HUNGER GAMES =-

14 Juin

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Anticipé par les faiseurs de buzz comme le successeur de Twilight (et même comme son alternative rebelle et parano par les plus motivés, qui généralement voient enTwilight une dark romance mielleuse et conservatrice), Hunger Games est paré comme un chef-d’oeuvre métaphysique mais c’est bien finalement le simple blockbuster teen dans l’âme et l’idéal du moment. Le triptyque littéraire, phénomène dans le monde anglo-saxon (mais ignoré en France), doit se métamorphoser en une tétralogie au cinéma ; un peu à la façon de Harry Potter avec un sous-texte plus ambitieux et transparent, le matériau est valide et l’univers riche, mais les limites sont déjà perçues. Sauf prise de risque et sortie de piste, la saga Hunger Games est vouée à ressasser les mêmes motifs et à les animer en les faisant grandir en même temps que le public.

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Proche de son matériau, le film s’en accapare toute la richesse thématique. Le propos est dense et fort, de même que l’intention. Mais le résultat est creux et la réflexion sert davantage de mise en bouche luxueuse au divertissement. C’est une caution intellectuelle, non pas pour une bouillie quelconque, mais un cirque attrayant, aux enjeux plus physiques que conceptuels (ou mêmes éthiques). Pas toujours subtil, Hunger Games est aussi une dystopie caricaturale accablée des sempiternelles références anti-totalitaires : allusion à la Shoah avec le rassemblement et entrepôt des jeunes ; à la solution décroissante avec la fuite dans les bois pour perspective (abandonner la civilisation quand elle est devenue folle ou globalisante) ; diabolisation par l’hystérisation de la société marchande(le concours et tous ses artifices), devenue norme pour tout. Sur ces deux derniers terrains, le positionnement est adapté aux mutations de fond à moyen-terme de notre Monde ; mais il faut vouloir le lire pour le percevoir. Et c’est sans compter l’ambivalence de Gary Ross comme du contexte de production de son film (blockbuster justement, produit de masse corrigé par un cahier des charges, contribuant -sans pour autant limiter- à lisser les méthodes cinématographiques et les attentes puis les débats culturels). Les germes sont là, qui leurrent un possible (et parfois en prennent le chemin), mais dans l’immédiat et probablement demain : Hunger Games est un produit clinquant au traitement superficiel, avec la dimension philosophique (autour du modèle sociétal et politique) comme tremplin et booster (il ne faut pas omettre pour autant que c’est déjà mieux qu’un vulgaire supplément-prétexte).

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Hunger Games en plus crédible en tant que jeu initiatique, malheureusement sur ce terrain c’est un anesthésiant. Le processus identificatoire pour les jeunes et adolescents fonctionne grâce aux tempéraments forts mais ouverts des personnages (les gardiens du temple s’agitant devant la nomination de Jennifer Lawrence pour le rôle principal devront s’acharner sur un autre élément). Il peut trouver un certain écho pour des raisons plus sociologiques ; parmi la jeunesse à l’écran, une bourgeoisie mieux armée et avertie s’accommode d’un système impitoyable pour les autres (et aveugle à leur déficience purement pratique et pragmatique). Cette différence entre les jeunes issus de districts préparés à la compétition et ceux embrigadés contre leur gré évoque les deux lonesome trash boy de Battle Royale, volontaires à l’abattoir.

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D’ailleurs, la seconde moitié du film consistant à l’épanouissement du jeu en lui-même entretient des correspondances évidentes avec le chef-d’oeuvre japonais, dont elle est une version amputée de toute charge offensive ou portée subversive, en dépit de sa violence complaisante (voir de son voyeurisme). Décompensation du programme sur tous les plans : le théoricien comme l’esthète sont frustrés, le demandeur de sensations ou d’émotions s’ennuie ferme. Gary Ross cherche à susciter l’empathie, mais use des outils qu’il dénonce plus qu’il ne se soucie de l’état d’esprit ou de la condition de ses personnages. C’est le cas en particulier de son héroine dont il préfère recenser les menaces à la survie et les éructations des adversaires, atouts bien pauvres pour façonner une atmosphère quelconque et plus encore pour instaurer l’urgence d’un survival.

