BEGOTTEN +

27 Avr

Elias Merhige sera consulté cinq ans après cet exploit par Marilyn Manson pour son Antichrist Superstar (l’album de sa révélation) ; la concordance de certains graphismes, notamment avec cet ange issu des cendres et ce messie macabre et décharné, devient évidente. Il avait déjà tourné quelques courts-métrages auparavant entre 1983-86, tous passés aux oubliettes et dans l’ombre de ses réalisations plus complètes ; plus tard il livrera sa version de Nosferatu avec L’Ombre du Vampire, autre objet expérimental re-écrivant le tournage du film-phare de Murnau.

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Aux sources du monde

Bardé de symboliques religieuses comme pour se muer en témoignage exhaustif des premiers pas de l’Humanité, Begotten est le produit d’un mystificateur absolutiste. Il n’est pas tout à fait impénétrable, car l’attention et la connaissance des références, ou plus prosaïquement un plan grossier pour interpréter l’action, permet de déflorer l’opacité ; néanmoins reste toujours un climat indicible soutenu par la BO pénétrante d’un certain Evan Albam. C’est primitif, sans individus et sans parole, avec une horde, un messie et sa génitrice et leurs multiples formes.

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Merhige envisage rien de moins que de représenter sans l’expliciter l’origine du monde, restituant le cheminement précédant la création de la vie humaine, avec ses avatars empruntés à diverses mythologies et mixés par l’imaginaire de l’auteur. Il visualise une naissance animiste, par la chaire, la violence et le sacrifice ; le résultat est indécent comme une confession impure, déstabilisant et massif comme une révélation qui serait en fait la levée d’un voile entretenu semi-consciemment, par peur du grand saut.

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Ce noir et blanc, ces images surréalistes, inspirent le sentiment de revenir au chaos de l’éveil (donc à l’origine ou bien à l’après-apocalypse), où la vie est une guerre et la nature a libre court, dans toute son obscénité et sa puissance sans entrave. La réminiscence d’un état de conscience bucolique et primaire, en contact avec la spiritualité la plus sèche, pressé à observer son immanence matérielle. Merhige filme le moment où l’Homme n’existe que comme un animal perplexe, en mal de tribu, de logique, d’ordre et de contrôle sur son environnement : en mal de civilisation et privé de sens, mais déjà terrassé par des lois organiques et des croyances abstraites qui sont celles d’un enfant à l’abandon.

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Une cohérence mystique

En parler comme d’un film « trip » est réducteur, voir idiot : Begotten se présente d’abord comme un reportage aux sources de l’existence, à l’intersection entre le néant et la vie concrète, mais à un niveau de conscience et de consistance embryonnaire. Le monde physique le plus concret et les forces invisibles ne font qu’un ; l’Homme y est en tant qu’animal spéculatif désarmé. C’est ce que figure ce poème visuel : ce n’est pas le simple déversement de pirouettes relevant de la caméra automatique, comme le prétendent quelques-uns de ses adulateurs en mal d’icônes  »arty » à la profondeur si insoupçonnée que jamais on ne la jauge.

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Au contraire Begotten (ce titre signifie « engendrer ») a un objet et un but précis (plonger dans la préhistoire de la conscience humaine), avec un moyen déroutant (cette emphase morbide où la vie est brutale, sensorielle, magique). Il tisse sa mystique autour de motifs opaques mais décelables. Idem dans la forme ; Begotten semble surgir d’une galaxie hardcore, mais sa logique est somme toute identifiable passé le choc esthétique. Et il est monumental, de l’ordre des Eraserhead, Philosophy of a Knife, La femme qui se poudre ou Tetsuo.

 

Un essai perturbant

C’est un sommet dans le cinéma de l’étrange, bien qu’il ne soit pas totalement satisfaisant, car on décroche aussi facilement qu’on y revient ; l’ambition du spectacle est d’être un film-total, délivrer une vision finale et impérative. L’objectif est atteint, malgré son incommunicabilité délibérée et donc son refus de pédagogie. Son autre limite, plus préjudiciable, c’est de somme toute manquer de matière et s’attarder sur des morceaux choisis en insistant de façon compulsive, comme un psychotique déchire sa maison pour remplir le néant en attendant de reprendre son souffle et son inspiration.

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Voilà vraisemblablement une expérience du tout ou rien, mais n’excluant pas non plus le scepticisme, l’incapacité à être évaluée : certains, probablement avec plus de galons dans l’exploration de l’underground ou des  »arts et essais », en sortiront ni convaincu ni rebuté, avec une appréciation numériquement moyenne, mais jamais une opinion ou des arguments de la demi-mesure. C’est que Begotten peut aussi bien provoquer l’hypnose que la léthargie du spectateur ; peut être vécu comme un rêve sombre ou comme un brouhaha assourdissant. Il y a fort à parier que le film peut être lâché au bout d’un certain temps pour qu’on y revienne plus tard, non seulement parce qu’il n’offre pas de points de repères limpides, mais aussi parce que sa vision aveugle l’esprit et crée la confusion. Que la démarche soit critique ou ludique, Begotten n’est pas spontanément absorbable et il demande à être assimilé. Cette capacité à méduser l’auditoire et généralement à le fasciner est son grand mérite.

Note globale 74

Page Allocine

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Voir le film sur YouTube (1h18)

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Voir l’index cinéma de Zogarok

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4 Réponses to “BEGOTTEN +”

  1. Voracinéphile avril 28, 2014 à 19:37 #

    Bon sang, l’un des films les plus hermétiques de tous les temps ! Le dernier paragraphe de la chronique est taillé sur mesure pour moi, qui ai un à-priori un peu mitigé malgré le choc visuel indéniable (c’est clairement un genre de film dont je raffole). Cet amateurisme extrême, ce grain particulièrement prononcé… Je me souviens aussi d’un profond attachement à la terre. Je vais me programmer un visionnage pendant les vacances, il est grand temps que je m’y confronte à nouveau (le choc passé, espérons que les brumes mystiques me laisseront disserter sur cette expérimentation).
    J’avoue pour l’instant lui préférer l’ombre du Vampire, qui à la cinéphilie référentielle s’ajoute un casting jubilatoire et de très belles séquences, parfois avec des dialogues ciselés (et une fin vraiment surprenante ^^).

    • zogarok Mai 4, 2014 à 14:27 #

      Amateurisme ? C’est relativement illisible mais travaillé.
      Je préfère ce Begotten, bien plus lancinant. L’Ombre du Vampire est un essai étrange lui aussi, mais le sujet est plus… étroit.

  2. arielmonroe avril 28, 2014 à 19:50 #

    C’est quand le retour des films normaux et compréhensibles sur ce site ? ^^

    • zogarok Mai 4, 2014 à 14:19 #

      C’est vrai, Schramm, Begotten, L’Ange et Cannibal tout cela dans un temps très proche, c’est peut-être trop.
      De Palma arrive pour corriger ça. C’est pas nécessairement « normal » mais largement compréhensible !

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