TOTAL RECALL +

11 Août

Attention : bien que sans spoilers, l’article qui suit évoque certaines pistes qui se révèleront -ou pas- au cours du film.

Désormais cinéaste américain et touché par la grâce [mais le talent et le labeur aident aussi] pour la décennie à venir [tous ses films seront d’immense succès avant son retour dans la Hollande natale en 2006], Verhoeven est en pleine possession de ses moyens lorsqu’il s’attelle à Total Recall. Deux ans après Robocop, nouveau coup d’éclat, ouverture à de nouvelles pistes pour la SF surtout : le film anticipe le recours abusif à un sujet fétiche du genre, consacré par les frères Wachowski et leur trilogie Matrix [parfois contestable, souvent jouissive] : la confusion entre  »réalité » et illusion.

Adapté de Philip K.Dick, Total Recall est pourtant à des années-lumières de son  »prédécesseur » Blade Runner, puisque plutôt que de dystopie, le film de Verhoeven s’intéresse au désordre entre vie intérieure, vie fantasmée et effective [ce que le triptyque évoqué n’emploie que comme prétexte, pour finalement l’ignorer globalement]. Dans un futur proche, un ouvrier de chantier [Schwarzenegger] intrigué par des cauchemars répétitifs le mettant en scène sur la planète rouge s’achète des souvenirs d’un voyage sur Mars. Mais la greffe dérape et l’individu est renvoyé chez lui… ou on lui affirmera bientôt que tout ce qu’il connaît est factice.

Ce que suggère le postulat lui-même est ambigu : à quel point le film repose sur l’altération de la mémoire, ce que nous voyons est-il l’  »ego trip » promis au héros ou l’un des faux souvenirs déjà intégrés chez celui-ci et auxquels se heurtent les techniciens ? A quel degré est-il lui-même, à quel degré est la manipulation. On suppose que Schwarzy est dans l’hallu qu’on lui a offert, mais le doute est toujours entretenu entre diverses hypothèses dont deux s’imposent plus particulièrement et donnent tout leur sens aux rouages du film : Mr.Terminator s’est-il emparé et aurait-il devancé les plans pour une virée schizo hors des sentiers prévus par la croisière mentale ; ou a-t-il atterri dans une réalité parallèle ou on le manipule ? Dans ce cas, cette réalité vient-elle des faux souvenirs antérieurs attribués par la machine, à moins qu’elle ne soit que l’espace mental, soit le terrain des aspirations du personnage ?

C’est surtout à l’idée de projection que s’intéresse Verhoeven ; avant de railler ses élans propagandistes dans Starship Troopers [son troll farceur géant], le cinéaste dynamite les scories hollywoodiennes par l’inconscient. Ou plutôt en représentant à l’écran de façon directe ce que celles-ci insinuent : l’  »ego-trip » fait écho aux fantasmes  »lambda » que Hollywood nourrit [l’exposition sirupeuse, voir assez lourde, avec Sharon Stone]. La quête identitaire du héros est ainsi celle, en quelque sorte, de tout spectateur acquis face à un film d’action ou d’aventures lui proposant de s’embarquer pour un leurre consenti [les archétypes sont là, assimilés et plus ou moins dysmorphiés : grosse BO assourdissante -épique ininterrompu- ; couple hétéro idéalisé ; black facétieux]. Et Verhoeven sait illustrer ses idées sans céder à l’évidence : ses dissertations sont toujours nimbées par des allures de blockbuster indiscipliné [parfois même, à la limite de la bouillie : mais attention, bouillie artificielle et réflexive] et globalement jouissives [pour ce qu’elles offrent à première vue, plus encore lorsque ceci est conjugué au décalage à l’oeuvre].

Ici affleure même un ton potache qui achève de donner le sentiment que ce Total recall serait croisé avec un ambitieux délire de Terry Gilliam, lui dont les tours de force paraissent si fragiles. Mais que la puissance de leur univers permet d’accomplir : idem pour ce second ique américain dont l’auteur saisit la perche fabuleuse qui lui est tendue. Le dérèglement paranoiaque présupposé permet d’intégrer le spectateur à une sorte d’expérience de jeu de rôle dont on ignore qui tient les manettes [façon eXistenZ, sorti plus tard] et surtout de faire du lieu du stand-by un théâtre de monstruosités picturales. Verhoeven donne dans l’esbroufe, dans le totalement gratuit à l’occasion [séquence du capteur logé dans les narines du cobaye] et si sa facture technique so 90’s permet d’interpréter que le réalisateur aurait sans doute été dépassé sur son propre terrain [ce qui est à mon sens un jugement vaporeux], cette esthétique organique digne d’un space opera kitsch et quasi déviant n’a rien perdu de son charme ébouriffant, ni même de son originalité – c’est le cas des  »masters » de sa filmographie ; trop passe-partout et déconnectés à la fois pour être souillés : on ne peut les détruire de l’intérieur. On se doute que la violence graphique aurait été plus subtile si Cronenberg, à qui le projet aurait pu échoir -dans les faits-, s’y était attelé : mais avec la démarche malicieuse et la démesure de Verhoeven, c’est somme toute sans grands regrets.