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Sur le plan esthétique, malgré une relative atonie formelle, Hunger Games parvient à élaborer quelques estampes de la civilisation du spectacle (en faisant converger les regards et les instincts, le concours crée l’unité). Gourous et animateurs kitschs sortis de Southland Tales ou Mars Attacks, drama-queen précieuse et grossière comme maîtresse de jeu (parfaitement ignoble quoiqu’assez timide), maître de cérémonie aux allures de vieux sage omniscient : ils sont tous là ! Lors de la séance de lancement, Gary Ross capte et véhicule parfaitement les enjeux et motivations de cette farce grandiose, institution suprême et croyance ultime. Ce rendez-vous annuel confond esprit guerrier et ferveur sociale, pulsion de mort et de banalisation outrée de la vie ; c’est un show grotesque, dont les acteurs contraints sont chaire à jouissance paradoxe (car simulée ou antisociale) ou chaire à sensationnel. Malheureusement, Ross est plus timoré lorsqu’il s’agit d’exposer les vérités masquées et les stratégies du concours ; il faut être les plus attractifs, mais pas trop ; il faut séduire le public et les intermédiaires, sans attiser la colère ou la peur des autorités suprêmes. En d’autres termes, le propos sur la télé-réalité est mal assimilé : c’est à l’image du problème général du film, trop volatile dans ses ambiances et ses toiles de fond. La nécessité de penser stratégie et show, de concilier impératif de performance et jeu avec la vie – bref, la confusion entre urgence personnelle et urgence spectaculaire– est mal définie. Pourtant, l’emprise totalitaire des apparences est suggérée sans relâche et surtout, l’improbable basculement des participants vers l’enthousiasme collectif autour de leur mise à mort est clairement esquissé (sans cynisme ou angle de vue particulier). Sauf que ce pied-de-nez, probablement installé dans le roman, est utilisé comme cache-misère et pour assumer une conclusion ou Hunger Games abandonne ses visées didactiques pour un repli tant d’un point de vue créatif (final très terne) que sur le plan des idées (fausse ambiguïté et questionnement bidon). Là ou Hunger Games casse réellement les codes, c’est lorsqu’il brade son imagerie champêtre pour s’orienter vers la vision d’un mode rural apaisé et libérateur, une perspective ancrée dans l’imaginaire distopyque traditionnel (déjà dans le Fahrenheit 451 de Truffaut ; c’est par ailleurs l’idéal de tous les idéalistes sceptiques et utopistes déçus) mais réellement anti-conformiste dans l’industrie hollywoodienne et le contexte actuel.

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Note globale 52

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Page Allociné 

Fiche Metacritic   

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Synopsis officiel > Chaque année, dans les ruines de ce qui était autrefois l’Amérique du Nord, le Capitole, l’impitoyable capitale de la nation de Panem, oblige chacun de ses douze districts à envoyer un garçon et une fille – les « Tributs » – concourir aux Hunger Games. A la fois sanction contre la population pour s’être rebellée et stratégie d’intimidation de la part du gouvernement, les Hunger Games sont un événement télévisé national au cours duquel les tributs doivent s’affronter jusqu’à la mort. L’unique survivant est déclaré vainqueur.
La jeune Katniss, 16 ans, se porte volontaire pour prendre la place de sa jeune sœur dans la compétition. Elle se retrouve face à des adversaires surentraînés qui se sont préparés toute leur vie. Elle a pour seuls atouts son instinct et un mentor, Haymitch Abernathy, qui gagna les Hunger Games il y a des années mais n’est plus désormais qu’une épave alcoolique. Pour espérer pouvoir revenir un jour chez elle, Katniss va devoir, une fois dans l’arène, faire des choix impossibles entre la survie et son humanité, entre la vie et l’amour…

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6 Réponses to “HUNGER GAMES =-”

