au détriment du reste et quelqu’en soit les conséquences, y compris si elles se retournent contre ses ambitions. Puis Selina, secrétaire esseulée se muant en femme castratrice avec Catwoman. A leur côtés, l’industriel Max Shreck (nom de l’acteur interprétant Nosferatu dans le film éponyme de 1922), être avide et opportuniste (c’est un traître né – même ses alliés les plus intimidants en font les frais), sorte de parangon de pseudo-surhomme et du cynisme capitaliste, est une source du Mal, puisque c’est lui qui les pousse au crime et à la violence, délibérément pour servir ses intérêts (avec Oswald), malgré lui à cause de sa cruauté ordinaire (avec Selina). Si l’amour impossible et les prestations hypersexuées de Catwoman/Selina troublent parfaitement, le plus grandiose de ces monstres demeure le Pingouin, dont la personnalité synthétise avec précision le propos de Burton.

Car parmi ce qui compose, de manière générale, le pessimisme de la vision de Burton, il y a d’abord ce mépris des masses. La foule de Gotham City est stupide, manipulable et uniforme, elle n’a aucun caractère ; c’est comme un cadeau aux fascismes de toutes natures. Comme dans Edward, les êtres sont souvent normés avant même d’être des individus, et ces êtres, menaces en eux-mêmes dans le film précédent, ne sont désormais plus que des outils. Ce qui ne les rend pas moins dangereux, mais surtout plus lamentables et insignifiants encore.

Thème central des Batman burtonien, la manipulation publique, autrefois exercée par un Joker séducteur, l’est maintenant par un Oswald le Pingouin horripilant. Criard, obscène, répugnant, il a tout pour repousser son auditoire ; mais c’est un orateur délirant, un tyran en puissance. Il exalte les passions de ses sujets pour livrer son propre combat. Le public dans le réel du film est conquis, parce qu’il est toujours en quête d’un messie improbable et charismatique. La difformité du Pingouin, elle, reste un handicap. Pour le spectateur, sa monstruosité attire et la détresse, qu’il met en scène ou qu’il maquille, est touchante.

Burton expose ici une vérité profonde ; l’artiste est un dictateur putassier. C’est autrement moins fade que l’idéal de l’artiste-humanitaire qu’était Edward ; ici, l’artiste est agressif et non plus passif. C’est ce qui le rend fascinant et attractif, plutôt que simplement attachant et d’une virginité exemplaire. Burton sort de ses névroses qui lui ont fait élaborer un produit somme toute aussi consensuel que Edward aux mains d’argent, pour exhiber le dessein qu’il se figure pour le Monde entier.

Bien que considéré comme une pierre angulaire des films de super-héros aujourd’hui (quoique le film n’incarne aucun courant, ne renvoyant qu’au meilleur de Burton), Batman Returns est assez chahuté à sa sortie en 1992. Les critiques sont très tranchées et le public modéré (bilan financier très décevant). Les studios souhaiteront une suite moins sombre, moins mature, moins déroutante et confieront le second tiers de la saga à Joel Schumacher qui en fera une farce légère, peut-être un peu trop, au défaut de scénario évident et aux dialogues indigents. Et c’est sans compter sur une mythologie totalement écorchée et ramenée aux exigences de bases du blockbuster : tandem malicieux, humour lobotomisé, action effrénée, style et registre éprouvés. Il faudra attendre Nolan pour que la chauve-souris masquée retrouve grandeur et ambition.

Note globale 86

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4 Réponses to “BATMAN RETURNS / BATMAN, LE DÉFI ++”

  1. MaxLaMenace89 juillet 29, 2012 à 13:07 #

    Deux magnifiques opus de la part de Burton, incomparables au boulot fait récemment par Nolan. Ce second opus démontre encore plus la passion viscérale – voire romantique – qu’à le cinéaste pour ses bad-guy, et comme tu le dis leur implication ne manque pas d’acidité et de pessimisme. Faut aussi citer la magnifique partition musicale de Danny Elfman.