Note globale 82

*

Total recall****  Acteurs*** Scénario**** Dialogues** Original
ité*** Ambition**** Audace***-* Esthétique**** Emotion***
Notoriété>70.000 sur IMDB ; 6.000 sur allociné
Votes public>7.4 sur IMDB ; France : 8.0 (allociné – avant cha
ngements [illisibles] de l'été 2010)
Critiques presse>USA : 5.7 (metacritic – moyenne pondérée)
Note globale → 7
Paul Verhoeven sur Zogarok/PSG-VNF….  Robocop + Starship Troopers + Hollow Man + Basic Instinct
Suggestions… Mission to Mars

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8 Réponses to “TOTAL RECALL +”

  1. Voracinéphile août 12, 2012 à 14:50 #

    Un thriller gratuit, mais ô combien jouissif en effet. Dosant parfaitement ses éléments, cultivant l’ambiguïté sur le rêve acheté ou une réalité altérée par de mystérieux méchants, Verhoeven accouche d’un divertissement violent et terriblement séducteur (mais pas au point de m’avoir fait oublié une réflexion : pourquoi le film, centré sur le personnage principal, se livre-t-il souvent à des transitions filmant uniquement les « méchants » ? (un exemple entre mille : alors que Scharzy s’est pris 6 doses d’anesthésiant et demeure inconscient dans le fauteuil, on a toute une conversation entre les opérateurs de Recall) L’explication est que ces séquences fluidifient la narration, mais elles se détournent de ce que vit Doug, nous faisant plutôt tendre vers la théorie de conspiration…
    Reste en tout cas de belles séquences d’action violente, les artifices amusants du blockbuster (les fameux gadgets utilisés tout au long du film, dont l’hologramme vraiment marquant) et d’intéressantes idées scénaristiques (les mutants ayant don de voyance, une piste qui aurait dû être exploitée dans Minority report, mais qui fût remaniée quand Spielberg en prit les commandes).
    En revanche, je ne suis pas très curieux de voir le remake, le matraquage publicitaire à son sujet m’énerve et outre l’aspect futuriste, si certains éléments du Verhoeven apparaissent (l’épouse perverse…), je pense plus à la mémoire dans la peau qu’à autre chose…

    • zogarok août 13, 2012 à 18:34 #

      Je n’avais pas fait ce rapprochement, mais l’image est forte. Effectivement, ce remake ressemble à un Mémoire dans la Peau, croisé The Island. A-priori, bien sûr.

      Incapable de te répondre au cas par cas sur tous ces aspects précis, j’ai vu le film il y a très longtemps et cet article est une antiquité qui trouve le moment approprié pour ressortir. Le doute est par rapport à la véracité du voyage (mental ou réalité parallèle) ; justement, Schwarzenegger brise l’harmonie de ces voyages, c’est pour cela qu’il s’expose et est pris en chasse. Peut-être que d’autres survolent ce que lui explore « vraiment ». Il y a un aspect parano/kakfkaien à grande échelle, c’est certain (un peu visionnaire à la Wall-E par rapport à ces ego trip). Mais je ne m’avance pas plus.

      Minority Report m’a « glacé » : pas parce qu’il est sinistre ou inquiétant, mais parce qu’il est terriblement froid et emprunté. Il est aussi faste qu’inutile, mais enfin, c’est du Spielberg, on espère pas de lui l’imagination…

  2. Voracinéphile août 14, 2012 à 10:46 #

    Froid et emprunté ? Il est clair que sa trame narrative est suivie de manière très classique, mais si l’univers futuriste ne se révèle pas particulièrement efficace, il possède quelques éléments intéressants. La trame principale est purement divertissante (et l’intérêt est en effet limité : on s’interroge sur la validité d’un système judiciaire qui n’existe pas, même si on sent là une forme de « présomption de culpabilité »), mais quelques éléments de ci de là méritent l’intérêt (je pense aux incessants contrôles de sécurité, aux pubs qui apparaissent après un contrôle de routine…)

    • zogarok août 14, 2012 à 17:51 #

      Tout était pré-existant, le scénario frise le plagiat (Matrix, Fahrenheit 451..) et l’univers est un bricolage de mêmes sources d’inspiration. J’avais justement axée une partie mon article sur cette contradiction – assez parallèle à celle de Total Recall en un sens (même dichotomie, pas dans le même esprit ni au même endroit). C’est « de la belle ouvrage »…

  3. Dany août 16, 2012 à 15:37 #

    Plus sceptique… Je crois que c’est plus premier degré, malgré que le scénar est visionnaire ça reste un prétexte. Mais un bon divertissement (3 sur 5). Le remake m’inspire pas, il a l’air dans la droite ligne des reprises habituelles…

  4. Tangokoni août 19, 2012 à 11:25 #

    Hello Zogarok 🙂

    Ce Total Recall est entré dans mes films cultes dés son premier visionnage, et il le reste plus de 20 ans aprés. Une petite perle pour moi !

    Le remake ? je ne peux en parler sans l’avoir vu, chose que je ferai peut-être.

    • zogarok août 20, 2012 à 08:24 #

      Vu une fois et puisque je m’en souviens bien encore, je crois que finalement, pour moi aussi il n’est pas loin d’être culte. Mais comme (presque) tout Verhoeven.

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