  1. Voracinéphile juin 17, 2012 à 15:17 #

    2/5 donc… Je suis aussi de cet avis. Ca reste un block buster, mais il tente (surtout pendant sa première moitié) de planter quelques thématiques. Un divertissement dopé par une petite dose d’anti-conformisme et un traitement plutôt sobre de ses personnages (aucune manie agaçante chez nos héros, c’est déjà un bon point). Cependant tu résumes complètement lescraintes qu’on peut avoir à la sortie de la salle : maintenant que les enjeux sont posés, il y a risque de ne plus en sortir, et de rester prisonnier dans les grandes lignes du premier, qui seraient au mieux développés, au pire ressortis dans des contexte un peu différents (plus spectaculaire, probablement).
    Seconde moitié en revanche très pauvre, presque incapable d’instiller la moindre tension concernant l’héroïne et ayant constamment recours au Deus ex Machina pour la sortir des situations à risque (nid de guêpe juste dans son arbre, coéquipier d’une équipe rivale vengeur, et pour couronner le tout l’ahurissant final ou en fait, ils vont se suicider, mais non ! on préfère les laisser vivre…). Partie complètement faiblarde et anesthésiée, qui filme quelques effusions de sang (genre on est sérieux) mais qui filme comme un pied (pour atténuer la portée visuelle de la violence…).
    Après ce premier épisode, je ne pense pas que j’irai au ciné voir la suite, à moins d’un retournement de situation un peu surprenant (et par cela, je ne veux pas dire une focalisation sur sa relation avec son petit copain resté dans son district).

    • zogarok juin 17, 2012 à 18:43 #

      Première partie très structurée, pleine de bonnes pistes ; seconde totalement vaine, le film hésite entre l’action-movie au ralenti et le drame teen totalement « anesthésié », oui (un mot que j’utilise abondamment depuis quelques temps, il va falloir que mon cerveau s’ouvre à d’autres mots-clés). On semble vouloir se diriger vers la romance, mais les sentiments sont refoulés (les personnages n’existant pas ou peu, la manœuvre est complexe) ; alors il y a l’idée de montrer « la dure réalité de la vie » à des jeunes benêts, mais là non plus, moralement ce n’est pas le cas et physiquement, les conflits sont peu crédibles, ou vite évacués, de même que les effets « sanguinolents » assez pathétiques (probablement pour exciter l’ado tout en restant gentil et discipliné auprès de l’ensemble des cibles – on est donc totalement d’accord).

      Finalement, quelque soit le point de vue de départ, la façon d’appréhender l’ensemble, tout les cinéphiles en viendront au diagnostic suivant : Battle Royale soft. Ce que tu décrit du final, c’est la preuve de cette lâcheté, de cette incapacité à aller au bout. Et nous verrons peut-être plus tard que ce n’est que le début d’une franchise, pas un film en et pour lui-même (donc le buzz a été fait autour d’un nouveau phénomène artificiel – pas d’une oeuvre se démarquant spontanément ou authentiquement).

      Beaucoup de films sont à 2/5 et ** (depuis ma reprise qui coïncidait avec le lancement de Zogarok). Je ne pense pas pourtant être devenu plus strict ou exigeant ; mais le hasard veut que HUNGER GAMES, comme TAKE SHELTER, suscitent essentiellement chez moi du scepticisme – est-ce que plus un film est cité/est celui « du moment », plus je suis impassible, je ne le crois pas -j’ai vu PROMETHEUS au fait-, même si le constat me surprend. C’est vrai sinon que 2012 n’est pas très stimulant et que les masterpieces comme les petites pépites labellisées sont toujours des redites d’un film antérieur, des archétypes d’un phénomène ou d’un mouvement (les deux derniers cités le sont totalement)… Crise de créativité au cinéma ? Décidément, 2012 est l’année de toutes les berezina !

  2. Voracinéphile juin 17, 2012 à 21:03 #

    Pour remplacé anesthésié, je te conseille formaté, et si tu veux donner dans la métaphore : « qui carbure au glycol ». Dans la mesure ou j’avais visionné Battle Royale la veille d’aller en salle découvrir Hunger Games, j’étais déjà dans le schéma de comparaison, et si la première moitié se révèle plus riche au début, c’est la débandade dès que les canons retentissent… A en juger par les synopsis trouvables sur internet, le prochain opus devrait se focaliser sur une procession en l’honneur des vainqueurs des Hunger games qui virerait du même coup à une insurrection populaire… J’espère que je me trompe, mais ça commence à ressembler à du V pour Vendetta tout ça, avec ce gouvernement totalitaire qui menace de réprimer la foule…
    Concernant Prometheus, tu sembles laisser poindre un peu d’amertume, je m’attends donc à un petit démontage dans les règles (et vu que je suis plutôt partisan du film, j’attends pour répliquer). Lueur d’espoir pour 2012 : The dark Knight Rises. C’est maintenant la dernière grosse attente de l’année. Après, ça sera tous aux abris avec l’arrivée de Taken 2 et Resident Evil 5…