    • zogarok juillet 29, 2012 à 21:01 #

      Sur la BO – elle s’imbrique mais ne se démarque pas pour le néophyte que je suis. On peut l’évoquer si on énumère les démonstrations de puissance stylistique, ou si on est un connaisseur.
      Avec BEGINS, les deux opus burtoniens sont mes préférés de la saga. Pas encore vu DARK KNIGHT RISES.
      Avec Burton, il y a « bad-guys » (le Joker puis le Pingouin) et looser pathétique… J’ai peu de patience avec les histoires de poètes maudits. Je n’aime pas beaucoup EDWARD, ni le film ni le personnage… tout y est très complaisant et conservateur, derrière l’ « anticonformisme » de bazar. Effectivement Burton est très proche de ce personnage, comme il s’en réclame.

  2. Voracinéphile août 1, 2012 à 16:41 #

    Aha ! Une chronique pour le moins détaillée, on y retrouve bien le discours du premier film avec plusieurs développements. Notamment celui sur la population de Gotham qui se laisse influencer avec une facilité déconcertante (acclamant le pingouin aussi rapidement qu’elle le chassera). Toutefois, après avoir revu les deux premiers Batman, j’ai réévalué ma position pour lui préférer son prédécesseur. La touche gothique des décors est magnifique, mais le Pingouin m’a moyennement intéressé (c’est le méchant le plus développé du film). Sa quête identitaire était en effet le principal argument pour toucher le spectateur, et son parcours reproduit bien la pensée Burtonienne pour le Freak (comme Edouard, il retourne dans son antre, mais il n’abandonne pas le monde extérieur, il tente de se défouler sur lui). Mais je ne me suis jamais vraiment attaché au personnage. Si son physique repoussant ne m’a pas particulièrement gêné (une fois passé le cap de la découverte), les dialogues du personnage ne m’ont pas emballé plus que ça, et l’humour qui lui était associé n’a jamais vraiment fonctionné (une ou deux répliques marrantes, mais j’ai trouvé le reste lourd).
    Sélina Kyle reste en revanche l’un des personnages les plus intéressants, sorte de maîtresse SM lâchée dans les rues qui va taper sur tout ce qu’elle voit. L’adaptation du personnage la plus intéressante quand on voit les mornes tentatives de Nolan ou de Pitof… Max Shreck est en revanche mon préféré, le mordant du personnage étant efficace pendant tout le film et l’interprétation de Walken étant parfaite jusqu’au bout. Le tyran industriel doté d’une certaine répartie et méprisant ses subalternes avec un aplomb désarmant, c’est clairement le genre de « caricature » que j’aime voir sur grand écran. D’autant plus que, comme tu le soulignes, il est pour beaucoup dans l’apparition du Pingouin et de Catwoman.

    • zogarok août 2, 2012 à 17:13 #

      Tu me rassure sur ma propre adoration du premier Batman, je me sens parfois seul… BATMAN RETURNS est néanmoins plus achevé, plus vaste aussi, il est objectivement le meilleur ; néanmoins, BATMAN est tellement envoûtant, il s’éparpille moins et son sujet essentiel est l’un de mes personnages ciné favoris. Le Pingouin n’a pas la même valeur, quoiqu’il soit marquant ; en revanche, les deux autres personnages m’intéressent moins contrairement à toi, surtout Catwoman (d’ailleurs, les traits « d’humour » sont bien lourds à son endroit). Pour le côté omnipotent cynique de Max Schreck, je vois bien ce qui t’amuse – on retrouve déjà le même aspect chez le Joker par Nicholson, avec le côté histrionique et délirant en plus. Nicholson a souvent ces rôles d’ordures flamboyantes (Les sorcières d’Eastwick par exemple), ça le suit jusque dans ses compositions plus « posées » (Mars Attacks).

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