    • zogarok juin 17, 2012 à 21:28 #

      Souvent, je l’utilise dans l’autre catégorie -« POLITIQUE »- (donc plutôt dans le sens du laisser-aller, de la passivité ou surtout, de la narcotisation -autre terme récurrent dans mes notes, moins dans les articles à ce jour).

      La comparaison est cruelle puisque Hunger Games est un sous-Battle Royale ; tout ce qui fait le semblant d’originalité de HG est issu des grands principes de Battle Royale… ou bien du roman, lui-même curieusement proche (sur les idées) de BR.

      Je n’attends rien pour la suite – il n’y a aucune raison d’y croire. Hunger Games peut s’inscrire dans la lignée des Harry Potter & Twilight, mais il y a encore du chemin pour qu’il soit à leur niveau. En l’état, j’y crois peu : le premier film est un déterminant. Mais, toujours pour rester objectif, Hunger Games a battu des records au box-office aux USA, alors peut-être qu’il faudrait faire confiance aux chiffres – la France elle, n’a pas suivi (ni l’ensemble de l’Europe).

      Pour PROMETHEUS, je l’ai cité parce qu’il venait à l’esprit plus que parce qu’il illustrait. Je n’ai encore rien rédigé, je préfère attendre un peu. Je garde le suspense absolu. Pour TDK bis, pas question de s’enthousiasmer pour en sortir plein d’amertumes. Je n’ai pas passé le cap du second RESIDENT EVIL, encore plus nul que son modèle – mais le 3e avait l’air plus dépaysant.

  3. Voracinéphile juin 17, 2012 à 22:43 #

    ^^ Je me rappelle de ta chronique atterrée devant le niveau d’Apocalypse. La saga Résidante et vile est une bonne référence de ma culture naveteuse, arrivant à surpasser en connerie l’opus qui précède. Si le premier est à mon sens le plus sobre, mon « préféré » reste le 2, qui à défaut de se prendre au sérieux, délivre la marchandise avec la finesse d’une bombe à neutrons dans un magasin de château de cartes. Con, beauf, nanar et aberrant, c’est le meilleur de la saga. Le 3 est apparemment celui qui reste le plus respectable (bon, je desserre les dents pour lui accorder qu’il est le plus joli), mais je le déteste quand même pour sa repompe éhontée de tous les genres qu’il concasse (il réussit même à refaire Le jour des morts vivants et à se planter) et pour ses tentatives nanardes de faire avancer l’intrigue (mention spéciales au réseau satellite, belle piste ruinée par un scénario imbécile). Quant à Afterlife, c’est le pire de la saga, un éclat de rire monstrueux devant des incohérences à répétition et du pompage de films au plan près (étonnant que les Watchowsky ne se soient pas manifestés). C’était le résumé d’une saga sans espoir, et le 5 s’annonce prêt pour révolutionner les limites du navet.
    Sinon, quel suspense pour Prometheus !^^

    • zogarok juin 17, 2012 à 23:00 #

      Les Wachowsky sont très occupés, entre une opération ratée à assumer et dépression artistique ; ils sont sortis de piste et se contentent de jouer aux consultants de prestige. Ce qui est déjà énorme, mais pour quel résultat – V pour Vendetta.

      Je prend note de toutes ces précisions sur Resident Evil, il m’avait semblé que la saga s’articulait ainsi (festival bourrin pour le 2, joli 3e et lamentable 4e – pour les repompages, notamment à Romero, après tout c’est le principe même de la saga dès le 1) – même si tu diverge de l’avis général à propos de ce second opus, à un point déroutant (enfin, c’est un éloge paradoxal). Si pour le 5, il y a des garanties de tomber si bas, je suis preneur : l’important, c’est d’aller au bout.

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